Anne Jones, Arbres de Vies. 2013

La Louvière, rue de la Loi. Espace public

L’intervention d’Anne Jones à La Louvière se situe sur l’une des principales artères du centre-ville : la rue de La Loi qui relie la rue Albert Ier, axe piétonnier commercial et la place communale avec son théâtre, son musée et son hôtel de ville. La rue de La Loi est scindée en deux parties. En son milieu fut aménagé un giratoire sur lequel repose La Louve, l’un des monuments le plus emblématique de la cité. La ville tire effectivement son nom de « louvière » qui désigne le repère du loup, animal dont la présence était attestée dans cette région - comme partout ailleurs en Belgique - lorsqu’au XIIe siècle des moines de l’Abbaye d’Aulne y installèrent un prieuré. Tandis que le loup est réputé féroce, la louve romaine, est une figure de prospérité, maternelle et bienveillante. Les édiles communaux ne pouvaient trouver meilleur emprunt pour nommer leur toute jeune ville après les premières élections communales d’octobre 1869. 

Le monument à La Louve fut inauguré en 1953. Le sculpteur belge Alphonse Darville (1910-1990), alors très connu, fut chargé de réaliser le bronze alors que la conception du dispositif de présentation fut confiée au talentueux architecte Jacques Depelsenaire (1923-2009). Alphonse Darville reprit à l’identique (par moulage ?) la célèbre louve capitoline en enlevant Romulus et Remus. De petite taille comme l’original, cette louve est élevée à une hauteur proche de celle du monument romain, sur un socle haut, ici constitué de deux lames de pierre bleue subtilement profilées pour créer une dynamique. 

Anne Jones a compris l’importance de ce monument. Elle n’a pas voulu s’interposer entre celui-ci et les citoyens à la différence des architectes-urbanistes chargés du réaménagement du centre-ville qui ont ceinturé le monument d’un dispositif de luminaires en acier Corten aussi bavard qu’inutile. Anne Jones a donc déployé son travail à distance raisonnable du célèbre monument tout en intégrant cette donnée récente. Ses 6 Arbres de Vie sont groupées par 3 et disposées sur des 2 aires de repos équidistantes. Avec ses arbres aux allures de colonnes, elle a voulu consolider de façon métaphorique le récit imaginaire fondateur de la cité des loups. Initié dans le cadre du projet de la rénovation de plusieurs places publiques et rues du centre-ville, le concours offrait la possibilité de répondre à la thématique des urbanistes consistant à « retrouver la forêt dans la ville ». Anne Jones y a répondu naturellement en proposant ses Arbres de Vie.  

Les Arbres de Vie d’Anne Jones sont stylisés afin de laisser le matériau s’exprimer. Ce sont des colonnes cylindro-coniques en acier Corten présentant une faille sur toute leur hauteur. Anne Jones est tellement entrée dans la métaphore historique qu’un seul arbre met en exergue son matériau de prédilection : l’ardoise. Les autres combinent l’acier, le bois et la faïence. Si tout ce qu’elle utilise ici n’est pas récupéré, le recyclage est essentiel dans la démarche de cette artiste dont l’œuvre émerge dans les années 1980, décennie d’exaltation du consumérisme. Par une mise en oeuvre adaptée, Anne Jones relève le potentiel plastique, voire même poétique, de matériaux pourtant destinés au rebu. L’ardoise est emblématique de son regard. Roche métamorphique se délitant en plaques, l’ardoise est une matière vivante dont la couleur varie selon le type de lumière qui l’éclaire. Ainsi fut-elle utilisée en Wallonie, où elle fut jadis abondante, pour couvrir des toits qui répondent si bien au gris changeant du ciel. Anne Jones a énormément taillé l’ardoise, pas en plaque mais sur champs ce qui amplifie la vibration chromatique de celle-ci. Malgré une mise en œuvre contraignante, elle a réussi à créer des surfaces et des volumes comme les sphères du Carré d’ardoises (2002) dans le jardin du Musée Rops. L’un des arbres contient du schiste, il se réfère à la terre et au charbon, à l’énergie motrice qui apporta la révolution industrielle. Les autres matériaux que l’artiste place dans les interstices des colonnes prolongent le propos renvoyant à des temps mythiques de la cité. Des rondins de bois remplissent deux colonnes pour se référer à l’ère préindustrielle, cette époque paisible et sauvage à la fois. Avant d’être urbanisé, le territoire occupé par l’actuelle ville de La Louvière était une forêt charbonnière giboyeuse et peuplée de loups. 

Les autres colonnes renvoient à l’industrialisation fondatrice de la cité : faïencerie et  sidérurgie. Une veine d’acier est faite de pièces pour machines outils récupérées dans une tôlerie industrielle de la région. Oxydé, le métal de ces pièces cylindriques se confond peu à peu avec la peau lisse et brute de la colonne. Deux autres colonnes contiennent des  carreaux de faïences qui rappellent la faïencerie des frères Boch. Cette entreprise fut en 1841 à l’origine de la naissance et du développement de cette ville champignon. Sur un alignement de carreaux blancs, Anne Jones a tracé au pinceau, sous l’émail, un trait vert « Carlotta » du nom d’un célèbre service. Au delà de l’hommage au passé industriel de la cité, par sa discrétion et sa facilité d’accès, ce dispositif d’art public suscite l’adhésion du public.   

Ludovic Recchia