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Buste GOSSEC François-Joseph

Buste de Joseph-François Gossec sur une fontaine ; 9 septembre 1877
Réalisé par Pierre-Joseph Feyens.


Située au centre du petit village de Vergnies, une fontaine publique en pierre est surmontée par le buste en bronze d’un enfant du pays qui s’est rendu célèbre à Paris. Né à Vergnies, François-Joseph Gossec (1734-1829) a en effet inscrit son nom dans l’histoire de la musique française du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Enfant de chœur de grand talent qui joue aussi du violon, il a été incité à poursuivre sa jeune carrière à Paris : violoniste d’abord (1751), directeur d’orchestre ensuite (1758), il compose en 1760 la Grande Messe des morts (Missa pro defunctis) qui assure sa notoriété. Les symphonies qu’il compose ensuite, de même que ses opéras ou ses diverses fonctions de direction musicale lui valent d’être nommé Directeur de la nouvelle École royale de Chant et de Déclamation (1784). Lors des événements de 1789, Fr-J. Gossec devient un ardent propagandiste des idées nouvelles et s’impose comme « musicien officiel de la Révolution » : en 1792, il contribue à la première orchestration de La Marseillaise et répond à de nombreuses commandes des autorités françaises. Parfois considéré comme l’inventeur de la musique démocratique et comme le fondateur de l’art choral populaire, il a contribué à l’installation du Conservatoire national de Musique de Paris qu’il dirige après y avoir enseigné. Inhumé au cimetière du Père-Lachaise, il repose près de la tombe de son ami Grétry.
Une telle figure ne pouvait rester ignorée dans son village natal. Un Comité est mis en place à la fin des années 1870, au sein duquel Clément Lyon joue le rôle d’animateur. C’est le vicomte Van Lempoel qui offre le monument à la commune de Vergnies comme l’indique l’inscription située à l’arrière du socle :

MONUMENT
Offert à la Commune
par
Monsieur le Vicomte Van Lempoel
SON BOURGMESTRE
ANCIEN SENATEUR

INAUGURÉ
LE 9 SEPTEMBRE
1877

Buste-fontaine de Joseph-François Gossec



C’est le sculpteur Pierre-Joseph Feyens (1787 ou 1789-1854) qui signe le buste de Gossec, mais il n’est pas l’auteur de la fontaine. Originaire de Turnhout, formé à l’Académie d’Anvers avant de rejoindre celle de Bruxelles où il reçoit l’enseignement de Godecharle, P-J. Feyens s’est très vite orienté vers la réalisation de bustes et a récolté ses premières récompenses. Alternant les genres et les sujets, il ne trouve pas à s’épanouir à Bruxelles et part pour Paris où il séjourne pendant près de quinze ans (1819-1833). Il répond à des commandes officielles (notamment sur l’Arc de Triomphe) sans rencontrer le succès espéré. De retour à Bru

xelles désargenté, il survit tant bien que mal, réalisant des œuvres d’inspiration mythologique ou religieuse. En 1845, il signe notamment le buste de Gossec ; un exemplaire se trouve au Palais des Académies à Bruxelles, tandis qu’un autre, en bronze, couronne la fontaine publique de Vergnies.
L’inauguration du monument fut marquée par des circonstances non souhaitées par les organisateurs. Certes la foule était nombreuse et les fanfares locales avaient fait le déplacement ; mais les représentants officiels des Conservatoires de Bruxelles et de Paris brillèrent par leur absence. D’autre part, les représentants du gouvernement n’étaient pas invités dans la  mesure où ils n’avaient accordé aucun subside au Comité Gossec. Enfin, les conditions climatiques ne laissèrent pas les discours se terminer. Un orage dispersa tous les participants et la fête populaire en fut affectée. Depuis lors, quel que soit le temps, le mémorial entretient le souvenir du musicien dans son village natal. En 1989, Gossec servit de prétexte à une commémoration spéciale du bicentenaire de la Révolution par les autorités locales.





Paul DELFORGE, Essai d’inventaire des lieux de mémoire liés au Mouvement wallon (1940-1997), dans Entre toponymie et utopie. Les lieux de la mémoire wallonne, (actes du colloque), sous la direction de Luc COURTOIS et Jean PIROTTE, Louvain-la-Neuve, Fondation Humblet, 1999, p. 285-300
Walter THIBAUT, François-Joseph Gossec, Charleroi, Institut Destrée, 1970, coll. Figures de Wallonie
Alain JACOBS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 395-396
La Vie wallonne, II, 1955, n°270, p. 101-102
Joseph HARDY, Chroniques carolorégiennes inspirées des écrits de Clément Lyon, Charleroi, éditions Collins, (circa 1944), p. 53-56
André WILLIOT PARMENTIER, Le Citoyen Gossec. Héraut wallon de la Révolution française, (préface de Valmy Féaux), Charleroi, éd. Bonivert, 1990
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 568

place et rue Gossec
6640 Vergnies

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Statue Alexander GORDON

Tombé sur le champ de bataille de Waterloo le 18 juin 1815, le jeune Alexander Gordon fait l’objet de toute l’attention de sa famille qui fait édifier un monument dès 1817. Lieutenant-colonel des Scots Guards et aide de camp de Wellington, Gordon a été touché par un boulet de canon et la petite histoire rapporte qu’il a été emporté à l’âge de 29 ans au quartier-général de Wellington au moment même où celui-ci rédigeait son bulletin de victoire… Dédié à Gordon, le monument est aussi un hommage à l’ensemble des soldats écossais, voire anglais ayant participé à la victoire des coalisés contre les troupes françaises de Napoléon. Dans sa disposition actuelle, le « monument Gordon » se dresse à quelques centaines de mètres à l’est de la Butte du Lion, près du carrefMonument Hubert et Mathieu Goffinour de la chaussée de Charleroi et de la route du Lion, face au monument aux Hanovriens.

Stèle de style néoclassique réalisée en pierre bleue et d’une hauteur avoisinant les 5 mètres, elle comprend un piédestal surmonté de frontons triangulaires, eux-mêmes ornés de couronnes de laurier et sommés d’acrotères à leurs extrémités. Le piédestal porte une colonne cannelée sur sa longueur et brisée à son sommet qui vient ceindre une couronne de lauriers. La colonne brisée évoque la courte carrière de l’officier. Quant au socle, il porte deux bas-reliefs en vis-à-vis qui y ont été apposés au cours du temps : l’un représente des armes et est surmonté de l’insigne des Scots Guards composé d’un chardon entouré de la devise Nemo me impune lacessit. L’autre donne à voir les armoiries de Lord Aberdeen constituées de deux bras bandant un arc entourés de la devise Fortuna sequatur (et d’une couronne de feuilles de chêne). L’inscription suivante concerne Gordon :

« To the memory of
The hon. Sir Alexander Gordon, K.C.B.
Lt.Col. Scots Guards and aide de camp
To the duke of Wellington
After serving his country with distinction
He was killed at the Battle of Waterloo
18th june 1815 ».

En anglais et en français, un long texte a été gravé dans la pierre qui dit :

À la mémoire
De l’honorable Sir Alexandre Gordon,
Lieutenant-colonel,
Chevalier commandeur du très honorable ordre du bain, aide de camp du Field
Marshal du de Wellington et troisième frère de George, comte d’Aberdeen
__________________________
Il termina à l’âge de 29 ans
Sa courte mais glorieuse carrière,
en exécutant les ordres de son illustre général
à la bataille de Waterloo.
Sa bravoure et ses talents distingués
lui méritèrent l’approbation du héros
dont il partagea les dangers
en Espagne, au Portugal et en France
et qui lui donne les preuves les plus flatteuses de sa confiance,
dans d’importantes occasions.
Son pays reconnaissant lui a décerné, en récompense
de son zèle et de son activité dans le service,
dix médailles et l’honorable distinction de l’ordre du Bain.
Le duc de Wellington l’a justement regretté
et  l’a cité dans son rapport officiel
comme un officier qui donnait de hautes espérances
et dont la perte sera vivement sentie
par sa patrie.
Il n’était pas moins recommandable par ses vertus privées.
Son respect sincère pour la religion,
l’élévation de ses principes d’honneur,
sa probité sévère,
et les aimables qualités qui lui avaient acquis
l’attachement de ses amis, et l’amour de sa famille.
En témoignage de ces sentiments qu’aucun langage ne saurait exprimer,
une sœur inconsolable et cinq frères qui lui survivent
ont élevé ce modeste monument
à l’objet de leurs plus chères affections ».

Au XIXe siècle, le monument a fait l’objet d’une attention toute particulière de la part de la famille : à diverses reprises (mentionnées dans la pierre), il a été restauré et réparé par un frère d’Alexander Gordon, avant d’être pris en charge par ses descendants. Classé comme monument historique en août 1978, devenu propriété de la Régie des Bâtiments, il a fait l’objet d’une restauration par les autorités compétentes en 2011-2012.

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
http://napoleon-monuments.eu/Napoleon1er/1815MontUK.htm#Gordon (sv. décembre 2013)

Chaussée de Charleroi
1420 Braine-l’Alleud 

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Paul Delforge

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Mémorial Jean GOL

Dans le parc communal de Chaudfontaine, près de l’hôtel de ville et de ses services administratifs, un mémorial Jean Gol borde la grande pelouse de ses quatre hautes stèles réalisées par Halinka Jakubowska. L’initiative en revient aux autorités communales calidifontaines qui tenaient à honorer rapidement celui qui était encore conseiller communal et échevin de la localité lorsqu’il est victime d’une hémorragie cérébrale fulgurante en septembre 1995. Objet d’un concours public lancé à l’automne 1997, la lauréate a été désignée par un jury présidé par Félix Roulin en mars 1998 et sa réalisation inaugurée en septembre 1998, pour le troisième anniversaire de la disparition de Jean Gol.

Artiste d’origine polonaise, née à Slubice en 1952, Halinka Jakubowska avait découvert Liège en 1972 et s’y est définitivement fixée ; elle y mène des études à l’Académie des Beaux-Arts avant de poursuivre sa formation à Anderlecht à l’Académie, où elle se spécialise dans la rénovation de la pierre et du bois. En 1990, le prix de la pierre lui est décerné par l’Association des Maîtres Tailleurs de pierre de la province de Liège ; il s’agit de la première des nombreuses reconnaissances accordées à son travail : la pierre, puis le bronze, et progressivement la fonte sont autant de matières qui font l’objet de ses sculptures abstraites, d’intérieur ou d’extérieur, de petits formats ou monumentales. Jouant souvent sur la dualité, confrontant les matériaux (pierre et bronze) ou leur traitement (pierre polie aux bords rugueux), elle remporte plusieurs concours publics, dont celui de la fontaine de la place Saint-Séverin à Huy (1991), celui de la fontaine pour la Place saint-Lambert à Liège (1997), voire la fontaine de la place Patria à Soumagne (intitulée La Porte, en 2008), ainsi que pour le mémorial Van den Berg à Cointe (2010). L’année où elle remportait le concours du mémorial Jean Gol, elle venait d’achever l’hommage aux soldats polonais destiné au monument Interallié de Cointe. Prix Techni-Pierre de la Région wallonne 1992, prix Hembecca de la sculpture (1995) et prix Louis Schmidt (1995), prix de la Galerie Juvénal de la biennale d’art contemporain de Huy (2007), celle qui a été élue « Polonaise de l’année 2011 en Belgique » a exposé dans de nombreux endroits en Wallonie, plus particulièrement en province de Liège, ainsi qu’à Bruxelles, à Paris, en Suisse et aux Pays-Bas, seule ou lors d’expositions collectives.

Caractéristique de son œuvre, la verticalité est bien présente dans le mémorial Jean Gol, installé à Chaudfontaine, de même que la répétition de formes similaires. Halinka Jakubowska a en effet travaillé quatre pierres de granit bleu offertes par les carrières de Sprimont. Silhouettes abstraites, elles sont posées sur une tranche étroite et leur disposition donne une impression de progression. Étroite vers le haut, de plus en plus large vers le bas, la forme de chaque stèle peut aussi donner l’impression que des ailes vont s’ouvrir. Faisant ainsi allusion au disparu qui s’est envolé vers un autre monde, les quatre stèles sont travaillées d’un côté avec force détails ; de l’autre, restent gravées dans la pierre des paroles que Jean Gol avait l’habitude de prononcer souvent. À ces contrastes s’ajoute que la tranche du côté droit est polie et droite, tandis que le côté gauche est irrégulier et « brut ». 

Les formules gravées sont brèves et rassemblent les valeurs qui lui étaient chères : la justice, l’universalité, la recherche de l’excellence, la défense de la langue française. La première fait explicitement référence au discours d’investiture (refusée) de Pierre Mendès France (3 juin 1953) à l’Assemblée nationale.


« PARLER
LE LANGAGE
DE LA VÉRITÉ,
C’EST LE PROPRE
DES OPTIMISTES
QUI PENSENT
QUE LE PAYS
ACCEPTERA 
LA VÉRITÉ ET
QUE LE SAVOIR
EST, POUR LUI,
LA SEULE CHANCE
DE COMMENCER
A RÉAGIR
ET À GUÉRIR
C’EST POURQUOI
SI NOUS VOULONS
ÊTRE DIGNES
DE LA CONFIANCE
DU PAYS 
NOUS NE DEVONS
JAMAIS PROMETTRE
AU-DELÀ DU
POSSIBLE. »    
« RIEN
N’EST PLUS
ESSENTIEL
A L’AVENIR
DE LA
BELGIQUE
FRANCOPHONE
QUE SON OUVERTURE
LA PLUS
GRANDE SUR
L’EUROPE ET
SUR LE MONDE.
A CET EGARD,
NOUS AVONS
UNE GRANDE
CHANCE,
UN ATOUT
IRREMPLACABLE.
NOTRE LANGUE,
NOTRE CULTURE
ONT UN ROLE
UNIVERSEL. »
« JE CROIS
QUE LE ROLE
DU POLITIQUE
COMME
LE ROLE DE LA
POLITIQUE
EST DE
CHANGER
LES CHOSES
ET NON
DE LES SUBIR. »
« SEULS
LES HOMMES
RESPONSABLES
SONT
VRAIMENT
LIBRES »

JEAN GOL
1942-1995


MINISTRE
D’ETAT
ECHEVIN DE
CHAUDFONTAINE
AVOCAT,
ENSEIGNANT
A L’UNIVERSITE
DE LIEGE


Docteur en Droit de l’Université de Liège (1964), diplômé d’études supérieures en Sciences juridiques (Droit public et administratif) (1969), chercheur-stagiaire (1964-1965), puis aspirant FNRS (1965-1969) au Centre interuniversitaire de droit public, assistant du professeur François Perin (1969-1971), maître de conférences (1974), chargé du cours du droit des médias, Jean Gol (Hammersmith 1942 – Liège 1995) exerce comme avocat depuis 1964 au Barreau de Liège et dirige un bureau d’avocats spécialisés dans le droit commercial international, quand il se lance en politique. Actif au sein d’associations étudiantes de gauche et wallonnes, co-fondateur du Parti wallon des Travailleurs (1964) puis du Parti wallon (1965) et du Rassemblement wallon (1968), il est d’abord conseiller provincial RW de Liège (1968-1971), avant de faire son entrée à la Chambre des représentants en 1971.

Mémorial Jean Gol (Chaudfontaine)

Abandonnant son poste d’assistant à l’Université de Liège, il se consacre désormais quasi exclusivement à la politique. Acteur de la régionalisation provisoire (1974-1977), secrétaire d’État à l’Économie wallonne (11 juin-4 octobre), Secrétaire d’État adjoint au ministre des Affaires wallonnes (Alfred Califice) en charge de l’Économie wallonne (4 octobre 1974-18 avril 1977), il fait partie du tout premier Comité ministériel des Affaires wallonnes. Il participe ainsi à la construction et à la mise en place des premières institutions wallonnes, et au développement des premières initiatives wallonnes. Quittant le Rassemblement wallon pour former le Parti des Réformes et de la Liberté de Wallonie (1977-1979), et le PRL ensuite, Jean Gol préside ce parti (1979-1981). Acteur majeur de l’adoption des lois de régionalisation de l’été 1980, il siège au Conseil régional wallon de 1980 à 1994, ainsi qu’au Conseil communautaire. Jusqu’en juin 1994 et son élection au Parlement européen, il est régulièrement réélu à la Chambre dans l’arrondissement de Liège. Devenu vice-premier ministre dans les gouvernements Martens (1981-1988), il est notamment en charge de la Justice et des Réformes institutionnelles. Il porte notamment à son actif le statut de la Communauté germanophone (1983) et la mise en place de la Cour d’Arbitrage (1984). Rejeté dans l’opposition en 1988 avec son parti – dont il retrouve la présidence en 1992 – Jean Gol ne peut que constater et déplorer l’orientation des réformes institutionnelles de 1988 et 1993. La priorité est donnée aux régions et aucune majorité n’est disponible en Wallonie et à Bruxelles pour créer la structure de la « nation francophone » à laquelle il aspire. Attentif aux questions internationales, en particulier à l’Europe et à l’Afrique, surto

ut les relations Belgique-Zaïre, Rwanda et Burundi, il a été l’un des premiers à dénoncer les dérives du régime d’Habyarimana et a souvent mis l’accent sur l’importance de la francophonie. De 1977 à 1982, il siège aussi comme conseiller communal à Liège, avant de déménager à Chaudfontaine, dont il devient l’échevin des Finances (1992-1995).

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 199-202
http://www.halinka-jakubowska.be/index.html (s.v. avril 2015)
Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, t. IV, Namur, 2010
Joseph TORDOIR, Jean Gol : Vingt ans de combat libéral, Bruxelles, Centre Jean Gol, Labor, collection Histoire, 2005 
Jean-François FURNEMONT, Jean Gol. Le pirate devenu amiral, Bruxelles, 1997
Jean-François FURNEMONT, Jean Gol, dans Nouvelle Biographie Nationale, t. IX, p. 201-206

Parc communal d’Embourg (dit Parc Jean Gol)
4050 Chaudfontaine

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Paul Delforge

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Monument Josse GOFFIN

Si la statue qui domine la place située devant l’église de Clabecq honore Josse Goffin, l’ensemble du monument est un hommage plus général à tous ceux qui ont contribué à la fondation et au développement des Forges de Clabecq, en particulier à trois représentants de la famille Goffin : Édouard-Guillaume (1796-1858), Charles-Henri (1827-1861) et Josse-Philippe-Auguste (1830-1887). Un an après le décès de ce dernier, le monument est inauguré (1888). Sa réalisation a été confiée au sculpteur Jacques de Lalaing (1858-1917). Son initiative a été prise par deux chefs de fabrication (Étienne et Alphonse Thomas) qui ont réussi à convaincre Simont, le directeur des Forges.

Sur un piédestal en pierre bleue, aux lignes simples, la statue en bronze coulé de Josse-Philippe Goffin le présente debout, la jambe droite vers l’avant croisant celle de gauche, tandis qu’il s’appuie de la main droite sur une canne. Il est vêtu d’un large pardessus non boutonné et d’autant plus dégagé à l’avant que son bras gauche est légèrement plié pour venir prendre appui sur son côté, à hauteur de son bassin. Avec son mètre quatre-vingts, la statue semble être de la même hauteur que l’industriel dont le regard porte sur l’horizon, tandis qu’il paraît tourner ostensiblement le dos à l’église. Bien que le temps ait fait son œuvre, il reste identifié sur la face avant du piédestal par la dédicace suivante :

A JOSSE-PHILIPPE-AUGUSTE GOFFIN
PROPRIETAIRE DES FORGES DE CLABECQ
1830-1887
SES EMPLOYÉS ET SES OUVRIERS RECONNAISSANTS

Sur les deux faces latérales, de manière plus nette, on peut lire le nom et le statut des deux autres membres de la famille :

ÉDOUARD-GUILLAUME GOFFIN
1796-1858
FONDATEUR DES USINES DE CLABECQ

et

CHARLES-HENRI GOFFIN
1827-1861
CONSTRUCTEUR DU LAMINOIR
ET DU CHEMIN DE FER DE RACCORDEMENT

À l’arrière :

AUX
FONDATEURS
DES FORGES DE CLABECQ
1888

Comme l’indiquent les inscriptions du monument, Édouard-Guillaume Goffin a été le premier de cette famille bruxelloise à investir des moyens financiers dans l’exploitation d’une forge à métaux située à Clabecq. Il est alors associé au banquier Nicolas Warocqué et les affaires prospèrent quand éclate la Révolution de 1830. Surgissent alors des difficultés et, à l’entame des années 1840, la Société des Forges de Clabecq fait l’objet d’une profonde réorganisation. Après la disparition de N. Warocqué et du maître de la forge, Ed-G. Goffin en devient le seul responsable et, avec ses fils, développe une activité rentable. Au milieu du siècle, déjà 300 personnes y travaillent et un premier laminoir à fer est installé (1850) après l’installation d’une grande fonderie (1845). Charles-Henri n’est pas étranger aux progrès techniques réalisés ; en 1857, le premier train à tôles est construit ; en 1858, les Forges disposent d’un précieux raccordement ferré à la gare de Tubize : les débouchés sont assurés pour de nombreuses années.

En 1861, Josse Goffin se retrouve cependant seul aux commandes, suite aux disparitions successives de son père (1858), puis de son frère (1861). Plongé dans l’entreprise familiale depuis sa naissance, le jeune entrepreneur donne un nouvel envol aux Forges de Clabecq. Il parvient à vendre ses produits sur le marché européen. Dans les années 1880, l’entreprise compte 1.200 ouvriers et utilise des outils modernes. Toujours à l’initiative de Josse Goffin, une cité ouvrière a été construite pour accueillir une partie du personnel… en tout cas pour le conserver à proximité de l’outil. Cela peut paraître paradoxal au regard du choix effectué par l’industriel lui-même qui a choisi, lui, de rester domicilié à Berchem-Sainte-Agathe, localité des environs de Bruxelles dont les Goffin sont les bourgmestres de 1842 à 1902 : Josse-Philippe avait succédé à son père (1842-1858) et son fils, Josse-Édouard lui succèdera de 1888 à 1902. C’est d’ailleurs le même fils, Josse-Édouard, qui reprendra les Forges en 1888 en leur donnant le statut de société anonyme.

Monument  Josse Goffin

Les idées politiques des Goffin sont résolument libérales ; cet engagement s’accompagne d’une pratique de la religion protestante qui renforce leur opposition au parti catholique local qui n’apprécie que modérément l’adhésion de nombreux ouvriers au même culte que leur patron. Cette situation explique en partie la raison de l’orientation de la statue de Josse Goffin, tournant le dos à l’église. Par souscription publique, le personnel employé par les forges a souhaité rendre hommage à ses patrons. Soutenu par les milieux libéraux de l’arrondissement, le projet est confié au sculpteur Jacques de Lalaing et, un an après le décès de Josse Goffin (2 septembre 1887), l’inauguration du monument sur la place de Clabecq peut avoir lieu (30 septembre 1888). Il donne lieu à des festivités populaires rehaussées par la présence d’éminentes personnalités locales et nationales.

Pour Jacques de Lalaing (Londres 1858 – Bruxelles 1917), il s’agit quasiment d’une œuvre de jeunesse. Né à Londres trente ans plus tôt, dans une famille aristocratique, il s’était d’abord orienté vers la marine quand il largue toutes les amarres, pour se former à la peinture dans l’atelier libre de Jean-François Portaels, à Bruxelles où il s’installe en 1875. Croisant la route de Gallait et surtout de Vinçotte, Jacques de Lalaing s’oriente vers la sculpture à partir de 1884. Son talent jumelé à ses relations mondaines et à un travail permanent lui permet de décrocher le projet de Clabecq, qui apparaît vraiment comme une de ses premières œuvres publiques importantes (1887-1888). Elle lui ouvre la voie à d’autres commandes (Léopold Ier à Ostende, mémorial anglais à Waterloo, etc.) et acquiert progressivement un statut de « sculpteur officiel ». Lors du Salon de 1887, le groupe qu’il expose – Base de Mât électrique – retient fortement l’attention : en raison d’une histoire mouvementée, il marquera durablement la carrière du sculpteur. Portraitiste, de Lalaing apprécie la représentation d’animaux (fauves et chevaux surtout), les scènes historiques, et répond volontiers à des demandes pour réaliser des fontaines ou pour décorer des intérieurs, dans un style qui reste toujours classique. Hostile à l’avant-gardisme, il s’inscrit résolument, et avec un succès inégal, dans la tradition du portrait mondain. Membre de la Commission directrice des Musées royaux de Peinture et de Sculpture, il en devient le vice-président (1

912), puis le président à la veille de la Grande Guerre. Membre de la classe des Beaux-Arts de l’Académie de Belgique (1896), membre de plusieurs Jurys, nationaux comme internationaux, le peintre/sculpteur présente aussi ses œuvres d’inspiration propre lors de Salons. La maladie aura raison de lui en octobre 1917.

 

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 57-59
Inauguration de la statue Josse Goffin à Clabecq, dans Tubize et son passé, 1998, n°14, p. 33-44
Catherine LECLERCQ, Jacques de Lalaing : artiste et homme du monde (1858-1917), Bruxelles, Académie de Belgique, Classes des Beaux-Arts, 2006
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 368
Tubize et son passé, Recueil n° 14, 1998
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435, 439-440

Place Josse Goffin
1480 Clabecq

carte

Paul Delforge

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Monument Hubert et Mathieu GOFFIN

Il est très rare de rencontrer l’exemple d’un ouvrier nommément identifiable statufié dans l’espace public wallon. Le plus souvent des allégories rendent hommage à la masse des travailleurs anonymes, qu’ils soient métallurgistes, carriers, verriers, mineurs, débardeurs ou agriculteurs. À Ans, sur les hauteurs de Liège, c’est un mineur héroïque qui est honoré par un monument de belle taille. Ouvrier  expérimenté, contremaître, le mineur Hubert Goffin (1771-1821) n’a pas hésité à risquer sa vie pour sauver une centaine de ses collègues bloqués sous terre, à la suite d’un coup d’eau dans la mine du Beaujonc (fin février, début mars 1812). Aidé par son jeune fils – lui aussi distingué sur le monument – Goffin réalise un acte de bravoure dont l’Europe entière a connaissance en quelques jours. L’empereur Napoléon en personne est sensibilisé et décide de lui accorder le titre de chevalier de la Légion d’honneur : Hubert Goffin devient ainsi le premier ouvrier à recevoir cette distinction (22 mars 1814). Le régime français connaît ses derniers moments en pays wallon ; à peine mis en place, le régime « hollandais » accorde une attention égale à l’héroïque mineur liégeois qui reçoit le titre de chevalier du Lion de Belgique, en 1815, de la part du nouveau roi Guillaume des Pays-Bas.

Monument Hubert et Mathieu Goffin

Si ces récompenses n’empêchent pas Goffin de trouver la mort dans un autre accident minier survenu en 1821, son souvenir est définitivement entré dans la mémoire collective. Le thème du bon ouvrier qui risque sa vie pour sauver ses camarades est abondamment repris. Ainsi, l’Académie française propose son exemple comme sujet d’un prix de poésie. Dans « sa » commune, il faut attendre 1912, et le centenaire du « miracle », pour qu’un monument soit érigé sur la place communale. L’œuvre a été confiée à Oscar Berchmans (1869-1950).

Ayant grandi dans un milieu tourné vers la peinture, Oscar opte pour la sculpture lorsqu’il suit les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Liège auprès de Prosper Drion et d’Adrien de Witte (1884) ; il fréquente aussi l’atelier de Léon Mignon et de Paul de Vigne auprès desquels il apprend son métier. Au-delà de commandes pour les particuliers, Berchmans est souvent sollicité par les autorités liégeoises qui lui confient la réalisation de bas-reliefs pour le Palais des Beaux-Arts de l’exposition de 1905, le mémorial Mignon (1906), des bustes et des monuments comme ceux dédiés à Georges Montefiore-Levi (1911) ou à Hubert Goffin à Ans. C’est le fronton de la façade de l’Opéra royal de Wallonie (1930) qui constitue la plus belle réussite de celui qui enseignera aussi à l’Académie de Liège.

Confié à un artiste considéré comme l’un des meilleurs de son temps, le monument Goffin fait grand

e impression lors de son inauguration, en octobre 1912. Chacun se plait à reconnaître la simplicité à la fois émouvante et tragique d’une scène où le mineur courbé soutient son fils dans l’effort accompli. Casque rudimentaire sur la tête, Hubert Goffin s’appuie sur un piolet. Il est vrai que la foule s’est rassemblée en nombre (cfr HUYGEN, p. 19) pour saluer le monument dédié à un ouvrier, quelques semaines à peine après le scrutin de juin 1912 où les forces socialistes et libérales ont dû s’incliner une nouvelle fois devant une majorité catholique s’appuyant sur une forte représentation flamande, quelques semaines aussi après les violentes échauffourées sociales de Liège, qui se sont soldées par la mort de plusieurs personnes suite aux tirs de la gendarmerie. 

À l’issue des importants travaux d’aménagement urbain de la ville d’Ans (début des années 2000), le monument Goffin a fait l’objet d’une rénovation et d’une nouvelle implantation, désormais place Nicolaï. Le centième anniversaire du monument et le bicentenaire de l’acte héroïque de Goffin ont fait l’objet d’importantes manifestations au niveau communal.

 

Ans et Awans, Patrimoine architectural et territoires de Wallonie, Liège (Mardaga), 2008, p. 44
Claude RAUCY, Hubert Goffin, chevalier de la mine, Ans, 2012
Henri HUYGEN, Hubert Goffin en 2012, livre informatique cfr http://www.huygenhenri.net/hubert%20goffin%20oct2008/lecteur.swf (sv. janvier 2014)

Place communale (transfert Place Nicolaï)
4430 Ans

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Eugène GODIN

Dans le Parc de l'Avenue Delchambre, à Huy, non loin de l’imposante statue de Joseph Lebeau, un buste tout aussi important rend hommage à Eugène Godin (1823-1886), prospère industriel, protecteur des arts. C’est le même sculpteur qui a réalisé les deux monuments, à trois ans de distance, à savoir le réputé Guillaume Geefs (1805-1883), qui signe sa réalisation par la mention « Gme Geefs/statuaire du roi/Bruxelles » gravée dans le bronze. Formé à l’Académie d’Anvers, le jeune Geefs avait été très rapidement repéré par ses professeurs ; une bourse lui a permis de parfaire sa formation à Paris et, à son retour, il était nommé professeur de sculpture à l’Académie d’Anvers (1833-1840). Membre de la classe des Lettres de l’Académie dès 1845, il la préside de 1858 à 1883. Il était membre de l’Institut de France. Présent dans différents salons, il s’impose avec le modèle de la statue du Général Belliard et le monument funéraire du comte Frédéric de Mérode. Le jeune royaume de Belgique venait de trouver l’un de ses sculpteurs capables de figer dans la pierre (ou le bronze) les personnes et les événements les plus illustres du pays. Répondant aux multiples commandes destinées à orner les églises, les places, les édifices, les cimetières ou les salons de toute la Belgique, il livre à Anvers une statue de Rubens (1840) et à Liège, celle de Grétry (1842), avant de réaliser de nombreuses statues de Léopold Ier, et le Joseph Lebeau des Hutois, avant d’entreprendre le buste d’Eugène Godin (1824-1886).

Directeur et propriétaire principal des papeteries Eugène Godin (1869), ce patron d’industrie développe une importante activité près de la cité hutoise et possède d’importantes participations dans d’autres secteurs économiques et financiers. Avec d’autres familles locales, il fonde notamment le comptoir d’escompte de la Banque nationale à Huy (1855), la Banque populaire de Huy (1865), et est partie prenante lors de la création de la Banque de Bruxelles, dont il est administrateur (1871-1877) ; il est aussi le patron de La Gazette de Huy. Il prend aussi des participations dans les secteurs de la verrerie, de la construction du chemin de fer, de l’assurance, de la Société de Vezin-Aulnoye et dans l’Asturienne des Mines. Conseiller provincial de Liège (1861-1875) et échevin de Huy (1870-1879), il défend le programme du parti libéral ; attentif à la situation sociale de ses nombreux ouvriers, il crée plusieurs écoles, cercles caritatifs et groupes de loisirs. Il préside d’ailleurs une association musicale, la Société d'Amateurs de Huy. C’est cette association qui l'honore de son vivant en commandant, en 1872, un grand buste en bronze à Guillaume Geefs (un buste en marbre est aussi conservé à Huy). Eugène Godin assiste à l’inauguration de l’imposant monument qui lui est dédié.

Car le bronze qui présente un Godin au visage sévère n’est qu’une petite partie de l’ensemble monumental : le buste est en effet posé sur un haut socle (près de 3 mètres) élancé, décoré sobrement dans sa partie supérieure ; à sa base, le socle comprend plusieurs niveaux qui s’intègre, au centre, dans un très large banc précédé d’une esplanade de pierres, à laquelle on accède par trois marches agencées sur toute la superficie de cet sorte de podium. On devine que l’espace devait accueillir les membres de l’association de musique. Le monument est placé dans le parc de l’avenue Delchambre.

 

Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 430 et 434
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 318-319
Jean-Marie DOUCET (dir.), Hommes de fer et de fonte, Huy, 1994, coll. Histoire d’une ville
Michel LAFFUT, Le libéralisme à Huy (1846-1914), Bruxelles, 1968, p. XXVIII
Jacques VANDENBROUCKE, De Godin à Intermills. Histoire de l’industrie papetière à Andenne 1828-1983, Seilles, 1994
Le CLXXVe anniversaire de la fondation des papeteries Godin, Huy, 1932

Parc Delchambre
4500 Huy

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Statue Godefroid de Bouillon à Bouillon

Sculpteur des rois et des reines, des soldats et des résistants, des personnages historiques lointains comme de personnalités contemporaines, Victor Demanet a fait de l’espace public, notamment de Wallonie, sa galerie d’exposition. Remarqué au Salon des Artistes français de Paris, en 1923, pour son buste de Bonaparte à Arcole, Victor Demanet s’est rapidement imposé comme un portraitiste de talent auquel sont confiées de nombreuses commandes publiques. Il a déjà participé à plusieurs expositions internationales et reçu d’importants prix et distinctions lorsque lui est confiée la réalisation d’une statue de Godefroid de Bouillon destinée à la ville de Bouillon. Paradoxalement, en effet, il existe à Bruxelles, depuis 1848, l’impressionnante statue équestre réalisée par Eugène Simonis et à Liège, depuis 1884, une statue due au ciseau de Léon Mignon sur la façade du Palais provincial, mais Bouillon ne dispose d’aucune représentation de son plus illustre représentant. L’occasion de réparer cet oubli est offerte aux autorités locales au moment où s’achèvent d’importants travaux de voirie : jusque-là fort encombrée, la rue de la Maladrerie a fait l’objet d’un dédoublement et le nouveau quai dégage de nouvelles perspectives (circa 1937). À l’instar plus modeste du Pont Saint-Ange à Rome, les autorités locales décident de garnir les deux accès du pont de Liège d’une statue : l’une dédiée à Saint-Arnould, l’autre à Godefroid de Bouillon. La commande des deux œuvres est passée à Victor Demanet qui doit inscrire les deux statues sur un socle imposant (2,5 m de haut, sur 0,9 m de large) où viendront s’inscrire des bas-reliefs en bronze à motifs héraldiques.
Artiste certes aguerri, Victor Demanet est ainsi confronté au défi de supporter la comparaison avec ses illustres devanciers liégeois, tout en inscrivant « son » Godefroid dans l’histoire locale, celle du duché millénaire et de la ville natale de Léon Degrelle.

Réalisée en terre cuite en 1938, son étude (19 cm) convainc ses commanditaires et rapidement la statue de Godefroid de Bouillon, signée Victor Demanet et datée de 1938 (sur le côté droit du socle), peut être installée à l’un des deux accès du Pont de Liège. La cérémonie d’inauguration, le 25 juin 1939, se déroule en grandes pompes. La duchesse de Vendôme (la sœur de feu le roi Albert Ier) a fait le déplacement. Mais quelques mois plus tard, lors de l’invasion allemande de mai 1940, aucune chance n’est laissée au Pont de Liège. Le bombardement épargne miraculeusement les deux statues. À la Libération, il n’est plus question de les réinstaller sur le pont reconstruit. Elles sont séparées et le Godefroid de Bouillon escalade le contrefort pour trouver place à quelques mètres de l’entrée du château. Son socle est réduit au minimum, bénéficiant cependant de la pente du contrefort pour conserver le caractère dominateur qu’avait imaginé le sculpteur. Ni cheval ni cotte de maille, ni heaume ni épée, ni couronne ni drapeau, le Godefroid de Bouillon de Demanet est plutôt solennel, presque religieux, en partie caché ou protégé par un haut bouclier. Ostensiblement, sur le côté droit du duc lotharingien, apparaît un parchemin avec trois sceaux, et seule se lit la fameuse formule des croisés répondant à l’appel du pape Urbain II : « Dieu le veult ». On ignore si le sculpteur était ravi par l’emplacement choisi après-guerre pour sa statue, mais on sait que l’œuvre avait été appréciée. De nombreux exemplaires en petit format ont en effet été produits et vendus par la suite ; de surcroît, lors du neuf centième anniversaire de la naissance de Godefroid de Bouillon (1961), les talents de médailliste de Victor Demanet sont à nouveau sollicités pour la réalisation d’une médaille représentant en buste l’illustre chef de la croisade.

Ayant grandi au confluent de la Sambre et de la Meuse où ses parents tiennent un commerce d’antiquités au cœur de la ville, Victor Demanet (Givet 1895 – Namur 1964) était appelé à leur succéder si ses études à l’Académie des Beaux-Arts (1916-1919), ne lui avaient pas donné le goût de la pratique de la sculpture. Élève de Désiré Hubin, Demanet eut la révélation en voyant des œuvres de Constantin Meunier et surtout celles traitant de la thématique sociale et ouvrière développée par le peintre/sculpteur bruxellois. Lors d’un séjour à Paris, les œuvres de Rude, Carpeaux et Rodin avaient fini de convaincre Demanet que sa voie était dans la sculpture. Comme d’autres artistes de son temps, il va réaliser plusieurs monuments aux victimes des deux guerres ; auteur de plusieurs dizaines de médailles, il poursuit aussi une œuvre plus personnelle à l’inspiration comparable à celle de Constantin Meunier, avec de nombreux représentants du monde du travail.

 

Sources

Les sculptures en pierre de Victor Demanet à Bouillon, Les jalons d’une ville n°3, dans 
http://www.sculpturepublique.be/6830/Demanet-GodefroidDeBouillon.htm
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 397
Jacques TOUSSAINT, Les médailles du sculpteur-médailleur Victor Demanet (1895-1964), dans Revue belge de numismatique et de sigillographie, Bruxelles, 1984, n°130, p. 141-204 + planches
Jacques TOUSSAINT, Victor Demanet dans Arts plastiques dans la province de Namur 1800-1945, Bruxelles, Crédit communal, 1993, p. 147
Général GUILLAUME, Godefroid de Bouillon, dans Biographie nationale, t. 2, col. 802-819

Statue de Godefroid de Bouillon

Pont de Liège
6830 Bouillon

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Statue Godefroid de Bouillon à Liège

Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques. Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser la toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius (1827-1889), une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs.

Membre de cette équipe, Léon Mignon (Liège 1847 – Schaerbeek 1898) va réaliser quatre des 42 statues et représenter deux scènes historiques (La bataille de Steppes et L’institution de la Fête-Dieu). De retour d’un séjour de plusieurs mois à Rome, grâce à la Fondation Darchis, Léon Mignon s’est installé à Paris ; rentrant à Liège de temps à autre, il apporte sa contribution au chantier de décoration du Palais provincial. C’est aussi durant cette période qui va de 1876 à 1884 que l’artiste réalise ses œuvres majeures, celles qui lui assurent en tout cas une réelle notoriété : Li Toré et son vis-à-vis Le Bœuf de labour au repos.

Réalisé en pierre durant la même période, son Godefroid de Bouillon (c. 1058/1061-1100) ne ressemble en rien aux « monuments » que la ville de Liège implante aux Terrasses. La représentation du chevalier parti délivrer la « Terre sainte » lors de la première croisade, en abandonnant ses biens et son château au prince-évêque de Liège, montre un personnage imposant et décidé, portant une couronne (celle de roi de Jérusalem ou d’avoué du Saint-Sépulchre ?), et sans arme apparente. Située à l’extrême droite du péristyle, sur la partie supérieure des colonnes, la statue de Godefroid de Bouillon est celle qui est le plus à droite.

Elle témoigne que Léon Mignon n’est pas qu’un sculpteur animalier, même si son œuvre la plus connue à Liège reste Li Toré. Bénéficiaire d’une bourse de la Fondation Darchis, cet élève studieux de l’Académie des Beaux-Arts de Liège, qui fréquentait depuis son plus jeune âge l’atelier de Léopold Noppius, avait trouvé l’inspiration en Italie (1872-1876). Médaille d’or au salon de Paris en 1880 pour son taureau, il s’était installé à Paris (1876-1884) avant d’être contraint à habiter Bruxelles pour pouvoir  exécuter des commandes officielles du gouvernement : c’est l’époque de ses bustes, mais aussi de la statue équestre de Léopold II particulièrement remarquable, d’une série de bas-reliefs pour le Musée d’Art moderne de Bruxelles et le Musée des Beaux-Arts d’Anvers, ainsi que d’une Lady Godiva, sa dernière œuvre.

 

Sources

Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 89
Hubert SILVESTRE, dans Biographie nationale, t. XLIV, col. 446-459
Willy LEMOINE, dans Biographie nationale, t. XXXIII, col. 491-493
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html
Michel Péters sur http://fr.slideshare.net/guest78f5a/petit-historique-de-la-sainttor-des-tudiants-ligeois (s.v. août 2013)
Hugo LETTENS, Léon Mignon, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 504-508
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 231
Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996

 

Statue de Godefroid de Bouillon

Palais provincial (façade)
4000 Liège

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Paul Delforge

J. Tordoir

Monument Goblet D'ALVIELLA

Sur la place communale de Court-Saint-Étienne, un monument « de style éclectique » rend hommage à Albert Goblet, comte d’Alviella, principalement en raison du rôle qu’il joua au moment de la révolution de 1830, puis en tant que ministre de la Guerre aux tout premiers temps de la Belgique. Imposant avec ses 4 mètres de haut, le monument a fait l'objet d'une restauration en 2010. Avec son buste en bronze, inauguré en 1887, et œuvre de Jef Lambeaux, il est situé juste en face de la rue Sambrée, dans le tournant de la longue place communale, à quelques dizaines de mètres du monument aux morts de Court-Saint-Étienne, localité dont l’histoire récente est marquée par la présence et l’activité de la famille Goblet d’Alviella.

Pourtant, Albert Goblet est d’origine picarde (Tournai 1790 – Bruxelles 1873). Fils d’un magistrat éminent, Albert Goblet avait lui-même reçu une solide formation de juriste dans les meilleures écoles parisiennes et militaires de son temps. Officier, il se distingue durant les dernières batailles livrées par les troupes napoléoniennes et c’est avec la Légion d’honneur qu’il entame, en 1815, une carrière dans la nouvelle armée des Pays-Bas. Mêlé à la bataille de Waterloo, il s’y distingue à nouveau, mais dans le camp des alliés cette fois. Chargé de la reconstruction de places fortes, il est surpris par les événements de 1830 alors qu’il est affecté à Menin. Partagé entre sa fidélité à Guillaume d’Orange et l’invitation à soutenir les révolutionnaires, il gagne Bruxelles début octobre 1830 et y est nommé, par le gouvernement provisoire, colonel et directeur du génie de l’armée belge en formation. Son ascension est fulgurante : début 1831, il est ministre de la Guerre sous la régence. Chef d’état-major durant la campagne des 10 jours (août 1831), il est ensuite désigné par Léopold Ier comme ministre plénipotentiaire à la conférence de Londres, et comme négociateur du système défensif de la Belgique. 

Devenu ministre des Affaires étrangères (1832-1833), il parvient à obtenir l’évacuation des forces hollandaises qui occupaient encore la citadelle d’Anvers et à faire accepter – à l’exception des Pays-Bas – une convention internationale garantissant la Belgique dans ses possessions de 1830. Mais celui qui était le représentant de l’arrondissement de Tournai depuis 1831 ne convainc pas les électeurs censitaires de lui apporter leur soutien (1832) et c’est dans l’arrondissement de Bruxelles que, sous les couleurs libérales, il retrouve un mandat de député (1833-1834, 1836-1837). Pressenti – sans succès – pour représenter la Belgique à Berlin, il est nommé lieutenant général en 1835. Conseiller particulier de la jeune reine du Portugal (1837-1838), il reçoit à Lisbonne le titre de comte d’Alviella, nom d’un des domaines appartenant à la maison du duc de Bragance. Confirmé en Belgique et rendu transmissible, ce titre sera désormais accolé à son nom de famille (1838). À nouveau ministre des Affaires étrangères (1843-1845), il s’est réconcilié avec les électeurs de Tournai dont il redevient le député (1843-1847). Mais c’est avec le roi qu’il est désormais en désaccord : devenu « inspecteur des fortifications et du corps du génie », il ne partage pas le point de vue de Léopold Ier sur le système militaire du pays. Admis à la retraite de l’armée (1854), il ne reste pas inactif : il conquiert encore les suffrages des libéraux bruxellois (1854-1859). Le mariage de son fils avec Coralie d’Auxy dont la famille possède le château de Court-Saint-Étienne amène la famille Goblet d’Alviella à prendre pied en Brabant wallon ; le général se porte d’ailleurs acquéreur des forges locales (1858), dont il confie la direction à son fils ; par la suite, cette entreprise modernisée deviendra l’usine Henricot. Enfin, il consacre les dernières années de sa vie à l’écriture, racontant pour la postérité les événements qu’il avait vécus et façonnés à l’échelle européenne, en 1831 et 1832. Et finalement, ce n’est ni à Tournai ni à Bruxelles que Goblet d’Alviella fait l’objet d’un monument, mais à Court-Saint-Étienne, sur ses terres d’adoption. 

Sur le modèle d’un buste en marbre blanc déjà réalisé par Jef Lambeaux pour la salle de lecture de la Chambre des Représentants à Bruxelles, une reproduction en bronze fait l’objet d’une installation particulière : le piédestal comprend à sa base une série de blocs de pierre bleue à bossage ; vient ensuite un niveau intermédiaire où s’inscrit la dédicace :

GENERAL COMTE GOBLET D’ALVIELLA
INSPECTEUR GENERAL DU GENIE
MINISTRE DE LA GUERRE ET DES AFFAIRES ETRANGERES
MINISTRE PLENIPOTENTIAIRE MINISTRE D’ETAT
1790-1873

Enfin, apparaît le buste posé sur un support, le tout s’inscrivant dans une niche creusée au milieu d’une stèle pyramidale, tandis que les armoiries familiales sont gravées dans la partie supérieure. Inauguré en 1887, à Court-Saint-Étienne, ce monument est une initiative du petit-fils d’Albert Goblet d’Alviella, en l’occurrence Eugène (1846-1925), lui-même parlementaire de la même famille libérale que son ancêtre (député de 1878 à 1884, puis sénateur de 1892 à 1921 avec des interruptions). Sur le buste, le sculpteur n’a pas omis de représenter le plus grand nombre possible des décorations auxquelles son sujet avait eu droit.

Monument Goblet d’Alviella

Inscrit à l’Académie d’Anvers dans les années 1860, Jef Lambeaux (Anvers 1852 – Bruxelles 1908) s’est orienté rapidement vers la sculpture et a fréquenté l’atelier de Joseph Geefs dans la métropole anversoise. Dès le début des années 1870, il expose ses œuvres et s’il échoue finalement à la 2e place du Prix de Rome 1872, il rencontre rapidement le succès par des œuvres très personnelles, s’inspirant souvent de scènes de la vie quotidienne. Les premiers bustes résultant de commandes officielles lui ouvrent de nouvelles portes, même si son séjour parisien s’avère désastreux (1879-1880). Grâce à des subsides de l’État et de la ville d’Anvers, le voyage en Italie lui est permis ; son style s’en trouve transformé et sa « Fontaine de Brabo » devient sa première grande œuvre de référence (1883). A partir des années 1880, le public et les critiques acclament Lambeaux qui, parmi d’autres commandes, reproduit alors le buste de Goblet d’Alviella. Après l’œuvre du Brabant wallon, Lambeaux est d’abord occupé à la reproduction en grand du Triomphe de la Lumière sur base de la maquette laissée par Wiertz. Ensuite, il se consacre quasi exclusivement à la réalisation d’un relief monumental sur le thème de l’humanité qui fera largement controverse et qui constituera son chef-d’œuvre. Au tournant des deux siècles, une version en marbre commandée par l’État est installée dans un pavillon du Cinquantenaire, tandis que l’artiste décline sous toutes les formes des versions partielles de son relief connu sous le nom Passions humaines. Artiste prolifique, Lambeaux signe d’autres réalisations sur le thème des lutteurs, des animaux, etc., principalement en Flandre et à Bruxelles. Son Faune mordu, présenté lors de l’Exposition universelle de Liège en 1905, provoque une polémique féroce ; la ville achètera l’œuvre pour l’exposer au parc de la Boverie. Hormis dans le parc de Mariemont, on chercherait cependant en vain d’autres Lambeaux dans l’espace public wallon.

 

Th. JUSTE, Albert Goblet, dans Biographie nationale, t. 7, col. 822-838
http://fr.wikipedia.org/wiki/Monument_au_comte_Goblet_d%27Alviella 
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 35-37
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 323
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 477-483
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 16

Place communale
1490 Court-Saint-Étienne

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Marcel GILLIS

En dépit de l’éclatement de la Grande Guerre qui vient le surprendre alors qu’il sort à peine de l’adolescence, Marcel Gillis (1897-1972) poursuit une formation brillante à l’Académie des Beaux-Arts de Mons, sa ville natale. Doué pour le dessin et la peinture, il développe une prédilection pour les paysages, les portraits, les compositions religieuses et les natures mortes. « Montois cayaux », il signe surtout, en 1932, une huile évoquant un épisode majeur de la Première Guerre mondiale : le miracle des Anges lors de la bataille de Mons, qui évoque le 23 août 1914 et le repli « miraculeux » d’un corps expéditionnaire britannique face à une armée allemande beaucoup plus nombreuse. Par ailleurs, les scènes de la vie quotidienne du Borinage inspirent aussi une œuvre souvent teintée d’ironie : celle-ci est surtout la caractéristique des caricatures qu’il publie dans le périodique dialectal El Dragon. Chansonnier et auteur dialectal fécond, Marcel Gillis illustre lui-même ses trois volumes d’œuvres patoisantes, Chansons et poésies, publiés en 1931, 1940 et 1971. « Des œuvres comme Tableaux d’Procession et Les Cayaux resteront parmi les meilleures œuvres dialectales montoises ». À la fin des Tableaux, il avait d’ailleurs composé un couplet supplémentaire et final à l’Air du Doudou. Nommé conservateur du Musée des Beaux-Arts de Mons (1928-1965), co-fondateur du cercle artistique « Les Loups » (1929) et membre du Cercle « Bon Vouloir », Marcel Gillis est une figure marquante de la vie culturelle montoise pendant près d’un demi-siècle, contribuant activement au développement des activités artistiques, littéraires et folkloriques. Au lendemain de son décès, s’est très vite constitué un comité soucieux de conserver, par un monument, la mémoire du chansonnier, du poète et du peintre. Par ailleurs, l’asbl des Montois Cayaux, créée en 1975, s’attache à promouvoir et à perpétuer la littérature patoisante de Mons.

La réalisation du monument Gillis est confiée à Raoul Godfroid (1896-1977), un autre artiste montois, contemporain de Marcel Gillis. En bronze, un buste est fixé de façon hardie sur un petit socle en pierre, en taille directe, le tout étant scellé sur une grande stèle en pierre calcaire brute. Située dans le Jardin du Mayeur, au cœur de Mons, à deux pas de la statue du Ropieur, gamin emblématique de l'humour montois, la stèle comporte, sur la partie inférieure, des inscriptions légèrement gravées et peintes, indiquant sobrement :

MARCEL Gillis
POETE – PEINTRE        1897-1972

Monument Marcel Gillis


CHANSONNIER MONTOIS            

Né quelques mois avant Gillis, Godfroid a d’abord étudié à l’École normale de Mons, avant de suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts de sa ville natale. Paul Dubois et Léon Gobert guident ses premiers pas (1917-1920), avant qu’il ne se rende à Paris, à l’Académie du Louvre, puis à l’Académie de la Grande Chaumière. Là, il rencontre le sculpteur Bourdelle dans l’atelier duquel il travaille. À son retour à Mons (1922), il enseigne dans différents établissements d’enseignement moyen avant d’entrer comme professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Mons (1933), puis d’en être nommé directeur (1951-1961). Il dirige également l’École supérieure d’Architecture et l’Institut d’Urbanisme de la ville de Mons, tout en poursuivant une activité de sculpteur en taille directe (style que l’on reconnaît bien sur la stèle Gillis), d’architecte, de restaurateur de maisons anciennes, de céramiste, de faïencier et de médailleur. Il signe plusieurs monuments visibles dans l’espace public de Mons. Lui aussi animateur de la vie artistique montoise, Raoul Godfroid a été l’un des créateurs de la Fondation Plisnier (1954), le romancier étant un ami de longue date. Résistant par la presse clandestine durant la Seconde Guerre mondiale, actif au sein de Wallonie libre qui n’est pas la seule association où il défend ses convictions wallonnes, Godfroid est encore l’auteur d’une monographie intitulée Les origines françaises de la peinture flamande du XVe siècle. En 1943, il avait aussi contribué à l’ouverture de la Maîtrise de Nimy dont les potiers travailleront à la renaissance du grès dans un esprit de lutte contre le rationalisme et le fonctionnalisme.

 

La Vie wallonne, III, 1973, n°343, p. 191
Christiane PIÉRARD, L'hôtel de ville de Mons, dans Carnets du Patrimoine, Namur, MET, 1995, n°10, p. 26
Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 731
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 629 et 638
L’Avant-Poste, juillet-août 1930, n°8, p. 16-18
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 163
Jean GILLIS, Marcel Gillis mon père. Peintre, poète, chansonnier montois, édité par « Les amis de Marcel Gillis » de l'Association des Montois Cayaux, 1985

Jardin du Mayeur
7000 Mons

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Paul Delforge