Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Adrien de PREMOREL

Monument à la mémoire d’Adrien de Prémorel, réalisé à l’initiative des autorités locales, 1982.


Dans la rue de la Pépinette, à Nassogne, sur le côté droit de la route en s’éloignant du centre du village, un peu plus bas que la fontaine de Pépin, s’élève une pierre commémorative rappelant que


Adrien de PREMOREL
vécut dans cette propriété
de 1919 à 1935.
Poète, écrivain paysagiste
et animalier
nul mieux que lui
n’a chanté
la beauté sauvage
de nos forêts
et de leurs hôtes.


Sur le côté gauche de la plaque où est gravée cette inscription, le portrait d’Adrien de Prémorel, légèrement de profil, le représente en cravate, avec un air décidé, voire sévère. La plaque qui mentionne aussi les dates de naissance et décès (1889-1968) est apposée sur la partie supérieure d’une stèle en granit, polie sur la surface visible, et laissée brute là où la végétation s’est résolument installée.

Monument Adrien de Prémorel (Nassogne)

S’il naît à Bruxelles en 1889, Adrien de Prémorel passe l’essentiel de son temps en Gaume, en Ardenne, puis en Famenne. Depuis le milieu du XIXe siècle, sa famille possède le petit château de Bleid et c’est dans l’atmosphère des forêts et des châtelains-chasseurs que se déroule sa jeunesse. Après des études secondaires, Adrien de Prémorel bénéficie d’un niveau de vie qui lui permet de se contenter de ses rentes, tout en se consacrant à la chasse et à l’écriture. Par son mariage avec une fille d’Hoffschmidt, il devient le propriétaire de 35 ha de terres et du moulin de Nassogne. Les réceptions qui y sont alors organisées sont grandioses, mais elles épuisent les ressources familiales. En 1933, de Prémorel est forcé de vendre ses propriétés à Nassogne, là même où il a composé son premier ouvrage.
Après diverses publications où déjà se mêlent ses passions pour la chasse, la pêche, les plantes et les animaux, il publie en effet en 1931 un livre qui fait date : Sous le signe du martin-pêcheur, préfacé par Thomas Braun. Cet ouvrage de référence sera suivi, en 1935, par Cinq histoires de bêtes pour mes cinq fils et, en 1959, par sept récits de Nouvelles histoires de bêtes qui constituent les trois ouvrages majeurs de l’écrivain de la nature. Contraint et forcé de quitter Nassogne, de Prémorel s’installe dans son appartement bruxellois ; il le quitte cependant fréquemment pour s’immerger dans « son » Luxembourg, où il continue à partager son temps en parties de chasse ou en réunions de l’Académie luxembourgeoise, dont il est membre depuis 1934 et qu’il préside de 1966 à 1968. Promoteur de la cérémonie de la « Bénédiction de la Forêt » à Saint-Hubert, il est devenu, après la Libération, le rédacteur en chef de la revue Chasse et pêche où il signe la quasi-totalité des articles. Il tient aussi une chronique « nature » dans les pages du journal Le Soir. Cet exercice régulier d’écriture lui donne matières à d’autres livres : Au beau domaine des bêtes (1956), Dans la forêt vivante (1959), Le vrai visage des bêtes (1962).

 

 


Frédéric KIESEL, dans Nouvelle Biographie nationale, t. II, p. 121-123
La Vie wallonne, II, 1949, n°246, p. 118
La Vie wallonne, IV, 1962, n°300, p. 305-306
La Vie wallonne, IV, 1982, n°380, p. 273
Georges JACQUEMIN, Adrien de Prémorel, Dossiers L, Arlon, Service du livre luxembourgeois, 4e fascicule du n°21, 27 p.
Jean-Pierre LAMBOT, L’Ardenne, Liège, Mardaga, 1987, p. 18
http://www.tvlux.be/video/nassogne-adrien-de-premorel_8484.html (s.v. mars 2015)
Informations communiquées grâce au Syndicat d’Initiative de Virton et à madame Françoise Fincœur.
Informations communiquées par Jean-Luc Duvivier de Fortemps

Rue de la Pépinette

6950 Nassogne

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Mémorial Adrien de Prémorel

Mémorial Adrien de Prémorel, réalisé par Alfred Leroy, 28 septembre 1968. 


L’endroit est champêtre. Depuis quelques dizaines de mètres, la route nationale reliant Virton à Arlon s’est éloignée et l’on emprunte la rue Bakèse qui conduit à Bleid. À peine entré dans le bois de Bakèse, apparaissent de part et d’autre de la chaussée deux monuments. Celui de gauche est dédié à Arnoul de Briey ; celui de droite à Adrien de Prémorel (1889 - 1968). Un bas-relief en bronze représente le profil droit de ce « chantre de nos bois et de nos campagnes », passionné par la vie des animaux ; chapeau sur la tête, de Prémorel semble observer l’environnement immédiat, tenant sur l’épaule un fusil. Sous le bas-relief, sur une plaque en marbre blanc ont été gravés les mots de la dédicace :

ADRIEN
DE PREMOREL
CHANTRE DE NOS FORETS
1889 – 1968

S’il naît à Bruxelles en 1889, Adrien de Prémorel passe l’essentiel de son temps en Gaume, en Ardenne, puis en Famenne. Depuis le milieu du XIXe siècle, sa famille possède le petit château de Bleid et c’est dans l’atmosphère des forêts et des châtelains-chasseurs que se déroule sa jeunesse. Après des études secondaires, Adrien de Prémorel bénéficie d’un niveau de vie qui lui permet de vivre de ses rentes, tout en se consacrant à la chasse et à l’écriture. Après diverses publications où déjà se mêlent ses passions pour la chasse, la pêche, les plantes et les animaux, il publie en 1931 un premier ouvrage qui fait date. Sous le signe du martin-pêcheur, préfacé par Thomas Braun, sera suivi, en 1935, par Cinq histoires de bêtes pour mes cinq fils et, en 1959, par sept récits de Nouvelles histoires de bêtes qui constituent les trois ouvrages majeurs de l’écrivain de la nature. 

Mémorial Adrien de Prémorel

Contraint à réduire son train de vie dès le milieu des années 1930, de Prémorel doit renoncer à habiter en Ardenne ; mais il quitte fréquemment son appartement bruxellois pour s’immerger dans « son » Luxembourg, où il continue à p

artager son temps en parties de chasse ou en réunions de l’Académie luxembourgeoise, dont il est membre et qu’il préside de 1966 à 1968. Promoteur de la cérémonie de la « Bénédiction de la Forêt » à Saint-Hubert, il est devenu, après la Libération, le ré

dacteur en chef de la revue Chasse et pêche où il signe la quasi-totalité des articles. Il tient aussi une chronique « nature » dans les pages du journal Le Soir. Cet exercice régulier d’écriture lui donne matièr

es à d’autres livres : Au beau domaine des bêtes (1956), Dans la forêt vivante (1959), Le vrai visage des bêtes (1962).
Pour honorer cet enfant du pays qui l’illustra si bien, un comité regroupant différentes académies et associations prend l’initiative de lui construire un monument, avec le soutien des autorités communales de Virton. Le projet se concrétise très rapidement, puisque le monument est inauguré le 28 septembre 1968, soit sept mois jour pour jour après le décès d’Adrien de Prémorel. Bâti en arc de cercle, en grès de Buzenol et pierres de Grandcourt, le monument est implanté dans un décor correspondant parfaitement à l’état d’esprit du personnage représenté dans un médaillon de bronze. « Fernand Leroy est l'auteur des plans du monument, M. Edon, entrepreneur à Signeulx, en est le réalisateur. Quant au médaillon de bronze, il est l'œuvre d'Alfred Leroy ».


Originaire de Chiny, Alfred Leroy a 12 ans quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Dix ans plus tard, il entre à l’École royale militaire et fait une carrière militaire. Parallèlement, il est attiré par l’expression artistique et suit une formation en céramique et en sculpture à l’Académie de Cologne au milieu des années 1950. Touche à tout, il s’essaye à différents styles esthétiques et pratique autant la sculpture, la peinture, la gravure que la céramique. Fondateur et président de la confrérie des « Amis du pays de Chiny », il préside aussi pendant plusieurs années l’École des Beaux-Arts de Chiny, ainsi que le groupement des Luxembourgeois de Bruxelles où s’est installé ce colonel. Artiste signant ses œuvres « Fred Leroy » ou « Alleroy », Alfred Leroy est aussi écrivain, poète et historien, se consacrant à des sujets relatifs au passé et aux traditions du pays de Chiny. À l’époque où il signe le médaillon « de Prémorel », il publie plusieurs guides touristiques sur la région du Chiers et de la Semois.
 


 

Sources


Frédéric KIESEL, dans Nouvelle Biographie nationale, t. II, p. 121-123
La Vie wallonne, II, 1949, n°246, p. 118
La Vie wallonne, IV, 1962, n°300, p. 305-306
La Vie wallonne, IV, 1982, n°380, p. 273
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 68
Informations communiquées grâce au Syndicat d’Initiative de Virton et à madame Françoise Fincœur.
Informations communiquées par Jean-Luc Duvivier de Fortemps

À droite de la rue de Bakèse en se dirigeant vers Bleid

6760 Virton (Bleid)

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Sgraffite César de PAEPE

Sgraffite César de Paepe, réalisé par Paul Cauchie, circa décembre 1902.


À hauteur de la place du Peuple, à Pâturages, à l’entrée de la rue de la Libération, deux sgraffites sont intégrés dans la décoration de la façade de la Maison du Peuple ; ils représentent César de Paepe et Alfred Defuisseaux. La présence de bas-reliefs ou de sculptures n’est pas rare sur la façade des Maisons du Peuple de Wallonie, mais le plus souvent elles évitent de représenter des personnalités historiques, privilégiant les ouvriers, des Marianne au bonnet phrygien ou des allégories. 

Avec les trois personnalités du mouvement socialiste de la Maison du Peuple d’Ollignies, les César de Paepe et Alfred Defuisseaux  explicitement illustrés à Pâturages constituent donc une rareté. Nettement plus discrets que l’imposant Triomphe du Travail qui décore l'arcade aveugle de la travée centrale, les deux sgraffites sont insérés latéralement, chacun dans un médaillon, et représentent le visage l’un de César de Paepe, l’autre d’Alfred Defuisseaux, avec leur nom qui surmonte leur portrait. Ces dessins gravés dans du mortier coloré, typiques des façades Art Nouveau, ont progressivement perdu de leur éclat, depuis leur inauguration au tout début du XXe siècle.


Les trois sgraffites sont l’œuvre de Paul Cauchie (Ath 1875 – Etterbeek 1952) qui n’en est alors qu’à ses tout débuts. Après avoir entamé des études d’architecture à l’Académie d’Anvers, il s’est réorienté vers la peinture. Dans la dernière décennie du XIXe siècle, il fréquente l’Académie de Bruxelles (1893-1898). Élève de Montald, Cauchie s’initie à une technique redécouverte en tant que manière de décorer tant en extérieur qu’en intérieur, le sgraffito. Influencé par l’École de Glasgow, en particulier par Mackintosh, Cauchie est un décorateur indépendant (à partir de 1896) qui s’impose comme un représentant de l’Art Nouveau. Sa propre maison (il s’est installé rue des Francs à Etterbeek vers 1904) est une sorte de manifeste de son engagement artistique. 

Sa réputation ne cessera de croître jusqu’à la Grande Guerre, mais il n’est encore qu’un tout jeune artiste lorsqu’il réalise la décoration de la Maison du Peuple de Pâturages. À la tête d’une « Entreprise générale de Décoration en Sgraffito pour Façades et Intérieurs », il signera des centaines de ces décorations caractéristiques dans les communes de l’arrondissement de Bruxelles, à La Haye (pendant la Grande Guerre), mais aussi dans de nombreuses villes de Wallonie.


La raison pour laquelle Cauchie représente César de Paepe (Ostende 1842 – Cannes 1890) sur la façade de la Maison du Peuple de Pâturages est liée au rôle majeur joué par ce dernier dans le mouvement socialiste durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Typographe, correcteur d’imprimerie par nécessité, de Paepe a mené en parallèle des études universitaires qui lui permettent de décrocher un diplôme de médecine. Exerçant sa nouvelle profession auprès de patients de conditions sociales difficiles, il poursuit une action politique qu’il a entamée dès son adolescence, et ce en dépit d’une santé personnelle chancelante. 

Actif à Gand dans une série de cercles et associations, il est particulièrement séduit par les idées des socialistes français, en particulier celles de P-J. Proudhon. Délégué belge à l'Association internationale des Travailleurs (Londres, 1864), César De Paepe se fait rapidement un nom au niveau européen par la qualité de ses interventions et de ses rapports. S’éloignant du proudhonisme, il contribue à l’émergence d’un socialisme belge qui prend la forme du POB, en 1885, nouveau parti auquel il donne le nom. Défenseur de la libre pensée, auteur prolixe, César De Paepe est « sans conteste la figure la plus marquante du mouvement socialiste belge à ses débuts » (Delsinne), même si dans le Hainaut, et le Borinage en particulier, on insiste surtout sur l’action d’Alfred Defuisseaux, souvent opposé à de Paepe quant à la forme de la stratégie à adopter. Les deux hommes sont justement représentés par Cauchie… L’équilibre et la symétrie qui prévalent sur la façade de la Maison du Peuple de Pâturages sont donc davantage artistiques que le reflet de leurs positions politiques.

 


François FONCK, Les Maisons du Peuple en Wallonie, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2010, p. 50, 78, 143
Guy DESSIEY (dir.), Paul Cauchie. Architecte. Peintre. Décorateur, Bruxelles, éd. Cauchie, 1994
http://www.cauchie.be/maison-cauchie/restauration/historique (s.v. juin 2014)
Léon DELSINNE, César de Paepe, dans Biographie nationale, t. 30, col. 647-653
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 199

Sgraffite César de Paepe

Place du Peuple 1

7340 Pâturages

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Statue Charles de MÉAN

Statue dédiée au jurisconsulte Charles de Méan, réalisée par Guillaume Geefs, 1853.


Dans l’expansion urbanistique exceptionnelle de la ville de Verviers au XIXe siècle, la construction du Palais de Justice constitue l’une des toutes premières étapes. Sur les plans de l’architecte Joseph Dumont, l’édifice voit le jour entre 1850 et 1853 ; il sera agrandi après 1896. Sur la façade, un hommage est rendu à quatre jurisconsultes « liégeois » de l’Ancien Régime : Toussaint Dandrimont, Olivier Leclercq, Mathias-Guillaume de Louvrex et Charles de Méan. 

Surnommé « le Papinien liégeois », de Méan (1604-1674) a également accédé à la fonction de bourgmestre de Liège, en 1641, en tant que représentant des Chiroux. Réélu en juillet 1646, il préfère démissionner lorsqu’éclatent de violents incidents entre Grignoux et Chiroux (26 juillet : la « Saint Grignou »). Il est remplacé par Renard Jaymaert du parti des Grignoux. Ce n’est pas cet événement qui motive le choix d’une représentation dans la pierre de Charles de Méan, sur la façade du Palais de Justice de Verviers. Ayant étudié en profondeur le droit romain comme le droit liégeois, Charles de Méan avait rédigé un code qui fera référence après sa mort. Pendant un siècle, chaque nouveau magistrat liégeois recevait en effet « le code de Méan » lorsqu’il entrait en charge.


C’est à ce titre que le jurisconsulte est statufié : de grande taille, sa statue en pierre de sable est logée dans une niche située au premier étage de la façade en calcaire du Palais de style néo-classique. Sans doute serait-elle tombée dans l’oubli, voire en poussière, si l’on avait procédé en 1978 à son enlèvement et à son remplacement. Comme celle de ses trois confrères, la statue de Ch. de Méan devait être mise au vert dans le parc de Séroule et laisser la place à des œuvres contemporaines, en aluminium, réalisées par l’artiste Serge Gangolf. Le tollé provoqué par les « nouveautés » engendra une « guerre des statues » qui divisa tout Verviers pendant des mois. Finalement, les « Gangolf » sont déplacées pour trouver place sur la nouvelle aile (plus moderne) du Palais de Justice (1994-1995), tandis que la vétusté des quatre statues originales des jurisconsultes empêche de les remettre en place : ce sont dès lors des copies à l'identique qui occupent les quatre niches. Réalisées dans un mélange de pierre et de résine par Jacqueline Hanauer et André Bernard, elles sont réapparues en 1986.


En juste au corps, se tenant debout et coiffé d’une perruque, de Méan a été immortalisé par le sculpteur anversois Guillaume Geefs (1805-1883) qui signe aussi le symbole de Thémis sur l’édifice verviétois. Formé à l’Académie d’Anvers, le jeune Geefs est très rapidement repéré par ses professeurs ; une bourse lui permet de parfaire sa formation à Paris et, à son retour, il est nommé professeur de sculpture de l’Académie d’Anvers (1833-1840). Présent dans différents salons, il s’impose avec le modèle de la statue du Général Belliard et le monument funéraire du comte Frédéric de Mérode. Le jeune royaume de Belgique venait de trouver l’un de ses sculpteurs capables de figer dans la pierre les personnes et les événements les plus illustres du pays. Statuaire du roi, Geefs s’installe à Bruxelles où son atelier répond aux multiples commandes destinées à orner les églises, les places, les édifices, les cimetières ou les salons de toute la Belgique. Ses statues de Léopold Ier se déclinent en diverses versions, dont l’une sur la colonne du Congrès, à Bruxelles. À Anvers, il livre une statue de Rubens (1840) ; à Liège, celle de Grétry (1842) ; à Huy, celle de Lebeau (1868). Membre de la classe des Lettres de l’Académie dès 1845, il la préside de 1858 à 1883. Il était membre de l’Institut de France.

 

Sources


Catherine BAUWENS, dans Freddy JORIS (dir.), Le XIXe siècle verviétois, Verviers, CTLM, 2002, p. 98
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul BERTHOLET, Verviers et sa région en gravures, Verviers, éd. Desoer, 1981, p. 62-63
Sybille VALCKE, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 415-417

Statue Charles de Méan

Façade du Palais de Justice

4800 Verviers

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Emplacement de la statue dédiée au jurisconsulte Mathias-Guillaume de Louvrex

Statue dédiée au jurisconsulte Mathias-Guillaume de Louvrex, réalisée par Guillaume Geefs, 1853.


Dans l’expansion urbanistique exceptionnelle de la ville de Verviers au XIXe siècle, la construction du Palais de Justice constitue l’une des toutes premières étapes. Sur les plans de l’architecte Joseph Dumont, l’édifice voit le jour entre 1850 et 1853 ; il sera agrandi après 1896. Sur la façade, un hommage est rendu à quatre jurisconsultes « liégeois » de l’Ancien Régime : Toussaint Dandrimont, Olivier Leclercq, Charles de Méan et Mathias-Guillaume de Louvrex.


Comme sur la façade du Palais provincial de Liège, bâtiment dont la décoration lui est postérieure, la statue de Matthias-Guillaume de Louvrex est placée, à l’origine, à côté de celle de Charles de Méan. Les deux jurisconsultes liégeois partagent par conséquent les mêmes honneurs à Verviers et à Liège, hormis le fait qu’à Verviers, en 2014, la statue de Louvrex ne s’affiche plus en façade. Jurisconsulte, magistrat de la cité en 1702, diplomate, conseiller du prince-évêque, Mathias-Guillaume de Louvrex possédait une bibliothèque exceptionnelle. Par ailleurs, il avait rassemblé dans un impressionnant Recueil, en quatre volumes, des édits, règlements, privilèges, concordats et traités du pays de Liège et du comté de Looz.
C’est à ce titre qu’il est statufié, tant à Verviers qu’à Liège. 

De grande taille, sa statue en pierre de sable était logée dans une niche située au premier étage de la façade en calcaire du Palais de style néo-classique ; la deuxième en commençant par la gauche du bâtiment. Avant qu’elle ne soit enlevée récemment de la façade, la statue de Louvrex avait déjà connu des « mésaventures ». En 1978, les autorités locales avaient procédé à son enlèvement et à son remplacement. Comme celle de ses trois confrères, la statue de M-G. de Louvrex devait être mise au vert dans le parc de Séroule et laisser la place à des œuvres contemporaines, en aluminium, réalisées par l’artiste Serge Gangolf. Le tollé provoqué par les « nouveautés » engendra une « guerre des statues » qui divisa tout Verviers pendant des mois. Finalement, les « Gangolf » furent déplacées et trouvèrent place sur la nouvelle aile (plus moderne) du Palais de Justice (1994-1995), tandis que la vétusté des quatre statues originales des jurisconsultes empêcha de les remettre en place, telles quelles : ce sont dès lors des copies à l'identique qui occupent les quatre niches. Réalisées dans un mélange de pierre et de résine par Jacqueline Hanauer et André Bernard, elles sont réapparues en 1986. Celle de Louvrex est repartie à l’entretien.


En juste au corps, se tenant debout et coiffé d’une perruque, de Louvrex a été immortalisé à Verviers par le sculpteur anversois Guillaume Geefs (1805-1883) qui signe aussi le symbole de Thémis sur l’édifice verviétois. Formé à l’Académie d’Anvers, le jeune Geefs est très rapidement repéré par ses professeurs ; une bourse lui permet de parfaire sa formation à Paris et, à son retour, il est nommé professeur de sculpture de l’Académie d’Anvers (1833-1840). Présent dans différents salons, il s’impose avec le modèle de la statue du Général Belliard et le monument funéraire du comte Frédéric de Mérode. Le jeune royaume de Belgique venait de trouver l’un de ses sculpteurs capables de figer dans la pierre les personnes et les événements les plus illustres du pays. Statuaire du roi, Geefs s’installe à Bruxelles où son atelier répond aux multiples commandes destinées à orner les églises, les places, les édifices, les cimetières ou les salons de toute la Belgique. Ses statues de Léopold Ier se déclinent en diverses versions, dont l’une sur la colonne du Congrès, à Bruxelles. À Anvers, il livre une statue de Rubens (1840) ; à Liège, celle de Grétry (1842). Membre de la classe des Lettres de l’Académie dès 1845, il la préside de 1858 à 1883. Il était membre de l’Institut de France.

 

Sources


Catherine BAUWENS, dans Freddy JORIS (dir.), Le XIXe siècle verviétois, Verviers, CTLM, 2002, p. 98
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul BERTHOLET, Verviers et sa région en gravures, Verviers, éd. Desoer, 1981, p. 62-63
Sybille VALCKE, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 415-417

Emplacement de la statue dédiée au jurisconsulte Mathias-Guillaume de Louvrex (2014)

 

Façade du Palais de Justice

4800 Verviers

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Statue Mathias-Guillaume de LOUVREX

Statue de Mathias-Guillaume de Louvrex, réalisée par Jules Halkin, c. 15 octobre 1880.


Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques. Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser la toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius, une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs. Dès la mi-octobre 1880, 27 des 42 statues sont achevées, validées par la Commission et mises à leur emplacement respectif. Celle de Louvrex est parmi celles-ci.


Placée aux côtés de Charles de Méan et de Jean Del Cour, la statue de Mathias-Guillaume de Louvrex est l’une des 42 personnalités retenues, selon le critère d’avoir marqué l’histoire de la principauté de Liège. De facture sérieuse, elle a été réalisée avec un souci d’art et de différenciation ; le visage présente des similitudes avec le peu de documents que l’on a conservés. Sur la façade du marteau de droite du palais provincial, dans la partie inférieure des colonnes d’angle, Mathias-Guillaume de Louvrex (1665-1734) a été représenté tenant son livre en mains, par le sculpteur Jules Halkin qui signe huit des statues et bas-reliefs liégeois dont « l’assassinat de Saint-Lambert », « la sortie des Franchimontois » et un « Notger répandant l’instruction ».


Jurisconsulte, magistrat de la cité en 1702, diplomate, Mathias-Guillaume de Louvrex possédait une bibliothèque exceptionnelle. Il avait rassemblé dans un impressionnant Recueil en quatre volumes, des édits, règlements, privilèges, concordats et traités du pays de Liège et du comté de Looz.


Quant à Jules Halkin (Liège 1830 – Liège 1888), il accomplit l’essentiel de sa carrière de sculpteur à Liège, sa ville natale, où il avait suivi les cours de Gérard Buckens à l’Académie des Beaux-Arts. Une bourse de la Fondation Darchis lui permet de séjourner à Rome pendant plusieurs mois (1851-1853), avant de parfaire sa formation en France et en Allemagne. Au début des années 1860, il trouve facilement des acheteurs privés pour plusieurs de ses premières réalisations essentiellement à connotation religieuse (Vierge, chemin de croix, bas-reliefs, etc.), avant de participer au chantier de décoration du palais provincial de Liège. Ses bustes en bronze et en marbre trouvent de nombreux amateurs auprès de bourgeois de la Cité ardente, qu’ils soient industriels, intellectuels ou artistes eux-mêmes. Il réalise aussi un Saint-Lambert pour la cathédrale Saint-Paul et un chemin de croix en pierre de France pour l’église Saint-Jacques (1862-1865). Sa notoriété, Jules Halkin la doit surtout à sa sculpture monumentale du Cheval de halage (1885) qui partage avec le Torè de Mignon l’espace des Terrasses de Liège.

 

Sources


Liliane SABATINI, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 436-437
Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 103
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html (s.v. août 2013)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 676
Isabelle VERHOEVEN, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996 

 

Statue de Mathias-Guillaume de Louvrex

Façade du Palais provincial, face à la place Notger

4000 Liège

carte

Paul Delforge

Statue Charles-Joseph de LIGNE

Statue à la mémoire du prince Charles-Joseph de Ligne, réalisée par Charles Brunin, 1882-1883. 



Située sur la place principale de Beloeil, une imposante statue rend hommage au prince Charles-Joseph de Ligne (1735-1814). Militaire, diplomate, écrivain, Charles-Joseph Lamoral, prince de Ligne, a servi plusieurs cours impériales et princières ; il a brillé dans les salons parisiens et, l’écrivain a publié une trentaine d’ouvrages, les uns consacrés à l’art de la guerre, les autres au théâtre ; romancier, autobiographe et mémorialiste, « ce prince cosmopolite » tenait ses quartiers dans la prestigieuse résidence royale qu’il possédait à Beloeil. Il paraissait dès lors naturel que cette localité accueille à un endroit central un monument rendant hommage à ce personnage illustre du XVIIIe siècle. À l’initiative de l’État, une statue est commandée à Charles Brunin (1841-1887).
Formé à l’Académie de sa ville natale auprès d’Étienne Wauquière, le montois Charles Brunin a suivi les cours de sculpture de Joseph Geefs à Anvers (1865-1868), avant de rejoindre à Bruxelles les cours d’Eugène Simonis. S’il ne remporte pas le Prix de Rome, il est aidé par la ville de Mons et fait de courts séjours en Italie (1871, 1873). Remarqué aux différents salons où il expose des œuvres de son inspiration, souvent des bustes « de type populaire italien » qui ont beaucoup de succès, il est nommé professeur de sculpture à l’Académie de Mons en 1875. C’est vers 1877-1878 que lui est commandée la statue du prince de Ligne. Il s’agit de la première d’une série d’autres commandes publiques ; ce seront cependant davantage des allégories qui lui seront demandées par la suite. Renonçant à son emploi à Mons (1882), pour s’installer à Bruxelles plus près des commanditaires publics, Brunin devait décéder subitement en 1887 alors qu’il réalisait la maquette du monument Dolez pour la ville de Mons.
La réalisation de la statue du prince de Ligne ne s’est pas déroulée dans les meilleures conditions. Dès 1878, l’artiste avait présenté une maquette de son sujet lors d’un Salon à Bruxelles. Chargée de valider le projet de Brunin, la Commission des Monuments exigea un certain nombre de modifications que l’artiste n’accepta pas ; selon un expert, l’élégance du prince était exagérée et l’allure générale donnait l’impression que le prince allait se mettre à danser ; un procès s’en suivit, semble-t-il, avant que, finalement, la Compagnie des Bronzes de Bruxelles ne procède à la fonte, en 1882. Le monument Charles de Ligne pouvait être inauguré. La statue représente le spirituel écrivain debout, habillé en costume de cour, donnant l’impression de tenir une conversation plaisante. Sur un socle carré, la statue trône au centre de la place principale du village de Beloeil. Le piédestal porte l’inscription :


LA COMMUNE DE BELOEIL
Au FELD-MARÉCHAL
CHARLES-EUGÈNE-LAMORAL,
PRINCE DE LIGNE.
3 MAI 1735—13 DÉCEMBRE 1814


Plusieurs hommages seront rendus à cet endroit, notamment à l’occasion du centenaire du décès du prince : à l’initiative du Cercle archéologique d’Ath et de la région, les 25, 26 et 27 juillet 1914…, Ath et Beloeil accueillent une prestigieuse manifestation (Congrès-exposition, concerts, défilé devant la statue, fête nautique, lecture d’œuvres, etc.) à laquelle s’associe notamment la Société des Amis de l’Art wallon. Il s’agit de la dernière grande manifestation culturelle en Wallonie avant la Grande Guerre.



Hugo LETTENS, La sculpture de 1865 à 1895, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, Bruxelles, CGER, 1990, t. 1, p. 103
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 311-313
Biographie nationale, t. 12, col. 185
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 160
Paul DELFORGE, Société des Amis de l’Art wallon, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. III, p. 1484-1486
L’Art moderne, 25 janvier 1914, n°4, p. 31
L’Art moderne, 14 juin 1914, n°24, p. 191
L’Art moderne, 2 août 1914, n°31, p. 241-243
Wallonia, 1913, p. 626-627

 

place communale – 7970 Beloeil

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Paul Delforge

Plaque Roger DE LE PASTURE

Plaque commémorative de Roger de le Pasture, réalisée à l’initiative des autorités communales de Tournai ; de l’Institut Jules Destrée,19 juillet 1913 ; septembre 1978.


« Ici naquit en 1399
Roger de le Pasture
Dit Van der Weyden
peintre célèbre
mort à Bruxelles en 1464 »

Telle est l’inscription qui figure sur la plaque apposée sur la maison natale du peintre, à Tournai, rue Roc-Saint-Nicaise, et inaugurée le 13 juillet 1913. Longtemps considéré comme un peintre flamand, Van der Weyden commence à être mieux connu depuis la moitié du XIXe siècle, moment où deux Tournaisiens – Charles-Barthélemy Dumortier et Alexandre Pinchart – établissent que son  lieu de naissance est à Tournai, sous le nom de Roger de le Pasture. Au début du XXe siècle, cependant, ce lieu d’origine n’en faisait pas un artiste de Wallonie, ses œuvres continuant d’être présentées comme appartenant à l’école flamande (dans le sens ancien de cet adjectif), mais aussi comme réalisées par un artiste flamand (dans le sens politique acquis par l’adjectif à la fin du XIXe siècle). C’est en s’interrogeant sur l’existence d’un art wallon, exercice pratique tenté en 1911 dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi, que Jules Destrée va accorder une place toute particulière à Roger de le Pasture. Étudiant l’œuvre de l’artiste tournaisien du XVe siècle sous toutes ses coutures, l’esthète Jules Destrée y voit un peintre essentiellement wallon, figure de proue d’une « école » dont la création en 1912 et l’activité de la société des « Amis de l’Art wallon » doivent encore démontrer l’existence. Cité dans la Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre (août 1912), Roger de le Pasture se devait d’être honoré dans sa ville natale, et la Cité des Cinq Clochers comme partie prenante de la Wallonie. La revue Wallonia publie d’ailleurs, sous la direction d’Adolphe Hocquet, un numéro spécial consacré à Tournai dans l’Art et dans l’Histoire (mai-juin 1913). Et le 19 juillet 1913, le cercle des « Amis de l’art wallon » tient son assemblée générale à Tournai, avant de procéder à l’inauguration du mémorial de le Pasture.
En collaboration avec les autorités locales, les responsables des Amis de l’Art wallon » ont en effet pris l’initiative de faire apposer la plaque mentionnée ci-dessus sur la maison natale de l’artiste. Archiviste à Tournai, Adolphe Hocquet, par ailleurs membre de l’Assemblée wallonne, a contribué à identifier officiellement la maison natale, au 78 de la rue Roc-St-Nicaise. L’échevin Maurice Houtart, Jules Destrée en tant que président de la SAAW et Eugène Soil de Moriamé, président de la Société historique et archéologique de Tournai, prennent la parole lors de l’inauguration du 19 juillet 1913.

En mai 1940, lors des bombardements allemands sur Tournai, la maison natale du peintre figure parmi les décombres. Il faut attendre 1978 pour qu’une initiative soit prise par Jacques Hoyaux, président de l’Institut Jules Destrée. Le propriétaire d’une des nouvelles maisons construites dans le haut de la rue Roc saint Nicaise a accepté qu’une nouvelle plaque commémorative soit intégrée dans la façade de son immeuble. Inaugurée en septembre 1978, elle mentionne simplement :

« Ici est né en 1399
le peintre
Roger de le Pasture
Hommage de
l’Institut Jules Destrée  ».

Par ailleurs, un monument (un bronze polychrome de Marcel Wolfers représentant « Saint-Luc peignant la Vierge) a été installé par la ville de Tournai, en 1936, en l’honneur du peintre (vieux marché aux Poteries), tandis qu’un médaillon figure aussi sur une façade de la rue des Maux.


 

Marnix BEYEN, Jules Destrée, Roger de le Pasture et « les Maîtres de Flémalle ». Une histoire de science, de beauté et de revendications nationales, dans Philippe DESTATTE, Catherine LANNEAU et Fabrice MEURANT-PAILHE (dir.), Jules Destrée. La Lettre au roi, et au-delà. 1912-2012, Liège-Namur, Musée de la Vie wallonne-Institut Destrée, 2013, p. 202-217
Wallonia, 1913, p. 543-550
Jacky LEGGE, Mémoire en images : Tournai, t. II : Monuments et statues, Gloucestershire, 2005, p. 53-53, 97-98
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Archives.

 

rue « Roc-saint-Nicaise » – 7500 Tournai

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Paul Delforge

Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Roland de LASSUS

Statue à la mémoire de Roland de Lassus, réalisée par Barthélemy Frison, 23 mai 1853.


Au milieu du XIXe siècle, Mons, chef-lieu du Hainaut, n’a pas encore décidé quelle serait la première statue érigée dans l’espace public. L’initiative d’un tel monument n’est pas politiquement neutre. Jeune État né d’une révolution, la Belgique cherche à asseoir son autorité auprès des masses en mettant en évidence « ses » héros du passé. Déjà quelques « peintres d’histoire » ont commencé à s’inspirer d’événements du passé « belge » et les parlementaires ont décidé « d’honorer la mémoire des grands hommes belges » en encourageant toute initiative pour que fleurissent des statues dans l’espace public. D’emblée s’imposent comme « héros nationaux » : Pépin de Herstal, Thierry d’Alsace, Baudouin de Constantinople, Jean Ier de Brabant, Philippe le Bon et Charles Quint. Tandis que l’hôtel de ville de Bruxelles se couvre de près de 300 statues (entre 1844 et 1902), la façade du nouveau Palais provincial de Liège en accueille une quarantaine (entre 1877 et 1884). Chef de Cabinet, en charge de l’Intérieur (1847-1852), Charles Rogier invite chaque province à élever un monument digne des gloires nationales dans son chef-lieu. Dans le Hainaut, Roland de Lassus sera le premier personnage historique statufié dans l’espace public.


Ce natif de Mons est considéré comme la plus grande figure de la musique de la deuxième moitié du XVIe siècle. Enfant de chœur à l’église Saint-Nicolas de Mons, sa voix a enchanté plusieurs grandes cours d’Europe. Parti très tôt pour l’Italie, il se rend ensuite en Angleterre, se fixe un moment à Anvers, avant d’être engagé comme ténor par le duc de Bavière (1556) et d’être nommé maître de chapelle à Munich (1563-1594). Compositeur prolifique, il ne cesse d’alimenter les plus importants éditeurs d’Europe, à l’heure où l’imprimerie en est à ses débuts. En étant le premier à « commercialiser » ses « chansons » et sa musique religieuse, de Lassus sort des sentiers battus et, partout, il est accueilli comme « le prince des musiciens ». Sa notoriété n’avait pas échappé à Philippe Bosquier (Mons 1562, Avesnes 1636) : écrivain et prédicateur montois, ecclésiastique cultivé, personnage introduit auprès de plusieurs cours d’Europe, Bosquier fut le premier à suggérer aux magistrats de Mons, dans le premier tiers du XVIIe siècle, d’élever une statue de bronze en l’honneur de Roland de Lassus. À l’époque, il ne fut pas écouté.


Deux siècles plus tard, lors du Salon de Mons (juin 1846), un jeune sculpteur tournaisien présente quatre bustes, dont celui de Roland de Lattre, nom que le poète, bibliothécaire et polémiste montois Adolphe Mathieu (1804-1876) tente d’imposer pour désigner le Roland de Lassus. En ce milieu du XIXe siècle, les autorités locales nourrissent en effet plusieurs projets de monument et les défenseurs de Roland de Lassus se mobilisent. Ainsi, en 1849, une souscription est lancée par un jeune cercle de musique, la Société Roland de Lattre. En novembre 1850, un modèle en carton est présenté aux Montois ainsi qu’à une Commission appelée à décider de l’emplacement et du sujet. Le projet va passionner les Montois car, dans le même temps, un projet concurrent s’affiche : une statue dédiée à Baudouin de Constantinople. Finalement, avec le soutien de la Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut, la ville de Mons organise « un concours pour l’érection d’une statue en bronze honorant « Roland de Lattre » (1532-1594) » et c’est le jeune sculpteur tournaisien présent à Mons en 1846 qui l’emporte : apprenti-mouleur à la Manufacture de faïence de Tournai, Barthélemy Frison (1816-1877) a déjà été distingué par plusieurs prix à la suite de la formation en sculpture qu’il a suivie à l’Académie de Tournai. Remarqué à Paris où il suit une formation dans l’atelier privé de Ramey-Dumont, il y expose et reçoit des lauriers de l’Académie des Beaux-Arts ; diverses œuvres monumentales pour la ville de Paris lui permettent de vivre de son art dans la capitale française.


En 1851, le projet de Frison est retenu et, en juin 1852, la commission se rend à Paris pour examiner le modèle exécuté par l’artiste. La fonte est réalisée à Paris, chez Carnot en janvier 1853 et le 23 mai, il est inauguré en grandes pompes. La Grand Place de Mons a été abandonnée : la statue est installée sur la place du Parc. Sur le piédestal, une inscription rappelle que de Lassus a été :


« Prince des Musiciens de son temps »


La réalisation montoise procure une notoriété nouvelle à l’artiste : Barthélemy Frison poursuit sa carrière entre Paris et Tournai. Ses œuvres – le plus souvent en marbre – rencontrent beaucoup de succès lors des Salons et Expositions, tout en recevant des commandes officielles à Tournai, à Bruxelles comme à Paris. Ainsi, en 1866, il réalise le buste du violoniste Amédée Frison pour le cimetière Sud de Tournai.


Le premier monument public de la ville de Mons suscite cependant railleries et ricanements. Certains ne reconnaissent pas de qualités au musicien, d’autres s’amusent à ne retenir que quelques taches dans la vie du personnage, alors que l’on se moque aussi de l’orthographe « Roland Delattre » gravée dans le socle de la statue, car l’école favorable à « Roland de Lassus » a déjà démontré la justesse de ses arguments.


Aujourd’hui, ce monument a disparu. La statue a en effet été fondue par l’occupant allemand, dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale. Un autre existe cependant, situé au pied de la collégiale Sainte-Waudru ; il s’intitule « Cantoria » et l’hommage au musicien est gravé dans la tranche du socle de quelques centimètres qui soutient le bronze de trois choristes réunis pour interpréter une partition de Roland de Lassus.

 


Ferdinand LOISE, dans Biographie nationale, t. 11, col. 386-418
Alphonse WAUTERS, Mathieu, dans Biographie nationale, t. 14, col. 33-44
J-B. VAN DEN EEDEN, dans Biographie nationale, t. 44, col. 439
J. DELECOURT, dans Biographie nationale, t. 2, col. 741
Jean WUILBAUT, Mons 1853-1868. Controverses autour de la statue de Baudouin de Constantinople, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, Mons, 1988, t. 73, p. 1-45
Serge LE BAILLY DE TILLEGHEM, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 402-403
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 593
La Vie wallonne, III-IV, 1970, n°331-332, p. 546-547

Place du Parc
7000 Mons

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Christine de LALAING

Monument  Christine de Lalaing, réalisé par Aimable Dutrieux, avec l’aide de Fidèle Renier, 21 septembre 1863.


Depuis septembre 1863, la Grand Place de Tournai – quels que soient les plans d’aménagement – accueille en son centre un imposant ensemble statuaire figuratif qui rend hommage à Christine de Lalaing, princesse d’Epinoy (1545, c. 1582) dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle contribua à la défense de la cité tournaisienne, alors important foyer de la Réforme, face aux troupes espagnoles d’Alexandre Farnèse. C’était en 1581, le temps de l’Inquisition. Cheveux aux vents, la dame est présentée dans une attitude résolument guerrière : elle tient une sorte de hache à la main ; elle a revêtu une cuirasse de combat ; son fourreau est vide et son épée gît à ses pieds, à côté de son casque ; elle semble vouloir s’élancer vers l’avant et se défaire de l’imposant piédestal de près de 5 mètres de haut, qui lui permet de dominer l’espace. Réalisée par le sculpteur Aimable Dutrieux (1816-1889), cette  posture correspond parfaitement à la commande du conseiller communal de Tournai.


La décision a en effet été prise en février 1861 de commander une statue pour honorer l’épouse de Pierre de Melun, prince d’Epinoy, baron d’Antoing, sénéchal du Hainaut et gouverneur de Tournai, en raison de son attitude héroïque lors du siège de Tournai, par les troupes espagnoles. Profitant de l’absence de Pierre de Melun en train d’attaquer Gravelines, Farnèse vient mettre le siège devant Tournai malgré la proximité de la saison hivernale. Aux commandes de la ville avec un lieutenant, la princesse catholique Christine de Lalaing contribue à galvaniser les habitants de la cité qui parviennent à résister du 5 octobre au 29 novembre 1581, avant de devoir se résoudre à capituler. La ville échappe au pillage, les protestants sont autorisés à quitter les lieux (ils seront près de 6.000 calvinistes à abandonner les bords de l’Escaut). Quant à Christine de Lalaing, elle a perdu l’un de ses fils dans des combats où la légende va très vite lui attribuer une place particulière et des actions héroïques. Elle-même quitte Tournai pour Gand, puis Anvers où elle s’éteint en 1582.


C’est à un artiste tournaisien qu’a été confiée la commande de l’œuvre. Déjà présent et remarqué dans les tout premiers salons organisés en Belgique dans les années 1830 et lors de diverses expositions universelles du milieu du XIXe siècle, Aimable (ou Amable) Dutrieux a reçu sa formation à l’Académie de sa ville natale avant de gagner Bruxelles où il s’installe. Élève de Guillaume Geefs, il réalise d’emblée des bustes et c’est dans ce genre qu’il ne cessera de se distinguer. Plâtre, marbre, bronze, le sculpteur manie tous les matériaux. Ses réalisations (bustes et statues) pour la famille royale lui assurent une notoriété certaine. Outre les commandes privées, Dutrieux exécute une statue en pierre de France de Léopold Ier (1851 – exposée à Ixelles pendant quelques années avant de disparaître), ainsi qu’un buste en marbre de Léopold II pour l’Exposition universelle de Vienne en 1873. Sa dernière commande a été une statue colossale en bronze, intitulée La Loi, pour le Palais de Justice de Bruxelles (1881). Le monument de Lalaing s’inscrit donc au milieu de la carrière du sculpteur qui apporte ainsi sa contribution à un mouvement impulsé par les jeunes autorités belges.


Jeune État né d’une révolution, la Belgique cherche à asseoir son autorité auprès des masses en mettant en évidence « ses » héros du passé. Déjà quelques « peintres d’histoire » ont commencé à s’inspirer d’événements du passé « belge » et les parlementaires ont décidé « d’honorer la mémoire des grands hommes belges » en encourageant toute initiative pour que fleurissent des statues dans l’espace public. D’emblée s’imposent comme « héros nationaux » : Pépin de Herstal, Thierry d’Alsace, Baudouin de Constantinople, Jean Ier de Brabant, Philippe le Bon et Charles Quint. Tandis que les hôtels de ville de Bruxelles et de Louvain se couvrent de dizaines de statues, le ministre Charles Rogier insiste auprès de chaque province pour que soit élevé un monument digne des gloires nationales dans son chef-lieu. Soutenu par son successeur, Joseph Piercot, le projet se concrétise lorsque Rogier redevient ministre, entre 1858 et 1868. Aux quatre coins du pays, les édiles municipaux se mobilisent bon gré mal gré (en raison des coûts) dans un projet qui se veut collectif, mais qui révèle à la fois des particularismes locaux et des interrogations sur la définition de « belge ». Au moment où Tongres inaugure une statue d’Ambiorix et Liège celle de Charlemagne, tandis que Gand va accueillir Jacques Van Artevelde, Tournai honore Christine de Lalaing.

Monument  Christine de Lalaing


La dame ne fait cependant pas l’unanimité, non pas parce qu’il s’agit d’une femme, mais en raison de l’interprétation qui est faite de sa posture. Certes, il s’agit de la première femme à être honorée d’un monument aussi impressionnant dans l’espace public de Wallonie, voire de Belgique. Elle restera d’ailleurs longtemps seule de son genre. Officiellement, ce n’est pas cela qui va chagriner les autorités ecclésiastiques tournaisiennes pendant près de trois générations. Par contre, la main tendue de Christine de Lalaing est interprétée comme une provocation délibérée des libéraux. La main s’oriente en effet vers la cathédrale et le geste est considéré comme un acte offensant, résolument anticlérical au point que la procession religieuse annuelle se détourna de la Grand Place pendant des années. La polémique s’estompera avec le temps, les historiens parvenant à faire entendre que Christine de Lalaing partageait la foi catholique et ne pouvait dès lors pas être considérée comme une « icône de la Réforme ».


Comme de nombreux autres monuments, celui de Christine de Lalaing a été délimité pendant longtemps par un périmètre de clôture accompagné de réverbères. Lors des bombardements sur Tournai en mai 1940, la statue a évité presque miraculeusement la destruction ; en 1997, le bronze a été descendu de son socle et a fait l’objet d’un entretien complet. Pour la réalisation du socle, Dutrieux avait fait appel à Fidèle Renier qui avait taillé le piédestal dans la pierre d’Écaussinnes. Depuis l’inauguration, le piédestal porte l’inscription suivante :


LA VILLE DE TOURNAI
A CHRISTINE DE LALAING,
PRINCESSE D'ESPINOY.
SIÈGE DE 1581.
INAUGURÉ EN 1863
sous LE RÈGNE DE LÉOPOLD 1er.



On observera enfin qu’Aimable Dutrieux avait coulé dans le bronze un modèle identique mesurant une cinquantaine de centimètres et actuellement conservé dans une collection privée.

 

Sources
 

Jacky LEGGE, Tournai, tome II : Monuments et statues, Gloucestershire, Éd. Tempus, 2005, coll. Mémoire en images, p. 14-16
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t.
Le Tournai artistique, Tournai, Wapica, 2012, p. 157
Charles PIOT, dans Biographie nationale, t. 14, col. 338
Léopold DEVILLERS, dans Biographie nationale, t. 11, col. 124
Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 1 et 2, Bruxelles, CGER, 1990, p. 55, 65, 67, 69, 71, 157, 165, 387-388, 388, 403, 416, 613

 

 

Grand Place
7500 Tournai

carte

Paul Delforge