Paul Delforge-Diffusion Institut Destrée-Sofam

Monument Isabelle BRUNELLE

Les personnalités féminines statufiées dans l’espace public de Wallonie sont relativement rares (un monument sur vingt en moyenne). Elles sont encore plus rares au XIXe siècle. Christine de Lalaing a été la toute première à être honorée d’une statue imposante, c’était à Tournai en 1863. Avec la statue réalisée par Guillaume Geefs en l’honneur d’Isabelle Brunelle et inaugurée en 1872, on reste dans le domaine de l’exceptionnel d’autant qu’après le monument Léopold Ier inauguré en 1869, il s’agit du deuxième consacré à une personnalité qui prend place dans l’espace public namurois. En cette deuxième moitié du XIXe siècle, les autorités municipales continuent d’être encouragées par le gouvernement belge à contribuer au renforcement de l’identité belge par l’implantation de statues de personnalités héroïques dans les parcs et sur les places. À Namur, le phénomène commence à se développer au moment où l’enceinte de la ville est démantelée, où les portes et les tours sont détruites, tandis qu’un plan d’aménagement et d’embellissement de Namur trace les grandes orientations du futur. À l’entame de ces importants chantiers, l’Hospice d’Harscamps est aux premières loges : un échange de terrains est conclu entre les autorités municipales et la direction de l’Hospice qui, toujours en accord avec la ville, projette d’adjoindre un parc à ses bâtiments (1868-1869). À l’initiative de la Commission des Hospices civils de Namur, il est par ailleurs décidé qu’au centre du parc viendra prendre place un monument dédié à madame d’Harscamps et dont l’exécution sera confiée à Guillaume Geefs, sculpteur qui est en train d’achever la statue de Léopold Ier.
 

Monument Isabelle Brunelle, comtesse d’Harscamps

Formé à l’Académie d’Anvers, le jeune Geefs (1805-1883) avait été très rapidement repéré par ses professeurs ; une bourse lui a permis de parfaire sa formation à Paris et, à son retour, il était nommé professeur de sculpture à l’Académie d’Anvers (1833-1840). Membre de la classe des Lettres de l’Académie dès 1845, il la préside de 1858 à 1883. Il était membre de l’Institut de France. Présent dans différents salons, il s’impose avec le modèle de la statue du Général Belliard et le monument funéraire du comte Frédéric de Mérode. Le jeune royaume de Belgique venait de trouver l’un de ses sculpteurs capables de figer dans la pierre (ou le bronze) les personnes et les événements les plus illustres du pays. Répondant aux multiples commandes destinées à orner les églises, les places, les édifices, les cimetières ou les salons de toute la Belgique, il livre à Anvers une statue de Rubens (1840) et à Liège, celle de Grétry (1842), à Huy celle de Lebeau (1869), tout en réalisant de nombreuses statues de Léopold Ier, dont celle de Namur. C’est donc un artiste renommé qui réalise, pour Namur, la statue d’Isabelle Brunelle et qui y signera encore celle de Jean-Baptiste d’Omalius d’Halloy en 1881.

En 1869 déjà, G. Geefs a terminé la maquette en plâtre du monument Brunelle et la Commission a validé son projet. Cependant, les événements politiques qui secouent la France (1870-1871) sont à l’origine du retard dans l’acheminement du bloc de marbre qui a été choisi, en l’occurrence de l’Échaillon blanc exploité à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Entre-temps, le marbrier namurois Adolphe Balat est choisi pour réaliser le piédestal en pierres bleues d’Écaussinnes qui a une hauteur de 3,33 mètres. Finalement, la date du 15 mai 1872 retenue pour l’inauguration est respectée. Sous la pluie, la foule importante entend les discours du président de la Commission des Hospices et du sénateur de Woelmont au nom de la famille d’Harscamps. La statue dévoilée présente la comtesse en grande et forte femme, se tenant debout et serrant son testament dans la main gauche. Les habits qu’elle porte sont de l’époque Louis XV ; il s’agit d’une toilette de cérémonie. La robe et ses grands plus ont fait l’objet d’une attention particulière du sculpteur qui s’est par ailleurs inspiré des portraits peints d’Isabelle Brunelle pour réaliser son visage. Comme à son habitude, le sculpteur a laissé son signature sur la plinthe de la sculpture : « Gme Geefs/statuaire du roi ». Quant aux quatre faces du piédestal, elles portent chacune des inscriptions gravées en lettres d’or par Balat.

Sur la face avant :
« ISABELLE BRUNELLE
COMTESSE D’HARSCAMPS.
FONDATRICE
DE L’HOSPICE D’HARSCAMPS.
29 JANVIER 1805.

À droite :
NEE A AIX-LA-CHAPELLE
LE 3 SEPTEMBRE 1724.

À gauche :
DECEDEE A NAMUR


LE 8 MAI 1805.

À l’arrière : 
ERIGE
LE 15 MAI 1872. »

C’est une bienfaitrice des pauvres qu’honorent le monument et les discours, rappelant que celle qui était née à Aix-la-Chapelle en 1724, dans une famille de la petite bourgeoisie, sous le nom d’Isabelle Brunelle, avait épousé, en 1748, en Hongrie, le comte Pontian d’Harscamps, un capitaine de dragons au service de l’Autriche. Elle avait reçu une éducation attentive dans une maison de Liège ; lui était l’héritier d’une famille originaire de Gueldre qui avait fait fortune dans le Namurois et possédait d’importantes propriétés tant ce comté qu’en principauté de Liège et en Hongrie. Après avoir perdu ses trois enfants victimes de maladies, le couple vient s’installer au château de Fernelmont ; c’est là que mourut le comte en 1794. Les événements rendent alors difficiles la possibilité pour la veuve de vivre dans le Namurois. Néanmoins, vers 1800, elle retrouve Namur où elle s’installe dans son hôtel particulier du Marché de l’Ange. Se consacrant à diverses actions de bienfaisance, elle met sa fortune aux services des pauvres. Dans un testament plusieurs fois complété entre 1788 et janvier 1805, elle marque son intention de fonder plusieurs institutions charitables à Aix-la-Chapelle, sa ville natale, et dans les diverses localités où elle possède des immeubles. À Namur, en particulier, elle consacre une part importante de ses biens pour qu’y soit construit un hospice portant le nom de son époux. Quelques semaines plus tard, en mai 1805, elle décède subitement à Namur. En application des dispositions testamentaires, les autorités françaises de l’époque ouvre, le 1er octobre 1812, une maison de retraite qui accueille les personnes d’un certain âge que la bonne fortune a abandonnées. Le lieu choisi est l’ancien Couvent des Récollets supprimé par le nouveau régime. De 40 en 1812, les pensionnaires dépasseront les 200 dans les années 1860.


Sybille VALCKE, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 415-417
Jean BOVESSE, dans Biographie nationale, t. 41, col. 53-57
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t.
http://www.harscamp.be/index.php/Le-monument-a-Isabelle-Brunelle-comtesse-dHarsca/le-monument-a-la-comtesse-dharscamps.html
http://www.harscamp.be/index.php/Le-monument-a-Isabelle-Brunelle-comtesse-dHarsca/linauguration-du-monument.html
http://www.harscamp.be/index.php/Le-monument-a-Isabelle-Brunelle-comtesse-dHarsca/bibliographies-et-sources9.html (s.v. avril 2014)

parc de l’Hospice d’Harscamps
5000 Namur

carte

Paul Delforge