Paul Delforge

Monument Théophile GUIBAL

Monument « Devillez-Guibal », réalisé par (Louis-)Henri Devillez, 7 juillet 1902.

En 1836, à l’initiative documentée du gouverneur de la province de Hainaut, Jean-Baptiste Thorn, le Conseil provincial retient l’idée de créer une « École provinciale des Mines du Hainaut ». Dans un bâtiment acquis par la ville de Mons – un petit hôtel de maître de la rue des Ursulines –, l’établissement prend ses quartiers à partir de l’année scolaire 1837. Tant les autorités municipales que provinciales sont sensibles à l’enjeu d’un tel projet : former des ingénieurs capables de répondre aux besoins d’une industrie en plein essor, qu’il s’agisse des mines ou de la métallurgie. Dans un premier temps, seuls les « Montois » sont acceptés, dans la mesure où ils fournissent la preuve d’une connaissance des bases mathématiques nécessaires pour suivre la formation, et moyennant un minerval de 60 francs (l’équivalent de 40 journées de travail pour un ouvrier qualifié). La première année, 35 étudiants sont inscrits aux cours délivrés par cinq professeurs : Huet pour le dessin linéaire, Victor Vanden Broeck pour la chimie et la métallurgie, Germain Raingo pour la physique, la minéralogie et la géologie, Adolphe Devillez pour la mécanique, la mécanique appliquée et les constructions civiles, et Théophile Guibal pour la géométrie descriptive appliquée, l’exploitation des mines et la construction des machines. Pendant quarante ans, Guibal va contribuer au développement de l’École des Mines et lui donner ses lettres de noblesse, à l’instar de son homologue Devillez : de nature assez dissemblable, les deux hommes se complétèrent de façon heureuse pour le plus grand bien de leur École. Honoré par ses anciens étudiants de son vivant, Guibal est considéré, à l’égal d’Adolphe Devillez avec lequel il a fait ses études à Paris, comme le fondateur de la Faculté polytechnique de Mons.


Depuis juillet 1902, le monument installé dans la cour d’honneur des nouveaux locaux de la rue de Houdain en témoigne. Les deux hommes sont représentés côte à côte, identifiés par l’inscription suivante :


Adolphe-Barthelemy DEVILLEZ                                      Theophile GUIBAL
                1815 – 1891                                                            1814 – 1888
      Ingenieurs de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris
                                              FONDATEURS EN 1837
                                 de la Faculté Polytechnique de Mons


Originaire de Toulouse, Théophile Guibal (Toulouse 1814 – Mons 1888) a gagné Paris à la veille de ses 20 ans pour étudier à l’École centrale des Arts et des Manufactures. En 1836, au terme du cycle imposé de trois années, il défend un mémoire qui s’intéresse à l’extraction massive des houilles de puits très profonds et obtient le diplôme d’ingénieur-mécanicien. Engagé comme expert pour l’amélioration d’usines, il répond à l’appel à candidature lancé par la province de Hainaut et est immédiatement recruté. Adaptant les leçons suivies à Paris aux situations rencontrées dans le Hainaut, il visite nombre de sites industriels afin que son enseignement corresponde au mieux aux besoins des directeurs et patrons des exploitations du bassin montois. Parallèlement à ses activités d’enseignant, Guibal mènera aussi des expériences scientifiques afin de distiller les houilles fines d’une part, et de faciliter la ventilation des lieux où les travailleurs sont rassemblés d’autre part. Il dépose plusieurs brevets, dont celui du fameux « ventilateur Guibal ». Son Traité sur la ventilation des mines fera longtemps référence. Il préside aussi le Conseil d’administration de la Société de Baume et Marpent.


En 1877, lorsqu’il est admis à l’éméritat, Guibal quitte un établissement qui porte désormais le nom d’« École provinciale d’Industrie et des Mines du Hainaut établie à Mons ». En 1879, l’École déménage dans ses nouveaux locaux de la rue de Houdain. Elle occupe une place certaine dans la formation de ceux qui contribuent à la Révolution industrielle et au développement économique de la Wallonie. En 1880, l’Association des anciens (dont il est devenu le président) lui offre son buste. Alors que l’École venait de fêter ses 50 années d’existence (octobre 1887), Guibal décède, à Mons le 16 septembre 1888. Sous la conduite d’Auguste Macquet, l’École provinciale d’Industrie et des Mines du Hainaut étend encore ses activités au début du XXe siècle, en même temps que son statut évolue. En juillet 1905, dans le cadre du 75e anniversaire de l’Indépendance belge, l’École devient la Faculté polytechnique du Hainaut. Le 1er juillet 1906, les nouveaux locaux de l’École des mines du Hainaut sont définitivement inaugurés. Tant l’inauguration du monument Devillez-Guibal en 1902 que les anniversaires ou l’organisation, en septembre 1905, d’un Congrès sur l’expansion économique mondiale sont autant d’occasions d’affirmer le rôle et la place de la Faculté polytechnique au sein de la province wallonne, de saluer le rôle majeur joué par la province dans le développement de l’École (surtout son financement) et, pour les industriels (charbonniers et métallurgiques) d’insister sur son rôle bénéfique dans l’économie régionale.


Initiative de l’Association des anciens élèves de l’École des Mines de Mons, le monument Guibal-Devillez est inauguré le 7 juillet 1902 lors de la première visite officielle du prince Albert et de la princesse à Mons. Le dévoilement du monument n’est qu’une étape de la visite princière auprès des autorités hennuyères, mais elle est l’occasion de discours prononcés tant par le responsable de l’Association que par des industriels, présidents d’associations charbonnières. En novembre 1902, la province apportera son soutien (3.000 fr.) à une initiative qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes venues assister au dévoilement de la statue en bronze réalisée par Louis(-Henri) Devillez (1855-1941), le fils d’Alphonse, et offerte par l’École et l’Association à la ville de Mons.


Sculpteur, dessinateur et créateur de médaille, le montois Louis-Henri Devillez (1855-1941) a bénéficié très tôt de l’aisance matérielle familiale pour se consacrer aux beaux-arts ; élève libre auprès des Danse, Brunin et Van Oemberg à l’Académie de Mons, il se perfectionne à l’École des Beaux-Arts de Paris, auprès de P-J. Cavelier, et se spécialise définitivement dans le portrait. Commissaire dans plusieurs charbonnages du Couchant, L-H. Devillez n’a guère de souci de fortune et il parcourt régulièrement l’Europe pour son plaisir ; les lettres qu’il adresse alors à sa mère sont truffées de descriptions instructives sur son époque. Régulièrement le crayon à la main, ce sont surtout ses amis, ses parents et ses rencontres qu’il représente. Ses sculptures comme ses médailles sont fort appréciées et reçoivent plusieurs prix ; il travaille aussi bien le marbre, que la terre, le plâtre ou le marbre ; cependant, l’artiste produit peu et a une propension à ne pas achever ses entreprises. Mons eut néanmoins la chance de disposer du monument Guibal-Devillez, des bas-reliefs aux élèves de l’École des Mines morts pendant la Grande Guerre, du monument Sainctelette, de diverses médailles, voire d’un Saint-Georges terrassant le dragon (œuvre en plâtre qui fut détruite pendant la Seconde Guerre mondiale). Disposant d’un atelier à Paris, où il séjourne annuellement plusieurs mois, Devillez se fait aussi mécène et collectionneur de tableaux. Encourageant les jeunes artistes, il possédait des dizaines de toiles, dont des Gauguin, Manet, Navez, Monet… ; à Mons, sa galerie d’art de la rue des Compagnons, construite selon ses instructions, était bien connue. Devillez possédait aussi de nombreuses œuvres du peintre Eugène Carrière, avec lequel il s’était lié d’amitié. Le sculpteur signa le buste du peintre français au Père Lachaise, tandis qu’un portrait de Devillez en pied, peint par Eugène Carrière en 1887, se trouve dans les collections du Louvre, à Paris.


 

Monument « Devillez-Guibal » (Mons)

 

Sources 


Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Indépendance belge, 8 juillet 1902
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut : la faculté polytechnique de Mons, Mons, 1990
Christiane PIÉRARD, dans Biographie nationale, t. 31, col. 252-259
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 463

Rue de Houdain 7
7000 Mons

carte

Paul Delforge