Paul Delforge

Mémorial Robert GREGOIRE

Mémorial Robert Grégoire, réalisé par Paul Du Bois, avec un buste de Jean Van Neste et un bas-relief signé Robert Mermet datant de 1937, 4 juillet 1935. 

À l’entame de l’avenue de la Libération, à Aywaille, au bout de la chaussée à laquelle on accède depuis le pont sur l’Amblève, à hauteur du parc Jules Thiry, un imposant monument bénéficie de la largeur de l’espace public pour rendre un hommage « national » aux motards, et en particulier à Robert Grégoire (1901-1933). Natif d’Aywaille, ce dernier s’était pris de passion pour les compétitions de motocyclette au lendemain de la Grande Guerre. Après avoir remporté ses premiers bouquets sur sa propre machine, le garagiste devient « pilote d’usine » lorsque Saroléa l’engage à la fin des années 1920. Le succès est toujours au rendez-vous. Champion de Belgique expert en 500 cc en 1932 et 1933, Grégoire décroche plusieurs records du tour sur circuit en compétition et un record du monde, celui du kilomètre en départ arrêté. Cette quête de la vitesse pure coûtera la vie à Robert Grégoire, victime d’un accident lors des essais sur le circuit de Francorchamps le 21 juillet 1933.


La disparition tragique du pilote aqualien frappe fortement les esprits. Très vite, avec le soutien d’Édouard Grégoire, le père du pilote, la « Royale Ligue motoriste Ourthe et Amblève » décide d’élever une stèle à la mémoire de Robert Grégoire. Un Comité est mis en place, présidé par Lambercy et Thomas notamment. Au début du mois de juillet 1935, la stèle est inaugurée en présence de nombreuses délégations belges et étrangères, des autorités locales et du président des clubs motocyclistes de Belgique (Lamborelle). Il est vrai que depuis la disparition de Robert Grégoire, l’élite des motocyclistes belges a été décimée : Noir et Paul Demeuter se sont tués en course en juillet 1934 et Antoine Lambert en 1935. La destination du monument Grégoire a par conséquent sensiblement évolué au cours de sa réalisation et l’inauguration est l’occasion de rendre hommage à l’ensemble des pilotes récemment décédés.


À ce moment, en juillet 1935, le monument réalisé par Paul Du Bois se présente sous la forme d’une haute stèle en pierre bleue surmontée d’un buste en bronze représentant un motocycliste. Sur la face de la stèle côté Amblève, une allégorie féminine pleure les disparus en tendant vers le haut une branche végétale ; à la hauteur de la main tendue apparaît la mention :


A NOS
CHAMPIONS
MOTOCYCLISTES


IN MEMORIAM

 

Mémorial Robert Grégoire (Aywaille)

Sur la face avant du monument (l’orientation est donnée par rapport à la position du visage du buste), en contrebas, un bas-relief réalisé dans la pierre montre une moto de course légèrement de face, avec un pilote au guidon et le numéro 1. Tout en haut de cette face du monument, le nom de ROBERT GREGOIRE a été gravé lui aussi dans la pierre. Volontairement, le sculpteur qui a réalisé le buste ne lui a pas donné les traits d’un pilote connu ; il ne s’agit donc pas de Robert Grégoire. Ce buste est l’œuvre du sculpteur liégeois Jean Van Neste.


Formé à la sculpture à l’Académie de Liège, Jean (André) Van Neste (Grivegnée 1883-date de décès inconnue) a fait carrière dans la sculpture, tout en se lançant dans la peinture en autodidacte. Retenu prisonnier dans les camps allemands pendant la Première Guerre mondiale (il séjournait à Munster en mars 1915), Van Neste représentera les conditions de sa captivité, ainsi que des portraits de prisonnier dans quelques tableaux. Son œuvre peint privilégie cependant les paysages, les fleurs et les natures mortes, voire quelques scènes villageoises. Comme d’autres sculpteurs, il eut diverses commandes de monuments aux morts de la Grande Guerre dont principalement celui de Spa.


En 1935, lors de l’inauguration, un bas-relief en bronze a déjà été apposé à mi-hauteur, dans le prolongement de la végétation sculptée sur la face côté Amblève : lui aussi œuvre de Jean Van Neste, il représente Paul Demeuter. Par la suite, d’autres bas-reliefs viendront s’ajouter au « Mémorial aux glorieux pionniers du Sport Motocycliste belge » ; ainsi, dès 1937, y trouve-t-on celui de Robert Grégoire, réalisé par Robert Mermet.
Après la Seconde Guerre mondiale, avec le soutien de la Fédération motocycliste de Belgique, la RLMOA s’occupera de l’entretien, de la restauration et d’un nouvel aménagement du monument qui se transforme en un mémorial dédié à tous les motocyclistes décédés en course, tout en honorant les victimes des deux guerres mondiales. Autour du monument, un espace rond est circonscrit par la construction d’un mur en moellons ; à ses extrémités, le demi-cercle bâti supporte un casque de motard reposant sur des feuilles de lauriers, tandis que débordent du mur une demi-roue et la partie arrière d’une moto. À deux endroits dans la partie haute du muret en moellons, une pierre bleue a été gravée au nom de :


LA
FEDERATION MOTOCYCLISTE BELGE
A SES HEROS


DE
BELGISCHE MOTORIJDERS BOND
AAN ZIJN HELDEN


ainsi que la mention             1914–1918         1940–1945


À l’arrière du socle principal, la liste des noms de motocyclistes décédés au cours de compétitions belges est apposée ; le nom des délégués officiels décédés au cours de compétition apparaît aussi. Cette nouvelle inauguration se déroule le 8 juin 1958.


Daté de 1937, le bas-relief représentant Robert Grégoire est dû au ciseau du sculpteur français Robert Mermet (Paris 1896 – Cusset 1988). Avant la Grande Guerre, alors qu’il n’avait que 14 ans, il intègre l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris ; après l’Armistice, il se retrouve en Belgique où il va réaliser l’essentiel de sa carrière. Inscrit à l’Académie de Bruxelles à partir de 1921, il bénéficie des conseils de Montal, son professeur de dessin, et il fait ses armes dans l’atelier de Paul Du Bois. Lauréat du Grand concours triennal de sculpture de l’Académie de Bruxelles en 1923, héritier de Rodin et de Gimond, Mermet va signer de très nombreux bustes, pour des notables bruxellois fortunés, mais aussi un buste d’Einstein et un autre du docteur Schweitzer. Il est cependant peu présent dans l’espace public wallon ; son travail se rencontre néanmoins à Bioul (monument Vaxelaire), à Charleroi (le « révolté » sur un palais de l’industrie) et à Aywaille. Au moment de l’invasion allemande de mai 1940, il trouve refuge non loin de Vichy, à Cusset précisément où il installe définitivement son atelier. Là, outre un monument aux morts inauguré en 1953, le statuaire est régulièrement invité à réaliser le buste de maires ou d’écrivains (comme Émile Guillaumin), tout en formant de jeunes élèves (comme Georges Jeanclos). D’inspiration, il réalise aussi de nombreux nus, de petite taille, qui ne sont pas sans rappeler certaines œuvres de Paul Du Bois. D’ailleurs, si la présence de bas-reliefs de Mermet dans la cité aqualienne peut s’expliquer par la véritable passion qu’il nourrissait pour la moto, il est tout aussi vraisemblable qu’elle soit motivée par les liens qui unissaient le « jeune » sculpteur à son maître, Paul Du Bois, auquel il faut sans aucun doute attribuer le mémorial Grégoire.


Si l’on ne trouve nulle trace de signature de Paul Du Bois sur le monument (ni d’ailleurs dans les biographies qui sont consacrées à l’un et dans les brèves descriptions consacrées à l’autre), il suffit de quelques « arguments » pour se convaincre qu’il en est bien l’auteur. Au-delà de sa naissance à Aywaille et de sa proximité avec Mermet, Paul Du Bois vient d’achever un monument Lenoir à Arlon (1931) qui le lie au monde des moteurs automobiles. Dans le style du monument, on reconnaît la griffe de l’artiste wallon qui recourt volontiers à une allégorie féminine pour mettre davantage en évidence son sujet. C’est particulièrement évident dans le cas d’Aywaille. Sous réserve d’éléments contraires, il semble par conséquent que, dans une production déjà abondante, il faille ajouter le « Mémorial Grégoire » d’Aywaille à l’œuvre de celui qui fut formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1877-1884), qui fut l’élève de Louis François Lefèbvre, de Jean-Joseph Jaquet et d’Eugène Simonis, avant de profiter des conseils de Charles Van der Stappen.


Ouvert à l’avant-garde sans renier son attachement à la Renaissance, membre-fondateur du groupe bruxellois d’avant-garde le Cercle des XX, puis de la Libre Esthétique, Paul Du Bois excelle dans les portraits quand lui parviennent les premières commandes officielles de la ville de Bruxelles. Sans abandonner des œuvres de son inspiration qui sont remarquées et primées lors de Salons et d’Expositions à l’étranger, il réalise le monument Félix de Mérode (Bruxelles, 1898) qui symbolise le début de son succès. En 1900, il est nommé professeur à l’Académie de Mons (1900-1929) et, deux plus tard, il est chargé du cours de sculpture ornementale (1902-1905), puis de sculpture d’après l’antique (1905-1910) à l’Académie de Bruxelles où il reste en fonction jusqu’en 1929. En 1910, il succède à Charles Van der Stappen à l’École des Arts décoratifs. Vice-président du jury d’admission des œuvres pour le Salon des œuvres modernes de l’Exposition internationale de Charleroi (1911), Du Bois signe plusieurs monuments commémoratifs dans l’espace public de Wallonie et on lui doit aussi des bijoux, des médailles (dont celle de l’Exposition universelle de Liège en 1905). Né Paul Dubois, il avait très tôt changé la graphie son nom (en Paul Du Bois) afin d’éviter d’être confondu avec… son célèbre homonyme français.

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, dont Le Soir, 31 mai 1991
Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 111-112
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Circuit_de_Spa-Francorchamps_fatal_accidents (s.v. décembre 2014)
René HENRY, Aywaille – Chronique illustrée du XXe siècle, Liège, Dricot/PAC Aywaille, s.d., p. 94-95, 104-107
http://racingmemo.free.fr/M%20HISTOIRE/M-HIST%201934.htm (s.v. avril 2015)
Les Mermet d’hier et d’aujourd’hui, bull. n°17, mars 2007, sur http://www.mermet.asso.fr/IMG/pdf_bulletin17.pdf (s.v. avril 2015)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 517
Paul Du Bois 1859-1938, édition du Musée Horta, Bruxelles, 1996
Anne MASSAUX, Entre tradition et modernité, l’exemple d’un sculpteur belge : Paul Du Bois (1859-1938), dans Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1992, t. XXV, p. 107-116
Anne MASSAUX, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 4, p. 142-145
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 672

Avenue de la Libération 1
Promenade Jean d’Ardenne
4920 Aywaille

carte

Paul Delforge

© Yves Campion

Milhoux René

Sport, Motocyclisme

Bruxelles 1905, Issambres (France) 19/07/2003


Au milieu de l’Entre-deux-Guerres, les sociétés wallonnes de motocyclettes sont principalement implantées en région liégeoise. Gillet, FN et Saroléa sont les plus célèbres, mais elles ne doivent pas occulter une série d’autres « petites » marques performantes, ni faire oublier qu’elles détenaient une partie de leur notoriété grâce à la conduite experte de pilotes d’exception : parmi les héros de cette époque, en vitesse pure, les noms de Robert Grégoire, René Milhoux, Noir, Pol Demeuter, Jean Tacheny suscitent partout l’admiration, tant leurs performances sont exceptionnelles pour l’époque.

Ainsi en est-il de René Milhoux qui a fait ses débuts sur une Ready (moto d’un constructeur courtraisien), avant de rejoindre l’équipe Gillet, à Herstal, à la fin des années 1920. Ses performances en vitesse pure (outre ses records, son succès au Bol d’Or 1928 sur un side-car 600) ont séduit les responsables de FN qui engagent Milhoux comme leader de leur équipe en 1931. À partir de ce moment et jusqu’en 1937, Milhoux et ses équipiers (Tacheny, Charlier, Demeuter, Noir…) vont établir la bagatelle de 180 records du monde. Toutes les distances et toutes les cylindrées sont évidemment comptabilisées ; quelles qu’elles soient, Milhoux sur son FN vole de performances en records et s’impose comme une véritable vedette sur tous les circuits. 

A son palmarès, il accroche deux Grands Prix de vitesse (à Francorchamps en 1926 en 175cc, à Montlhéry (France) en 1935 en 500cc). Deux fois champion de Belgique (350cc en 1931 et 500cc en 1935), il s’est vu décerner le Prix Fernand Jacobs (l’actuel Trophée national du Mérite sportif) en 1931, en même temps que Jules Tacheny, pour avoir battu 41 records de vitesse au cours de l’année.

Pilote vedette, mais aussi pilote technicien aidant la FN à améliorer ses produits et à les vendre, Milhoux contribue au développement spectaculaire de la M.86 : le 22 avril 1934, il bat de 10 km/h le précédent record mondial détenu par BMW en atteignant la vitesse de pointe de 224,019 km/h. Avec son monocylindre 4 temps et ses 500cc, la moto wallonne FN est alors la plus rapide du monde.

Jusqu’en 1938, René Milhoux accumulera les records et les performances pour la FN et peut être considéré comme le recordman des records. Après toutes ses années passées au développement de la motocyclette liégeoise, René Milhoux entame une nouvelle carrière : avec Albert Moorkens, il devient le fondateur et administrateur des Ets Moorkens. À ses débuts, l’entreprise distribue des motos (Zündapp, NSU) avant de se diversifier et de prendre une expansion considérable. Jusque dans les années 1990, René Milhoux se rendra quotidiennement dans ses bureaux établis à Anvers, avant de se retirer dans le sud de la France.

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 167
Auguste FRANCOTTE, René LALOUX (préface), Fabrique nationale d'armes de guerre. 1889-1964, Liège, Desoer, 1965, p. 133
http://www.moto-collection.org/moto-collection/modele.php?idfiche=5904 
Interview de Jean Van der Rest sur http://www.automag.be/RENE-MILHOUX-RECORDMAN-DES-RECORDS (s.v. décembre 2014)

Grégoire Robert

Sport, Motocyclisme

Aywaille 1901, Francorchamps 21/07/1933


Au milieu de l’Entre-deux-Guerres, les sociétés wallonnes de motocyclettes sont principalement implantées en région liégeoise. Gillet, FN et Saroléa sont les plus célèbres, mais elles ne doivent pas occulter une série d’autres « petites » marques performantes, ni faire oublier qu’elles détenaient une partie de leur notoriété grâce à la conduite experte de pilotes d’exception : parmi les héros de cette époque, en vitesse pure, les noms de Robert Grégoire, René Milhoux, Noir, Pol Demeuter, Jean Tacheny suscitent partout l’admiration, tant leurs performances sont exceptionnelles pour l’époque.

Ainsi en est-il de Robert Grégoire qui remporta ses premiers bouquets au guidon de sa propre machine. Fils d’Édouard Grégoire, garagiste à Aywaille et distributeur de Saroléa, le jeune Robert était plongé dans la mécanique motocycliste depuis son plus jeune âge. Remarqué en raison de plusieurs succès sur les circuits du pays (notamment un GP à Spa, le circuit des Crêtes, une course de côte à Wavre, etc.), il est embauché par Saroléa comme « pilote d’usine » à la fin des années 1920. En même temps qu’il imposait sa machine dans une série de courses, Robert Grégoire contribuait surtout au développement des performances des moteurs et des machines de Saroléa. 

Champion de Belgique expert en 500 cc en 1932 et 1933, Grégoire se fait un nom en raison des vitesses phénoménales – pour l’époque – qu’il parvient à atteindre. Il détient d’ailleurs plusieurs records du tour sur circuit en compétition et un record du monde, celui du kilomètre en départ arrêté : il avait poussé sa Saroléa à 134,68 km/h de moyenne. Recherchant sans cesse la vitesse pure, Grégoire était promis à une bien belle carrière. Sa nouvelle Saroléa, avec un moteur à soupapes en tête culbutées avec une culasse à une seule sortie d’échappement, est la plus performante, mais la pluie qui s’est mise à tomber à hauteur du virage de la Source surprend le pilote. Il venait de signer le record du tour quand il se tue lors des essais, la veille du grand Prix, sur le circuit de Francorchamps.

 

Sources

Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 111-112
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Circuit_de_Spa-Francorchamps_fatal_accidents (s.v. décembre 2014)
René HENRY, Aywaille – Chronique illustrée du XXe siècle, Liège, Dricot/PAC Aywaille, s.d., p. 94-95
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse