Paul Delforge

Charlier Jambe de Bois

Bas-relief en l’honneur de Charlier Jambe de Bois, réalisé par Servais Detilleux, 14 mai 1939.

Apposé sur la façade d’une maison des hauteurs de Liège, le bas-relief représentant Jean-Joseph Charlier (1794-1866), passé à la postérité sous le nom de Charlier dit la Jambe de Bois, le montre à côté de son célèbre canon, dans ses habits caractéristiques de l’imagerie populaire pour illustrer les événements de 1830. Tandis qu’il est fort justement représenté avec son handicap à la jambe droite, une chaîne brisée sur une borne symbolise son combat pour la liberté. La partie illustrée du bas-relief a été très travaillée par Servais Detilleux qui représente de façon elliptique des briques, maisons et pavés pour évoquer les combats de Bruxelles. En contre-bas, sur une surface plane, se détache le simple texte suivant :

J. J. CHARLIER
DIT « JAMBE DE BOIS »
1794 – 1866

Né au moment où l’ancienne principauté de Liège était sur le point d’être annexée à la France, soldat au service de Napoléon (1813), il a combattu en « Allemagne » et à Waterloo. Ce serait sur ce champ de bataille que le Liégeois aurait été blessé ; mal soignée, sa jambe se serait infectée alors qu’il était rentré à Liège et on dut l’amputer pour stopper la gangrène. À partir de 1818, il perçoit d’ailleurs une petite pension de l’État en raison de son handicap. Celui-ci ne l’empêche pas d’être parmi les premiers volontaires liégeois prêts à en découdre avec les « Hollandais » en 1830. Avec son canon surnommé « Willem », Charlier dit Jambe de Bois prend une part active aux journées décisives de la Révolution belge (23-27 septembre)

Homme de condition modeste, simple tisserand à l’origine, il incarne les volontaires liégeois qui, comme d’autres Wallons, sont venus faire la Révolution dans les rues de Bruxelles.

L’hommage est rendu à l’initiative de la « Société royale les R’Jettons des combattants di 1830 », comme l’atteste une plaque apposée sous le bas-relief :

STE RALE LES R’JETTONS DI 1830
PRESIDENT JULES VAN MULEN
COMITE D’HONNEUR MME F. DUPONT
MRS A.BUISSERET – C. LOHEST
ET MME VANNERUM
14 – 5 - 1939

Cette société a été constituée à Liège en 1901 et avait son local au 109 de la rue Pierreuse…
Quant à Servais Detilleux (Stembert 1874 - Bruxelles 1940), l’auteur du bas-relief,  il n’a pas croisé la route de Charlier Jambe de Bois, mais son enfance a dû être bercée par les exploits du « héros de 1830 » ; formé à l’Académie de Liège (1891-1896, 1899-1900), il fréquente aussi J. Portaels et Ch. Van der Stappen à Bruxelles. Surtout peintre et dessinateur, mais aussi sculpteur, il privilégiait les paysages, les scènes historiques, les vues de ville, tout en réalisant des nus et des portraits, notamment d’hommes politiques, voire de Léopold II.

Sources:

Bas-relief Charlier Jambe de Bois (Liège)

La Vie wallonne, septembre 1928, XCVII, p. 65
René HÉNOUMONT, Charlier dit la jambe de bois : le canonnier liégeois de 1830, Bruxelles, Legrain, 1983
Paul EMOND, Moi, Jean-Joseph Charlier dit Jambe de Bois, héros de la révolution belge, Bruxelles, 1994 (rideau de Bruxelles)
Les journées de septembre 1830, Mémoire de Jean-Joseph Charlier dit la jambe de bois, capitaine d’artillerie en retraite, Liège, 1967 (première édition en 1853)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 457

 

 
 

 

126 rue Pierreuse
4000 Liège

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Paul Delforge

Collection privée

Colonne de Sainte-Walburge

Dès les premières années de son existence, le jeune état belge tient, tout naturellement, à rendre hommage aux révolutionnaires de 1830 qui lui ont permis de se libérer du joug hollandais. Au fil du temps, et malgré l’instauration du 21 juillet comme fête officielle, les journées de septembre continuent d’être célébrées avec faste par la population. A Liège, leur point d’orgue en est le « pèlerinage » au monument aux morts de 1830 de Sainte-Walburge, situé à l’endroit où les volontaires liégeois ont arrêté les Hollandais, le 30 septembre 1830.
 

La Colonne de Sainte-Walburge © Collection privée

Dès la fin du XIXe siècle, les volontaires survivants et les militaires y côtoient les premiers militants wallons. Pour le jeune Mouvement wallon, les événements révolutionnaires symbolisent également la lutte pour la liberté et contre l’imposition du néerlandais en Wallonie, autant de thèmes se trouvant au centre de leurs revendications. En mai 1900, le décès de Walthère Ista, le dernier combattant liégeois de 1830, fait planer une menace sur l’avenir de l’événement. Commence alors le combat de la Ligue wallonne de Liège pour la pérennisation de cette organisation à haute valeur symbolique.

 

 

Affiche de la première Fête de Wallonie à Liège © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne - FHMW

En 1905, l’important Congrès wallon de Liège, évoque l’idée d’organiser  des fêtes purement wallonnes, sans pour autant se prononcer formellement à ce sujet. A leur sorite, les participants se rendent néanmoins à Sainte-Walburge, sous une pluie diluvienne. C’est en 1913, dans la foulée de l’adoption d’autres symboles identitaires comme le drapeau et l’hymne, que la Fête de Wallonie sera instaurée par l’Assemblée wallonne, premier parlement – officieux – du peuple wallon. Après une première organisation à Verviers, de nombreuses autres villes wallonnes tiennent leur première édition, la quatrième dimanche de septembre.

 

Après la Première Guerre mondiale, en 1923, le mouvement sera relancé depuis Namur, par François Bovesse, pour devenir la manifestation populaire que nous connaissons aujourd'hui.

A Liège, la colonne de Sainte-Walburge demeurera longtemps un haut-lieu de ces fêtes, comme en témoignent des dépôts de fleurs organisés le dernier dimanche de septembre pendant les deux conflits mondiaux, alors que les festivités avaient, bien évidemment, été suspendues.

 

Rue Sergent Merx 99

4000 Liège

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Lamaye Joseph

Culture, Chanson

Liège 04/02/1805, Liège 17/02/1884


À la suite du parisien Pierre-Jean de Béranger, la mode est à la chanson dans la première moitié du XIXe siècle. Et comme en général ce qui vient de Paris plaît en pays wallon, le genre fait des émules, à Liège notamment, où Joseph Lamaye en saisit tout l’intérêt politique (dès les années 1830). En ayant recours à la langue wallonne, il compose plusieurs chansons défendant ses idées politiques et philosophiques, en d’autres termes un fort anticléricalisme et un profond soutien au principe de liberté. Ses chansons sont aussi nombreuses qu’éphémères, sauf une, Li Bourgogne (1846), sorte de célébration épicurienne qui traversera les époques. En dépit de sa qualité, personne ne retiendra sa production « politique » en wallon, phénomène d’une époque. Quant aux quelques adaptations en wallon qu’il livre des fables de La Fontaine, elles ne rencontreront pas davantage de succès. Le genre est à la mode, mais Joseph Lamaye n’y brille pas. Au cœur du XIXe siècle, Joseph Lamaye apporte pourtant sa pierre à l’édifice d’un mouvement de renaissance des lettres wallonnes qui s’expriment de diverses façons aux quatre coins du pays wallon.

En 1856, Lamaye est parmi les fondateurs de la Société liégeoise de Littérature wallonne. Il y a une volonté manifeste, chez ce patriote de 1830, de cultiver l’amour de la langue wallonne au sein d’un jeune État dont il a combattu pour l’émergence et dont il continue à défendre le projet, à savoir une société libérale, progressiste et de langue française. Alors qu’il menait ses études en Droit à l’Université de Liège qu’avait créée Guillaume d’Orange en 1817, le jeune Lamaye participa aux Journées de Septembre 1830 et il semble s’y être distingué (blessé au bras durant les combats de Ste Walburge, fin septembre). Il signe alors plusieurs articles d’importance dans le Libéral liégeois

Docteur en Droit de l’Université de Liège (1834), avocat inscrit au Barreau de Liège, il devient conseiller à la Cour d’appel de Liège. Enfin, il accomplit toute sa carrière politique au sein du Conseil provincial de Liège. Élu conseiller provincial en 1848, il reste en fonction jusqu’en 1870. Vice-président (1860-1868), puis président de l’assemblée en 1868 et 1869, successeur de Charles de Rossius-Orban, il a été le 3e titulaire de cette fonction depuis 1836.

 

Sources

Victor CHAUVIN, Joseph Lamaye, dans Annuaire de la Société liégeoise de littérature wallonne, Liège, 1886, t. XI, p. 67-93
Daniel DROIXHE, Une Pasquèye istorique so tote li sinte botique. Le jubilé de 1846 à Liège selon Hasserz, chanteur de rues, http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/11530/1/HasserzBotique.pdf (s.v. décembre 2014)
Liste nominative de 1031 citoyens proposés pour la Croix de Fer par la Commission des récompenses honorifiques (p. 1-129) dans Bulletin officiel des lois et arrêtés royaux de Belgique, n°807, 1835, t. XI, p. 161-162
Daniel DROIXHE, Lettres de Liège. Littérature wallonne, histoire et politique (1630-1870), s.l., Le Cri – ARLLFB, 2012, p. 74-79
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 403
Albert MAQUET, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 466-467
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 69
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 157, 162-163, 203
Daniel DROIXHE, Un chansonnier anticlérical en dialecte liégeois : Joseph Lamaye (1805-1884), dans Actes du colloque Chansons en mémoire – Mémoire en Chanson. Hommage à Jérôme Bujeaud (1834-1880), Paris, L’Harmattan, 2009, p. 439-456
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 93-94

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Gaucet Joseph

Culture, Poésie

Liège 19/07/1811, Liège 16/11/1852


Celui qui deviendra poète et romancier n’a reçu que les élémentaires notions de calcul et d’orthographe quand il sort l’école primaire pour commencer à travailler. Employé chez un entrepreneur de fourrages en 1830, Joseph Gaucet compose des chansons patriotiques au moment de la Révolution de Septembre 1830 : Liégeoise, Jambe de bois, Douze Cuirassiers. Elles resteront longtemps populaires. Chef de bureau chez l’inspecteur des contributions directes, à Tongres, directeur d’une petite société d’auteurs dramatiques, il est à Liège, en 1834, commis de 3e classe aux accises, puis de la 2e classe, avant d’être mis en disponibilité à sa demande. Ses projets personnels échouent et, la santé minée, il broie du noir.

Le 20 mars 1832, son vaudeville, Louise ou l’amour à seize ans est créé au théâtre royal de Liège. Encore un échec ! Il s’essaie dans divers genres, notamment celui de la nouvelle, avec son recueil Nouvelles dramatiques, publié en 1839, ceux du roman avec Sœur et frère (1840) ou de la poésie, avec le recueil Fougères, sortir en 1842.
Il se met ensuite à écrire pour des musiciens. En 1847, il emporte une médaille d’or pour la composition d’un poème, Isoline ou les Chaperons blancs, destiné à être mis en musique par les lauréats des conservatoires belges. Il remporta encore une palme à l’Académie en 1849 pour sa cantate, Le songe du jeune Scipion. Il consacre ses derniers mois à la rédaction de Fables, dont il ne vit imprimer que le premier livre (20 fables), sorti en mai 1852 ; le deuxième livre parait après sa mort, vers la fin décembre 1852.


 

Sources

Alphonse LE ROY, dans Biographie nationale, t. 7, col. 498-502.
Joseph HANSE, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 380
 


Oeuvres principales

Louise ou l’amour à seize ans (1832)
Nouvelles dramatiques (1839)
Sœur et frère (1840)
Fougères (1841)
Isoline ou les Chaperons blancs (1847)
Le songe du jeune Scipion (1849)
Souvenir de cœur (1851)
Fables (1852)

CHARLIER dit la Jambe de Bois Jean-Joseph

Révolutions

Liège 04/04/1794, Liège 31/03/1866

Jean-Joseph Charlier, passé à la postérité sous le nom de Charlier dit la Jambe de Bois, apparaît comme un personnage à ce point mythique qu’on le dirait légendaire. Une importante littérature s’est emparée du personnage et lui a fait vivre des aventures parfois rocambolesques, de même que les artistes qui voulurent le représenter, les uns avec sa quille de bois à droite, les autres la plaçant à gauche… Or, cet homme de condition modeste a bien existé et celui qui était à l’origine un simple tisserand a bien participé aux Journées de Septembre 1830, incarnant les volontaires liégeois qui, comme d’autres Wallons, venaient faire la Révolution dans les rues de Bruxelles.

Né au moment où l’ancienne principauté de Liège était sur le point d’être annexée à la France, J-J. Charlier est incorporé comme soldat, en septembre 1813, dans le 69e Régiment d’infanterie au service de Napoléon. Avec certitude, on sait qu’il fait la campagne d’Allemagne ; le doute s’installe ensuite car on perd sa trace au printemps 1814 ; revient-il au pays, désertant l’armée française ou perd-il une jambe à Waterloo en 1815 ? L’hypothèse la plus vraisemblable est son départ de l’armée impériale un mois après la première abdication de Napoléon, son retour à Liège, sans blessure, avant de rejoindre ses compagnons d’armes durant la Campagne des 100 Jours. Ce serait sur le champ de bataille de Waterloo que le Liégeois aurait été blessé ; mal soignée, la jambe s’infecta alors qu’il était rentré à Liège et on dut l’amputer pour stopper la gangrène. À partir de 1818, il perçoit d’ailleurs une petite pension de l’État en raison de son handicap.

En septembre 1830, il est parmi les premiers volontaires liégeois prêts à en découdre avec les « Hollandais ». S’étant emparé de deux canons dans la « cité ardente », les volontaires se rendent à Bruxelles ; ils y arrivent début septembre ; durant les journées décisives (23-27 septembre), le Liégeois se distingue en maniant avec habileté « Willem », c’est le nom de son canon ; il finit par décourager les soldats orangistes au parc de Bruxelles. En guise de récompense, le gouvernement provisoire le nomme capitaine d’artillerie à la retraite (décembre 1830). Charlier dit la Jambe de Bois restera encore en service durant les premiers mois de l’indépendance, avant de s’en retourner à la vie civile et de reprendre son métier de tailleur. Décoré de la Croix de fer, médaillé de Sainte-Hélène, chevalier de l’ordre de Léopold, ce véritable « héros de 1830 » vivra encore longtemps dans son quartier de Sainte-Walburge, disparaissant à l’âge de 72 ans. En 1853, il publiera ses mémoires, y précisant notamment que c’était de la jambe droite qu’il était amputé, sans jamais préciser dans quelles circonstances il l’a perdue bien avant 1830.

Sources

La Vie wallonne, septembre 1928, XCVII, p. 65
René HENOUMONT, Charlier dit la jambe de bois : le canonnier liégeois de 1830, Bruxelles, Legrain, 1983
Paul EMOND, Moi, Jean-Joseph Charlier dit Jambe de Bois, héros de la révolution belge, Bruxelles, 1994 (rideau de Bruxelles)
Les journées de septembre 1830, Mémoire de Jean-Joseph Charlier dit la jambe de bois, capitaine d’artillerie en retraite, Liège, 1967 (première édition en 1853)

Au cœur des bouleversements politiques qui agitent l’Europe à la fin du XVIIIe siècle, le pays wallon voit se succéder les régimes jusqu’à la révolution de 1830. Au travers de nombreux documents, cette leçon relate l’éveil politique des habitants du territoire wallon entre l’Ancien Régime et la Première Guerre mondiale.

Lebeau Joseph

Politique, Révolutions

Huy 03/01/1794, Huy 19/03/1865

Né en principauté de Liège soumise aux Autrichiens, Joseph Lebeau n’a pas deux ans lorsqu’il devient Français avec l’annexion du département de l’Ourthe à la République. Ignorant sans doute les soubresauts de la période révolutionnaire à l’empire en passant par le consulat, Joseph Lebeau a vingt ans lorsqu’il se retrouve citoyen du Royaume-Uni des Pays-Bas. 

Jeune universitaire, diplômé en Droit de l’Université de Liège (1819), il se passionne pour la politique, attiré qu’il est par les idées libérales. À la même époque, il est membre de la Loge de Huy Les Amis de la Parfaite Intelligence. Avec Charles Rogier, notamment, il fonde un journal dont le premier titre, Mathieu Laensberg (1824), se transforme en Le Politique (1828). De sa formation d’adolescent par un oncle prêtre, il a probablement conservé une retenue dans sa critique libérale à l’égard des cléricaux. Prônant l’unionisme pour combattre les excès du pouvoir centralisateur du roi Guillaume d’Orange (Observations sur le pouvoir royal, 1830), Joseph Lebeau est un acteur décisif dans les événements de 1830 et 1831. Fin août 1830, il est l’un des trois délégués qui proposent à Guillaume d’Orange de recourir à une séparation administrative comme solution aux revendications portées par les provinces du sud. 

Au lendemain de l’agitation au Parc royal à Bruxelles, il est nommé avocat général à Liège et, en novembre, il est élu député au Congrès national, comme représentant de Huy. Il est aussi membre de la Commission chargée de rédiger le texte de la Constitution.

Dans le débat sur le nouveau statut à donner à la Belgique indépendante, il rejette l’idée d’une république, prône une monarchie constitutionnelle et ne figure pas parmi la majorité qui propose d’attribuer la couronne au fils du roi de France. Face au refus de Louis-Philippe, le gouvernement provisoire rend la main au Congrès national qui choisit Surlet de Chokier comme régent (24 février 1831). Après l’expérience désastreuse de l’exécutif de Gerlache, le régent choisit une nouvelle équipe ministérielle et confie à Joseph Lebeau les Affaires étrangères. En l’absence d’un premier ministre et dans la mesure où il est chargé de trouver un prince pour recevoir la couronne de Belgique et surtout de négocier le statut du nouvel État avec les grandes puissances de l’époque, Joseph Lebeau devient, tacitement, le chef d’un gouvernement et, du 28 mars au 24 juillet 1831, mène toutes les négociations, débats et tractations qui conduisent le prince de Saxe-Cobourg-Gotha sur le trône de Belgique. Ses talents oratoires arrachent l’accord de toutes les parties belges sur le Traité des XVIII articles. Une fois cette mission accomplie, Lebeau remet sa démission et reprend sa charge d’avocat général à Liège. Il est cependant rappelé d’urgence par Léopold Ier lorsqu’il faut faire officiellement appel à l’aide de la France pour repousser les troupes orangistes. Ministre sans portefeuille pendant quelques jours, Lebeau reprend ses fonctions à Liège une fois la situation pacifiée, mais il ne peut résister longtemps aux sollicitations qui lui sont faites.

Entre 1832 et 1834, il accepte d’occuper les fonctions de ministre de la Justice dans le Cabinet dirigé par Albert Goblet d’Alviella. Restant un député choisi par des électeurs censitaires, il accepte la fonction de gouverneur de la province de Namur, le temps qu’un statut soit définitivement attribué à ce niveau de pouvoir (septembre 1834-avril 1840). Nommé ministre plénipotentiaire de Belgique auprès de la Diète de Francfort (1839-1840), Joseph Lebeau comprend bien que cette promotion vise surtout à l’écarter de la politique belge. Mais le roi Léopold Ier n’oublie pas à qui il doit son premier contact avec la Belgique ; en 1840, il rappelle Lebeau et le charge de former le premier gouvernement libéral homogène. Ne disposant pas d’une majorité libérale au Sénat, le Cabinet Lebeau, deuxième du nom, est rapidement fragilisé et ne résiste pas plus d’une année (18 avril 1840-13 avril 1841).

Refusant toute nouvelle responsabilité ministérielle, Lebeau conserve son seul siège à la Chambre : représentant de Huy de 1831 à 1833, il se présente dans l’arrondissement de Bruxelles jusqu’en 1848, avant de revenir dans l’arrondissement de Huy (1848-1864). En 1857, il est nommé Ministre d’État.

Sources

La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. II, p. 12
Histoire de la Wallonie, (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 322, 326, 328
Els WITTE, La Construction de la Belgique. 1828-1847, Bruxelles, Complexe, 2005
Nicole CAULIER-MATHY, Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, dans Histoire quantitative et développement de la Belgique aux XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1996, 1ère série, t. VII, vol. 1, p. 471-478
Joseph Lebeau Recueil d’articles sur Joseph Lebeau 1794-1865, Huy, 1980
Joseph Lebeau. Commémoration du centième anniversaire de sa mort en 1865. Expositions de documents. Catalogue par R. Thielemans, Conservateur aux Archives générale du royaume, Bruxelles, 1965
F. DAXHELET, Joseph Lebeau, Bruxelles, 1945
A. FRESON, dans Biographie nationale, t. XI, 1890-1891, col. 503-517
Théodore JUSTE, Joseph Lebeau d’après des documents inédits, Bruxelles, 1865
Carlo BRONNE, Joseph Lebeau, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1944

Mandats politiques

Député du Congrès national (1830-1831)
Ministre, chef du Cabinet (1831)
Député (1831-1863)
Ministre (1832-1834)
Gouverneur de la province de Namur (1834-1838)
Ministre, chef du Cabinet (1840-1841)
Ministre d’État (1857)

© Peinture de Charles Soubre illustrant les événements de septembre 1830

Rogier Charles

Politique, Révolutions

Saint-Quentin 17/08/1800, Saint-Josse-ten-Noode 27/05/1885

Quand il peint les volontaires liégeois arrivant à Bruxelles en septembre 1830, ou sur les barricades, Charles Soubre représente significativement Charles Rogier à leur tête (tableaux de 1878, 1880). Jeune journaliste politique au Mathieu Laensbergh puis au Politique, journaux libéraux de tendance unioniste dont il est l’un des fondateurs, Charles Rogier n’imagine pas que quelques années plus tard il va occuper à plusieurs reprises le poste de premier ministre d’un nouveau pays, la Belgique, qu’il a contribué à faire émerger sur la carte des États européens. C’est pourtant le parcours de celui qui est né à Saint-Quentin, dans une famille d’origine hennuyère, et s’est retrouvé un peu par hasard à Liège, en 1814, orphelin de père, et avec une mère directrice d’un pensionnat. Ayant réussi un excellent parcours scolaire jusqu’en rhétorique, grâce aux bourses du gouvernement, le jeune Rogier doit se résoudre à exercer les fonctions de répétiteur de leçons puis de précepteur pour rassembler l’argent nécessaire à la poursuite de ses études. En 1826, il est docteur en Droit avec une dissertation qui porte sur le système électoral, mais n’a guère le temps de prester comme avocat : il se laisse convaincre par Joseph Lebeau et Paul Devaux de s’investir totalement dans un journal, le fameux Mathieu Laensbergh. Critique à l’égard du gouvernement, Rogier dénonce toute forme d’autoritarisme, réclame le rétablissement de leur autonomie aux États provinciaux et reproche les arrêtés de 1819 et de 1822 qui ont conduit à la suppression officielle du français dans toutes les parties de la Belgique où le flamand est généralement en usage.

Dès l’annonce des troubles à Bruxelles, fin août 1830, Rogier prend la tête d’un corps de volontaires improvisés, arbore les couleurs liégeoises et n’hésite pas à armer ses troupes : ils sont plusieurs dizaines à prendre la direction de Bruxelles. Arrivé au moment où le roi Guillaume annonce qu’il renonce à la séparation administrative des deux pays, Rogier organise l’opposition avec d’autres chefs de corps et mène quelques combats face à l’avant-garde orangiste. La mobilisation de la population bruxelloise fait fuir les Hollandais et assure le succès de la révolution. Faisant partie des tout premiers membres du « gouvernement provisoire » qui se met en place (24 septembre 1830-24 février 1831), le « ministre » Rogier remplit plusieurs missions de terrain pour rétablir l’ordre, avant d’être choisi comme l’un des 9 députés de Liège au Congrès national (novembre 1830-juillet 1831). Favorable à un régime républicain, il se laisse convaincre des avantages d’une monarchie constitutionnelle. Appelé comme aide de camp auprès de Surlet de Chokier (mars 1831-) il devient le bras droit du régent. Administrateur de la Sûreté pendant quelques semaines, il reste chargé de maintenir l’ordre, notamment auprès des officiers supérieurs déçus du refus du duc de Neumours et du rejet de l’option républicaine. 

Nommé gouverneur de la province d’Anvers par Joseph Lebeau (14 juin 1831), Rogier garde la mission du maintien de l’ordre durant les premiers mois agités du nouveau royaume, mais aussi de lui rallier la bourgeoisie locale. Bien qu’il fut « révolutionnaire, wallon, libéral non pratiquant, roturier sans fortune », ainsi qu’il l’écrit lui-même, il parvient à tisser un réseau de relations qui lui permettent d’être élu député libéral dans l’arrondissement de Turnhout (1831-1837), puis d’Anvers (1837-1840). En octobre 1832, Rogier se voit confier le délicat portefeuille de l’Intérieur. De son passage au gouvernement (jusqu’en juillet 1834) datent la révision de la loi sur la garde civique, la création des archives publiques et surtout le coup d’envoi d’un réseau national de chemin de fer (1834), complément indispensable à la Constitution libérale. Outre son implication dans 1830, c’est ce projet de chemin de fer qui est l’œuvre majeure de Charles Rogier. Initiateur des lois communale et provinciale qui seront votées par son successeur, attentif à la question sociale, partisan d’une participation active de l’État dans le développement économique, Rogier reçoit ensuite le ministère des Travaux publics, des Lettres et de l’Instruction publique (avril 1840-avril 1841), dans un gouvernement où l’on retrouve trois anciens du Mathieu Laensbergh !

Ayant quitté son poste de gouverneur pour celui de ministre, il se retrouve député à la chute du ministère. Réélu de justesse à Anvers en juin 1841, il se présente à la fois à Bruxelles et à Anvers en 1845 ; élu des deux côtés, il privilégie Anvers et est appelé à former un nouveau Cabinet en 1847, qui sera exclusivement libéral et durera cinq ans, jusqu’en août 1852. C’est de cette période que datent la création d’un Bureau spécial pour les affaires des Flandres (pour lutter contre la pauvreté), de deux Écoles normales supérieures, l’abaissement du cens électoral à son minimum, le renforcement de l’armée, un impôt sur les successions et surtout la première loi organique sur l’enseignement moyen (en 1850).

Au scrutin de 1854, il perd son mandat de député et sa carrière politique paraît finie. Désigné à la présidence du cercle artistique et littéraire de Bruxelles (1854), il reprend goût pour l’écriture, mais la politique est plus forte et les libéraux bruxellois lui offrent un retour à la Chambre (pour remplacer Charles de Brouckère démissionnaire) qui se transforme en un second Cabinet. En novembre 1857, en effet, Rogier prend la tête d’un gouvernement libéral homogène qui va durer dix ans (3 janvier 1868). Ce « Grand ministère libéral » est le plus long de l’histoire politique belge.

En charge de l’Intérieur (1857-1861), puis des Affaires étrangères (octobre 1861-1868), Rogier s’était dit favorable au principe de l’obligation en matière d’instruction. Il n’atteindra pas cet objectif, mais par d’importantes subventions, il permettra l’ouverture de nombreuses petites écoles primaires, ainsi que la création de l’Institut agronomique de Gembloux. L’État sera aussi généreux en matière de grands travaux, dont la fortification d’Anvers, considérée comme le cœur du système de la défense nationale. En désaccord avec Frère-Orban, fin 1867, et déçu de n’avoir pu réintégrer le grand-duché de Luxembourg dans les frontières belges, Ch. Rogier remet sa démission ; il ne sera plus jamais ministre, fonction qu’il exerça pendant près de vingt ans. Nommé Ministre d’État (1868), il devient par conséquent conseiller de Léopold II et reste député. Ayant quitté un arrondissement d’Anvers par trop exigeant pour ses seuls intérêts, Rogier s’est présenté en 1863 à Dinant et à Tournai. Si la ville mosane lui tourne le dos, la ville scaldéenne accordera régulièrement sa confiance au député libéral jusqu’à sa mort (1863-1885).
Chef de file de l’opposition libérale (1870-1878), il aura à porter la critique à l’égard du gouvernement catholique, mais aussi à veiller à éviter l’éclatement du parti libéral entre doctrinaires et progressistes. Après une brève présidence de la Chambre en 1878, quand les libéraux reviennent aux affaires, Rogier tente de s’éloigner de l’avant-scène, mais il est rappelé comme un héros durant toute l’année 1880, lors des fêtes organisées pour le 50e anniversaire de l’indépendance du pays.

Sources

Ernest DISCAILLES, dans Biographie nationale, tome XIX, 1907, col. 693-781
Théodore JUSTE, Charles Rogier, ancien membre du gouvernement provisoire et du congrès national, ministre d’Etat, Bruxelles, C. Muquardt, 1880
Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. II, p. 13
Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. IV, p. 287
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 327-333, 378

Mandats politiques

Ministre du « gouvernement provisoire » (24 septembre 1830-24 février 1831)
Député de Liège (novembre 1830-juillet 1831)
Gouverneur de la province d’Anvers (1832, 1834-1837)
Député de Turnhout (septembre 1831-1837)
Ministre de l’Intérieur (1832-1834)
Député d’Anvers (1837-1854)
Chef de Cabinet (1847-1852)
Député de Bruxelles (1856-1857)
Député d’Anvers (1857-1863)
Chef de Cabinet (1858-1868)
Député de Tournai (1863-1885)
Ministre d’État (1868)

La Révolution de 1830

La rébellion qui éclate dans les rues de Bruxelles en septembre 1830 n’est pas réprimée par les troupes hollandaises dont les effectifs sont considérablement amoindris par la désertion des miliciens originaires des provinces du sud. Les événements se transforment en révolution quand les « élites » prennent le contrôle du pouvoir en se distançant du roi Guillaume Ier des Pays-Bas. Cette sécession donne naissance à la Belgique, dont l’indépendance est proclamée sous l’autorité d’un gouvernement provisoire. Très rapidement, une Constitution est rédigée sur laquelle prête serment un prince de Saxe-Cobourg choisi pour devenir le roi du nouvel État avec l’assentiment des grandes puissances européennes, hormis les Pays-Bas.

Références
FH04-313 ; WTCm01 ; WTCm19 ; www_cm1830


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Origine des corps de volontaires de septembre 1830

La question de l’origine géographique des volontaires de 1830 fait débat depuis de longues années. Comme le montre la carte postale éditée par la Ligue wallonne de Charleroi en 1913, les Wallons qui vivaient au tournant des XIXe et XXe siècles étaient convaincus que leurs ancêtres étaient les fondateurs de la Belgique et, dans leur lecture de l’histoire, ils étaient persuadés de la participation déterminante des Wallons lors des événements de septembre 1830.
Au début des années 1980, cette conception est remise en question par les scientifiques qui acceptent les conclusions d’une étude menée par l’historien américain J.W. Rooney. Selon ce dernier qui dessine un profil du combattant de 1830 à partir de sources originales (quatre listes de près de 3.000 noms), il s’agirait avant tout d’une révolution d’ouvriers et de journaliers à majorité bruxelloise écrasante et dont la langue maternelle est le flamand. La participation des volontaires accourus des provinces wallonnes serait donc minime dans les combats de Bruxelles contre les troupes « hollandaises ». L’historiographie intègre prestement cette interprétation des événements.
En 2008, cependant, dans une biographie consacrée à Franz Foulon, l’historien J-P. Delhaye montre les limites de l’analyse de Rooney et invite à mener de nouvelles recherches. Par exemple, il incite à examiner tous les documents qui recensent les volontaires aux journées révolutionnaires et à réaliser un recomptage précis. Peut-être comprendra-t-on mieux, alors, pourquoi les citoyens des années 1890/1900 – dépourvus de toute étude historique et statistique – étaient persuadés du caractère « wallon » de la Révolution de 1830.

Références
DELH_Foul ; RooJW


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)