Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Ernest et Alfred SOLVAY

Monument à la mémoire d’Ernest et Alfred Solvay, réalisé par Victor Rousseau, 15 septembre 1938.

Rebecq est le berceau de la famille Solvay. Au début du XIXe siècle, Alexandre y est maître de carrières avant de se lancer comme raffineur de sel. C’est là que naissent et grandissent ses deux fils, Ernest (1838-1922) et Alfred (1840-1894) avant de se lancer ensemble dans une aventure industrielle exceptionnelle. Par conséquent, alors que Couillet (1895), La Hulpe (1924) et Bruxelles (1932) avaient déjà rendu hommage par l’érection d’un monument dans l’espace public, il est apparu évident aux autorités locales de Rebecq qu’il en soit de même au cœur de leur entité. Le monument dédié aux deux frères est confié au célèbre sculpteur Victor Rousseau (1865-1954) dont ce n’est évidemment pas la première réalisation.

L’artiste est alors au sommet de son art. Prix Godecharle 1890, Grand Prix de Rome 1911, Grand Prix des arts plastiques 1931, Prix des amis du Hainaut 1935, il ne donne plus le cours de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919) qu’il a dirigée deux fois, entre 1919 et 1922, puis entre 1931 et 1935, et il ne cesse de répondre à des commandes, comme celles de bustes d’industriels, les Solvay en 1938, Auguste Lannoye en 1939. Représentant actif de l’art wallon dont on cherche à cerner la définition tout au long des premières années du XXe siècle, le « Grand » Victor Rousseau a derrière lui une œuvre considérable, « sculptée » sur de nombreux chantiers et par de multiples commandes officielles ou œuvres personnelles : chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles dans les années 1880, décoration du Pont de Fragnée à Liège, cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie), Memorial in Gratitude à Londres. C’est ce « sculpteur d’âmes », originaire de Feluy, qui fige Ernest et Alfred Solvay dans le marbre pour l’éternité, dans un monument installé au cœur de Rebecq-Rognon, localité dont un des neveux du père Alexandre Solvay fut bourgmestre de 1867 à 1876 et que dirigeait Eugène Solvay, un cousin des deux industriels, au moment de l’inauguration en septembre 1938, quelques semaines avant une échéance électorale.

Esprit curieux, « apprenti-directeur » dans l’usine à gaz de son oncle, Ernest Solvay a dû multiplier les expériences, dans sa jeunesse, avant de parvenir à obtenir du carbonate de soude. Conscient de l’importance de sa découverte, il a déposé un premier brevet (1861), avant de se lancer dans la mise en route du processus de la fabrication industrielle du carbonate sodique à l’ammoniaque, dans sa première usine à Couillet (1863). En 1888, le groupe Solvay atteint une production annuelle de 350.000 tonnes et en 1900, ce géant de l’industrie chimique fournit 95% de la production mondiale... Inventeur, chercheur, patron d’industrie, Solvay est aussi préoccupé par les conditions de travail de ses ouvriers et introduit très tôt des mesures sociales hardies (caisse de retraite, limitation du temps de travail,  congés payés, etc.). On connaît aussi son rôle durant la Grande Guerre, en tant que fondateur du Comité national de secours et d’alimentation. Sénateur libéral à deux reprises (1893-1894, 1897-1900), Ernest Solvay est nommé Ministre d’État au lendemain de l’Armistice. Dans l’ombre de son frère, Alfred avait contribué au démarrage de l’activité industrielle, dans les années 1860, notamment à la construction de l’usine de Couillet dont il était devenu le directeur-gérant ; par la suite, il participe aussi à l’extension des activités de la société Solvay et Cie qui compte déjà une vingtaine d’usines au milieu des années 1880, en Europe et aux États-Unis. Conseiller communal libéral de Couillet et conseiller provincial du Hainaut, il devait décéder à Nice d’une congestion pulmonaire.

Les deux frères sont subtilement associés par Victor Rousseau dans le bronze qui occupe la position centrale d’un imposant portique-fontaine construit en blocs de pierre. Les deux industriels sont représentés de profil, l’un dans le prolongement de l’autre. Au-dessus du médaillon, la mention suivante est gravée dans la pierre :


AUX FONDATEURS DE L’INDUSTRIE
DE LA SOUDE À L’AMMONIAQUE


Sous le bas-relief, les autorités communales s’identifient en association le personnel de l’usine Solvay :


TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
DES COMMANDITAIRES ET DU PERSONNEL
DE LA SOCIÉTÉ SOLVAY & CIE


À gauche et à droite du portique, de part et d’autre du bronze, des plaques gravées précisent l’identité des deux industriels :


ALFRED SOLVAY                                    ERNEST SOLVAY
NE A REBECQ                                        NE A REBECQ
LE 1-7-1840                                             LE 16-4-1838
DECEDE A NICE                                     DECEDE A IXELLES
LE 23-1-1894                                           LE 26-5-1922

                                                              
SEPTEMBRE 1938  

 

Sources

Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 165-179
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 382

Place communale 
1430 Rebecq

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Amand MAIRAUX

Statue à la mémoire d’Amand Mairaux, réalisée par Victor Rousseau, 30 août 1890.
 
Considéré comme le fondateur de La Louvière, Amand Mairiaux (1817-1869) a été statufié dans l’espace public dès la fin du XIXe siècle. Dans ce siècle particulièrement dynamique et prospère que connaît la Wallonie, la petite commune de Saint-Vaast n’échappe pas au phénomène de transformation qu’impose le développement des industries et des moyens de communication. Située à proximité du canal Charleroi-Bruxelles et de la ligne ferroviaire Mons-Manage, Saint-Vaast accueille tant de nouveaux ateliers que sa population explose. Ainsi, en vingt ans, ils sont six fois plus nombreux à s’être installés dans le petit hameau de La Louvière qui fait partie de la localité dirigée, depuis 1854, par Amand Mairaux. Et dans cette localité, il est très tôt question de séparation administrative.

Pour faire face à l’afflux d’habitants et à ses conséquences, le bourgmestre a élaboré avec son collège un projet visant à développer le quartier jusqu’alors négligé de La Louvière. Par son mariage avec une fille de Nicolas Thiriar, Mairaux y possède des biens fonciers. Ce conflit d’intérêt, les opposants au déplacement du centre de gravité de Saint-Vaast vers La Louvière le dénoncent. Dans les quartiers de Baume et du vieux Saint-Vaast, on considère que les investissements déjà réalisés (une église a été construite et deux classes d’école ouvertes) suffisent et l’on s’oppose vivement au plan d’agrandissement défendu par Amand Mairaux et ses partisans. Entre les partisans du maintien de l’unité de Saint-Vaast et ceux qui prônent l’autonomie et la séparation administrative, l’opposition locale est particulièrement vive. C’est le parti de Mairaux qui s’impose quand un arrêté royal valide en 1866 le plan d’aménagement de La Louvière : de nouvelles rues sont tracées, de nouvelles infrastructures sont construites (église, école, maison communale) et une structuration de l’espace est imposée.

Quant à la scission de l’entité communale, elle est débattue et approuvée par le Conseil provincial du Hainaut en 1867, puis par le Sénat le 10 avril 1869. Dès le mois d’août, La Louvière dispose du statut de commune autonome. Amand Mairaux n’est cependant plus là pour assister à l’événement. Homme d’affaires, défenseur des idées et du programme du Parti libéral, il était décédé en février 1869.

C’est donc à « son bienfaiteur » que La Louvière rend hommage en août 1890, en inaugurant une imposante statue réalisée par le sculpteur Victor Rousseau (1865-1954). L’artiste est alors tout jeune. Il n’est pas encore professeur de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919), ni directeur de la dite Académie (1919-1922, 1931-1935). À ce moment, il n’a pas encore reçu le Grand Prix de Rome 1911, ni le Grand Prix des arts plastiques (1931), ni celui des amis du Hainaut 1935. Il n’a pas encore travaillé à la décoration du Pont de Fragnée à Liège, ni dans la cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie), ni à la réalisation du Memorial in Gratitude à Londres. Victor Rousseau n’est pas encore le représentant actif de l’art wallon dont on cherche à cerner la définition tout au long des premières années du XXe siècle. Il n’est pas encore le « Grand » Victor Rousseau, mais sa participation au chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles (dans les années 1880) l’a poussé à suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et, en 1890, le prix Godecharle distingue ce jeune talent promis à un bel avenir. C’est ce « sculpteur d’âmes », originaire de Feluy, qui fige Mairaux dans le bronze pour l’éternité.

Représentant Mairaux debout, tête nue et en redingote, il tient son bras gauche le long du corps avec la main ouverte pointée vers le sol, tandis que la main droite tient le plan d’aménagement du quartier du centre de 1866. La statue en bronze fait 3 mètres de haut et est posée sur un socle en pierre qui fut d’abord installé sur la place communale. De nombreux travaux d’aménagement de La Louvière ont conduit le monument au bas du boulevard Mairaux, avant d’être (définitivement) installé dans le haut de la même avenue.
Le monument ne met en évidence que l’action politique locale. 

Particulièrement explicites, les inscriptions mentionnées sur le socle identifient clairement le personnage et les intentions de ceux qui  ont pris l’initiative de lui élever une statue. De face, on peut lire :

« Amand Mairaux
bourgmestre de Saint-Vaast – La Louvière
1854-1869 »
Du côté gauche : 
« Né à Frasnes-lez-Couvin le 28 janvier 1817
décédé à Soignies siégeant au conseil de milice le 26 février 1869 »
À l’arrière : 
« Inauguré le 30 août 1890 »
Du côté droit
« Au fondateur de La Louvière les habitants reconnaissants ».

 

Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 434
http://lalouviere-ville.skyrock.com/425448810-Amand-Mairaux.html 
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539

Place Maugrétout 
7100 La Louvière

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Buste Auguste LANNOYE

Buste  à la mémoire d’Auguste Lannoye, réalisé par Victor Rousseau,vraisemblablement en août 1945.
 
Jusqu’en 2012, le long de l’avenue Auguste Lannoye, à l’entrée des bâtiments industriels de la papeterie, un buste rappelait que l’initiateur des activités du lieu était le même Auguste Lannoye qui avait donné son nom à l’avenue. Après des décennies de prospérité, la papeterie a fini par fermer ses portes et le site délaissé fait l’objet d’un important projet d’assainissement et de transformation, étant considéré comme site à réhabiliter par la Région wallonne (SAR). Dès l’été 2012, le processus de démolition des bâtiments industriels a été entamé et, au printemps 2015, il ne restait aucune trace des activités du passé. Avant les importants travaux, le buste d’Auguste Lannoye a quitté l’espace public wallon pour être mis à l’abri par l’entrepreneur, en attendant la fin du chantier.

C’est à Genval, initialement, qu’Auguste Lannoye (1874-1938), nanti d’un diplôme d’ingénieur civil, avait créé sa propre fabrique de papier. En inventant un système de broyeur de vieux papiers, « le triturateur Lannoye » (1907), il obtient très vite d’excellents résultats ; en 1911, est constituée la SA Papeteries de Genval et un second site est ouvert à Mont-Saint-Guibert. Il restera spécialisé dans la papeterie tandis que, dans l’Entre-deux-Guerres, la maison de Genval perfectionnera un brevet anglais et mettra sur le marché un produit révolutionnaire, le « Balatum », destiné à concurrencer le linoléum. Bourgmestre catholique de Genval (1926-1938), Auguste Lannoye soutiendra aussi l’initiative de son fils aîné, Jean, quand celui-ci transforme un journal catholique local, L’ouvrier, en un hebdomadaire paroissial, Dimanche, qui va tirer à plus de 100.000 exemplaires avant 1940. Après avoir assuré la prospérité de la région et lui avoir apporté des centaines d’emplois, la papeterie a fermé ses portes en 1980. L’important site laissera place à un ensemble de bâtiments commerciaux, à la suite d’une profonde reconversion industrielle qui ne laissera guère de traces de la période ancienne, hormis le buste de Lannoye, réalisé par Victor Rousseau, en 1939. L’initiative en revient au personnel et au Conseil d'administration de la papeterie. C’est par conséquent une double commande qu’exécute Victor Rousseau, puisqu’un autre buste de Lannoye, de facture différente, est installé aussi à Genval. Il est permis de supposer que l’inauguration a été réalisée en même temps, c’est-à-dire en août 1945.

En se tournant vers Victor Rousseau, les initiateurs du projet choisissent l’un des portraitistes les plus renommés du moment. L’artiste est alors au sommet de son art. Prix Godecharle 1890, Grand Prix de Rome 1911, Grand Prix des arts plastiques 1931, Prix des amis du Hainaut 1935, le sculpteur Victor Rousseau (1865-1954) ne donne plus le cours de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919) qu’il a dirigée deux fois, entre 1919 et 1922, puis entre 1931 et 1935. Représentant actif de l’art wallon dont on cherche à cerner la définition tout au long des premières années du XXe siècle, le « Grand » Victor Rousseau a derrière lui une œuvre considérable, « sculptée » sur de nombreux chantiers et composée de multiples commandes officielles ou œuvres personnelles : chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles dans les années 1880, décoration du Pont de Fragnée à Liège, cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie), Memorial in Gratitude à Londres. C’est ce « sculpteur d’âmes », originaire de Feluy, qui fige Auguste Lannoye dans le bronze pour l’éternité (la fonte a été effectuée par la Compagnie des Bronzes, à Bruxelles) dès 1939. 

Sources 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (dont supplément Eco-Soir, 23 septembre 1994)
Renseignement communiqué par Mme Pinson, membre de l’echarp.bw (mai 2015), et par M. J-L. Son (novembre 2015).
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 416-417
François DE TROYER, Les papeteries de Genval, dans Les feuillets historiques, n° 10, Rixensart, 1998
Luc LANNOYE, Regards sur le passé. Auguste et Marie Lannoye-Stévenart, s.l.n.d., p. 61
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435, 441
Éric MEUWISSEN, Auguste Lannoye, dans Nouvelle Biographie nationale, t. X, p. 256-258
Éric MEUWISSEN, Auguste Lannoye, dans Valmy FÉAUX (dir.), 100 Brabançons wallons au XXe siècle, Wavre, 1999, p. 120
Éric MEUWISSEN (texte) et Guy FOCANT (photos), Ces rivières qui ont façonné le Brabant wallon. Le patrimoine du roman pays de Brabant au fil de l’eau, Namur, IPW, 2013, p. 125
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 382

Avenue Auguste Lannoye 13
1435 Mont-saint-Guibert

carte

Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Auguste LANNOYE

Monument Auguste Lannoye, réalisé par Victor Rousseau, 4 août 1945.

Au croisement des rues de Rixensart et Auguste Lannoye, à Genval, sur la place des Trois Tilleuls, une statue en bronze perpétue le souvenir d’un industriel qui modela le développement de l’entité. Self-made-man, Auguste Lannoye (1874-1938) – avec son diplôme d’ingénieur de l’Université catholique de Louvain en poche – crée, en 1904, sa propre fabrique de papier à Genval, à proximité de la gare. Par un appareillage de son invention : « le triturateur Lannoye » (1907), il lui donne un essor considérable. En 1911, la SA Papeteries de Genval connaît un tel succès qu’un deuxième site est ouvert à Mont-Saint-Guibert. Mais c’est après la Première Guerre mondiale que la société jusque-là spécialisée dans l’impression de papiers peints se lance dans une nouvelle production. 

À partir d’un brevet anglais perfectionné par la maison de Genval, un produit révolutionnaire, le « Balatum », est mis sur le marché pour concurrencer le linoléum. Certes, les débuts sont difficiles, mais finalement Lannoye parvient à diffuser son produit à l’échelle européenne, accroissant le site de production de Genval (en dépit d’un important incendie en 1936) et construisant des usines à l’étranger. 

Patron offrant de nombreux emplois, Lannoye exerce une indiscutable influence sur Genval dont il devient le bourgmestre de 1926 à 1938. Ne faisant aucun mystère de son engagement catholique (des crucifix pendent aux murs de ses usines), le maïeur fait notamment construire une école (Saint-Augustin), quelques maisons ouvrières et une église au style si particulier (Saint-Pierre), tandis que l’industriel subsidie des institutions chrétiennes et instaure un système propre « d’allocations familiales ». Par ailleurs, il soutient l’initiative de son fils aîné, Jean, lorsqu’il transforme un journal catholique local, L’ouvrier, en un hebdomadaire paroissial, Dimanche, qui va tirer à plus de 100.000 exemplaires avant 1940. 

À son décès, en 1938, il est immédiatement décidé d’honorer sa mémoire d’un monument dont la réalisation est confiée au renommé Victor Rousseau. Prévue initialement en 1939 (le buste porte d’ailleurs cette date), l’inauguration devra être reportée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est par conséquent une double commande qu’exécute Victor Rousseau, puisqu’un autre buste de Lannoye, de facture différente, est installé aussi à Mont-saint-Guibert.
 

Monument Auguste Lannoye

Reposant sur un large socle rectangulaire en calcaire bouchardé, le buste de Genval représente Lannoye à mi-corps, le bras gauche replié, et la main s’appuyant à hauteur de ceinture.

AUGUSTE LANNOYE
1874 – 1938
CREATEUR DES PAPETERIES DE GENVAL

Ce n’est évidemment pas le premier buste que réalise le sculpteur Victor Rousseau (1865-1954). L’artiste est alors au sommet de son art. Prix Godecharle 1890, Grand Prix de Rome 1911, Grand Prix des arts plastiques 1931,  Prix des amis du Hainaut 1935, il ne donne plus le cours de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919) qu’il a dirigée deux fois, entre 1919 et 1922, puis entre 1931 et 1935. Représentant actif de l’art wallon dont on cherche à cerner la définition tout au long des premières années du XXe siècle, le « Grand » Victor Rousseau a derrière lui une œuvre considérable, « sculptée » sur de nombreux chantiers et par de multiples commandes officielles ou œuvres personnelles : chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles dans les années 1880, décoration du Pont de Fragnée à Liège, cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie), Memorial in Gratitude à Londres. C’est ce « sculpteur d’âmes », originaire de Feluy, qui fige Auguste Lannoye dans le bronze pour l’éternité (la fonte a été effectuée par la Compagnie des Bronzes, à Bruxelles) dès 1939. 

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (dont supplément
Eco-Soir, 23 septembre 1994)
Renseignement communiqué par Mme Pinson, membre de l’echarp.bw (mai 2015)
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 416-417
François DE TROYER, Les papeteries de Genval, dans Les feuillets historiques, n° 10, Rixensart, 1998
Luc LANNOYE, Regards sur le passé. Auguste et Marie Lannoye-Stévenart, s.l.n.d., p. 61
Éric MEUWISSEN, Auguste Lannoye, dans Nouvelle Biographie nationale, t. X, p. 256-258
Éric MEUWISSEN, Auguste Lannoye, dans Valmy FÉAUX (dir.), 100 Brabançons wallons au XXe siècle, Wavre, 1999, p. 120
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435, 441
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 382
 

Place des Trois Tilleuls
1332 Genval

carte

Paul Delforge

Rousseau Victor

Culture, Sculpture

Feluy 15/12/1865, Forest 17/03/1954


Quand les œuvres de Victor Rousseau commencent à être connues, le débat sur l’existence et les caractéristiques d’un art wallon bat son plein. Très vite, ceux qui théorisent l’art wallon voient en Rousseau le représentant par excellence de leur définition. Révélatrices du tempérament wallon, les œuvres de Rousseau s’imposent à la fois par leur beauté formelle, par leur sentimentalité et par la suggestion cérébrale qu’elles induisent, par cette intellectualité dans la simplicité qui serait l’une des caractéristiques de l’art wallon. Dans sa Lettre au roi, l’esthète Jules Destrée observe une filiation « saisissante » entre Jacques Du Broeucq et Victor Rousseau. Assumant tous les éloges, Victor Rousseau acceptera volontiers d’être célébré comme « sculpteur wallon ». Tous les honneurs dont il fut couvert ne lui faisaient pas oublier ses tout débuts.

Séduit par la musique, celle de Wagner puis de Beethoven, Victor Rousseau faillit s’y consacrer entièrement ; touchant à la poésie, ce fils de carriers apprend pourtant ce métier difficile dès son plus jeune âge. À une époque où l’école obligatoire et gratuite n’est encore qu’une revendication, il est apprenti (1875), avant d’être plongé sur le chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles ; sous les ordres du sculpteur français Georges Houstont, l’ouvrier qu’il est alors taille les corniches du nouveau bâtiment conçu par Joseph Poelaert. La précision du métier lui plaît et il décide de suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. En 1890, le prix Godecharle distingue un artiste promis à un bel avenir. Il lui permet surtout de supporter financièrement un séjour de deux ans à Paris (où il est frappé par les œuvres de Rodin, mais surtout par l’art nouveau) et un voyage à Londres où il retient, au British Museum, la perfection des formes classiques de l’art grec, avant de découvrir, en Italie, les chefs-d’œuvre de la Renaissance. Se forgeant sa propre esthétique, Victor Rousseau va construire une œuvre originale et totalement en marge de l’esprit de son temps. À côté de Constantin Meunier et de Léon Mignon, représentants du réel, Victor Rousseau se fait « sculpteur d’âmes ».

Professeur de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919), directeur de la dite Académie (1919-1922, 1931-1935), il expose ses œuvres à l’Exposition de Charleroi en 1911. Grand Prix de Rome 1911, Grand Prix des arts plastiques (1931) et Prix des amis du Hainaut 1935, il se laisse voir dans les naïades et tritons qui ornent, depuis 1905, le Pont de Fragnée à Liège, dans les anges du monument destiné à César Franck (exposition de Bruxelles, 1925), dans la cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie). Réfugié en Angleterre entre 1914 et 1919, il y réalise le Memorial in Gratitude à Londres. Si on voyage plus loin, le christ en croix de la cathédrale d’Oviedo retient le regard ; on trouve aussi de nombreux « Victor Rousseau » de formats beaucoup plus petits, en bronze, en plâtre, en terre cuite, ou sur des dessins au fusain et en aquarelles. Eugène Ysaye et Fernand Severin ont eu droit à leur buste.
 

Sources

Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 568
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 570-572 ; t. III, p. 357 ; t. IV, p. 232
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539