G. Focant - SPW

Villa "L'Aube" de Gustave Serrurier-Bovy

Construite en 1903 sur les hauteurs de Cointe, la villa « L’Aube » constitue un des rares témoins de la production de l’architecte Gustave Serrurier-Bovy, plus connu pour son mobilier et ses aménagements intérieurs. Cette habitation personnelle constitue le manifeste artistique de Serrurier-Bovy qui rompt avec les villas « anglaises » alors à la mode et dessine un volume homogène sous une toiture en bâtière à larges débordements, ouvert sur le jardin. Les percements variés reflètent la disposition intérieure des pièces et seuls se détachent un auvent, la véranda de la salle à manger, la terrasse couverte ou la loggia du bureau. 

L’Aube, qui donne son nom à l’habitation, est représentée sur la façade ouest dans une mosaïque exécutée d’après un carton d’Auguste Donnay. Elle constitue le seul élément qui ne porte pas directement la signature de Serrurier-Bovy, au cœur de ce qu’il faut comprendre comme une œuvre d’art total. L’aménagement intérieur est pensé dans tous les détails d’une décoration faite entre autres de vitraux figuratifs ou géométriques, de bandeaux de brique vernissée ou de mosaïques géométriques de sol. 

Le mobilier dessiné par le premier propriétaire de l’Aube porte enfin la trace du goût de son concepteur pour les lignes simples et la géométrisation des formes, dispositions qui annoncent à leur manière l’Art déco.

Avenue de Cointe 2 
4000 Liège

carte

Classée comme monument (avec zone de protection) le 12 décembre 2001
Patrimoine exceptionnel de Wallonie

Institut du Patrimoine wallon

Serrurier-Bovy Gustave

Culture, Architecture

Liège 27/07/1858, Anvers 19/11/1910


Architecte et industriel, facteur de meubles et décorateur, Gustave Serrurier-Bovy est certainement le plus représentant wallon le plus significatif de l’Art Nouveau. Penseur, il est un fervent défenseur de l’idée d’un art pour tous.

Fils d’un entrepreneur également architecte, formé à l’architecture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, sa ville natale, Gustave Serrurier épouse, en 1884, Marie Bovy, une commerçante. Dans un premier temps, il s’implique dans l’entreprise de son épouse – un commerce qui importe notamment des objets d’Extrême Orient – et offre à la clientèle des meubles, des objets et de la décoration provenant de Grande-Bretagne. Dix ans plus tard, de simple diffuseur, Gustave Serrurier se fait créateur et devient lui-même facteur de meubles, après un séjour en Grande-Bretagne où il est en contact avec l’esthétique du mouvement Arts and Crafts, qui donnera l’Art nouveau (le Modern Style en anglais).

En 1894, il présente un cabinet de travail au Salon de la Libre Esthétique de Bruxelles, une chambre d’artisan au mobilier de chêne simple et robuste, l’année suivante. Ses pièces, particulièrement originales, sont appréciées ; son entreprise prend rapidement de l’ampleur, l’amenant à implanter des succursales à Liège, Bruxelles, La Haye, Paris, Nice, etc. Dans le cadre de l’Exposition universelle de 1900, à Paris, en collaboration avec l’architecte René Dulong, Serrurier réalise un restaurant, le Pavillon bleu, au décor exubérant, fait de courbes, très Art nouveau. S’ensuit une longue collaboration entre les deux hommes sous la forme de la société Serrurier et Cie. En 1902, Serrurier dépose les plans d’une villa familiale, L’Aube, à bâtir sur les hauteurs de Cointe à Liège, témoin de sa réussite professionnelle, mais aussi de ses formidables qualités d’architecte. « [Elle] résume toutes ses aspirations : elle est le reflet de ses théories esthétiques, une vitrine pour sa firme et surtout le home confortable – le foyer – où l’on est heureux de vivre en famille et de se retrouver entre amis ». C’est également à ce moment qu’il entame la période de ses plus belles réalisations, explorant l’Art nouveau.

Sa nouvelle société, fondée en 1903, lui permet de s’affirmer comme industriel, fournissant de l’ameublement pour les maisons ouvrières, construites à l’occasion de l’exposition de Liège, en 1905. Serrurier est avant tout un penseur idéaliste. Proche du Parti ouvrier belge et de ses figures de proue, Jules Destrée et Emile Vandervelde, il partage fréquemment ses conceptions sociales de l’architecture et défend l’idée d’un art pour tous, rendue possible par la mécanisation et la production industrialisée : « On érige en vérité cette idée fausse que les modestes, les simples ne peuvent […] posséder la jouissance artistique et que toute aspiration esthétique leur est impossible sinon interdite. Ainsi est exclue de la vie intellectuelle une classe de gens, et combien nombreuse, qui va de l’ouvrier au bourgeois aisé. C’est à cette catégorie de travailleurs, que j’appelle artisans faute d’un vocable plus précis, que je voudrais montrer que l’art n’est nullement au service de la richesse seulement. […] Il faut que la grande masse participe à la vie artistique » (1895). 

C’est à l’exposition de Bruxelles de 1910 que Gustave Serrurier-Bovy montre ce que seront ses dernières créations. Celles-ci témoignent d’une nouvelle esthétique, plus simple, plus géométrique – loin des courbes des œuvres antérieures –, premier signe de l’évolution qui s’opérera dès avant la Première Guerre mondiale et culminera dans les années 1920. Reprise par sa femme et sa fille, après son décès survenu brutalement en 1910, son entreprise lui survit jusqu’en 1921.

 

Sources


Jacques-Grégoire WATELET, L’œuvre d’une vie Gustave Serrurier-Bovy, architecte et décorateur liégeois 1858-1910, Liège, éd. Perron, 2000
Jacques-Grégoire WATELET, photographies de Christine BASTIN et Jacques EVRARD, Serrurier-Bovy : de l’Art Nouveau à l’Art Déco, Alleur, éd. du Perron, 1990
« Gustave Serrurier-Bovy (1858-1910) - Acteur du futur », Exposition du MAMAC, 27 septembre 2008-18 janvier 2009, Liège, Les Musées de Liège, 2008, dans le cadre de la biennale Design Liège 2008
Xavier FOLVILLE, Gustave Serrurier-Bovy, architecte, commerçant et industriel,  http://www.artnouveau-net.eu/portals/0/colloquia/Milano_Xavier_Folville_29032012.pdf
http://www.senses-artnouveau.com/biography.php?artist=SER&Lng=FRE
Roger-Henri GUERRAND, Encyclopædia Universalis [en ligne], http://www.universalis.fr/encyclopedie/gustave-serrurier-bovy (s.v. décembre 2014)

Destrée Jules

Militantisme wallon, Politique

Marcinelle 21/08/1863, Bruxelles 02/01/1936

Considéré comme l’éveilleur de la conscience wallonne en raison notamment de La Lettre au roi sur la séparation administrative de la Wallonie et de la Flandre et de sa présidence de l’Assemblée wallonne (1912), Jules Destrée fut aussi l’un des tout premiers socialistes élus au Parlement (1894) et désignés comme ministre (1919).

Docteur en Droit de l’Université libre de Bruxelles (1883), stagiaire chez Edmond Picard, Jules Destrée fréquente les écrivains de la Jeune Belgique, ainsi que des peintres et sculpteurs (1885-1886), mais ce sont les événements de 1886 qui orientent à tout jamais la vie de l’esthète bourgeois. Touchant l’ensemble du bassin industriel wallon, les émeutes de la misère ouvrière sont réprimées avec violence et le jeune avocat est appelé à défendre l’un des syndicalistes de l’Union ouvrière ; sans succès. Par contre, il fait acquitter les suspects du pseudo « Grand Complot », traînés devant les Assises (1889). Il franchit un pas supplémentaire en s’engageant sur le terrain politique. 

Soutenant les ouvriers en lutte pour le suffrage universel, il crée la Fédération démocratique de Charleroi en 1892 et, en 1894, à l’occasion des premières élections législatives au suffrage universel masculin tempéré par le vote plural, il figure parmi les 28 premiers parlementaires du POB, tous élus en Wallonie. Les électeurs de l’arrondissement de Charleroi lui feront régulièrement confiance jusqu’à son décès, en 1936. Auteur avec Émile Vandervelde – qu’il a connu à l’ULB – de l’ouvrage Le Socialisme en Belgique (1898), Jules Destrée s’affirme comme l’un des ténors du socialisme wallon, défenseur du suffrage universel, d’une législation sociale et de l’instruction obligatoire. Ses interventions parlementaires sont unanimement saluées. Son souci de lutter contre l’injustice l’amène à prendre position en faveur de l’égalité entre Flamands et Wallons.

L’affirmation du sentiment wallon chez Destrée apparaît comme une réponse à une dynamique belge et flamande, injuste et oppressante pour les Wallons. Il répétera de façon constante et incessante son souci de voir la Belgique se maintenir malgré l’originalité de ses composantes, mais il affirme son identité wallonne et son appartenance à la civilisation française. Faire prendre conscience d’elle-même à la Wallonie, s’appuyer sur la France et sa culture, rendre l’autonomie aux communes et aux provinces sont ses objectifs lorsqu’il accepte de patronner les manifestations culturelles et artistiques de l’Exposition de Charleroi (1911), lorsqu’il fonde et préside la Société des Amis de l’art wallon (1911-1936), et lorsqu’il écrit la Lettre au Roi (15 août 1912). Quand est créée l’Assemblée wallonne (1912), premier Parlement informel de la Wallonie, Jules Destrée est désigné à sa tête comme secrétaire général (1912-1914, 1919) : son objectif est d’étudier la meilleure formule de décentralisation, voire de fédéralisation de la Belgique afin de défendre les intérêts wallons.

Durant la Grande Guerre, chargé de mission par le gouvernement belge en exil, le socialiste contribue au ralliement de l’Italie dans le camp des alliés. À Pétrograd, le ministre plénipotentiaire établit un contact avec les forces socialistes antibolchéviques. Au lendemain de l’Armistice et des premières élections au suffrage universel, le POB est associé pour la première fois à un gouvernement. Jules Destrée est désigné comme Ministre des Sciences et des Arts (1919-1921) et, en peu de temps, fait adopter une série de mesures de protection des artistes et de leurs œuvres (rénovation du Prix de Rome, création de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises) et d’accompagnement à l’instruction obligatoire (loi sur les bibliothèques) en permettant l’accès gratuit à la culture pour le plus grand nombre.

Ayant quitté la tête de l’Assemblée wallonne quand il devient ministre, Jules Destrée reste attentif à la résolution de la question wallonne et se rallie à l’idée de l’homogénéité linguistique de la Flandre et de la Wallonie, refusant de se mêler des francophones de Flandre. Partisan de la formation d’États-Unis d’Europe, il tente d’apporter une solution au problème des nationalités par le Compromis des Belges - étape vers le fédéralisme - qu’il signe avec le socialiste flamand Camille Huysmans (1929). Ses actions en faveur de la Wallonie, de la culture et du monde ouvrier ne l’empêchent pas d’entretenir ses dons de littérateur. Critique d’art, il rend à de le Pastur ses racines tournaisiennes ou évoque le Maître de Flémalle (1930). Conteur (Les Chimères, 1889), il parle aussi de lui-même (Mons et les Montois, 1933). Politique, il alimente la pensée socialiste (Introduction à la Vie socialiste, 1929), relate ses expériences (Les fondeurs de neige, 1920) ou livre ses réflexions (Wallons et Flamands, 1923).

Sources

Philippe DESTATTE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, 2000, t. II, p. 483-490
Philippe DESTATTE, Destrée, Extrait de Hervé HASQUIN (dir.), Dictionnaire d’histoire de Belgique, Vingt siècles d’institutions, Les Hommes, les faits, Bruxelles, Didier Hatier, 1988, p. 157-158
Georges-H. DUMONT, dans Nouvelle Biographie nationale, Bruxelles, t. V, p. 117-123

Mandats politiques

Député (1894-1936)
Conseiller  communal de Marcinelle (1904-1910)
Échevin (1904-1910)
Ministre des Sciences et des Arts (1919-1921)