Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Stèle Théroigne de MÉRICOURT

Stèle à la mémoire de Théroigne de Méricourt, réalisée à l’initiative du SI de Marcourt, 5 août 1989.

Sur un bloc de pierre installé devant le syndicat d’initiative de Marcourt, une plaque rend hommage à une jeune fille née dans ce petit village au XVIIIe siècle et qui s’est distinguée, à Paris, durant les années décisives de la Révolution française. Comme l’indique l’inscription :


THEROIGNE DE MERICOURT
EST NÉE A MARCOURT
LE 13 AOÛT 1762
ANNE JOSEPHE DITE DE MERICOURT.
FILLE DE PIERRE THEROIGNE ET
D’ELISABETH LAHAYE DE MARCOURT
DÉCÉDÉ À PARIS LE 8 JUIN 1817.
ELLE A PARTICIPE
A LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
ET A LA PROPAGANDE DE LA JUSTICE
ET DU BON DROIT.


Anne-Josèphe Terwagne (ou Théroigne, les orthographes varient très fort) est une figure mythique de cette période troublée qui va de 1789 à 1794. Après avoir beaucoup voyagé en Europe, la jeune fille est à Paris au printemps 1789. Beaucoup de rumeurs alimentent la notoriété de la « Belle Liégeoise » dont il semble établi qu’elle assiste à la visite du roi à l’hôtel de ville (17 juillet), qu’elle s’assied fréquemment dans la tribune de l’Assemblée nationale pour assister aux débats, qu’elle tient salon rue du Boulay et qu’elle constitue avec Romme un cercle politique qui défend des idéaux démocratiques. Prenant résolument le parti des républicains contre les royalistes (1792), prenant en tout cas le parti de Brissot, elle semble vouloir développer un programme dans lequel la femme est appelée à jouer un rôle actif dans la société. Peu suivie par les femmes elles-mêmes, regardée avec circonspection par ses « amis » politiques, Théroigne de Méricourt (ainsi que la surnommait la presse royaliste) devient par contre le porte-fanion de tous les combats sous la plume de certains biographes : ils lui accordent un premier rôle dans les différents événements sanglants qui marquent 1792 et le début de 1793. Passée à tabac et outragée par des « jacobines » (mai 1793), elle sombre dans la dépression nerveuse et mentale. Sa vie mouvementée nourrira les imaginations, dès le siècle du romantisme, au point d’en faire une des premières féministes. Le village de Marcourt n’a pas échappé au phénomène : le curé de la paroisse obtint au tournant du XIXe et du XXe siècle de faire démolir la maison natale de cette héroïne aux idées révolutionnaires.

En l’absence de lieu de mémoire, le syndicat d’initiative de Marcourt saisit l’occasion des célébrations du bicentenaire des événements de 1789 pour lancer le projet d’élever une stèle en l’honneur de la jeune femme et de ses idées. L’inauguration de la stèle s’est déroulée le 5 août 1989, dans le cadre de l’émission Télé-tourisme, avec représentation théâtrale, kermesse et barbecue. La stèle est située en face de l’emplacement qu’occupait jadis la maison natale d’A-J. Terwagne.


Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, en particulier Le Soir, 7 août 1989
Félix MAGNETTE, dans Biographie nationale, t. 24, col. 760-768
Félix MAGNETTE, Théroigne de Méricourt, la belle Liégeoise. Légendes littéraires et réalité historique, dans Wallonia, XXIe année, mars 1913, p. 163-187
Ursmer LEGROS, Double destin de Théroigne de Marcourt, dite de Méricourt, Marquain (Hovine), Hotton, 1969
La Vie wallonne, II, 1970, n°330, p. 175-177
Marcellin PELLET, Étude historique et biographique sur Théroigne de Méricourt, dans les Variétés révolutionnaires, 3e série, Paris, 1890
Léopold LACOUR, Trois femmes de la Révolution : Olympe de Gouges. Rose Lacombe, Théroigne de Méricourt, Paris, 1900
E. et J. DE GONCOURT, Histoire de la Société française pendant la révolution, Paris, 1889
http://www.marcourt-beffe.be/historique.php (s.v. mars 2015)

Place de Chéroubles 
6987 Marcourt

carte

Paul Delforge

Plaque A.-J. Théroigne de MERICOURT

Anne-Josèphe Théroigne dite de Méricourt, née à Marcourt en 1762, est une des figures liégeoises de la Révolution française. Menant une vie de bohème pendant de nombreuses années, elle se trouve à Rome lorsqu’elle apprend ce qui se prépare en France. Mise au courant des événements, elle prend la route pour gagner Paris, quelques jours après l’ouverture des États généraux. Théroigne devient alors une spectatrice enthousiasmée de la Révolution, assistant fidèlement aux séances de l’Assemblée constituante à Versailles. 

Portrait de Théroigne de Méricourt conservé au Musée de la Vie wallonne à Liège © Bruxelles, KIK-IRPA

À Paris, elle est connue sous les surnoms de « la belle Liégeoise » ou de « muse de la politique » : elle tient salon, donne des conseils et crée un cercle de propagande révolutionnaire. Parmi les personnages qui fréquentent son salon, on retrouve de grandes figures de la Révolution parmi lesquelles Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine. Avec l’aide de Charles-Gilbert Romme, elle crée ensuite le « club des amis de la loi », qui est par la suite incorporé dans le club des Cordeliers auquel adhère Théroigne. 

Pendant quelques mois, elle revient dans sa région natale, en 1790, avant de gagner Liège, où elle est arrêtée par les Autrichiens en 1791. Emprisonnée au Tyrol, elle est libérée par la suite et retrouve Paris à la fin de l’année 1791. Le 26 janvier 1792, elle entre dans le club des Jacobins et se range du côté des républicains jusqu’à son retrait de la vie politique à la fin de l’année 1793. Ayant perdu la raison après une humiliation publique, elle est hospitalisée le 11 décembre 1794 et entame une longue descente dans la folie profonde jusqu’à son décès à la Salpêtrière le 8 juin 1817.

Aujourd’hui, son village natal a modestement rendu hommage à la fille du pays, figure atypique de la Révolution française. Sur la place du village, à deux pas de l’église, se trouve une plaque commémorative sur laquelle sont gravés ces mots : « Théroigne de Méricourt est née à Marcourt le 13 août 1762 (…) elle a participé à la Révolution française et à la propagation de la justice et du bon droit. »

6987 Marcourt (Rendeux)

carte

Frédéric MARCHESANI, 2014

© Anne-Josèphe Théroigne. Détail extrait de l’eau-forte Les couches de Mr Target, anonyme [Webert], [fin novembre 1791] © Musée Carnavalet (inv. G.25626)

Theroigne dite de Méricourt Anne-Josèphe

Révolutions

Marcourt 13/08/1762, Paris 08/06/1817

Ardente militante républicaine, grande avocate de la cause des femmes, Anne-Josèphe Théroigne est une figure étonnante de cette période politique intense que constitue le tournant historique des années 1789 à 1794. 

C’est à Marcourt, dans le duché de Luxembourg, que naît en 1762 le premier enfant d’un couple de paysans ni riches ni pauvres, mais simplement attachés à leur terre. C’est une fille. Les Terwagne l’appelleront Anne-Josèphe. Ils ne lui donneront aucune éducation particulière ; ce n’est qu’une fille, et son statut, à l’époque, ne lui offre aucun autre débouché que d’être utile aux tâches domestiques et à assurer des descendants à l’homme qui l’épousera. Très tôt, elle perd sa maman et son père fait un nouveau mariage. Envoyée un temps chez des parents installés à Liège, la jeune fille finit par couper tous liens avec sa famille et part à l’aventure. Servante dans une maison bourgeoise de la principauté, elle devient dame de compagnie, à Anvers, auprès d’une riche femme du monde, qu’elle accompagne en Angleterre (1782), où une autre vie l’attend. Elle a vingt ans. Elle apprend à aimer la culture et elle rêve de devenir cantatrice. Londres, Paris, Naples, Gènes, Rome sont autant de villes et de rencontres, dont les péripéties varient selon ses biographes. La jeune fille semble courtisée, mais elle est surtout indépendante. Au printemps 1789, elle est à Paris. Après la vie de bohème, voici le temps de la politique.

Aux premières loges des événements qui s’y déroulent, elle se passionne pour la Révolution, emménage à Versailles pour pouvoir se rendre rapidement dans les tribunes de la salle où se réunit l’Assemblée nationale et constituante. Depuis le pourtour, elle assiste aux débats, notamment lors de l’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; depuis les tribunes, elle a l’impression de participer à la vie politique, se faisant remarquer par ses applaudissements et ses exclamations. Les 5 et 6 octobre 1789, c’est la fameuse marche des femmes, de Paris à Versailles : la famille royale est contrainte de quitter le château et de s’installer à Paris ; surtout, le roi est obligé de signer la Déclaration des Droits et le décret marquant la fin des privilèges. L’Assemblée nationale déménage et Théroigne la suit s’installant elle aussi à Paris. Elle y fréquente les assemblées de district où on discute politique ; chose inouïe, elle y prend même la parole, proposant que l’on construise un bâtiment permanent, où se réunirait l’assemblée nationale ; ce Parlement serait construit à la place de la Bastille. Elle fonde aussi le premier club révolutionnaire populaire et mixte de Paris ; elle contribue encore à la fondation de ce qui deviendra le club des Cordeliers ; elle côtoie personnellement Danton, Desmoulins, Marat et bien d’autres.

Pour diverses raisons, elle quitte Paris en mai 1790 et revient vivre à Marcourt, puis à Liège. C’est là qu’en janvier 1791 elle est enlevée par des émigrés nobles français : on l’accuse d’espionnage, d’avoir été à la tête de la marche des femmes et de bien d’autres crimes invraisemblables ; elle est remise aux autorités autrichiennes, et enfermée dans une prison-forteresse dans le Tyrol, à Kufstein. Un fonctionnaire autrichien qui veille sur elle résume bien les accusations du moment qui pèsent sur elle : « Mlle Théroigne prêche le démocratisme » ! Finalement innocentée, elle rencontre l’empereur d’Autriche, Léopold II, en personne, à Vienne. Elle est libérée après plusieurs mois de détention et revient dans les Pays-Bas, mais peu de temps.

En janvier 1792, elle est à Paris où elle est portée en triomphe par les patriotes désireux de mener la guerre contre les Autrichiens. On la surnomme l’amazone de la liberté. Elle reçoit carte blanche pour mobiliser dans les quartiers, y compris auprès des femmes. Elle prononce alors un discours, célèbre, où elle appelle les femmes à briser leur chaîne, à s’armer et à se délivrer de tout ce qui les oppresse (C’est le discours des Minimes). Alors qu’on lui prête d’avoir formé un bataillon de femmes portant des piques, ses « amis » s’inquiètent ; ils s’inquiètent de sa liberté de ton ; ils s’inquiètent du message d’égalité entre les sexes qu’elle défend avec ardeur ; ils s’inquiètent de la révolution qu’induit dans la vie de tous les jours le discours que Théroigne tient auprès des femmes ; comme ses ennemis, ses amis l’incitent à se taire. Le 10 août 1792, elle participe néanmoins au coup de grâce porté par la Révolution contre la monarchie ; en septembre, la République est proclamée. On perd alors quelque peu sa trace, puis elle réapparaît en mai 1793, quand elle publie un placard, une affiche politique collée sur les murs de Paris : une fois encore, elle tient un discours féministe remarquable.

Quelques jours plus tard, elle est physiquement battue par une bande de femmes qui veulent l’empêcher de gagner les tribunes de la Convention. Cet épisode donnera naissance à quantité d’interprétations et de descriptions scabreuses, alors qu’il a une portée politique indéniable ; pour Mlle Théroigne, les femmes ont le droit de s’occuper de la vie publique, de la justice, de l’éducation civique, à l’égal des hommes. 

En juin 1794, quelques jours avant Thermidor et la chute de Saint-Just et Robespierre, elle est arrêtée dans des circonstances étonnantes ; pour discréditer son action politique, on a longtemps affirmé qu’elle était malade, hystérique, folle quoi. Aucun document d’archive ne permet de dire que Théroigne était déjà folle au moment où on l’a enfermée, en prison d’abord, dans des hôpitaux ensuite. Forcément, sans confondre les causes avec les conséquences, ce sont ses conditions de captivité qui lui feront perdre la tête. Le prétexte de la folie comme méthode d’exclusion politique ne tient plus aujourd’hui. Quand, en 1817, après 23 ans d’enfermement, l’avocate de la liberté pousse son dernier soupir, elle a 55 ans et elle laisse derrière elle les traces tangibles de son engagement féministe.

Toujours, par son comportement, par ses paroles ou ses rares écrits, elle s’est préoccupée d’égalité, de liberté, bref des droits de l’homme, ce dernier terme signifiant pour elle aussi bien les hommes que les femmes. C’est ce que lui a appris la lecture de la Déclaration des Droits adoptée en août 1789. C’est par conséquent une surprise pour elle de constater que les droits ne s’appliquaient pas à sa personne, parce qu’elle était femme. Et plutôt d’attendre que quelqu’un lui attribue ses/ces droits, elle va considérer qu’ils sont à elle et se comporter en citoyenne. Ce sont les obstacles qu’elle rencontre alors, ses succès mais surtout ses échecs qui permettent de comprendre le féminisme pionnier et si singulier d’Anne-Josèphe Théroigne. On évitera de lui accoler ce nom à particule, « de Méricourt », que lui avaient attribué ses ennemis politiques. 

 

Sources

 

Paul Delforge, Citoyenne Anne-Josèphe Théroigne. Pionnière du féminisme (1789-1794), Namur, Institut Destrée, 2022, coll. « Notre Histoire » n°14

Helga Grubitzsch, Roswitha Bockholt, Théroigne de Méricourt. Die Amazone der Freiheit, Centaurus, 1991

Élisabeth Roudinesco, Théroigne de Méricourt : une femme mélancolique sous la Révolution, Paris, Le Seuil, 1989, coll. Fiction & Cie

Félix Magnette, dans Biographie nationale, 1926, t. 24, col. 760-768

Félix Magnette, Théroigne de Méricourt, la belle Liégeoise. Légendes littéraires et réalité historique, dans Wallonia, XXIe année, mars 1913, p. 163-187

Léopold Lacour, Trois femmes de la Révolution : Olympe de Gouges. Rose Lacombe, Théroigne de Méricourt, Paris, 1900

Marcellin Pellet, Étude historique et biographique sur Théroigne de Méricourt, dans les Variétés révolutionnaires, 3e série, Paris, 1890