Lebeau Joseph

Politique, Révolutions

Huy 03/01/1794, Huy 19/03/1865

Né en principauté de Liège soumise aux Autrichiens, Joseph Lebeau n’a pas deux ans lorsqu’il devient Français avec l’annexion du département de l’Ourthe à la République. Ignorant sans doute les soubresauts de la période révolutionnaire à l’empire en passant par le consulat, Joseph Lebeau a vingt ans lorsqu’il se retrouve citoyen du Royaume-Uni des Pays-Bas. 

Jeune universitaire, diplômé en Droit de l’Université de Liège (1819), il se passionne pour la politique, attiré qu’il est par les idées libérales. À la même époque, il est membre de la Loge de Huy Les Amis de la Parfaite Intelligence. Avec Charles Rogier, notamment, il fonde un journal dont le premier titre, Mathieu Laensberg (1824), se transforme en Le Politique (1828). De sa formation d’adolescent par un oncle prêtre, il a probablement conservé une retenue dans sa critique libérale à l’égard des cléricaux. Prônant l’unionisme pour combattre les excès du pouvoir centralisateur du roi Guillaume d’Orange (Observations sur le pouvoir royal, 1830), Joseph Lebeau est un acteur décisif dans les événements de 1830 et 1831. Fin août 1830, il est l’un des trois délégués qui proposent à Guillaume d’Orange de recourir à une séparation administrative comme solution aux revendications portées par les provinces du sud. 

Au lendemain de l’agitation au Parc royal à Bruxelles, il est nommé avocat général à Liège et, en novembre, il est élu député au Congrès national, comme représentant de Huy. Il est aussi membre de la Commission chargée de rédiger le texte de la Constitution.

Dans le débat sur le nouveau statut à donner à la Belgique indépendante, il rejette l’idée d’une république, prône une monarchie constitutionnelle et ne figure pas parmi la majorité qui propose d’attribuer la couronne au fils du roi de France. Face au refus de Louis-Philippe, le gouvernement provisoire rend la main au Congrès national qui choisit Surlet de Chokier comme régent (24 février 1831). Après l’expérience désastreuse de l’exécutif de Gerlache, le régent choisit une nouvelle équipe ministérielle et confie à Joseph Lebeau les Affaires étrangères. En l’absence d’un premier ministre et dans la mesure où il est chargé de trouver un prince pour recevoir la couronne de Belgique et surtout de négocier le statut du nouvel État avec les grandes puissances de l’époque, Joseph Lebeau devient, tacitement, le chef d’un gouvernement et, du 28 mars au 24 juillet 1831, mène toutes les négociations, débats et tractations qui conduisent le prince de Saxe-Cobourg-Gotha sur le trône de Belgique. Ses talents oratoires arrachent l’accord de toutes les parties belges sur le Traité des XVIII articles. Une fois cette mission accomplie, Lebeau remet sa démission et reprend sa charge d’avocat général à Liège. Il est cependant rappelé d’urgence par Léopold Ier lorsqu’il faut faire officiellement appel à l’aide de la France pour repousser les troupes orangistes. Ministre sans portefeuille pendant quelques jours, Lebeau reprend ses fonctions à Liège une fois la situation pacifiée, mais il ne peut résister longtemps aux sollicitations qui lui sont faites.

Entre 1832 et 1834, il accepte d’occuper les fonctions de ministre de la Justice dans le Cabinet dirigé par Albert Goblet d’Alviella. Restant un député choisi par des électeurs censitaires, il accepte la fonction de gouverneur de la province de Namur, le temps qu’un statut soit définitivement attribué à ce niveau de pouvoir (septembre 1834-avril 1840). Nommé ministre plénipotentiaire de Belgique auprès de la Diète de Francfort (1839-1840), Joseph Lebeau comprend bien que cette promotion vise surtout à l’écarter de la politique belge. Mais le roi Léopold Ier n’oublie pas à qui il doit son premier contact avec la Belgique ; en 1840, il rappelle Lebeau et le charge de former le premier gouvernement libéral homogène. Ne disposant pas d’une majorité libérale au Sénat, le Cabinet Lebeau, deuxième du nom, est rapidement fragilisé et ne résiste pas plus d’une année (18 avril 1840-13 avril 1841).

Refusant toute nouvelle responsabilité ministérielle, Lebeau conserve son seul siège à la Chambre : représentant de Huy de 1831 à 1833, il se présente dans l’arrondissement de Bruxelles jusqu’en 1848, avant de revenir dans l’arrondissement de Huy (1848-1864). En 1857, il est nommé Ministre d’État.

Sources

La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. II, p. 12
Histoire de la Wallonie, (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 322, 326, 328
Els WITTE, La Construction de la Belgique. 1828-1847, Bruxelles, Complexe, 2005
Nicole CAULIER-MATHY, Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, dans Histoire quantitative et développement de la Belgique aux XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1996, 1ère série, t. VII, vol. 1, p. 471-478
Joseph Lebeau Recueil d’articles sur Joseph Lebeau 1794-1865, Huy, 1980
Joseph Lebeau. Commémoration du centième anniversaire de sa mort en 1865. Expositions de documents. Catalogue par R. Thielemans, Conservateur aux Archives générale du royaume, Bruxelles, 1965
F. DAXHELET, Joseph Lebeau, Bruxelles, 1945
A. FRESON, dans Biographie nationale, t. XI, 1890-1891, col. 503-517
Théodore JUSTE, Joseph Lebeau d’après des documents inédits, Bruxelles, 1865
Carlo BRONNE, Joseph Lebeau, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1944

Mandats politiques

Député du Congrès national (1830-1831)
Ministre, chef du Cabinet (1831)
Député (1831-1863)
Ministre (1832-1834)
Gouverneur de la province de Namur (1834-1838)
Ministre, chef du Cabinet (1840-1841)
Ministre d’État (1857)

© Peinture de Charles Soubre illustrant les événements de septembre 1830

Rogier Charles

Politique, Révolutions

Saint-Quentin 17/08/1800, Saint-Josse-ten-Noode 27/05/1885

Quand il peint les volontaires liégeois arrivant à Bruxelles en septembre 1830, ou sur les barricades, Charles Soubre représente significativement Charles Rogier à leur tête (tableaux de 1878, 1880). Jeune journaliste politique au Mathieu Laensbergh puis au Politique, journaux libéraux de tendance unioniste dont il est l’un des fondateurs, Charles Rogier n’imagine pas que quelques années plus tard il va occuper à plusieurs reprises le poste de premier ministre d’un nouveau pays, la Belgique, qu’il a contribué à faire émerger sur la carte des États européens. C’est pourtant le parcours de celui qui est né à Saint-Quentin, dans une famille d’origine hennuyère, et s’est retrouvé un peu par hasard à Liège, en 1814, orphelin de père, et avec une mère directrice d’un pensionnat. Ayant réussi un excellent parcours scolaire jusqu’en rhétorique, grâce aux bourses du gouvernement, le jeune Rogier doit se résoudre à exercer les fonctions de répétiteur de leçons puis de précepteur pour rassembler l’argent nécessaire à la poursuite de ses études. En 1826, il est docteur en Droit avec une dissertation qui porte sur le système électoral, mais n’a guère le temps de prester comme avocat : il se laisse convaincre par Joseph Lebeau et Paul Devaux de s’investir totalement dans un journal, le fameux Mathieu Laensbergh. Critique à l’égard du gouvernement, Rogier dénonce toute forme d’autoritarisme, réclame le rétablissement de leur autonomie aux États provinciaux et reproche les arrêtés de 1819 et de 1822 qui ont conduit à la suppression officielle du français dans toutes les parties de la Belgique où le flamand est généralement en usage.

Dès l’annonce des troubles à Bruxelles, fin août 1830, Rogier prend la tête d’un corps de volontaires improvisés, arbore les couleurs liégeoises et n’hésite pas à armer ses troupes : ils sont plusieurs dizaines à prendre la direction de Bruxelles. Arrivé au moment où le roi Guillaume annonce qu’il renonce à la séparation administrative des deux pays, Rogier organise l’opposition avec d’autres chefs de corps et mène quelques combats face à l’avant-garde orangiste. La mobilisation de la population bruxelloise fait fuir les Hollandais et assure le succès de la révolution. Faisant partie des tout premiers membres du « gouvernement provisoire » qui se met en place (24 septembre 1830-24 février 1831), le « ministre » Rogier remplit plusieurs missions de terrain pour rétablir l’ordre, avant d’être choisi comme l’un des 9 députés de Liège au Congrès national (novembre 1830-juillet 1831). Favorable à un régime républicain, il se laisse convaincre des avantages d’une monarchie constitutionnelle. Appelé comme aide de camp auprès de Surlet de Chokier (mars 1831-) il devient le bras droit du régent. Administrateur de la Sûreté pendant quelques semaines, il reste chargé de maintenir l’ordre, notamment auprès des officiers supérieurs déçus du refus du duc de Neumours et du rejet de l’option républicaine. 

Nommé gouverneur de la province d’Anvers par Joseph Lebeau (14 juin 1831), Rogier garde la mission du maintien de l’ordre durant les premiers mois agités du nouveau royaume, mais aussi de lui rallier la bourgeoisie locale. Bien qu’il fut « révolutionnaire, wallon, libéral non pratiquant, roturier sans fortune », ainsi qu’il l’écrit lui-même, il parvient à tisser un réseau de relations qui lui permettent d’être élu député libéral dans l’arrondissement de Turnhout (1831-1837), puis d’Anvers (1837-1840). En octobre 1832, Rogier se voit confier le délicat portefeuille de l’Intérieur. De son passage au gouvernement (jusqu’en juillet 1834) datent la révision de la loi sur la garde civique, la création des archives publiques et surtout le coup d’envoi d’un réseau national de chemin de fer (1834), complément indispensable à la Constitution libérale. Outre son implication dans 1830, c’est ce projet de chemin de fer qui est l’œuvre majeure de Charles Rogier. Initiateur des lois communale et provinciale qui seront votées par son successeur, attentif à la question sociale, partisan d’une participation active de l’État dans le développement économique, Rogier reçoit ensuite le ministère des Travaux publics, des Lettres et de l’Instruction publique (avril 1840-avril 1841), dans un gouvernement où l’on retrouve trois anciens du Mathieu Laensbergh !

Ayant quitté son poste de gouverneur pour celui de ministre, il se retrouve député à la chute du ministère. Réélu de justesse à Anvers en juin 1841, il se présente à la fois à Bruxelles et à Anvers en 1845 ; élu des deux côtés, il privilégie Anvers et est appelé à former un nouveau Cabinet en 1847, qui sera exclusivement libéral et durera cinq ans, jusqu’en août 1852. C’est de cette période que datent la création d’un Bureau spécial pour les affaires des Flandres (pour lutter contre la pauvreté), de deux Écoles normales supérieures, l’abaissement du cens électoral à son minimum, le renforcement de l’armée, un impôt sur les successions et surtout la première loi organique sur l’enseignement moyen (en 1850).

Au scrutin de 1854, il perd son mandat de député et sa carrière politique paraît finie. Désigné à la présidence du cercle artistique et littéraire de Bruxelles (1854), il reprend goût pour l’écriture, mais la politique est plus forte et les libéraux bruxellois lui offrent un retour à la Chambre (pour remplacer Charles de Brouckère démissionnaire) qui se transforme en un second Cabinet. En novembre 1857, en effet, Rogier prend la tête d’un gouvernement libéral homogène qui va durer dix ans (3 janvier 1868). Ce « Grand ministère libéral » est le plus long de l’histoire politique belge.

En charge de l’Intérieur (1857-1861), puis des Affaires étrangères (octobre 1861-1868), Rogier s’était dit favorable au principe de l’obligation en matière d’instruction. Il n’atteindra pas cet objectif, mais par d’importantes subventions, il permettra l’ouverture de nombreuses petites écoles primaires, ainsi que la création de l’Institut agronomique de Gembloux. L’État sera aussi généreux en matière de grands travaux, dont la fortification d’Anvers, considérée comme le cœur du système de la défense nationale. En désaccord avec Frère-Orban, fin 1867, et déçu de n’avoir pu réintégrer le grand-duché de Luxembourg dans les frontières belges, Ch. Rogier remet sa démission ; il ne sera plus jamais ministre, fonction qu’il exerça pendant près de vingt ans. Nommé Ministre d’État (1868), il devient par conséquent conseiller de Léopold II et reste député. Ayant quitté un arrondissement d’Anvers par trop exigeant pour ses seuls intérêts, Rogier s’est présenté en 1863 à Dinant et à Tournai. Si la ville mosane lui tourne le dos, la ville scaldéenne accordera régulièrement sa confiance au député libéral jusqu’à sa mort (1863-1885).
Chef de file de l’opposition libérale (1870-1878), il aura à porter la critique à l’égard du gouvernement catholique, mais aussi à veiller à éviter l’éclatement du parti libéral entre doctrinaires et progressistes. Après une brève présidence de la Chambre en 1878, quand les libéraux reviennent aux affaires, Rogier tente de s’éloigner de l’avant-scène, mais il est rappelé comme un héros durant toute l’année 1880, lors des fêtes organisées pour le 50e anniversaire de l’indépendance du pays.

Sources

Ernest DISCAILLES, dans Biographie nationale, tome XIX, 1907, col. 693-781
Théodore JUSTE, Charles Rogier, ancien membre du gouvernement provisoire et du congrès national, ministre d’Etat, Bruxelles, C. Muquardt, 1880
Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. II, p. 13
Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. IV, p. 287
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 327-333, 378

Mandats politiques

Ministre du « gouvernement provisoire » (24 septembre 1830-24 février 1831)
Député de Liège (novembre 1830-juillet 1831)
Gouverneur de la province d’Anvers (1832, 1834-1837)
Député de Turnhout (septembre 1831-1837)
Ministre de l’Intérieur (1832-1834)
Député d’Anvers (1837-1854)
Chef de Cabinet (1847-1852)
Député de Bruxelles (1856-1857)
Député d’Anvers (1857-1863)
Chef de Cabinet (1858-1868)
Député de Tournai (1863-1885)
Ministre d’État (1868)

La Belgique de 1839

Ce n’est qu’en 1838 que le roi des Pays-Bas se résout à accepter la situation provoquée par la révolution belge de 1830 et à signer le traité des XXIV articles. La Belgique doit s’acquitter d’une partie importante de la dette des Pays-Bas, même si le principal est antérieur à l'unification de 1815. Parmi les autres articles, le traité de Londres (19 avril 1839) impose à la Belgique un statut de neutralité totale, que garantissent l'Autriche, la France, le Royaume-Uni, la Prusse et la Russie. La Confédération germanique apporte également sa signature aux traités.
Les Pays-Bas conservent le contrôle des bouches de l'Escaut (un droit de péage est imposé jusqu’en 1863) et un accès à Liège par la Meuse. Ils conservent aussi une partie du grand-duché luxembourgeois. Reconnu comme indépendant mais attribué en fief au roi des Pays-Bas (1815), le grand-duché ne parvient pas à se libérer. État membre de la Confédération germanique (1815), dépecé en 1839 pour constituer une partie de la Belgique, et adhérant au Zollverein (1842), il dispose de ses propres institutions, mais il doit encore supporter la présence d’une garnison prussienne dans la citadelle de Luxembourg. En 1867, la France de Napoléon III propose secrètement aux Pays-Bas de racheter le grand-duché, mais quand la transaction est éventée, une crise éclate au cœur de l’Europe. La diplomatie calme le jeu et le grand-duché est reconnu neutre et indépendant (1867).
C’est à la même date que la province néerlandaise de Limbourg perd le titre officiel de duché qui lui avait été attribué en 1839. Entre ces deux dates (1830-1866), le duché de Limbourg a fait aussi partie de la Confédération germanique.

Références
HaHu150 ; Sel146 ; WTcM01 ; WTcM19 ; www_cm1830


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

La Belgique contestée (1831-1838)

La campagne que mène Guillaume d’Orange pour restaurer l’unité des Pays-Bas ne dure que quelques jours (du 2 au 12 août 1831) et montre la faiblesse du nouvel État belge. L’avancée des troupes hollandaises est rapide et aisée ; une bonne partie des provinces flamandes sont reprises quand, garante – comme l’Angleterre – de l’indépendance belge, la France est appelée à la rescousse (8 août). Dépourvus de l’aide militaire de la Prusse et de la Russie, les Pays-Bas ne résistent pas devant l’avancée fulgurante de l’armée française sous le commandement du maréchal Gérard. De plus, la crainte d’une guérilla meurtrière pousse les armées hollandaises à se replier de toutes leurs positions en Belgique à l’exception de la citadelle d’Anvers (cessez-le-feu signé le 12 août).
Néanmoins, Guillaume Ier continue de refuser de signer le traité de Londres qui comporte désormais 24 articles. Il refuse aussi de rendre la citadelle anversoise. Il faudra une seconde intervention de l’Armée française du Nord du même commandant Gérard qui sort victorieux du siège du fort d’Anvers (15 novembre – 23 décembre 1832). La jeune armée belge a également participé à l’opération pour protéger la ville. Guillaume Ier n’est toujours pas décidé à reconnaître le nouvel État belge qui vivra sous le régime d’un armistice jusqu’en 1839.
En 1897, un monument français est sculpté pour honorer la mémoire des soldats français tombés lors de la prise d’Anvers. Suite au refus des autorités de cette ville de dresser un monument français sur leur sol, c’est Tournai qui accueillit le souvenir imposant dédié au maréchal Gérard et à ses hommes.

Références
HaHu150 ; Sel146 ; WTcM01 ; WTcM19 ; www_cm1830


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)