Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Charles VAN LERBERGHE

Monument à la mémoire de Charles Van Lerberghe, 14 juin 1936
À l’initiative de la Société des Écrivains ardennais

À l’initiative de la revue Le Thyrse et spécialement de la Société des Écrivains ardennais, un hommage est rendu à Charles Van Lerberghe (Gand 1861 – Bruxelles 1907), à Bouillon, avec l’érection d’un bloc de granit avec inscription, à hauteur de la Vieille route de France. La cérémonie se déroule le 14 juin 1936. C’est en bénéficiant d’une vue exceptionnelle sur la Semois, en séjournant « à la Ramonette », que le poète gantois a composé sa Chanson d’Eve. L’inauguration est l’occasion pour la Société de céder officiellement le mémorial aux autorités locales. Plusieurs discours sont prononcés rendant hommage à Charles Van Lerberghe et le moment est aussi choisi pour remettre l’ordre de commandeur de la Légion d’honneur à Albert Mockel. Consul général de France à Liège, Fernand Sarrien a fait expressément le déplacement à Bouillon pour honorer le fondateur de La Wallonie – le mot comme la revue – ainsi que le poète qui assure des responsabilités au sein de l’association Les Amis de Charles Van Lerberghe. La date du 14 juin 1936 est celle du cinquantième anniversaire du symbolisme et de la revue qui illustra le mieux ce mouvement. Et comme il était écrit que cette journée du 14 juin 1936 serait exceptionnelle à plus d’un titre, le représentant des Écrivains de Belgique fait observer que, parallèlement, on inaugure à Bruxelles un monument en l’honneur de l’écrivain Hubert Krains qui, dans les Portraits d’Écrivains belges, avait consacré une analyse particulièrement fine à l’œuvre de Van Lerberghe.

Dans les milieux littéraires, en effet, la qualité de la poésie écrite en français par ce Gantois n’a échappé à personne. On loue sa liberté d’expression, l’absence d’influences sur son style et sur une production qui a réussi à éviter les modes. L’indépendance du poète lui a vraisemblablement coûté une audience plus grande de son vivant, mais il ne la recherchait pas. L’isolement dont il bénéficia lors de ses nombreux séjours aux portes de Bouillon correspondait parfaitement à son état d’esprit. Orphelin à ses 10 ans et de santé fragile, Van Lerberghe est élevé par un tuteur, oncle de Maurice Maeterlinck ; à ce duo d’adolescents se joint Grégoire Le Roy durant leurs humanités à Gand et l’on comprend aisément comment Van Lerberghe va cultiver la langue française avec délectation. S’il s’essaye à la philosophie à l’Université de Gand, la poésie devient son quotidien. Moins connu que ses anciens condisciples, il se fait plus rare : Les Flaireurs paraît en 1889, Entrevisions en 1898, avant qu’il ne parvienne pas enfin à achever La Chanson d’Ève (1904) qu’il portait en lui depuis longtemps. Mockel rapporte avoir partagé la lente maturation de la dernière œuvre de « son frère en poésie ». Les premiers vers sont écrits avant un voyage en Italie (vers 1900) ; une brève idylle avec une jeune Américaine inspire le poète qui découvre le paradis d’Eve dans un joli coin de Toscane (1901). Pourtant, c’est revenu à Bouillon que le poète laisse courir sa plume sur le papier, produisant d’un seul coup plusieurs milliers de vers sans contrainte. « Ici naquit le chef d’œuvre qui nous rassemble et dont l’esprit est parmi nous, dira Albert Mockel lors de son discours à Bouillon, le 14 juin 1936. Ce lieu nous est sacré. Que notre admiration y dépose les plus nobles palmes ». S’il ne pouvait « travailler que dans un beau trou comme Bouillon » comme il le disait lui-même, le poète gantois ne laisse jamais identifier les sources de son inspiration : aucune allusion directe à Bouillon, à la Semois ou à l’Ardenne ne figure dans son œuvre. Dans sa quête amoureuse, c’est aussi sous la forme de la rêverie que l’écriture évite la narration pour suggérer et exprimer une certaine souffrance.

Face au refus du propriétaire de la maison où avait logé le poète, le bloc de granit ne fut installé ni devant ni dans le petit espace latéral de la pension où fut composée La Chanson d’Eve. Certes, le titre de l’ouvrage figure aujourd’hui, bien visible, sur la façade du n°17, mais le monument a été installé cent mètres plus haut, le long de la chaussée devant les rochers. En 2007, à l’occasion du centenaire de la disparition du poète, la pierre de la Vieille route de France a été nettoyée à l’initiative des autorités locales de Bouillon. Sur le bloc en granit de 1936, l’inscription indique :

LE POETE 
CHARLES VAN LERBERGHE

Monument à la mémoire de Charles Van Lerberghe – © Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam


COMPOSA ICI
LA CHANSON D’EVE

SOCIETE DES 
ECRIVAINS ARDENNAIS
1936.

Par ailleurs, une autre mention du séjour de Charles Van Lerberghe se retrouve dans le nom donné à un square situé en bord de Semois, sur le quai Vauban. Pendant de nombreuses années, la plaque en l’honneur du poète resta quelque peu perdue, à quatre mètres du sol, le temps faisant son œuvre au point de la rendre à peine lisible. En 2008, le lettrage a été redoré et la plaque en schiste du square Van Lerberghe a été replacée sur un rocher de l’ancienne plaine de jeux, entre le tunnel et le pont de Cordemois. Son inauguration a eu lieu le 14 septembre :

SQUARE
CHARLES VAN LERBERGHE
POETE AYANT SEJOURNE
A BOUILLON
DE 1899 A 1906

 

Informations collectées auprès de la propriétaire de la maison « Chanson d’Eve » (juin 2014)
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Le Thyrse, 1er juillet-1er août 1936, n°7-8, p. 225
La Vie wallonne, juin 1936, CXC, p. 342-344
Hubert JUIN, Charles Van Lerberghe, Paris, Seghers, 1969, coll. Poètes d’aujourd’hui
http://www.arllfb.be/bulletin/bulletinsnumerises/bulletin_1936_xv_03.pdf (s.v. juillet 2013)
http://www.servicedulivre.be/sll/fiches_auteurs/v/van-lerberghe-charles.html (s.v. juin 2014)

Vieille Route de France
6830 Bouillon

carte

Paul Delforge

Mockel Albert

Culture, Littérature, Militantisme wallon

Ougrée-lez-Liège 27/12/1866, Ixelles 30/01/1945

Événement rare : un poète de 20 ans invente le nom de son pays… Cette formule de Marcel Thiry convient parfaitement pour identifier Albert Mockel, mais elle ne doit pas le réduire à cette seule action remontant à 1886.

Né d’un père directeur d’usine et président du conseil provincial de Liège, Albert Mockel entreprend des études à l’Université de Liège ; malgré ses excellents résultats en droit, la littérature et l’étude du grec l’attirent davantage. À la tête d’un petit groupe d’étudiants, il passe de L’Élan littéraire à une autre revue dont il change le nom. Encouragé par son ami Charles de Tombeur, Mockel lance La Wallonie, revue symboliste dont le premier numéro sort le 18 juin 1886. Si la revue fait preuve d’une universalité littéraire qui l’inscrit dans l’histoire de la poésie française, Mockel pressent surtout la naissance d’un large et riche mouvement littéraire propre au pays wallon. Périodique d’avant-garde, La Wallonie (1886-1892) est le lieu de rencontre des symbolistes français et belges ; elle accueille les plus grands noms de la littérature française de la fin du XIXe siècle : Mallarmé, Verlaine, Moréas, Van Lerberghe, Maeterlinck, Severin, Stuart Merril, Viélé-Griffin…

À cette revue, Mockel impose une ligne de conduite stricte : il s’agit de garder envers et contre tous l’âme wallonne de tout contact pernicieux et de développer le culte de la latinité. Une vraie bataille littéraire oppose La Wallonie aux groupements traditionnalistes, considérés par lui comme en retard d’une génération. Mockel est un symboliste de la première heure. Ses écrits sont nourris de l’esthétique mallarméenne et des idées du romantisme allemand, Schopenhauer, Wagner. Comme la musique, la poésie doit devenir le langage de l’idéalité, de l’ineffable et exprimer le rythme intérieur de l’âme.

À partir de 1890, Albert Mockel s’installe en France, où il est attaché à la rédaction du Mercure de France et assiste régulièrement aux mardis de Mallarmé dont il est un admirateur inconditionnel. C’est de Paris qu’il dirige La Wallonie dont le dernier numéro paraît, en plein succès, en 1892, selon la volonté de ses fondateurs : une revue jeune ne peut être vieille et donc ne peut durer plus de sept années. Théoricien du symbolisme, Albert Mockel reste un authentique représentant du vers-librisme, dont la production, peu abondante, est d’autant plus appréciée. Poète, essayiste, il reçoit le Prix quinquennal de Littérature 1935 pour l’ensemble de son œuvre ; conférencier, il est aussi critique pour de nombreux journaux à Paris et à Liège (Durendal, La Plume, L’Express, etc.).

Chantre de la Wallonie, écrivain mêlé au milieu littéraire de Paris, il se fait éveilleur de la conscience wallonne en prônant une formule fédéraliste pour la Belgique : « la séparation administrative complète de la Flandre et de la Wallonie, avec un Parlement pour chacune d’elles et l’union des deux petits états sous une chambre fédérale dont ils éliraient chacun la moitié… » (avril 1897). Rejetant toute intrusion des Wallons dans les choix que pourraient opérer les Flamands, il contribue à la transformation du programme du mouvement wallon qui abandonnera progressivement son caractère anti-flamingant pour formuler des revendications précises.

En 1912, à la suite du Congrès wallon de juillet et de la Lettre au roi, il relève le défi de Jules Destrée visant à créer le premier parlement de la Wallonie. Membre fondateur de l’Assemblée wallonne où il est l’un des délégués de Liège (octobre 1912), Albert Mockel s’y montre un autonomiste déterminé (1912-1940). Compositeur d’un Chant de la Wallonie (1911), dont il a écrit les paroles et la musique, il présente l’Esquisse d’une organisation fédéraliste de la Belgique (1919), qui est l’un des premiers projets fédéralistes wallons. Président d’honneur des Amis de l’Art wallon, Albert Mockel est l’un des tout premiers membres de l’Académie de Langue et de Littérature françaises (1920-1945), fondée par le ministre Jules Destrée. Avec ce dernier et Maurice Desombiaux, Albert Mockel relance les Amitiés françaises après la Grande Guerre et sera membre de la Ligue d’Action wallonne aux vues autonomistes.

La fin de la vie de Mockel est assombrie par le souvenir de la perte de son fils engagé dans l’aviation française (1918) et par une certaine indigence matérielle. Il quitte Paris (1937) et prend résidence à Saint-Josse où il avait conservé une maison ; il est nommé conservateur du Musée Wiertz en 1940.

Sources

Albert Mockel parmi nous, numéro spécial des Cahiers du nord, n°58-60, 1946
Albert Mockel, Catalogue de l’exposition organisée au centre culturel d’Ixelles, Fondation Plisnier, 1967
Annuaire de l’Académie ravale de langue et de littérature françaises, Bruxelles, 1954 
CHAMPAGNE Paul, Essai sur Albert Mockel, Paris, 1922 
Hommage à Albert Mockel, dans Marginales, décembre 1966
La Vie wallonne, n° 394-395, 1986, n° spécial Albert Mockel
La Wallonie, Albert Mockel et ses amis, Catalogue de l’exposition organisée pour le centenaire de la revue, Liège (Chiroux), 1986
OTTEN Michel, Albert Mockel. Esthétique du symbolisme, Bruxelles, 1962 
PIRON A., Le centenaire d’Albert Mockel, dans Nouvelle Revue wallonne, t. 17
WARMOES Jean, Exposition du centenaire de la naissance d’Albert Mockel, Bruxelles, 1966
WARMOES Jean, Albert Mockel. Le centenaire de sa naissance, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert 1er, 1966
Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Culture), Bruxelles, t. II, p. 399-402

Œuvres principales

Nombreux textes dans La Wallonie (1886-1892)

Essais
Les Fumistes wallons, 1887
Stéphane Mallarmé, un héros, 1898
Charles Van Lerberghe, 1904
Émile Verhaeren, poète de l'énergie, 1917

Recueils de poésies
Chantefable un peu naïve, 1891
Propos de littérature, 1894
Clartés, 1901
Contes pour les enfants d'hier, 1908
La Flamme stérile, 1923
La Flamme immortelle, 1924
Correspondance avec André Gide (posthume, 1975)
M59    Albert Mockel (s.d.) – Photo extraite de La Vie wallonne, janvier 1925, p. 213.