Paul Delforge-Diffusion Institut Destrée-Sofam

Mémorial Albert BONJEAN

Pendant longtemps, les seuls monuments érigés dans la Fagne ont été des croix d’occis, rappelant des moments tragiques où tel garde forestier, tel promeneur patenté ou tel couple de fiancés trouvèrent la mort dans l’étendue sauvage que constitue le parc naturel des Hautes Fagnes. Une nouvelle tradition s’instaure dans les années 1930 lorsque de grands défenseurs de la Fagne sont honorés par leurs amis : c’est le cas pour Léon Frédéricq, décédé en 1935 ; puis d’Albert Bonjean honoré de son vivant, en 1938.

Docteur en Droit de l’Université de Liège (1880), Albert Bonjean a fait carrière comme avocat dans la cité lainière dont il est originaire et où il a fait ses études. Né en 1858, il est plusieurs fois bâtonnier du barreau de Verviers. S’il aime la prise de parole pour défendre ses clients, il trouve cependant son épanouissement profond en parcourant la Fagne voisine qu’il traverse de part en part, solidement équipé de vêtements et de souliers appropriés, de réserves alimentaires et de puissantes jumelles. Il n’oublie ni ses cartes ni surtout ses carnets de note qui constitueront la substance de nombreux écrits (légendes d’abord, poèmes et romans ensuite) dont la Fagne est l’héroïne principale. Déjà à l’Athénée, son professeur, Till Lorrain, l’encourageait à l’écriture. Si d’autres écrivains ont vanté certains coins de Wallonie, Bonjean est le premier chantre des Hautes Fagnes. 

Auteur d’une dizaine d’ouvrages publiés entre 1878 et 1939, il est le signataire d’une série impressionnante d’articles dans de nombreuses revues dont la ligne éditoriale manifeste notamment des sympathies libérales et de l’intérêt pour la Wallonie. Membre responsable du Touring-Club de Belgique (créé en 1895) auquel il apporte des articles pour son magazine, membre de la Commission des Monuments et des Sites, il se fait également le défenseur du patrimoine naturel et bâti, et surtout des sentiers vicinaux. Co-fondateur du Comité des Défenseurs de la Fagne (26 octobre 1911), puis de la Ligue de la Fleur, des Plantations et des Sites, il sera nommé président d’honneur des Amis de la Fagne lorsque cette asbl est constituée en 1935. Il n’eut de cesse d’obtenir la protection intégrale et officielle de la région des Hautes Fagnes et eut la satisfaction de voir ses efforts couronnés par le projet de reconnaissance de la Fagne en réserve nationale.

Mémorial Albert Bonjean

Ce sont ces différents titres qui lui valent l’honneur d’une haute stèle (3,5 mètres) où un bas-relief de bronze figure sa silhouette. L’initiative est prise par « ses amis », comme en témoigne la signature sur la face avant du monument. Le sculpteur ne pouvait omettre d’attirer l’attention sur les jumelles du jubilaire. Le lieu et le jour de l’inauguration du mémorial ont aussi valeur de symboles. Depuis plusieurs années, Bonjean s’était battu pour préserver la Fagne et, en 1931, il avait réussi à faire renaître la Baraque Michel. Cent ans après l’édification de la chapelle Fischbach, le lieu reprenait vie et redevenait un point de rendez-vous pour les amis de la Fagne. Alors que les Hautes Fagnes obtenaient le statut de Parc national, la société des Amis de la Fagne décidait d’une journée annuelle de la Fagne : le 10 juin 1936, lors de cette première, Bonjean fut au centre de tous les discours et des réjouissances. L’année suivante, c’est au tour du professeur Frédéric d’être honoré. Quant à la troisième édition de la Journée de la Fagne, elle est l’occasion d’inaugurer le monument Albert Bonjean, tandis que Jules Feller lui consacre un poème. L’œuvre est installée à la Baraque Michel, à quelques pas des tourbières, du Boultay et de la chapelle Fischbach. En 1975, il sera déplacé en bordure nord du parking de la Baraque Michel.

Les Amis de la Fagne en ont confié la réalisation à un sculpteur liégeois. Né à Grivegnée en 1883, Van Neste est à la fois peintre et sculpteur. Autodidacte pour le premier genre, il a reçu une formation à l’Académie de Liège pour le second. Retenu prisonnier dans un camp allemand pendant la Première Guerre mondiale (il séjournait à Munster en mars 1915), Van Neste représentera les conditions de sa captivité, ainsi que des portraits de prisonnier dans quelques tableaux, mais il privilégiera les paysages, les fleurs et les natures mortes dans son œuvre picturale, voire quelques scènes villageoises. Comme d’autres sculpteurs, il eut diverses commandes de monuments aux morts de la Grande Guerre dont principalement celui de Spa. Il signe aussi le buste placé au sommet du monument aux motocyclistes à Aywaille.


La Vie wallonne, août 1938, CCXVI, p. 357-374
André VLECKEN, Albert Bonjean, le Chantre des Hautes Fagnes, sa vie, son œuvre 1858-1939, Verviers, Vinche, c. 1941
http://www.osotatarl.com/monument_chapuis.86.html#Baraque%20Michel 
http://www.mini-ardenne.be/encyclopedie.phpdisplay=theme&commune=JALHAY&localite=HAUTES_FAGNES&P=1 (s.v. mars 2014)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 672
Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres. L’Album du Centenaire. 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 60
Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe, juillet-septembre 1939, n°114, p. 190
R. COLLARD et V. BRONOWSKI, Guide du plateau des Hautes Fagnes, Verviers, éd. des Amis de la Fagne, 1977, p. 303

Baraque Michel – 4845 Jalhay

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Paul Delforge