Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Antoine WIERTZ

Monument Antoine Wiertz, réalisé par Victor De Haen, 30 août 1908.

Les signes de la présence d’Antoine Wiertz (1806-1865) à Dinant sont nombreux. L’artiste avait conservé un rapport particulier avec sa ville natale et, à son décès, une trentaine de ses toiles ainsi que son cœur embaumé furent légués à la cité mosane. L’idée d’élever à sa mémoire un monument de prestige fit l’objet d’une souscription publique. En raison du peu de succès rencontré, elle fut abandonnée : Le Triomphe de la Lumière, cette statue de 45 mètres de haut dont avait rêvé Wiertz, ne verra jamais le jour tout en haut du rocher qui surplombe la Meuse et la ville, devant la Citadelle. En 1905, la revue Wallonia reprend une idée de Henry Carton de Wiart qui suggère que les collections du musée Wiertz, à Ixelles, soient exposées à Dinant, dans une salle permanente, qui pourrait prendre place dans une fabrique en amont du pont principal qu’il faudrait exproprier. Finalement, c’est à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Wiertz que la décision est prise par de réaliser un projet plus modeste, mais néanmoins d’envergure : un Comité présidé par Jules Leblanc est mis en place (1906) pour définir le monument et choisir le statuaire.

Le monument inauguré le 30 août 1908 est l’œuvre du sculpteur bruxellois Victor de Haen (1866-1934) qui signe là un imposant ensemble. Posée sur un piédestal haut de 5 mètres et constitué de blocs bruts de rochers du pays, la statue en bronze (haute de 3 mètres) montre Wiertz debout, en plein travail, un pinceau dans la main droite, sa palette de couleurs dans l’autre. Le visage du peintre paraît inspiré et prêt à s’attaquer à une des immenses toiles dont il avait le secret. S’étant attaché à représenter les plis d’une cappa florentine dans laquelle est drapé le peintre, le sculpteur de Haen a placé des livres à ses pieds, ainsi qu’une tête de cheval renversée sur la partie arrière. En contre-bas, une femme vêtue d’un voile très léger (un bronze lui aussi de trois mètres) semble à la fois prendre la pose et être en train de sculpter un petit sanglier, qu’elle tient dans sa main gauche levée, tandis qu’elle tient son outil dans la main droite. En étant fort attentif, on distingue sur la face avant du rocher, sculptée dans la pierre, la mention suivante :


A
WIERTZ


Entouré de végétations maîtrisées, l’ensemble monumental constitue en lui-même une sorte de rond-point, situé aujourd’hui à quelques mètres des bords de la Meuse et à deux pas de l’Athénée. L’attitude donnée par le sculpteur correspond assez bien au surnom de Wiertz, « le philosophe au pinceau », ainsi qu’à son côté un peu fantasque, voire théâtral.

Artiste excessif et complexe, surdoué sans aucun doute, Antoine Wiertz (1806-1865) exalte les sujets antiques de manière grandiloquente. Marginal, isolé volontaire, « seul portraitiste wallon vraiment romantique » (Vandeloise), Wiertz signe de multiples portraits qu’il ne respecte pas lui-même, considérant qu’il s’agit pour lui simplement de gagner sa vie. Ses croquis et préparations sont multiples, de même que les textes d’un artiste finalement très cérébral, comme en témoignent ses œuvres « sociales » voire « politiques » des années 1850 inspirées par son amour de la justice et sa croyance dans le progrès. Pamphlétaire (Napoléon aux enfers), son génie frôle parfois la folie. Outre ses fresques et ses portraits, Antoine Wiertz était aussi sculpteur comme en témoigne son projet Le Triomphe de la Lumière qui n’est pas sans évoquer la plus tardive statue de la Liberté de Bartholdi.

Quant à Victor de Haen, il n’a jamais connu Wiertz, étant né l’année qui avait suivi le décès du Dinantais. Fils du sculpteur Jacques Philippe de Haen, il reçoit une longue formation à l’Académie de Bruxelles (1882-1892) et surtout le Prix de Rome 1894. Œuvrant sur le chantier de la décoration du Botanique, à Bruxelles, avec Charles Van der Stappen et Camille Meunier notamment, ainsi que sur le chantier de l’arcade du Cinquantenaire, de Haen excelle dans les portraits, les bustes et les figures, qu’ils soient parfaitement ressemblants ou allégoriques. Auteur de plusieurs monuments aux victimes de la Grande Guerre (Saint-Trond par ex.), il signe une production personnelle de rares bronzes en petits formats fort appréciés, d’inspiration Art nouveau.

L’inauguration du monument Wiertz fut à l’image du personnage : compliquée et, à l’inverse d’un tel événement, discrète ; certes, le ministre des Beaux-Arts s’était fait représenter et, au nom des autorités locales, le bourgmestre Ernest Le Boulengé a pris la parole devant un public local nombreux – il discuta la question de savoir si Wiertz était païen ou chrétien et conclut en faveur du second –.  Certes, une fanfare entonna la Brabançonne depuis un bateau « Dinant-Tourisme » ancré au milieu du fleuve et des coups de canon furent tirés. Mais un différend était né entre le statuaire et le Comité patronnant l’initiative. Plusieurs motifs avaient envenimé leurs relations, si bien que le sculpteur ne fut point invité à l’inauguration. L’atmosphère s’en trouva plombée.

La question de l’emplacement fut un premier problème. Le statuaire bruxellois avait conçu son œuvre et ses proportions en fonction d’un environnement précis : la petite place proche de la vieille collégiale. Mais les Dinantais en décidèrent autrement et choisirent la place de Meuse où, indépendamment de maisons sans style, s’élevait un kiosque à la taille une demi fois plus grande que la statue, provoquant (selon de Haen) un sentiment d’écrasement, tandis que la profondeur de la vallée de la Meuse n’offrait aucun repère et rendait le monument étriqué (toujours selon de Haen). 

Monument Antoine Wiertz (Bouvignes, Dinant)

Par ailleurs, les Copères exigèrent du sculpteur qu’il couvre au minimum d’un voile la poitrine dénudée de la jeune femme placée au pied du maître ; un ministre intervint même dans la discussion afin que la représentation soit « chaste et sage ». Enfin, le Comité dinantais exigea que Wiertz porte un chapeau à la Rubens. Dans la description laissée par Gérard Harry (Figaro, 30 août 1908), le Wiertz statufié et inauguré le dimanche 30 août 1908 est décrit comme coiffé d’un feutre provoquant à la Rubens, le maître idéalisé par l’artiste dinantais. Cependant, de chapeau, de Haen ne voulait pas et il a tenu tête…

Plusieurs années plus tard, la statue Wiertz va quitter son emplacement originel sur le quai de Meuse, en contrebas de la tour Montfort, environnement que plusieurs cartes postales de l’Entre-deux-Guerres ont immortalisé. Le monument est déplacé à l’autre bout de la ville, sur la même rive de la Meuse, mais 4 kilomètres plus loin, à Bouvignes.

Sources

Guv VANDELOISE, La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, 506-514
Serge LE BAILLY DE TILLEGHEM, Louis Gallait (1810-1887). La gloire d’un romantique, Bruxelles, Crédit communal, 1987, p. 14-15
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 135
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 393
Jacques STIENNON, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 128
Wallonia, t. XIII, 1905, p. 258-259
Le Figaro, 30 août 1908 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k288199b/f3.textePage.langFR)
La Meuse, 29 et 31 août 1908 ; L’Indépendance belge, 10 septembre 1908 ; Het Laatste Nieuws, 1er et 7 septembre 1908 ; L’Avenir du Luxembourg, 2 et 6 septembre 1908
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 353

 

Place de Meuse (30 août 1908) puis square du 13e de Ligne (date inconnue)
5500 Bouvignes (Dinant)

carte

Paul Delforge