Johan Muyle, No More Heroes, œuvre permanente issue de la triennale Art public, 1ère édition, Namur. 2011

 

Namur (Jambes), place Joséphine-Charlotte n° 2. Accessible aux heures de bureau

« Le capitalisme a dévitalisé la machine et mécanisé la vitalité en la transformant en force de travail. Il a fait du triomphe de l'homme la victoire d'une rentabilité dont il est devenu la victime. Ainsi, de même que le monde tourne sur lui-même dans l'ennui répétitif de la vie absente, le génie de l'homme est entraîné à contresens et se perd en inhumanité. ». Raoul Vaneigem

Créé dans le cadre d’Art Public Namur, la première triennale mise sur pied par la Commission des Arts, No more Heroes a pris place, durant l’exposition organisée en 2011, dans la cour ouverte de l’Hospice Saint-Gilles, ensemble architectural des XVIIe et XVIIIe siècles. Un temps transformés en hospice pour personnes âgées, les bâtiments deviennent propriété de la Wallonie qui y implante son parlement en 1998. L’Hospice Saint-Gilles est aujourd’hui un lieu où s’exerce la démocratie.

Acquise par la Wallonie, l’œuvre de Johan Muyle est actuellement installée dans le hall d’accueil d’un bâtiment du SPW, place Joséphine Charlotte à Jambes.

Posée comme une châsse de verre accueillant les restes d’un saint Sébastien aux allures de derviche tourneur, l’œuvre prend une distance poétique par rapport au lieu. On songe au cercueil de verre de Blanche-Neige, à un conte pour enfants, à la légèreté, à l’insouciance. Le buste couvert de miroirs, allié à la lumière qui darde ses rayons sur la façade, évoque une ambiance de discothèque.

A l’image de la complexité du monde, No More Heroes ne fait pas uniquement appel à ces références populaires. L’œuvre capte le spectateur comme un miroir aux alouettes pour l’amener vers une seconde lecture. Il pose un réel questionnement. A bien y regarder, ce derviche tourneur n’est pas un homme comme on pourrait s’y attendre mais une femme. Une vidéo montrant une éclipse de lune en Turquie se substitue à la tête. Petit à petit, c’est une autre image qui se dessine, celle de la condition et de la place de la femme dans la société, une femme déifiée au centre du monde, idéalisée et mythifiée par les miroirs qui couvrent son buste mais aussi une femme transpercée de flèches. On est au cœur même des préoccupations de Johan Muyle, l’humanité… une humanité déboussolée aux prises avec une civilisation mercantile.

L’image détournée du derviche n’est pas nouvelle dans le travail de l’artiste : Mon manège à moi (1991) en offrait déjà une figure décalée à tête de sculpture antique. Le vocabulaire plastique utilisé par Johan Muyle subit une réadaptation. No More Heroes est l’aboutissement d’une accumulation d’objets glanés qui, une fois rassemblés, constituent un scénario qui peut se lire de diverses manières en fonction des références de chacun.

L’artiste associe volontiers son travail à celui du cinéma d’auteur, soulignant les différents niveaux de lecture de l’un et de l’autre, les rapprochements d’images de l’un et les rapprochements de l’autre qui engendrent une nouvelle image, un autre scénario. Amoureux de l’objet, il ne cesse de le détourner pour donner vie à une nouvelle création, jouant avec les mots, provoquant des doubles sens (comme à la manière de son Plus d’opium pour le peuple, 2007), provoquant des interprétations diverses ou opposées. L’artiste intègre la musique, la lumière, la vidéo, les technologies nouvelles à son travail. Ce digne héritier du Surréalisme fonctionne dans son époque avec les moyens que celui-ci lui procure.

Johan Muyle se nourrit aussi de ses nombreux voyages à travers le monde. A cet égard, son séjour au Congo, au début des années 1990, revêt une importance capitale. Il y découvre que le processus d’association objets/images revu par le prisme de la culture africaine multiplie le nombre des significations. Ses nombreux séjours en Inde achèvent de l’éloigner d’une rhétorique européocentriste. Il s'ensuit une totale liberté de créer, en marge des courants de l’art contemporain, un refus du dogmatisme quel qu’il soit. Son langage donne un rôle essentiel au public, puisqu’il l’amène à prendre conscience des différents niveaux de lecture. Aux réponses dogmatiques, religieuses, politiques, culturelles, Johan Muyle privilégie le questionnement, le regard critique. Au spectateur d’être vigilant.  

 

Marie-Hélène Joiret