La principauté de Liège au XIVe siècle

La principauté épiscopale de Liège survit à la fin de l’Église impériale, jusqu’en 1795. C’est désormais le pape et non plus l’empereur qui intervient dans la désignation du prince-évêque. Du moins, le pape consacre-t-il souvent des choix dans lesquels interviennent les influences locales et internationales. La désignation du prince-évêque fait en effet l’objet de l’intérêt croissant des puissances voisines (le Brabant notamment) ou intéressées par le jeu des équilibres européens : France, Provinces-Unies, Espagne, Autriche, états allemands comme la Prusse ou la Bavière.
Sur le plan territorial, la principauté atteint ses limites définitives dans la deuxième moitié du XIVe siècle. En 1151, à la bataille d’Andenne, l’évêque Henri II de Leez s’est militairement imposé face au comte de Namur et est devenu le vrai seigneur de la vallée de la Meuse. Un demi-siècle plus tard, à Steppes, l’évêque Hugues de Pierrepont (ou Pierpont) aidé par les milices urbaines stoppe brutalement, par sa victoire sur le duc Henri Ier, la progression du Brabant vers l’est (1213). La défaite de Worringen (1288) affaiblit la principauté de Liège par rapport au Brabant. L’axe commercial Bruges-Cologne prend l’ascendant sur le courant de la Meuse.
Ayant placé le comte de Hainaut sous leur domination féodale depuis 1071-1076, les princes-évêques ne réaliseront ni l’incorporation spirituelle du Hainaut (qui va relever du diocèse de Cambrai), ni son incorporation temporelle : ils perdront définitivement son inféodation à la principauté à la suite de la bataille d’Othée (1408).
Élu depuis 1389, l’évêque Jean de Bavière avait l’ambition de réunir Hainaut, Hollande et Zélande, Brabant et Limbourg, ainsi que le Luxembourg à la principauté de Liège. Soutenu par l’empereur qui voulait reprendre des positions plus fermes au-delà du Rhin et craignait de voir des territoires germaniques tomber dans des mains françaises ou bourguignonnes, le prince-évêque espérait hériter en tant que l’oncle de Jacqueline de Bavière, l’épouse du duc de Brabant. Si la Hollande et la Zélande parurent tomber aisément dans l’escarcelle liégeoise (entre 1420 et 1425 seulement), l’intervention de Philippe le Bon et celle des États de Brabant enlevèrent aux princes-évêques de Liège tous leurs espoirs. En 1465 et 1467, le duc de Bourgogne libère Malines et le Brabant de toute juridiction liégeoise.
Promise à la principauté le jour où le comte de Looz ne laisserait pas d’héritier, seul le comté de Looz, fief de l’Église de Liège, fut encore annexé à la principauté en 1362 ; celle-ci atteignait alors ses contours géographiques définitifs.

Références
HPLg-41 ; HW04-113-114 ; LgBV ; LJGdlG48  ; Meuse-Rhin10-2 ; VuBrbt-166-167, 218


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Le duché de Brabant en 1213

À une époque où les échanges économiques entre l’ouest et l’est sont nombreux, le Brabant n’a de cesse de regarder vers la Meuse et au-delà de la principauté de Liège. Après avoir conquis au Nord les terres le menant vers les bouches de la Meuse (contre la Gueldre et la Hollande), Henri Ier tourne ses armées contre la principauté de Liège : cet État souverain est sur le chemin des relations qu’Anvers, Louvain et Bruxelles veulent entretenir avec l’Empire germanique. La route Bruges-Cologne (Alost, Bruxelles, Louvain, Léau, St-Trond, Tongres) passe par Maastricht. Elle est ouverte du côté de Bruges, pas du côté de Cologne. En 1204, l’empereur concède la ville de Maastricht en fief au duc de Brabant, mais ce n’est pas assez. Le moindre prétexte conduit à un affrontement entre Brabançons et Liégeois. En 1212, Liège est mise à sac, mais, l’année suivante, les armées féodales sont battues par un soulèvement, en tout cas par des milices populaires liégeoises à Steppes (1213). Contraints et forcés, les Brabançons se réconcilient avec le vainqueur, obtiennent de l’empereur une partie de Maastricht en fief, mais ne renoncent pas à leur projet. En 1239, Dalhem sera prise par le duc de Brabant qui portera désormais aussi le titre de comte de Dalhem.

Références
ErCover ; ErCoverBbt ; VuBrbt-69


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

La principauté de Liège sous le régime de l’Église impériale (XIe-XIIIe siècles)

À la fin du XIe siècle, l’évêque de Liège – soit comme chef spirituel, soit comme chef temporel et suzerain – exerce son hégémonie sur l’ensemble des régions romanes qui forment l’espace wallon actuel à l’exception de la partie romane du diocèse de Trèves (le pays gaumais). Les princes-évêques placent notamment les comtes de Hainaut sous leur domination féodale (1071-1076). Jusque-là, le comté de Hainaut était essentiellement compris dans le diocèse de Cambrai. Vers 1245, il semble que l’incorporation « temporelle » ne se réalise pas et le Hainaut reste en dehors de la principauté, situation consacrée en 1408 après la bataille d’Othée.
Cette hégémonie dure un siècle seulement, le temps de l’Église impériale. En effet, un vaste mouvement de réforme de la discipline monastique a démarré de l’abbaye de Cluny et s’est propagé dans nos contrées où les abbayes sont sensibles aux nouveaux préceptes. Parmi ceux-ci, la remise en cause de la désignation des responsables de l’Église (investiture) par des princes laïcs. Dès l’entame de son pontificat (1075), Grégoire VII s’emploie à combattre ce régime politico-religieux.
La querelle des Investitures, c’est-à-dire le formidable conflit entre l’empereur et le pape pour le contrôle de l’Église en général et de l’élection des évêques en particulier (1075-1122), puis l’effondrement de l’autorité impériale dans le courant du XIIIe siècle affaiblissent dans un premier temps, puis anéantissent finalement, le système ottonien de l’Église impériale, dont la mort de l’empereur Henri VI (1197) marque le tournant. Alors que la notion de Lotharingie disparaît, les lointains successeurs d’Otton se désintéressent des terres situées le plus à l’occident de l’empire. Le lien de subornation à l’égard de l’Église impériale se distend de plus en plus. L’élection des évêques va désormais aussi dépendre des grandes familles locales qui ont tissé leurs propres liens féodaux et assuré l’autonomie de leurs territoires, véritables petits États souverains.
À Liège, une distinction plus nette s’établit entre « diocèse » et « pays » de Liège. Le pape confère à l’élu l’autorité spirituelle, que symbolisent l’anneau et la crosse. L’empereur ne conserve que l’investiture laïque, remettant le sceptre et l’épée, symboles du pouvoir temporel. L’autorité temporelle de l’évêque ne dépasse plus les limites des domaines épiscopaux et donc de la principauté de Liège dont les frontières sont bien définies et qui s’affirme comme un État souverain, à l’instar de ses petits voisins. De surcroît, la faiblesse des héritiers de l’empire d’occident coïncide avec l’émergence de la puissance française, militaire, politique, culturelle (les arts, l’Université de Paris, le vin…, etc.) et économique (foires, etc.).

Références
AzKG-94 ; DHGe14 ; HPLg-41 ; HW04-113-114 ; Kup-527 ; LJGdLg48 ; Meuse-Rhin10 ; vRey-22


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Possessions de la maison de Luxembourg en 1139

Quand Conrad II, comte de Luxembourg, meurt en 1136, il ne laisse aucun héritier. Fils de Godrefoi Ier comte de Namur, Henri est désigné pour succéder à son cousin Conrad, et prend le nom de Henri IV de Luxembourg. Trois ans plus tard, à la mort de son père (1139), Henri hérite du comté de Namur, ainsi que des comtés de Durbuy et de Laroche, et des avoueries des abbayes Saint-Maximin et Saint-Willibrod. En réunissant ainsi sur sa personne un vaste ensemble entre Meuse et Moselle, il devient un puissant prince territorial mieux connu, plus tard, sous le nom de Henri l’Aveugle (il devient aveugle en 1182), ou Henri de Namur. Malgré ses tentatives pour étendre encore ses biens, il se heurte à des voisins plus puissants que lui, notamment Liège et le Brabant, mais aussi l’archevêque de Trèves. En 1151, la bataille d’Andenne se solde par la victoire écrasante de l’évêque de Liège. D’autre part, afin d’affaiblir le poids de la noblesse, il « importe » les habitudes namuroises en Luxembourg, essentiellement le « droit de Namur ». Franchises et privilèges sont accordés aux villes et bourgeois, mais aussi étendus aux communautés rurales.
Au terme du long règne d’Henri l’Aveugle (né à Namur vers 1112, il meurt à Echternach en 1196), ses biens sont dispersés : sa dernière fille (Ermesinde) hérite des comtés de Laroche et Durbuy, le comté de Luxembourg revient à l’empereur du fait de l’absence d’héritier masculin et le comté de Namur revient au comte de Hainaut (Baudouin V). Le comté de Luxembourg est confié à Othon de Bourgogne (fils de l’empereur Frédéric Barberousse) qui meurt en 1200. En 1197, Ermesinde avait néanmoins obtenu de succéder à son père. Mariée à Waléran III, futur duc de Limbourg, elle administre le comté durant une longue période (jusqu’en 1247), donnant une nouvelle vie à la maison de Luxembourg.

Références
AzKG-94 ; DHGe14 ; H56 ; TrauLxb86 ; TrauLxb92 ; TrauLxb119


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Le Hainaut, fief de l’Église de Liège (fin du XIe siècle)

À la mort de Baudouin (1070), Robert le Frison, son frère, s’empare de la Flandre, en écarte tous les prétendants, et laisse le Hainaut à Richilde et à son fils Baudouin. L’union est rompue. Cherchant une aide extérieure (1071-1076), le comté de Hainaut devient un fief de l’Église de Liège, tout en conservant son autonomie politique. Jusque-là il était essentiellement compris dans le diocèse de Cambrai qui partageait le même statut qu’Arras, Boulogne, Thérouanne et Tournai au sein de l’archevêché de Reims. Le diocèse de Tournai ne redevient distinct de ses voisins immédiats qu’en 1146.
Vers 1245, il semble que l’incorporation « temporelle » ne se réalise pas et le comté de Hainaut n’intègre pas la principauté de Liège. En 1408, après la bataille d’Othée, le comte de Hainaut brise le lien féodal avec le diocèse de Liège ; prince-évêque issu de la même famille (Wittelsbach) que le comte du Hainaut, Jean de Bavière ne s’oppose pas à cette mesure.

Références
ANA ; AzKG-94 ; Bo ; DCM17, 20 ; Er35c ; WPH01-219


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Liège sous Notger, évêque et prince (972-1008)

Empereur d’Occident, se proclamant héritier des Romains et de Charlemagne, Otton Ier utilise son droit de nommer les évêques à des fins politiques. En attribuant aux évêques des charges comtales, l’empereur évite la dispersion de son patrimoine. Bien que Saxon et non carolingien, Otton accorde de l’importance à ses terres les plus occidentales. Comme les « (…) principautés territoriales du Hainaut, de Louvain-Brabant, du Limbourg, du Luxembourg et de Namur se sont édifiées au préjudice de l’autorité royale », la principauté liégeoise sera construite « par la volonté des rois – particulièrement ceux de la dynastie des Otton – désireux d’enrayer le processus d’hérédité ou, ce qui revient au même, de confiscation, par les princes territoriaux laïcs, des hautes charges publiques » (Histoire de la Wallonie, p. 113).
Véritable incarnation du système ottonien, Notger, par ailleurs formidable personnalité politique de son époque, peut être considéré comme le fondateur de la principauté de Liège. Désigné évêque de Liège par Otton Ier en 972, il obtient d’Otton II la confirmation de l’immunité des possessions de l’Église de Liège (980) ; en d’autres termes, soustraites à une charge comtale, plusieurs possessions (à Huy, Maastricht, Namur, Dinant, Tongres, Marchienne-au-Pont, Theux, etc.) dépendent de la seule autorité de l’empereur. En déléguant son pouvoir à la cathédrale saint-Lambert et à son titulaire, l’empereur transforme de facto l’évêque, en l’occurrence Notger, en un comte ayant droit de haute justice, de lever le tonlieu, de battre monnaie, d’établir des marchés et de dresser des fortifications. En 985, Notger reçoit en donation le comté de Huy, d’autres suivront. Les pouvoirs de l’évêque et du prince se rejoignent pour régler le spirituel et le temporel sur un territoire. La principauté de Liège devient le modèle de ce que l’on appellera l’« Église impériale ottonienne » (Reichskirche).


Références
AzKG-94 ; DHGe14 ; HW04-113-114 ; LJGdLg48 ; Meuse-Rhin10


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)

Les biens de l’Église de Liège au Xe siècle

Faisant partie du diocèse primitif de Tongres, la petite cité de Liège acquiert un statut tout neuf quand l’évêque Lambert y est assassiné en l’an 700. Successeur de Lambert, Hubert y fait édifier une basilique et, en 800, sous Charlemagne, Liège devient siège épiscopal, celui-ci ayant déjà migré précédemment de Tongres à Maastricht. C’est désormais depuis Liège que l’évêque, représentant local du pape, exerce un pouvoir spirituel et moral sur l’ensemble d’un diocèse qui a conservé les mêmes dimensions que l’ancienne civitas tungrorum. Progressivement, il va aussi exercer un pouvoir temporel sur les terres que lui offrent princes et seigneurs. Au Xe siècle, les donations sont nombreuses et les possessions de l’Église de Liège – sous forme de biens ou de droits – sont situées le long de l’axe Sambre-et-Meuse ; elles confèrent à l’évêque une position prestigieuse.

Références
AzKG-94 ; HPLg-16-31 ; LJGdLg48 ; Meuse-Rhin10


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)