Bon Cassian

Socio-économique, Entreprise

Liège 14/10/1842, Terni 13/11/1921

En Ombrie, la cité de Terni, petite bourgade campagnarde au début du XIXe siècle devient en quelques années un centre industriel et ferroviaire de première importance. Ce développement, la cité le doit en partie à un Wallon, Cassian Bon, qui, dans les années 1870, s’est en quelque sorte transformé en « John Cockerill » de l’industrie sidérurgique italienne. Mais autant il occupe une place importante dans l’histoire de l’Italie, de Terni en particulier, autant il est totalement oublié dans l’histoire de la Wallonie.

Beau-frère de Léopold de la Vallée Poussin, le « patron » de la toute jeune SA « Cie générale des Conduites d’eau » spécialisée dans la fabrication et la pose de tuyaux destinés à la distribution d’eau et de gaz, Cassian Bon est un fils de bonne famille (d’origine albigeoise, son père fait sa carrière d’avocat à Liège) qui est envoyé à Rome, en 1867, pour surveiller un des plus gros chantiers du moment : l’aménagement de l’Acqua Pia. Avant l’inauguration de l’aqueduc (10 septembre 1870), Cassian Bon a noué plusieurs contacts dans la péninsule, il a certes rencontré des artistes wallons en séjour à Rome (comme Léon Philippet qui réalisera son portrait), mais surtout il a visité plusieurs villes d’Ombrie, de Toscane, du Latium ou de Vénétie et constaté l’absence d’équipements publics.

Afin de convaincre de l’intérêt des « progrès techniques », Cassian Bon obtient des autorités italiennes et de celles de Pérouse le droit d’installer, à ses frais, une usine à gaz de pétrole : au début des années 1870, la cité est éclairée par plus de 500 « illuminations ». Privilégiant le gaz de pétrole – moins cher et plus riche en Italie – il a fait breveter un système de son invention qui va essaimer dans la botte italienne. À la tête de la « Société générale pour l’éclairage au gaz », C. Bon gère, à partir de 1874, les approvisionnements des éclairages installés à Pérouse, Lecce, Cosenza, Terni, et bien d’autres villes encore. 

Mais là ne s’arrête pas l’aventure italienne du Wallon. Au contraire, elle ne fait que commencer. Sa rencontre avec le Vénétien Stéphano Breda, entrepreneur (aqueducs, voies ferrées, etc.) et homme politique, est importante.

À Terni, on ne trouve ni houille ni minerai de fer ; très éloignée de la mer, l’environnement de la cité ne présente que deux atouts : la force hydraulique de la rivière Néra et l’abondante forêt d’Ombrie. Y trouvant un combustible à très bon marché et en faisant venir les minerais de l’île d’Elbe, des industriels milanais et allemands installent deux hauts fourneaux au lendemain de la guerre franco-prussienne. Le prix élevé de la fonte n’a qu’un temps et la qualité de la fonte produite est loin de correspondre à la demande du marché. 

Après moins de deux années d’exploitation (1873-1875), l’usine « Lucowich et Cie » ferme ses portes. En 1879, les premiers investisseurs sont très satisfaits de revendre les outils à Cassian Bon qui s’empresse de fonder une société en commandite par actions, la « Sté des hauts fourneaux et fonderies de Terni, Cassian Bon et Cie ». La société va fabriquer des tuyaux en fonte et du matériel hydraulique destinés aux aqueducs qui se construisent à Venise, Naples, Ancône, etc., et à nombre de nouvelles distributions d’eau et de gaz. L’industriel wallon devient un acteur du développement industriel italien, obtenant des commandes dans des domaines qui se diversifient (bateaux, canons, etc.). Il n’ignore pas, grâce à des contacts avec Stephano Breda, entrepreneur comme lui, ingénieur mais surtout député, que l’État italien cherche le moyen de se rendre indépendant de l’étranger dans la fabrication d’armes de guerre. Plusieurs sites sont en concurrence, mais finalement c’est Terni qui est choisie, en 1883, par le ministre Benedetto Brin et la société Veneta, appartenant à Breda, devient le maître d’œuvre.

Pour Cassian Bon qui connaît alors d’importantes difficultés, ce choix est providentiel. Ayant pris contact avec Henri Schneider au Creusot, il s’associe à la société de Breda et, en 1884, voit le jour la « Sté des hauts fourneaux, fonderies et aciéries de Terni » ; le capital de la Saffat sera multiplié par sept en vingt ans. Dans les milieux politiques italiens, on s’est (enfin) accordé pour faire de Terni – située loin des frontières et disposant d’une énergie hydraulique considérable – le plus grand complexe sidérurgique pour la production d’armements. 

Faisant venir plusieurs ingénieurs du Creusot et de Liège, Cassian Bon s’assure ainsi de la collaboration et de l’expérience du Creusot et de la société John Cockerill. Il s’agit d’être à la pointe dans la technologie, notamment dans les matériaux de blindage. En juillet 1887, bien qu’il fonctionne déjà depuis plusieurs mois, le « Grand Marteau de Terni », pesant 108 tonnes, est inauguré officiellement ; il restera en activité jusqu’en 1910, symbolisant les débuts de la révolution industrielle en Italie. En 1889, de Terni sort 50 % de la production italienne d’acier. De Terni sortent des produits à la fois très diversifiés et à la pointe du progrès pour la défense nationale italienne : au début du XXe siècle, Terni en détient le monopole.

Mais par ailleurs, Cassian Bon diversifie ses activités. À Terni, il réalise des produits destinés au commerce (clous, rails, wagons, tôles, boulons, rivets, etc.). Il fait venir de Liège de nombreuses machines-outils. Investisseur, il dote aussi la cité de la distribution d’eau potable, de l’éclairage public, d’une fabrique de glace pour les hôpitaux de la ville, tandis que d’autres industriels viennent s’y installer, favorisés par l’inauguration d’une ligne de chemin de fer qui relie Terni à Sulmona (1883). 

Par conséquent, c’est toute une région qui se transforme, vivant sa « Révolution industrielle » et ses multiples conséquences, en raison de l’investissement initial de Cassian Bon. Mais d’autres initiatives relèvent encore de l’investisseur, en France comme ailleurs en Italie. L’un des premiers biographes, Maurice Cloës, assure qu’il reçut de la population comme des autorités italiennes de multiples marques de sympathie, de remerciements et de reconnaissance (notamment il a été élevé Chevalier de l’Ordre de la Couronne italienne). Une avenue de Terni porte notamment son nom et sans conteste, Bon, Breda et Brin ont leur nom gravé au panthéon de l’industrie sidérurgique italienne.

Sources

Maurice CLOËS, dans La Vie wallonne, I, 1968, n°321, p. 21-27
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, Liège, 1995, p. 260
Thérèse LAMARQUE-BON, Cassian Bon : un maître de forges en Italie au XIXe siècle, s.l., Hélette-Curutchet, 1998
Gino PAPULI, La macchina e il monumento. La grande pressa di Terni, Instituto per la cultura et la storia d’impresa « Franco Momigliano », 2006
Alessandro BOSELLI, La sidérurgie de guerre de l’Italie, monopole de Terni, traduit de l’italien