Statue à la mémoire de Grégoire-Joseph Chapuis
Verviers – place du Martyr ; 10 octobre 1880.
Réalisée par Joseph-Antoine Van den Kerkhove dit Nelson
Lors de la seconde restauration autrichienne et du rétablissement du prince-évêque de Liège François-Antoine de Méan (mars 1793), Grégoire-Joseph Chapuis (1761-1794) ne se méfie pas des risques de rétorsion qui pèsent sur tous ceux qui ont pris une part active aux événements révolutionnaires récents. Maître en chirurgie, accoucheur juré (1787), cofondateur d’une Société patriotique et humaine (1790), Chapuis a porté une réelle attention aux plus défavorisés et s’est fait un propagandiste actif des idées nouvelles. Expliquant les Droits de l’Homme et l’évolution des événements, lors de réunions publiques du printemps à l’automne 1790, il n’accepte de participer à l’administration de sa cité que sous le régime de liberté instauré par Dumouriez. Conseiller municipal élu (janvier-mars 1793), membre du Comité de Surveillance instauré à Verviers, c’est en tant qu’officier municipal qu’il est amené à signer un contrat civil (et non un mariage civil), sans qu’il faille y voir le défenseur acharné du pouvoir civil que d’aucuns ont décrit. Confiant dans la promesse d’amnistie annoncée par le prince-évêque, Chapuis vient de reprendre ses activités professionnelles quand il est arrêté fin mars 1793, emprisonné à Verviers avant d’être transféré à Liège. Après un long procès, il est condamné à mort, le 30 décembre. Le 2 janvier 1794, il est décapité au sabre damas, sur la place du Sablon, à Verviers.
En dépit de la portée de l’événement et d’un hommage rendu dès l’arrivée définitive des révolutionnaires français (à partir de 1795), l’exécution capitale de Chapuis paraît s’évanouir dans l’oubli du temps quand son souvenir est ranimé par une série de publications (biographies et pièce de théâtre), puis surtout à partir des années 1870. En quête de références marquantes, les milieux libéraux locaux voient en lui un « Saint-Just verviétois », Un Docteur martyr, ainsi que l’écrit Thil Lorrain. Composé d’industriels et d’intellectuels locaux (Ernest Gillon, Pierre Grosfils, Thil Lorrain, Henri Pirenne père), un Comité spécial formé par le Comité des Soirées populaires se met en place pour organiser un concours littéraire et surtout plusieurs manifestations et souscriptions pour réunir les fonds nécessaires à l’élévation d’un monument. L’idée avait déjà été évoquée en 1837, mais le conseil communal ne l’avait pas retenue.
En septembre 1875, les autorités de Verviers renomment la place des Récollets, où l’exécution avait eu lieu en 1794, et en font la place du Martyr, manifestant ainsi un soutien explicite à l’initiative privée. Le sculpteur qui est choisi est le bruxellois Joseph-Antoine Van den Kerkhove (1848 ou 1849- date de décès inconnue), dit Nelson. Fils d’Augustin Van den Kerkhove dit Saïbas, (Joseph)-Antoine est né dans une famille de sculpteurs anversoise venue s’établir à Bruxelles. Après la statue de Chapuis, il signe en 1884 deux bas-reliefs du Palais provincial de Liège (l’épisode dit du duel de la place Verte (bataille entre Awans et Waroux en 1298) et l’assassinat de Sébastien Laruelle). Actif à Paris entre 1890 et 1910, il travaille le bronze ainsi bien que le marbre ou la pierre ; occupé sur plusieurs chantiers de décoration d’édifices publics, il réalise, d’initiative, de petits objets de décoration et de fantaisie.
Mais revenons à Chapuis. Le 7 août 1880, la première pierre du socle « verviétois » est officiellement posée et, le 10 octobre, le monument érigé en mémoire de Chapuis est tout aussi officiellement inauguré par le bourgmestre libéral Ortmans-Hauzeur. Le chantier n’a pas traîné car la manifestation – prestigieuse – devait correspondre à la date du 50e anniversaire de l’indépendance de la Belgique.
Le monument comprend un socle de 4 mètres de haut en pierre bleue d’Écaussinnes et la statue en bronze fait la même taille. Présenté debout, la tête levée vers l’avenir, le personnage se tient droit, les jambes légèrement écartées, laissant apparaître la lame qui eut raison de lui. Derrière la hache (même si, en fait, il s’agissait d’un sabre) et les jambes de Chapuis, le billot est représenté ostensiblement. En costume bourgeois, Chapuis porte les insignes du pouvoir républicain comme l’écharpe mayorale, et tient dans sa main gauche un parchemin, symbole du Mariage civil (l’inscription se lit difficilement).
En l’absence de toute représentation du visage de Chapuis, on prétend que ses traits ont été empruntés à Armand Wéber (dont on admettait la ressemblance, peut-être parce qu’il était son petit-neveu) ; d’autres prétendent que ce sont davantage des expressions de sa physionomie qu’imite la statue. Sur les quatre faces du socle, autant d’inscriptions dévoilent le personnage, ainsi que les motivations et les valeurs (libérales, voire anticléricales) que défendent ceux qui l’honorent. Grégoire-Joseph Chapuis est présenté comme :
« G.J. Chapuis
ses concitoyens
1880 ». (face avant)
« 12 avril 1761
2 janvier 1794 ». (face arrière)
« Éducateur
et
bienfaiteur
du
Peuple » (à droite)
« Mort
pour l’Indépendance
du pouvoir civil » (à gauche)
Sur le rebord du socle en bronze apparaissent la signature du sculpteur – Jos. Ant. VD « Nelson » – et le nom de la Fonderie nationale
En pleine querelle scolaire (le gouvernement libéral de Frère-Orban venait de rompre les relations diplomatiques de la Belgique avec le Vatican), les libéraux verviétois détiennent un héroïque prédécesseur, dévoué à l’éducation populaire. Entre libéraux, catholiques et bientôt socialistes, la mémoire de Chapuis ne va pas cesser de susciter des réappropriations symboliques. Sans entrer dans le détail de ces enjeux mémoriels, citons simplement le fait qu’en 1984 la section de Wallonie libre – Verviers a choisi le monument Chapuis pour célébrer ses 40 ans d’existence, et rappeler qu’elle partageait « le même goût de la liberté » que le martyr, sans doute aussi parce qu’il fut condamné pour avoir voté le rattachement du Marquisat de Franchimont à la France...
Paul BERTHOLET, Grégoire Joseph Chapuis. Du mythe à la réalité. Étude critique d’épisodes de la vie de Chapuis rapportés par ses biographes, dans Bulletin de la Société verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, Verviers, 2018, vol. 81, p. 5-277
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 585
Philippe RAXHON, La mémoire de la Révolution française. Entre Liège et Wallonie, Bruxelles, Labor, 1996, p. 118-139
Exposition « Autour de Grégoire-Joseph Chapuis », Musée des Beaux-Arts de Verviers, septembre 2015
Freddy JORIS, Mourir sur l’échafaud, Liège, Cefal, 2005, p. 18
Philippe RAXHON, La Figure de Chapuis, martyr de la révolution liégeoise dans l’historiographie belge, dans Elizabeth LIRIS, Jean-Maurice BIZIÈRE (dir.), La Révolution et la mort : actes du colloque international, Toulouse, 1991, p. 209-222
Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 571-573

© Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam
Statue Grégoire-Joseph Chapuis