Paul Delforge-Diffusion Institut Destrée-Sofam
Monument Guillaume APOLLINAIRE
Monument érigé à la mémoire du poète Wilhelm Apploniars de Kostrowisky - alias Guillaume Apollinaire, œuvre réalisée par Fernand Heuze sur un dessin d’Oscar Lejeune, 23 juin 1935.
Le court séjour de Guillaume Apollinaire dans la région de Stavelot-Malmedy a fait l’objet de nombreux écrits auxquels se sont ajoutés des commémorations diverses et variées, allant d’une référence commerciale à des colloques, en passant par l’ouverture d’un musée et l’inauguration de monuments. Le plus spectaculaire est assurément celui de Bernister qui commémore le séjour du poète dans la région durant l’année 1899. Il faut pénétrer de quelques dizaines de mètres dans le bois pour apercevoir un ensemble de sept blocs de pierre, géométriques, en calcaire bouchardés, l’ensemble formant une sorte de cromlech « dans un esprit apollinarien ». Au centre, se trouve la plus haute stèle – elle mesure 4 mètres de haut – sur laquelle ont été gravés les mots Guillaume Apollinaire et la fameuse date de 1899 en cette disposition « parallélépipédique » :
GUIL L AUM E
APOL I NAIR E
1899
Formant le cercle autour de la stèle centrale, six autres blocs de plus petites tailles (permettant de s’asseoir) portent une série d’inscriptions gravées formant une seule phrase, en l’occurrence trois vers de La jolie rousse, texte écrit entre 1912 et 1916 et publié en 1917, le dernier poème des « Calligrammes » :
« Soyez indulgents quand / vous nous comparez à
ceux qui furent la / perfection de l’ordre,
nous qui quêtons / partout l’aventure. »
Cette ronde de bornes n’est pas sans évoquer des bornes frontières en cet endroit situé à la limite des anciens pays de Stavelot et de Malmedy ; cette dernière cité, faut-il le rappeler, venait d’être « annexée » à la Belgique à la suite des récents Traités de Versailles quand le monument est inauguré ; Apollinaire, quant à lui, avait connu la situation ancienne où Stavelot était belge et Malmedy prussienne.
Né à Rome en août 1880, officiellement de père inconnu (en fait le comte Francesco Flugi d’Aspremont), le futur poète reçut de sa mère, la « baronne » Olga-Angélica de Kostrowitzky, plusieurs prénoms, dont Guillaume et Apollinaire qui deviendront sa signature littéraire. Après avoir séjourné à Bologne, Monaco, puis à Paris, la baronne franchit la frontière franco-belge avec son nouvel amant, Jules Weil, suivi par les conséquences de quelques revers financiers. Alors âgé de presque 19 ans, Wilhem ou William, ainsi que son frère Albert les accompagnent (juin 1899). La mère s’installe à Spa, tandis que les deux jeunes gens vont rejoindre le « beau-père » à Stavelot, où il a pris pension chez Constant-Lekeux, « charcutier - restaurateur, 12 rue Neuve ». Laissés seuls dès la fin du mois de juillet, les deux adolescents multiplient les promenades durant l’été, font des rencontres et partagent leur temps avec certains locaux ; mais sans le sou, ils finissent par s’enfuir le 5 octobre : leur mère et son ami ont quitté Spa et son casino depuis longtemps ; depuis le mois d’août, ils sont rentrés à Paris, et personne n’a l’argent pour payer la pension de Stavelot. Ce n’est qu’en 1934 que Christian Fettweis découvre dans un vieil album l’identité des deux frères et publie Apollinaire en Ardenne.
Avant lui, André Billy, Robert Vivier, Marcel Thiry notamment avaient déjà eu l’attention attirée par la familiarité d’Apollinaire tant avec la langue wallonne de Malmedy qu’avec certains lieux, voire des us et coutumes propres à l’est wallon ; le poète n’avait-il pas aussi ressenti la vive opposition qui animaient les Prussiens de Malmedy aux Wallons malmédiens ? Emporté par la grippe espagnole à la fin de la Grande Guerre, il ne pouvait plus répondre aux interrogations de ses contemporains. Indiscutablement, le bref séjour wallon avait marqué l’œuvre du poète maudit qui choisit, à Stavelot, d’abandonner définitivement la version germanique de son prénom, Wilhem, pour adopter celui de Guillaume. Comme l’écrit Maurice Piron, en 1975, grande est « l’influence du séjour à Stavelot sur la sensibilité de celui qui, entre les lignes d’un cahier au nom de Wilhelm Kostrowitzky, essayait les premières signatures de Guillaume Apollinaire. (…) l’expérience des trois mois et demi passés en Wallonie fut féconde pour la genèse elle-même de l’œuvre qui allait naître, puisqu’elle coïncide avec la gestation des premiers thèmes apollinariens et qu’elle l’a, jusqu’à un certain point, conditionnée » (PIRON, p. 73-74).
C’est grâce à Fettweis qu’il n’y a dorénavant plus aucun doute sur le bref séjour d’Apollinaire en Wallonie. Très vite, la volonté de faire connaître « cet épisode historique » va prendre plusieurs formes à l’initiative de la Société des Écrivains ardennais et de la Société des Beaux-Arts de Verviers. Éditrice de l’ouvrage de Fettweis, cette dernière propose d’élever un mémorial le long de la vieille route de Malmedy, à Francorchamps. Unissant leurs efforts, les deux sociétés inaugurent d’abord à Stavelot, le 23 juin 1935, le médaillon et la plaque commémorative dans l’entrée de l’Hôtel Constant ; ensuite, elles inaugurent le Mémorial de Malmedy.
Leur initiative malmédienne a reçu les adhésions officielles de Paul Valéry, Henri de Régnier, Lucien Descaves, André Gide, Gaston Rageot, Francis Jammes, Francis Carco, Paul Léautaud, André Billy, André Rouveyre, Jules Romains, Tristan Derême, Émile Zavie, André Salmon, Henri Duvernois, Joseph Delteil, Luc Durtain, Jacques Boulenger, Max Jacob, Valéry Larbaud, Ivan Goll, Marius Ary Leblond, ainsi que de Jean Cocteau. Tous ne sont pas présents le jour de l’inauguration, mais tant les autorités de Stavelot que celles de Malmedy ont mobilisé leur population pour accueillir les délégations et représentants officiels (comme le consul général de France, Fernand Sarrien, ou le gouverneur de la province de Liège, voire Lucien Christophe, représentant officiel du ministre belge de l’Instruction publique, ainsi que Charles Delchevalerie, André Billy, Olympe Gilbart ou Marcel Thiry), en présence de Jacqueline Apollinaire, la veuve du poète. La seule absence remarquée est celle de Paul Claudel, ambassadeur de France à Bruxelles qui a refusé d’inaugurer le monument. Une fois tout ce beau monde rassemblé, un fort cortège quitte à pied l’hôtel de ville de Malmedy pour gravir le chemin conduisant au sommet de la butte de Bernister culminant à 500 mètres d’altitude.
Le Mémorial Apollinaire a été dessiné par Oscar Lejeune et exécuté par le sculpteur verviétois Fernand Heuze (1883-1955), plusieurs fois sollicité dans l’Entre-deux-Guerres pour réaliser des monuments dans les Hautes Fagnes (par exemple, les monuments Legras et Frédéricq). Artiste discret, Heuze est comme ses collègues l’auteur de plusieurs monuments aux victimes de la Grande Guerre (par exemple celui d’Aubel avec son joueur de clairon du 12e de ligne en 1921, ou celui de Charneux). Par ailleurs, il enseigne à l’Académie de Liège. Dans son atelier, il initie son fils – parfait homonyme, né en 1914 – à la sculpture, mais c’est vers la peinture que celui-ci se dirigera, tout en étant un membre actif du comité de Verviers des Amis de la Fagne. Quant à Oscar Lejeune (Verviers 1904-1970), s’il dirige le théâtre du Parc de 1947 à 1969, il était aussi « un ami de la Fagne » et l’un des accompagnateurs de Christian Fettweis lorsque les promeneurs firent une courte halte, en 1934, dans l’hôtel-pension des Constant-Lekeux, à Stavelot, et y découvrirent qu’Apollinaire y avait séjourné en 1899. Docteur en Droit, catholique, cet amateur de théâtre se plie d’abord à la gestion des affaires commerciales familiales (de 1926 à 1943, le Verviétois est dans le « textile »), avant de se consacrer entièrement à sa passion, en tant que directeur d’un théâtre professionnel. Fondateur et responsable de la Société des Beaux-Arts de Verviers (1929-1940), Oscar Lejeune organise de grandes expositions et des concerts, et soutient des initiatives telles que celles qui honorent Apollinaire à Stavelot et Bernister.
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:2vduF-JT0EEJ:www.wiu.edu/Apollinaire/Archives_Que_Vlo_Ve/1_13_5-11_Quelques_articles_sur_le_monument_de_Bernister.doc+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=be
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Maurice PIRON, Guillaume Apollinaire et l’Ardenne, Paris, Jacques Antoine, 1975
Postface de Marcel THIRY, dans Maurice PIRON, Guillaume Apollinaire et l’Ardenne, Paris, Jacques Antoine, 1975, p. 118-119
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lieu-dit Thier de Liège
4960 Malmedy-Bernister
Paul Delforge