Paul Delforge – Institut Destrée - Sofam

Statue Éracle

Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques. Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser la toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius (1827-1889), une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs. Dès la mi-octobre 1880, 27 des 42 statues sont achevées, validées par la Commission et mises à leur emplacement respectif. Celle d’Eracle est parmi celles-ci.


Membre de cette équipe, Michel Decoux (1837-1924) va réaliser trois des 42 statues, dont celle de Notger et celle d’Éracle. Considéré comme un sculpteur animalier, Decoux est surtout connu pour la réalisation de groupes de scènes de chasse, et s’est spécialisé dans les animaux sauvages (éléphants, panthères, etc.). Influencé par le cubisme et s’inscrivant dans le courant art déco, aimant travailler le bronze, Michel Decoux avait signé toute autre chose sur le chantier de Liège : c’est dans la pierre que, de manière fort classique, il avait tenté de rendre la personnalité d’Éracle (c. 925-971), le prédécesseur de Notger à la tête du diocèse de Liège.


Ancien prévôt de l’église de Bonn, membre de l’archevêché de Cologne, disciple de Rathier, Éracle est nommé évêque de Liège en 959 ; il y remplace Baldéric Ier, en même temps qu’il se voit confier la direction de l’abbaye de Lobbes (959-960). Au service de l’empereur, il tente de renforcer à la fois le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel dans un diocèse réputé difficile. Évêque constructeur, il fera partager à Liège son goût pour les études, y favorisant le développement d’une véritable École liégeoise, la cité mosane devenant une sorte d’« l’Athènes du Nord », sous Notger, son successeur.
En représentant les bras d’Éracle se croisant à mi-corps, la main gauche tenant un livre fermé, Michel Decoux donne une allure sage et solennelle à l’évêque identifié par sa mitre et le drapé de son vêtement. Située sur la partie supérieure de la colonne de droite, sur la façade du marteau de gauche, du côté de la cour, la statue d’Éracle occupe une position originale, dans un angle intérieur, qui l’oblige à être seule dans son coin supérieur. L’inclinaison de la tête tend à montrer que l’évêque continue à veiller sur Liège.

 

Sources 

Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 82
Hubert SILVESTRE, dans Biographie nationale, t. XLIV, col. 446-459
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 332
La Meuse, 2 octobre 1880


 

Statue d’Éracle

Façade du Palais provincial
Place Saint-Lambert 18A
4000 Liège

carte

Paul Delforge

Eracle

Eglises, Politique

Lieu et date de naissance inconnus (circa 925), Liège 27 ou 28/10/971

Au milieu du Xe siècle, le roi de Francie orientale éprouve encore quelques difficultés à asseoir son autorité sur certaines puissantes familles ; dans l’espace lotharingien, particulièrement entre Meuse et Escaut, Otton Ier confie à son frère Brunon le soin de calmer les turbulents Régnier et de mettre en œuvre la politique de l’Église impériale. En même temps qu’il est nommé archevêque de Cologne, Brunon charge Rathier du siège épiscopal de Liège (953). Face à l’hostilité de l’aristocratie et du clergé local, Brunon est contraint d’accepter Baldéric, choix imposé par les Régnier, avant de reprendre le dessus, de forcer à l’exil les contestataires et de faire élire Éracle comme prince-évêque le 21 août 959.

Ancien prévôt de l’église de Bonn, membre de l’archevêché de Cologne, Éracle est un disciple de Rathier : comme Brunon, il a en effet reçu une formation particulière de la part du moine de l’abbaye de Lobbes, lorsque ce dernier fréquenta la cour d’Otton à Cologne vers 948-952. Éracle en restera éternellement reconnaissant à son maître. Son épiscopat s’en ressentira.

De 959 à 971, Éracle a la difficile mission d’affirmer son pouvoir spirituel et de consolider son pouvoir temporel, tant à l’égard de voisins téméraires que de Liégeois réputés sourcilleux. Parmi les « grands travaux », il fait entreprendre la construction d’une enceinte et de trois importants édifices religieux : la collégiale Saint-Paul, la collégiale Saint-Martin et une troisième dédiée à Saint-Laurent. Entamée en 968, la construction de cette dernière est délaissée par Éracle et l’abbaye ne sera finalement consacrée que plus d’un demi-siècle plus tard.

Dès son accession au trône épiscopal, Éracle s’est déchargé de sa dignité sur l’abbaye de Lobbes qu’il exerce de 959 à 960, avant introduire la coutume de la désignation de son responsable par le prince-évêque de Liège. Il veille à la discipline intérieure et au respect des biens de la dite abbaye. Brillamment formé par Rathier, Éracle va faire partager à Liège son goût pour les études. Longtemps avant les premières universités, il favorise le développement d’une véritable École liégeoise, si bien que la cité mosane devient « l’un des centres intellectuels les plus brillants d'Europe » (Silvestre), et sera surnommée « l’Athènes du Nord », sous Notger, son successeur. Enfin, on rapporte volontiers qu’Éracle a accompagné Otton Ier lors d’une de ses campagnes d’Italie. Cette année-là, le 22 décembre 968 précisément, survint une éclipse solaire que le prélat-scientifique démystifia, en expliquant le phénomène naturel à la soldatesque effrayée par la perspective du « Jugement dernier ».

 

Sources

Hubert SILVESTRE, dans Biographie nationale, t. XLIV, col. 446-459
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. I, p. 81-82
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 166-168