Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument César FRANCK

Si Jules Destrée et Albert Mockel n’ont de cesse de saluer le talent de César Franck (Liège 1822 – Paris 1890) et de son école, il apparaît de manière évidente que l’influence franckiste sur la musique ne survit pas à la Grande Guerre. Il n’en reste pas moins que le talent du musicien et du compositeur wallon a marqué le XIXe siècle qu’une compétition s’est installée entre Paris et Liège pour entretenir le souvenir de celui qui est né et s’est formé en pays wallon avant de connaître le succès dans la capitale française. Avec le décès du sculpteur Rulot en 1919, les espoirs d’un monument César Franck à Liège paraissent disparaître, même si le directeur du Conservatoire de Liège, Sylvain Dupuis, commence à faire connaître, par une série de conférences, le fruit d’une importante étude qu’il a consacrée à César Franck (1920-1921). À l’heure où Verviers célèbre avec faste le centième anniversaire de la naissance de Vieuxtemps, les forces vives liégeoises ne veulent pas manquer le rendez-vous important que constitue le 100e anniversaire de la naissance de leur compositeur (10 décembre 1822). Tandis que Sylvain Dupuis prépare une « Semaine musicale » où les œuvres maîtresses de César Franck seront interprétées, la Société des Amis de l’Art wallon que préside Jules Destrée, puis surtout la Section liégeoise des Amis de l’Art wallon qui s’est reconstituée en 1921, souhaitent concrétiser le projet qu’ils avaient lancé en 1913 déjà, à savoir ériger un monument digne du talent de César Franck et destiné à orner un des parcs publics de Liège. Le monument Rulot est définitivement enterré quand, au début de l’année 1922, le sculpteur Victor Rousseau accepte de se lancer dans l’aventure et entreprend de dessiner un nouveau et ambitieux mémorial.

Dans le même temps, à Paris, on se prépare aussi sérieusement à l’événement. Dans la capitale française s’est en effet constitué un comité de musiciens sous la direction de Henry Rabaud (directeur du conservatoire) désireux de commémorer le souvenir de César Franck et d’offrir à la ville de Liège un mémorial « en témoignage de l’admiration que la musique française a vouée au maître angélique ». Le statuaire lyonnais Fix-Masseau a été sollicité, lui qui avait déjà réalisé – à la demande de la ville de Liège – une figure décorative pour le monument français du cimetière de Robermont. Pour assurer le budget nécessaire, un concert spécial César Franck est organisé à l’Opéra de Paris, le 7 mars 1922, en présence de la reine Élisabeth et du président de la République.
En raison de la multiplication des initiatives, un Comité César Franck est mis en place, à Liège, afin de coordonner les initiatives. L’œuvre réalisée par Fix-Masseau est inaugurée le 25 novembre 1922, devant un parterre de personnalités, dont la reine et des ministres belges et français. Fix-Masseau a représenté un groupe de trois femmes, debout, qui chantent un chœur du maître. Sous ce trio, le socle est travaillé dans sa face avant pour faire apparaître le profil droit de César Franck sculpté dans la pierre. Une inscription précise : « Hommage de Paris où il a vécu à la ville de Liège où il est né ».

La sculpture de Fix-Masseau vient orner un espace du foyer du Conservatoire de Liège (l’actuel Foyer Ysaÿe de la Salle philharmonique). Placée sous le signe de la fraternité qui unit la France et la Belgique, en particulier la Wallonie, l’inauguration à Liège de l’œuvre de Fix-Masseau est l’occasion d’organiser plusieurs concerts, durant une mémorable « Semaine musicale ». Sylvain Dupuis les dirige, tandis que de plusieurs manifestations animent la cité liégeoise. Le succès est au rendez-vous, mais pour les promoteurs d’un monument public en l’honneur de César Franck, l’occasion est ratée. C’est en vain que la revue La Vie wallonne présente, en décembre 1922, plusieurs illustrations d’une maquette réalisée en plâtre par Victor Rousseau, même si elle précise que le monument serait installé place Émile Dupont et qu’une souscription publique est lancée. La critique juge le projet Rousseau trop ambitieux.

Bien que le « centenaire » soit passé, la Section liégeoise des Amis de l’Art wallon ne renonce pas au projet d’un monument Franck à installer dans un parc public de Liège. Elle offre 1.000 francs de récompense pour « la meilleure commémoration de César Franck », mais elle ne reçoit aucune proposition alternative. En 1925, le cercle décide par conséquent d’affecter la somme de la « récompense » au monument proposé par Victor Rousseau : elle se mobilise autour de l’objectif d’ériger ce monument à Liège, le premier de son programme. La souscription publique se solde par un échec. Hormis la plaque commémorative apposée sur sa maison natale, rue Saint-Pierre, en 1914, voire le buste signé Adelin Salle dans la salle des Pas Perdus de l’hôtel de ville de Liège, aucun monument public majeur « César Franck » ne semble devoir jamais voir le jour à Liège.

En 1972, comme l’ont fait remarquer certains critiques avec amertume (par ex. J. Servais), la ville de Liège reste muette ; aucune manifestation officielle n’est organisée pour le 150e anniversaire de la naissance de César Franck. Seules des initiatives privées (inscription des œuvres de Franck dans des programmes musicaux) fleurissent de manière éparse. Mais ce qui afflige le plus, à l’époque, le rédacteur en chef de la revue La Vie wallonne, c’est la tenue d’une exposition César Franck, lors du Festival des Flandres, au musée de Tongres, où le musicien est présenté « sans attache avec la musique française » et avec des racines limbourgeoises. Pourtant, en parcourant l’œuvre du sculpteur Marceau Gillard, on est frappé de constater l’existence d’un projet en terre cuite pour un monument César Franck datant de la fin des années 1950, ainsi qu’une terre cuite intitulée Adagio Allegro, semble-t-il de la même époque et toujours avec la même finalité.

La ville de Liège ne manque pas le rendez-vous de 1990, année César Franck, correspondant au centième anniversaire de la disparition de l’artiste. À l’initiative de la société belge César Franck, un copieux programme est mis au point coordonnant de multiples manifestations de mars à décembre, exposition, enregistrements, mais surtout concerts organisés dans plusieurs villes wallonnes ainsi qu’à Paris. C’est dans ce contexte qu’est inaugurée, le 27 mars 1990, la première stèle commémorative César Franck, dans sa ville natale, à l’angle de la rue de la Régence et de la rue de l’Université. Sollicitée dès 1989, la jeune sculptrice verviétoise Marianne Baibay s’est plongée dans la musique franckiste et a développé les thèmes « Mémoire et Musique » dans une œuvre originale, s’inspirant de la forme des tuyaux d’orgue et associant la pierre bleue et le cuivre, matériaux qui, avec le temps, « prennent (…) une patine, un aspect qui leurs confèrent à la fois stabilité, fragilité avec aussi un côté précieux, gardien de mémoire, pour la musique, les orgues, les tuyaux d’orgue, présents dans la production musicale de César Franck ». Parrainé par les services clubs liégeois Fifty One, Inner Wheel, Lion’s club, Rotary et Soroptimist (une plaque évoque leur soutien au pied du monument), le mémorial bénéficie aussi du soutien des carrières Julien des Avins en Condroz qui offre les pierres. En accord avec les autorités de la ville de Liège (l’échevin Firket) et les commerçants, les tailleurs de pierre de la ville de Liège mettent le monument en place dans les délais prévus : l’inauguration de la stèle, en présence de toutes les autorités liégeoises et de la reine Fabiola, marque le début de l’année Franck.

Monument César Franck

Ce que ni Joseph Rulot ni Victor Rousseau n’avaient réussi à accomplir, la professeur de Saint-Luc Liège l’a réussi. En signant cette œuvre, Marianne Baibay met en quelque sorte un terme à la « saga César Franck » qui agite plusieurs milieux culturels et artistiques liégeois depuis un siècle. Néanmoins, en 1990, un autre projet – semble-t-il porté par le professeur Minguet – visait à reproduire le médaillon de César Franck réalisé par l’illustre Rodin en 1891, et à placer cette reproduction quelque part à Liège. Déjà à l’époque, les difficultés et polémiques avaient été grandes autour de ce médaillon Franck par Rodin, à apposer sur le tombeau réalisé par Redon. S’il est encore présent (refonte réalisée en 1995) au cimetière Montparnasse, à Paris, ce médaillon n’est par contre jamais arrivé à Liège. L’œuvre de Marianne Baibay reste donc unique.

Plongée dans les milieux artistiques dès son plus jeune âge, elle a partagé comme son frère Jean-Paul, la passion de leur père, Gilbert Baibay, à la fois peintre et sculpteur. Entre 1968 et 1973, déjà, elle participe aux expositions de « L’atelier 11+ », projet mené par un père très soucieux de la formation des jeunes à la pratique artistique. Durant ses études à Saint-Luc (1976-1979), elle s’oriente davantage vers la sculpture dans l’atelier d’A. Courtois A. Blanck et G. Theymans. Nommée professeur à la fin des années 1980, elle se révèle à la fois peintre, dessinatrice et sculptrice, signant aussi bien des affiches, des pochettes de disques que des toiles ou des sculptures, d’inspiration personnelle ou sur commande. Après le mémorial César Franck, Marianne Baibay est notamment sollicitée pour le monument en hommage à Jacques Brel qui se situe au Mont des Arts à Bruxelles (2003).

 

Informations communiquées par Marianne Baibay (juin 2014)
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse 
Sylvain DUPUIS, Charles DELCHEVALERIE, César Franck : la leçon d’une œuvre et d’une vie : commémoration du centenaire de la naissance de César Franck né à Liège le 10 décembre 1822 mort à Paris le 9 novembre 1890, Liège, 1922
Alexia CREUSEN, sur http://www.wittert.ulg.ac.be/expo/19e/album/584_franck.html (s.v. mai 2014)
Norbert DUFOURCQ, dans Biographie nationale, Bruxelles, t. 33, col. 322-335
Maurice EMMANUEL, César Franck, Paris, 1930. Coll. Les musiciens célèbres
César Franck. Correspondance réunie, annotée et présentée par Joël-Marie Fauquet, Sprimont, Mardaga, Conseil de la Musique de la Communauté française, 1999, coll. « Musique-Musicologie »
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 189
La Vie wallonne, 15 septembre 1920, I, p. 8-11, 38
La Vie wallonne, 15 août 1921, XII, p. 573 et ssv
La Vie wallonne, 15 octobre 1921, XIV, p. 93
La Vie wallonne, 15 mars 1922, XIX, p. 333
La Vie wallonne, 15 décembre 1922, XXVIII, p. 155-163 et 163-178
La Vie wallonne, 15 janvier 1923, 3e année, XXIX, p. 227-230
La Vie wallonne, IV, n°260, 1952, p. 305
La Vie wallonne, 1972, n°340, p. 338-339
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 51
Joseph PHILIPPE, Marceau Gillard dans l’École liégeoise de sculpture, Liège, 1991, en particulier p. 102 et 114

Rue de la Régence
Rue de l’Université
(Angle)
4000 Liège

carte

Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Plaque César FRANCK

Que César Franck (Liège 1822 – Paris 1890) soit un virtuose exceptionnel et l’un des plus grands compositeurs de son temps, nul ne le conteste. Lors de ses obsèques, grandioses, en 1890 à Paris, les plus grands éloges sont adressés à celui qui s’est formé à Liège, a maîtrisé très vite le piano, avant d’être guidé vers Paris où il s’installe. Le musicien wallon y étudie au Conservatoire et remporte tous les prix. Il joue alors sur les plus prestigieuses scènes d’Europe, avant de rompre avec son impresario de père (1845). En plus d’exceller au piano, à l’orgue, au contrepoint et à la fugue, César Franck se révèle un brillant compositeur. Il faudra quelques années avant que cet autre talent ne soit perçu par ses contemporains. Pour être nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Paris (1872), César Franck prend la nationalité française ; il ne le regrette pas : sa classe devient un foyer de création extrêmement actif. Quant à ses Béatitudes et à son Quintette, ce sont des œuvres qui l’imposent comme une figure maîtresse de la fin du siècle. Honoré de son vivant (Légion d’honneur en 1885, présidence de la Société nationale de musique en 1886), César Franck ne pouvait tomber dans l’oubli.

Déjà manifeste de son vivant, la compétition entre Paris et Liège se poursuit après sa mort. Dès 1894, un comité se constitue à Liège pour élever un monument à César Franck dans sa ville natale, mais c’est à Paris, en 1904, qu’une statue est inaugurée à sa mémoire, le 13 (ou 22) octobre, sur le square actuellement appelé Samuel Rousseau, devant la basilique Sainte-Clotilde où l’artiste jouait de l’orgue. Un comité parisien y travaillait depuis 1896. Établi dans la capitale française, Albert Mockel a alerté les Liégeois ; il a même défendu la candidature de Joseph Rulot, mais le projet du sculpteur wallon inspiré de l’oratorio des Béatitudes n’est pas choisi, le comité parisien lui préférant le projet d’Alfred Lenoir. En novembre 1904, l’ambitieux projet de Rulot est présenté à Liège. En l’absence de moyens financiers et en raison aussi de la personnalité de Rulot, ce projet en est encore au stade de l’ébauche quand éclate la Grande Guerre ; l’association des Amis de l’Art wallon, cercle constitué au lendemain des Salons artistiques de l’Exposition internationale de Charleroi, n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour qu’un mémorial César Franck soit inauguré en Wallonie. À défaut ou dans l’attente d’une statue ou d’une œuvre spectaculaire, l’association les Amis de l’Art wallon pose un premier geste en apposant une plaque commémorative sur la maison natale de César Franck, rue Saint-Pierre. 


DANS CETTE MAISON EST NE
LE 10 – XII – 1822
CÉSAR AUGUSTE FRANCK
MORT A PARIS LE 9 – XI – 1890
LE PLUS GRAND MUSICIEN
DE LA FIN DU XIXe SIÈCLE
-----
HOMMAGE DE LA WALLONIE
A SON ILLUSTRE FILS
15 – III – 1914

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse 
Sylvain DUPUIS, Charles DELCHEVALERIE, César Franck : la leçon d’une œuvre et d’une vie : commémoration du centenaire de la naissance de César Franck né à Liège le 10 décembre 1822 mort à Paris le 9 novembre 1890, Liège, 1922
Serge ALEXANDRE, Joseph Rulot et Jules Brouns. Deux Sculpteurs à Herstal, dans Art & Fact. Revue des Historiens d'Art, des Archéologues, des Musicologues et des Orientalistes de l'Université de l'Etat à Liège, (1993), vol. 12, p. 128-129
Alexia CREUSEN, sur http://www.wittert.ulg.ac.be/expo/19e/album/584_franck.html (s.v. mai 2014)
Norbert DUFOURCQ, dans Biographie nationale, Bruxelles, t. 33, col. 322-335
Maurice EMMANUEL, César Franck, Paris, 1930. Coll. Les musiciens célèbres
César Franck. Correspondance réunie, annotée et présentée par Joël-Marie Fauquet, Sprimont, Mardaga, Conseil de la Musique de la Communauté française, 1999, coll. « Musique-Musicologie »
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 189
La Vie wallonne, 15 septembre 1920, I, p. 8-11, 38
La Vie wallonne, 15 août 1921, XII, p. 573 et ssv
La Vie wallonne, 15 octobre 1921, XIV, p. 93
La Vie wallonne, 15 mars 1922, XIX, p. 333
La Vie wallonne, 15 décembre 1922, XXVIII, p. 155-163 et 163-178
La Vie wallonne, 15 janvier 1923, 3e année, XXIX, p. 227-230
La Vie wallonne, IV, n°260, 1952, p. 305
La Vie wallonne, 1972, n°340, p. 338-339

Plaque commémorative sur la maison natale de César Franck

Rue Saint-Pierre
4000 Liège

carte

Paul Delforge

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Ancien hôtel de Grady

Cette belle demeure de style classique a été édifiée dans le dernier quart du XVIIIe siècle. L’immeuble et le pavillon César Franck ont été restaurés tandis que la façade arrière a été transformée dans les années 1980. 

La façade à rue en briques et calcaire s’élève sur deux niveaux séparés par un larmier, reposant sur un soubassement de moyen appareil calcaire. Les cinq travées sont percées de baies au linteau bombé à clé passante ourlée et appuis abaissés. La première travée est encadrée de pilastres à refends et percée au rez-de-chaussée d’un portail à intrados cintré. 

La plaque commémorative apposée sur la façade rappelle que dans cette maison est né César Auguste Franck. Soulignée d’une corniche, de bandeaux moulurés et de trous de boulins, la toiture en bâtière d’ardoises est percée de six lucarnes à croupe. L’intérieur est caractérisé au premier étage par un remarquable salon à front de rue, doté de tapisseries de grande qualité. 

À l’arrière, situé en équerre d’angle à droite, le pavillon César Franck remonte au XVIIe siècle. Donnant sur la cour intérieure, sa façade principale comporte deux niveaux sur un soubassement de moyen appareil calcaire. Lors de la restauration, les croisées de ses baies ont été restituées par des éléments en bronze, tout comme la travée axiale. De plus, une tourelle vitrée, de plan rectangulaire, a été adossée au pignon. Le pavillon est couvert d’une toiture en bâtière d’ardoises à croupes.

Place Saint-Pierre 13
4000 Liège

carte

Classé comme monument le 23 septembre 1988 et le 9 février 1998

Institut du Patrimoine wallon

Arts populaires par excellence, la musique, le cinéma et la bande-dessinée ont vu plusieurs artistes wallons s’imposer comme des références dans leur domaine. D'Eugène Ysaye aux frères Dardenne en passant par l’école de Marcinelle en bande-dessinée, retrouvez dans cette leçon la diversité et la créativité d’auteurs qui ont donné leurs lettres de noblesse à ces disciplines.

© Sofam

Remy Marcel

Culture, Journalisme

Bois-de-Breux/Grivegnée 1865, Berlin 09/12/1906

Critique musical apprécié et redouté pendant plus d’un quart de siècle, Marcel Remy était aussi un « savoureux conteur du terroir ». Il serait tombé complètement dans l’oubli si, en 1923, la maison Bénard et Maurice Kunel n’avaient entrepris de rassembler ses meilleurs textes sous le titre Les ceux de chez nous.

Sa connaissance de la musique était empirique ; dans sa famille – des agriculteurs –, tout le monde jouait d’un instrument. Lui appréciait particulièrement le baryton, mais touchait à tout, en fantaisiste. Dans les années autour de 1883, il était à la tête d’un petit orchestre qui faisait la joie des sorteurs du samedi soir. Il jouait dans un grenier qui servait d’atelier de peinture au poète Henri Simon. Autodidacte doué en musique, Marcel Remy avait bénéficié d’une solide formation scolaire (Athénée et Collège Saint-Servais) qui l’avait conduit à entreprendre des études de philosophie à l’Université de Liège. Il ne les acheva pas. Dilettante, il préférait signer pour son plaisir des articles dans la presse liégeoise jusqu’au jour où L’Express et Le Guide musical s’attachent sérieusement ses services.

Quittant Liège pour Paris au moment où la capitale française est bercée par César Franck, il parvient à devenir collaborateur au journal Le Temps, mais multiplie les petits boulots pour survivre : professeur de piano, répétiteur de chant, musicien de brasserie, etc. Découvreur de talents, annonciateur de nouveaux courants, le Wallon devient une sorte d’oracle dans le milieu musical de son temps. Ses critiques fort attendues étaient autant de sésames pour les meilleurs, et se transformaient en calvaires pour les autres. En 1897, Le Temps l’envoie à Berlin. Mais le correspondant doit s’occuper de la politique allemande, tandis qu’à Paris éclate l’affaire Dreyfus. Marcel Remy n’est pas dans son élément et, dans la capitale prussienne, il continue de donner des leçons, de français auprès de certains professeurs, militaires ou diplomates, de musique ailleurs.

Maîtrisant bien la langue allemande mais éprouvant de fortes réticences à l’égard de la politique prussienne, M. Remy ne perce pas à Berlin. Ses opinions trop affirmées lui ferment de nombreuses portes, même s’il parvient à livrer des billets – ses Lettres de Berlin – au Journal de Liége ou à l’Indépendance belge. De 1901 à 1906, Marcel Remy tient en effet une sorte de chronique dans Le Journal de Liége où il raconte ses souvenirs d’enfance sous divers pseudonymes (Li Houlêhe Mayanne, li Vicomte dè Timps passé, Mamé). L’éloignement et surtout la surdité qui le handicape particulièrement expliquent, en partie, cette forme de nostalgie littéraire, pourtant toujours souriante, où il décrit « ceux de chez nous », des ruraux du pays wallon qu’il distingue fortement des « Flandriens » ou des « Campinois ». La série s’arrête en 1906 avec le décès de son auteur, victime d’une méningite.

En 1916, sous l’occupation allemande, douze des vingt-et-un textes les plus marquants de Marcel Remy sont publiés par l’imprimerie Bénard sous le titre Les ceux de chez nous. Après l’Armistice, Maurice Kunel entreprend de rassembler tous les textes de Marcel Remy et de les publier sous le même titre. C’est donc après la mort de son auteur que cet ensemble de nouvelles s’est imposé comme un petit-chef d’œuvre de littérature régionale, mêlant le français et le wallon.

Sources

Maurice KUNEL, Étude-préface, Marcel Remy. Les Ceux de Chez Nous, Liège, Bénard, [1925]
Maurice KUNEL, La Vie wallonne, 3e année, XXXIV 15 juin 1923, p. 452-465
Antoine GREGOIRE, La Vie wallonne, 6e année, LXII, 15 octobre 1925, p. 45-71
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 478
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p. 51, 174

Radoux Jean-Théodore

Culture, Musique

Liège 09/11/1835, Liège 20/03/1911

Troisième directeur du Conservatoire de Liège depuis sa création en 1826 et la désignation de Daussoigne-Méhul, Jean-Théodore succède à Étienne Soubre en 1872 et exerce la fonction jusqu’à sa mort, en mars 1911. Lui-même musicien et compositeur, ce fils d’armurier présidera les jurys des concours pendant près de quarante ans et verra voit passer quelques grands noms comme Eugène Ysaÿe, Ovide Musin, Martin-Pierre Marsick, César Thompson et bien d’autres comme les trois prix de Rome Sylvain Dupuis, Joseph Jongen et son fils Charles Radoux-Rogier.

Formé au Conservatoire de Musique de Liège (1845-1854), il suit les cours de solfège de Léonard Terry, apprend le basson et le piano, et suit les cours d’harmonie et de composition de Daussoigne ; dans chacun des cours, Radoux se distingue enlevant le 1er prix en solfège et basson, le 2e prix en piano. Dès 1856, il est nommé professeur de basson en remplacement de son maître Joseph Bâcha (décédé). Premier Prix de Rome 1859 pour la cantate Le Juif errant qu’il a composée, le jeune Radoux se rend à Paris où il compose avec l’aide de Halévy quelques fresques historiques dans l’air du temps, ainsi qu’un deuxième Te Deum, après celui de 1857 qui fut sa première œuvre. Entre Paris et Liège, Radoux écrit, compose, publie. Opéra-comique en trois actes, Le Béarnais est représenté pour la première fois à Liège (1867), avant de faire un triomphe à Bruxelles (1868).

Le compositeur est alors fort sollicité tant à Liège qu’à Bruxelles et à Anvers. Il accepte pourtant d’assurer de façon provisoire la direction du Conservatoire de Liège au lendemain du décès inopiné d’Étienne Soubre. Il s’acquitte si bien de la fonction qu’il est nommé en 1872. Consolidant les innovations de Soubre, renforçant l’enseignement, il s’appuie sur une série de professeurs talentueux qui assurent au Conservatoire de Liège une grande réputation. Tout améliorant la qualité, Radoux élargit l’offre de formation et permet à davantage d’élèves de les suivre. Créateur d’un Orchestre du Conservatoire, il fait jouer dans les meilleures conditions le répertoire classique et moderne, les œuvres des Autrichiens, des Allemands, des Français et des Russes, mais aussi celles de César Franck, de Vieuxtemps, de Joseph Jongen et… les siennes. Un goût très sûr et une approche pédagogique constante contribuent à faire connaître au public liégeois des œuvres sûres, parfois en création à Liège.

Attentif à préserver les œuvres du passé, le directeur du Conservatoire de Liège veille à l’acquisition de la bibliothèque Terry, à la constitution d’un musée Grétry, à la réorchestration de Li Ligeois ègagî de Jean-Noël Hamal et rédige notamment des biographies marquantes (dont celle de Vieuxtemps). Préoccupé de favoriser toutes formes d’expression musicale, comme par exemple les sociétés chorales, il permet par ailleurs au Conservatoire de Liège d’entrer dans de nouveaux bâtiments, au boulevard Piercot (1887). Correspondant (1874), membre titulaire (1879) et enfin directeur de la Classe des Beaux-Arts (1896) de l'Académie royale de Belgique, il retrouvera un peu de temps, à la fin de sa vie, pour de nouvelles compositions, notamment treize grands chœurs à quatre voix d'hommes qui intègrent une œuvre riches d’une soixantaine de productions.

Sources

La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p. 392 
José QUITIN, dans Biographie nationale, t. 43, col. 610-618

Léonard Hubert

Culture, Musique

Bellaire 07/04/1819, Paris 06/05/1890


Pur produit du Conservatoire de musique de Liège où il reçoit une formation de Rouma, condisciple de César Franck, le jeune virtuose est admis, à l’âge de 16 ans, au conservatoire de Paris où sa formation est encadrée par Habeneck (1836-1839). Élève de Mendelssohn dont il devient l’ami à Leipzig en 1844 et qu’il accueille à Liège en 1846, Léonard qui croise aussi la route de Mozart, fait partie des violonistes les plus doués de son temps : de nombreuses tournées lui permettent de sillonner les grandes villes européennes où il assied sa réputation de grand virtuose. Il se fait l’interprète le plus brillant du « son liégeois », typique de l’école liégeoise traditionnelle de violon.

Nommé professeur principal de violon au Conservatoire de musique de Bruxelles (1848-1867), il se fixe à Paris en 1866 ; en jouant les œuvres de Saint-Saëns, Fauré, d'Indy ou Lalo, il fait les beaux soirs de la Société Nationale. Cependant, durant la guerre franco-allemande, il revient à Liège où il tient une classe de quatuor au Conservatoire de Liège (1870-1872). Nommé au Conservatoire de musique de Liège, il résilie sa charge et retourne à Paris. Premier violoniste à Paris vers 1880, il devient l’ami de Fauré qui lui dédie deux quatuors à clavier. Hubert Léonard était aussi compositeur. Son monument funéraire est au Père Lachaise à Paris.
 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 192
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p 391, 396 ; t. IV, p. 351

© Adolphe Biarent, Mémorial réalisé par Alphonse Darville (1948). Hall d’entrée du Conservatoire de musique de Charleroi © Photo Paul Delforge – Institut Destrée

Biarent Adolphe

Culture, Musique

Frasnes-lez-Gosselies (Les Bons Villers) 10 ou 16/10/1871, Mont-sur-Marchienne 04/02/1916

Compositeur, chef d’orchestre, violoncelliste et professeur de musique, Adolphe Biarent a joui d’une solide réputation dans les premières années du XXsiècle, tout auréolé de la prestigieuse récompense du « Premier Prix de Rome » 1901. Romantique et tourmenté, silencieux et rêveur, ce disciple de César Franck a laissé un bagage musical relativement abondant, où se remarque sa constante fidélité à l’idéal de sa jeunesse. Ses œuvres « illustrent l’expression d’un compositeur de tempérament, d’un inspiré – submergé parfois par les dernières vagues du romantisme – dont la science musicale mérite de le classer à un rang très honorable », Michel Stockhem affirmant qu’Adolphe Biarent « eût pu être un second César Franck ».

Sixième d’une famille de huit enfants, très tôt remarqué dans les sociétés musicales du pays de Charleroi où il joue avec son père, Adolphe Biarent jouit de prédispositions musicales qui incitent ses premiers formateurs à l’encourager à fréquenter le Conservatoire de Bruxelles (1888). Il y remporte de nombreux prix, avant de terminer sa formation à Gand, à nouveau avec un Premier prix, celui de contrepoint et de fugue. Dans les années 1894-1901, Biarent compose une dizaine de pièces musicales originales : symphonies, fantaisies et mélodies. Quant à son « quotidien », il lui est assuré depuis sa nomination comme professeur à l’Académie de musique de Charleroi, en mars 1897.

Chargé du « cours moyen » de solfège (1897-1902), il est nommé professeur d’un cours supérieur créé à son intention à l’Académie de Musique de Charleroi ; il est le titulaire des cours d’harmonie, de fugue et de contrepoint (janvier 1902-1906). Il y sera encore responsable du cours de musique de chambre dès l’été 1906 et de la classe d’orchestre (décembre 1906), contribuant à faire de l’Académie de Musique une institution qui compte sur la place de Charleroi et en Wallonie. Le professeur Biarent est fort apprécié par ses jeunes élèves, parmi lesquels se révèleront de brillants talents comme Fernand Quinet.

Avec Martin Lünssens, Biarent prépare, en 1899 et 1900, le prestigieux concours du Prix de Rome et, avec une cantate sur le thème Œdipe à Colone, il remporte le Premier Prix. On n’a guère de traces de ses séjours à l’étranger, entre 1901 et 1906, si ce n’est qu’il reste fort attaché à Charleroi, ville pour laquelle il compose une Marche triomphale et où il fera toute sa carrière. Sa bienveillance, sa modestie et sa gentillesse se mettent au service de buts concrets à atteindre : développer la musique à Charleroi, transmettre un immense savoir à ses élèves, partager une musique de qualité dans une démarche d’éducation populaire, réservant ce qui lui reste de temps libres à la composition. Fondateur de l’orchestre de l’Académie de musique de Charleroi, il y fait jouer ses élèves, accueille des musiciens prestigieux et, alors qu’il fait jouer des compositeurs reconnus, ne négligeant pas les Wallons André-Modeste Grétry, François-Joseph Gossec, César Franck, Henry Vieuxtemps, Albert Dupuis, Léon Du Bois et Victor Vreuls, il accède à la pression locale qui veut entendre les œuvres composées par le maître carolorégien. 

Depuis son retour à Charleroi, il a totalement abandonné la musique de chambre pour se consacrer à la musique symphonique et toujours, le public de Charleroi reçoit le privilège d’entendre ses œuvres pour la première fois. Il introduit notamment ses Contes d’Orient dans la programmation de 1910, lors de la venue d’Eugène Ysaÿe. Le 26 mars 1911, le programme du « Concert de l’Académie » est tout entier consacré aux compositions de Biarent qui reprend Trenmor et la Marche triomphale, tout en offrant au public carolorégien la découverte de trois créations : Trois mélodies, pour chant et orchestre ; Légende de l’Amour et de la Mort et Rapsodie Wallonne, pour piano et orchestre. Le même programme est interprété le dimanche 11 juin 1911, dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi. De belles œuvres tout impressionnistes comme Le Réveil d’un dieu (pour violon et orchestre) et Floridum Mare (un autre sonnet pour violoncelle et orchestre), d’après deux poèmes de José-Maria de Heredia constituent, avec les Contes d’Orient et la spirituelle Rapsodie Wallonne d’amples et brillantes fresques symphoniques.

En 1912, avec Gustave Roullier, il publie Mélodies populaires wallonnes et flamandes, pour faire une place à la chanson populaire dans les écoles et renouer avec une pratique ancienne et constante de la pédagogie musicale belge. Créateur d’un cercle de musique, le Decem musical, toujours dans un but de vulgarisation de la bonne musique, il abandonne totalement, à partir de 1912, la composition symphonique pour revenir à la musique de chambre. Ses nouvelles œuvres vont se ressentir de l’isolement dans lequel Biarent aspire à vivre. « Son œuvre, très structurée, révèle un esprit sérieux dont l’esthétique est influencée en ordre principal par César Franck. La Symphonie en ré mineur et la Sonate pour violoncelle et piano paraissent être les pages maîtresses d’un compositeur qui alliait à un idéal artistique élevé une remarquable technique d’écriture » (Sylvain Vouillemin). Composée en 1914-1915, sa Sonate est sans doute l’une des œuvres les plus inspirées et les plus parfaites jamais écrites par un musicien wallon depuis César Franck. Il venait de vraiment trouver sa manière personnelle et entamait une œuvre originale quand la mort le surprit en février 1916, sans descendance.

 

Paul Delforge, Adolphe Biarent, « un second César Franck » ?, suivi du Catalogue de l’œuvre complet, Revue de la Société liégeoise de Musicologie, n°39, 2020, 133 p., https://popups.uliege.be/1371-6735/index.php?id=2903&file=1&pid=2898

Sylvain Vouillemin, dans Biographie nationale, t. 33, col. 106-107

 
Inventaire de ses œuvres 

 

Piano :
Sérénade (1903)

Sonnet (1904)

Aquarelles (1905)

Feuille[s] d’Album (1905)

Nocturne (1906)

Trois pièces pour piano : Prélude, Suite ancienne, étude (1912)

[huit] Préludes Moyen-Âge (1912)

Piano et cordes :

Quintette en si mineur (1913)

Piano et violoncelle :

Sonate, pour piano et violoncelle (1915)

Orchestre :

Ouverture de Fingal d’après Ossian (1894)

Scherzo, pour grand orchestre (1895)

Alla breve (entre 1895 et 1901)

La Tempête, fantaisie pour orchestre d’après Shakespeare (entre 1895 et 1901)

Prélude, pour le Werther de Goethe (entre 1895 et 1901)

Impressions du soir : I. Rêveries ; II. Sylphes et Gnomes (1897)

Pièce symphonique (1904)

Trenmor, d’après une légende d’Ossian (1905)

Marche triomphale (1905-1906)

Symphonie en ré mineur (1908)

Contes d’Orient (1909)

Légende de l’Amour et de la Mort, d’après Richepin (1910)

Poème héroïque, d’après « Hjalmar, » de Leconte de Lisle (1911)

Piano et orchestre :

Rapsodie Wallonne, sur des thèmes populaires du Pays de Liège et de l’Entre-Sambre-et-Meuse (1910)

Violon/violoncelle et orchestre :

Deux Sonnets d’après Heredia. « Le Réveil d’un dieu » ; « Floridum Mare » (1909 et 1914)

Mélodie pour voix/chœur et piano :

Symphonie d’avril (1895)

éblouissement (1897)

L’Aveu (entre 1897 et 1901)

Lyda (1901)

Qu’importe ? (entre 1897 et 1901)

La Cigale, (Piano ad libitum), (Double chœur pour voix de femmes) [1904]

Huit mélodies pour mezzo-soprano (1915)

Mélodie pour voix et quatre instruments :

Nocturne (1905)

Voix et orchestre :

Trois mélodies pour chant et orchestre : 1. Au long de la Sambre ; 2. Coin de terre ; 3. La fête au bois (1911)

Cantate :

Œdipe à Colone, Cantate pour baryton, mezzo-soprano, chœur et orchestre (1901)

Antoine Georges

Culture, Musique

Liège 28/04/1892, Bruges 13/11/1918

Quand il se retrouve orphelin à l’âge de 15 ans, Georges Antoine conserve de son père une culture musicale dont ce dernier était imprégné en tant que maître de chapelle de la Cathédrale de Liège et de compositeur de musique sacrée. Formé au Conservatoire de Liège dès l’âge de six ans, le jeune Antoine se distingue par les Premiers Prix de Solfège (1906), d’Harmonie (1910), de Piano (1912), de Musique de Chambre et de Fugue (1913). Le Prix de Rome est destiné à ce musicien très doué, qui se révèle aussi un compositeur doué dès 1910.

L’éclatement de la Première Guerre mondiale fixe le destin du jeune prodige. Engagé volontaire dès l’été 1914, il est pris dans la campagne de l’Yser. La maladie le contraint cependant à se retirer du Front et il est mis en congé de l’armée belge. Forcé à un sérieux suivi médical, il s’établit à Saint-Malo ; la musique reprend temporairement ses droits : Antoine enseigne, compose et organise des concerts caritatifs. Ses mélodies s’inspirent de vers de Baudelaire, de Verlaine et de Klingsor. Sa Sonate, op. 3 reçoit sa forme définitive. Mais la nostalgie accompagne le jeune homme. En 1917-1918, il compose son Opus 10 intitulé Wallonie. Sur un texte de Marcel Paquot, il célèbre sa terre natale dont il est éloigné et dont il avait pris conscience de certains enjeux politiques. En 1914, il avait participé à l’expérience éditoriale des Cahiers publiés au front pour la défense et l’illustration de la langue française en Belgique. Notamment opposé à toute forme de bilinguisme en Belgique, Georges Antoine se montre aussi attentif à la problématique du régionalisme musical wallon dans son œuvre artistique. Il tourne ostensiblement le dos à l’école moderne allemande pour embrasser l’art français où brillait son compatriote César Franck. Les circonstances de la guerre ne peuvent qu’accentuer cette tendance. D’ailleurs, malgré une santé fragile, le soldat-musicien veut prendre part à l’offensive victorieuse avec les alliés français et anglais. En octobre 1918, il fait partie des miliciens qui libèrent Bruges, mais la fièvre de la grippe espagnole l’empêche de revoir jamais la terre wallonne.

De son vivant, le talent de Georges Antoine avait déjà été repéré par Vincent d’Indy qui le qualifiait de « merveilleusement doué » et trouvait son quatuor remarquable (selon Philippe Gilson). D’autres spécialistes considèrent sa disparition comme une perte irréparable pour la musique, tant son avenir était promis à l’épanouissement d’un talent exceptionnel. Avec Georges Antoine, c’était un second Lekeu que s’apprêtait à accueillir la musique en Wallonie : le destin leur a fait connaître la même fin tragique. En 1968, la Fondation Charles Plisnier et sa Commission des Arts et des Lettres commémorent le cinquantième anniversaire de son décès ainsi que celui de Louis Boumal.


Oeuvres principales

Les sirènes, op. 1 double chœur pour voix mixtes (1910)
Deux mélodies, op. 2 (1912)
Sonate pour violon et piano en la bémol, op. 3 (1912)
Deux Chansons dans le style ancien, op. 4a (1912)
Concerto pour piano et orchestre en sol mineur, op. 5 (1914, œuvre perdue)
Quatuor en ré mineur, op. 6 pour piano, violon, alto et violoncelle (1914)
Vendanges, op. 8 (1914-1915)
Mélodies sur des vers de Baudelaire, Corbière, Klingsor, Samain et Verlaine, op. 4b et op. 7 (1915-1916)
Veillées d’armes, op. 9, poème pour orchestre (1917-1918)
Mélodies Wallonie, op. 10, Noël et Voici riche d’avoir pleuré (1918)

 

Sources

Marcel THIRY, dans Bulletin de l’Académie royale de Langue et Littérature françaises, t. XXV, n°3, décembre 1947, p. 133-155
Marcel THIRY, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 435-439
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p. 404-406
Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 58

Jongen Joseph

Culture, Musique

Liège 14/09/1873, Sart-lez-Spa 13/07/1953

Le Prix de Rome de Composition 1897 (avec la cantate Comala) couronne les brillantes études de Joseph Jongen : il quitte Liège pour effectuer un tour d’Europe, au cours duquel il rencontre notamment Richard Strauss. Professeur à Liège (1902-1920), il se réfugie à Londres pendant la Première Guerre mondiale. Pour assurer son existence, il donne de nombreux concerts de musique de chambre avec le Belgian Quartet qui lui valent un très grand succès. Professeur à Bruxelles (1920-1939), Jongen devient directeur du Conservatoire (1925-1939). Directeur artistique de la Société des Concerts spirituels (1919-1925), il est encore répétiteur à la Société des Concerts populaires. Pianiste, organiste, chef d’orchestre, il participe à de nombreux concerts sans cesser de composer, et perpétue l’école de César Franck.
 

Sources

Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
DELFORGE Paul, Cent Wallons du Siècle, Liège, 1995
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. III, p. 408-411
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. IV, p. 232