Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Sigebert de GEMBLOUX

Statue à la mémoire de Sigebert de Gembloux, réalisée par le sculpteur Jean Hérain et l’architecte Théo Florence, 30 octobre 1910.

« A
Sigebert
de
Gembloux
Historien
Défenseur des droits
Du peuple »

Passée sous la souveraineté du prince-évêque de Liège, l’abbaye de Gembloux qui dispose de privilèges considérables de l’empereur depuis 946 bénéficie d’une longue période de paix de 987 à 1116. Prospère sur le plan économique, l’abbaye brille aussi grâce à son école monastique. Placée sous la direction de Sigebert de Gembloux de 1071 à 1112, elle accueille des ecclésiastiques et des gens de cour désireux de se former à l’une des meilleures écoles du temps. Sigebert lui-même est issu de cette école dont il prend la direction après avoir été écolâtre pendant une vingtaine d’années à l’abbaye Saint-Vincent de Metz. C’est là qu’il entreprend d’écrire des vies de saint, exercice qu’il consacre à Guibert, le fondateur de l’abbaye de Gembloux, et dont il se fait le principal promoteur, la canonisation de Guibert étant obtenue en 1110. Engagé dans la querelle des investitures, Sigebert (1030-1112) est aussi un moine bénédictin qui prend partie ouvertement en faveur de l’empereur Henri IV, contre le pape Grégoire VII (c. 1076) et ses successeurs, risquant à tout moment l’excommunication. Mais ce qui conduit à qualifier Sigebert d’historien, ce sont les chroniques qu’il consacre à Gembloux d’abord (1071), à l’histoire universelle ensuite. Écrite entre 1083 et 1105, année de sa publication, sa Chronographia se veut une chronique universelle qui identifie les événements les plus importants entre la fin du IVe siècle et le début du XIIe siècle. Citant de nombreuses sources aujourd’hui disparues, cette chronique a fortement influencé les auteurs du Moyen Âge, période qu’elle a traversée en restant fort populaire, au point d’être imprimée par les techniques mises au point par Gutenberg. Cette notoriété s’est maintenue jusqu’à l’époque contemporaine, puisque son monument, érigé en 1910, l’identifie prioritairement comme « historien ».

Au XIXe siècle, Sigebert de Gembloux n’apparaît pas comme une personnalité majeure de l’histoire de la Belgique, tout au moins est-elle controversée. Si Henri Pirenne l’évoque dans la notice biographique qu’il consacre à Otbert dans la Biographie nationale, cette dernière ne lui a toujours pas consacré une entrée depuis 1866. Néanmoins, Sigebert n’est pas un inconnu à Gembloux auquel il est étroitement associé comme le confirme la circulaire adressée en 1859 par Charles Rogier, alors en charge des Affaires intérieures : depuis 1835, les gouvernements belges multiplient les appels à installer dans tout le pays des monuments destinés à renforcer le sentiment national belge ; et quand il revient à l’Intérieur avec une politique décidée d’implantation de nouveaux monuments, Rogier invite explicitement les autorités de Gembloux à réserver une place à Sigebert, sous la forme d’une simple plaque commémorative. Dans un premier temps, aucune suite n’est réservée à la demande de Bruxelles, mais dans le climat de guerre scolaire qui oppose farouchement catholiques et libéraux dans les années 1870-1880, le projet refait surface. C’est par conséquent au niveau local qu’est prise l’initiative d’honorer l’illustre « historien », ainsi que le « défenseur des droits du peuple »…

Bourgmestre de Gembloux depuis 1872, Gustave Docq (1833-1906) a fortement pesé dans la décision d’ériger un tel monument. Libéral anticlérical, ce brasseur s’est forgé la conviction que le combat de Sigebert au XIe, en faveur de la désignation des évêques et des abbés par l’empereur (le pouvoir temporel) contre l’intervention du pape (pouvoir spirituel), est similaire aux enjeux de la question scolaire belge du XIXe siècle où l’Église veut limiter le rôle de l’État dans le domaine de l’enseignement. Sorti de charge en 1903 quand il est remplacé par Xavier de Lathuy, Docq attribue dans son testament un legs important (30.000 francs) pour financer un monument à Sigebert et ordonne qu’il soit érigé place Guibert et que la face principale soit tournée vers l’entrée de l’Institut agricole de l’État. En octobre 1910, sous le maïorat d’Adolphe Damseaux (bourgmestre de 1906 à 1916), l’inauguration se déroule en même temps qu’est modifié le nom de la rue du Bordia, rebaptisée rue Sigebert. Cependant, la mention « défenseur des droits du peuple » fait polémique. Face à un anachronisme qui est aussi une erreur historique, la députation permanente de Namur a émis de nettes réserves lorsque le projet lui avait été soumis, de même que la Commission des Monuments ; une querelle éclate aussi au niveau local ; elle divise progressistes et catholiques, mais les premiers détiennent la majorité. Cette affirmation fait encore bondir Félix Rousseau en 1923, qui la trouve totalement ahurissante. Celui qui s’est opposé à Rome dans la Querelle des Investitures n’avait aucune attention particulière à l’égard d’un peuple sans droit.

Au début du XXe siècle, la réalisation du monument a été confiée à l’architecte Théo Florence et au sculpteur Jean Hérain, l’illustre Jef Lambeaux ayant rejeté toute participation à ce projet. La statue en bronze a été coulée par la Fonderie nationale des bronzes (J. Peterman, Saint-Gilles, Bruxelles). Quant au socle, il est en syénite, une roche fort rare. À diverses reprises, les étudiants de la Faculté s’approprieront le monument de manière originale et non conventionnelle…

Formé à bonne école – notamment auprès de Louis de Taeye à l’Académie de Louvain, sa ville natale, et d’Eugène Simonis à l’Académie de Bruxelles dans les années 1870, ainsi qu’à l’École des Beaux-Arts de Paris –, Jean Hérain s’oriente très tôt dans la réalisation de portrait en buste et en médaillon. Fréquentant principalement les Salons en Flandre, où il est fort apprécié mais peu acheté, c’est en Wallonie qu’il inaugure son premier buste dans l’espace public (buste Navez à Charleroi, 1889). Après avoir brièvement tenté sa chance en Amérique, il obtient plusieurs commandes officielles à Bruxelles et pour les chemins de fer. Candidat malheureux pour le Vieuxtemps de Verviers, il décroche plusieurs contrats au début du XXe siècle (Seutin à Nivelles, décoration à Bruxelles, Combattants de 1830 à Grez-Doiceau) avant que n’arrive la commande de Sigebert de Gembloux. Il en présente un plâtre lors de l’Exposition universelle qui se déroule à Bruxelles en 1910 (conservé au musée d’Ixelles), avant de l’inaugurer à Gembloux. En observant les œuvres d’inspiration réalisées par Jean Hérain, Hugo Lettens regrettera que l’artiste n’ait pas davantage travaillé dans cette direction. « Il a réalisé quelques magnifiques sculptures » tandis que « ses bustes et monuments (sont) assez conventionnels ».
Rénové en 2012, tournant le dos à la rue Gustave Docq, le monument de Sigebert occupe toute la place Saint-Guibert dont l’aménagement a fortement évolué tout au long du XXe siècle. Épisodiquement, il mobilise autour de lui des événements ravivant l’histoire de la cité. Ainsi, en 1922, il est au cœur des réjouissances organisées à l’occasion du millénaire de la fondation de Gembloux et, en 2012, il figure en première place pour annoncer la tenue d’une exposition et de conférences lors de journées commémoratives du 900e anniversaire de son décès, initiative résultant du Cercle « Art et Historie » de Gembloux,  qui s’est assuré la collaboration de la Bibliothèque royale de Belgique, de la ville de Gembloux et de « Gembloux Agro-Bio Tech - Université de Liège ».

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Michel CONDROTTE, Les bourgmestres de Gembloux, dans Bulletin du cercle royal ‘Art et Histoire’ de Gembloux, Gembloux, 2013, n°75, p. 10-11
Abbé Joseph TOUSSAINT, Sigebert, un défenseur des droits de peuple ?, dans Bulletin du cercle royal ‘Art et Histoire’ de Gembloux et environs, Gembloux, 1985, n°23, p. 382-383
Lucien HOC, La statue de Sigebert, dans Le Cercle raconte… bulletin du cercle ‘Art et Histoire’ de Gembloux, Gembloux, 1976, n°5, p. 1-8
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 448-449
Félix ROUSSEAU, dans Revue belge de philologie et d’histoire, Bruxelles, 1923, vol. 2, p. 526-531
L. NAMÈCHE, La ville et le comté de Gembloux. L’histoire et les institutions, Gembloux, Duculot, 1922

Place saint-Guibert
5030 Gembloux

carte

Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Louis-Joseph SEUTIN

Monument Seutin, 21 juin 1903.
Réalisé par Jean Hérain.

Situé à deux pas de la gare de Nivelles, sur une place arborée, un ensemble statuaire rend hommage au médecin nivellois Louis-Joseph Seutin. L’œuvre de Jean Hérain a été inaugurée en présence du prince Albert le 21 juin 1903. Elle correspond à un courant d’une certaine importance au tournant des XIXe et XXe siècles qui vise à honorer une personnalité active dans le domaine médical. Avec Louis Seutin, cependant, ce n’est pas un simple médecin de campagne que l’on fige dans le bronze pour l’éternité mais à la fois un chirurgien de réputation internationale, une personnalité libérale, voire un « révolutionnaire » de 1830.

Né sous le régime autrichien restauré, ayant grandi sous le régime français, Louis Seutin (Nivelles 1793 – Bruxelles 1862) connaîtra encore le régime hollandais puis belge durant son existence qui l’a vu sortir d’un milieu de modestes agriculteurs pour devenir un chirurgien respecté. À l’École de médecine de Bruxelles (1810-1812), il multiplie les premiers prix avant d’exercer sur les champs de bataille de Dresde et de Leipzig (1813). Nommé par le gouvernement des Pays-Bas chirurgien(-aide)-major à l’hôpital militaire de Bruxelles (1814), il sera tour à tour sollicité pour secourir les grands blessés de la bataille de Waterloo de 1815, puis les combattants des journées de Septembre 1830, ainsi que les soldats au siège d’Anvers en 1831. Après avoir défendu une première thèse à l’Université de Leyde (sur la péripneumonie) en 1816, il est reçu à l’Université de Liège docteur en chirurgie et en accouchements (1820). Co-fondateur puis président de la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles (1822), chirurgien en chef de l’hôpital Saint-Pierre (1823), professeur à l’École de médecine (1824), il inaugure de nouveaux cours et forme de nombreux étudiants à une médecine opératoire moderne. Reconnues sous le régime hollandais, ses qualités le sont aussi, très vite, par le régime belge. Chargé d’organiser le service des ambulances de la jeune « armée » belge, médecin en chef (1831-1836), le médecin du roi devient, en 1854, inspecteur général honoraire du service de santé. Membre l’Académie de médecine (1841), professeur à l’Université libre de Bruxelles (1834), le chirurgien devient un véritable chef de file tant par la qualité de son enseignement que par celle de sa pratique. On retient surtout qu’il a été le premier à procéder à la réduction des fractures par l’utilisation de bandages amidonnés. En 1848, ce chirurgien de réputation internationale est encore le premier à utiliser du chloroforme dans la pratique d’anesthésie. Ses interventions pour améliorer l’hygiène et la salubrité publiques sont aussi décisives et le conduisent à s’occuper davantage encore de la « chose publique ».

En plus de ses activités dans le domaine de la médecine, Louis Seutin accepte de devenir sénateur, en tant que représentant de l’arrondissement de Bruxelles. De manière régulière, le « Nivellois » siège et intervient à la Haute Assemblée (1853-1862), pour défendre le programme du parti libéral. Dans son testament, outre des donations importantes aux hôpitaux de Bruxelles et de Nivelles, ainsi que des actions en faveur des Nivellois (notamment pour la restauration de la fontaine gothique de la Grand’Place), Louis Seutin a légué son cœur à sa ville natale. Dans un premier temps, ce « don » est déposé et conservé dans une urne de bronze dans la chapelle des Hospices dont Seutin était le médecin en chef honoraire. Face à tant de générosité, le maïeur libéral de Nivelles, Albert Paradis, se sentit obligé de lancer un projet de monument, mais la souscription publique ne rencontra pas le succès espéré. Force est de constater que Nivelles manqua l’occasion du centième anniversaire de la naissance de son illustre citoyen et qu’il fallut attendre le tout début du XXe siècle pour qu’un nouveau projet soit lancé. L’urne et le cœur seront placés à l’intérieur d’un monument. Sa réalisation donne lieu à un concours et c’est Jean Hérain qui le remporte (1901).

Monument au premier soldat français tombé en Belgique en 1914 – © Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Formé à bonne école – notamment auprès de Louis de Taeye à l’Académie de Louvain, sa ville natale, et du Liégeois Eugène Simonis à l’Académie de Bruxelles dans les années 1870, ainsi qu’à l’École des Beaux-Arts de Paris –, Jean Hérain (Louvain 1853 – Ixelles 1924) s’oriente très tôt dans la réalisation de portrait en buste et en médaillon. Fréquentant principalement les Salons organisés en Flandre, où il est fort apprécié mais peu acheté, c’est en Wallonie qu’il inaugure son premier buste dans l’espace public (buste Navez à Charleroi, 1889). Après avoir brièvement tenté sa chance en Amérique, il obtient plusieurs commandes officielles à Bruxelles et pour les chemins de fer. Candidat malheureux pour le Vieuxtemps de Verviers, il décroche plusieurs contrats au début du XXe siècle : le monument Seutin à Nivelles précède des décorations à Bruxelles, les Combattants de 1830 à Grez-Doiceau, et le fameux Sigebert de Gembloux. En observant les œuvres d’inspiration réalisées par Jean Hérain, Hugo Lettens regrettera que l’artiste n’ait pas davantage travaillé dans cette direction. « Il a réalisé quelques magnifiques sculptures » tandis que « ses bustes et monuments (sont) assez conventionnels ». Celui qu’il réalise à Nivelles ne manque cependant pas d’originalité : le buste en bronze au sommet de la stèle ne se limite pas en effet aux épaules ; le sculpteur laisse déborder un long manteau, sur le devant et l’arrière de la stèle, que Seutin porte négligemment sur l’épaule droite ; le sculpteur peut ainsi travailler le tissu et lui donner quelques formes. Par ailleurs, au pied de la colonne de pierre bleue, il a représenté une femme tenant un grand livre sur ses genoux, une coupe d’eau dans sa main droite, et une pièce de tissu au bout de son bras gauche relevé. Ici aussi, l’artiste joue avec les plis des différents vêtements pour figurer « la science émergeant de la nuit ». Comme le buste, l’allégorie est en bronze. Entre le buste et l’allégorie, ont été gravés dans la pierre la dédicace suivante :

AU
BARON SEUTIN
CHIRURGIEN
SA
VILLE NATALE

À l’arrière, apparaissent les dates 1793-1862, tandis que les armoiries de la ville de Nivelles sont incrustées sur le flanc droit de la stèle.

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Hugo LETTENS, Hérain, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 448-449
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 699
Georges LECOCQ, Pierre HUART, Dis, dessine-moi un monument… Nivelles. Petite histoire d’une entité au passé bien présent, Nivelles, Rif tout dju, mars 1995, p. 17-18
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 163-165
Victor JACQUES, Seutin dans Biographie nationale, t. 22, col. 324-339
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 506-507
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 699
http://www.sculpturepublique.be/1400/Herain-BaronSeutin.htm 
http://www.flickr.com/photos/saigneurdeguerre/4943015536/ 

Square Baron Seutin
Angle de la rue de Namur et de l’avenue de Burlet
1400 Nivelles

carte

Paul Delforge

Photo extraite de La Vie wallonne, II, 1955, n° 270, p. 105 – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Buste du peintre François-Joseph Navez à Charleroi

Parc public créé à la fin du XIXe siècle, et baptisé parc Astrid peu après le décès accidentel de la reine en 1935, cet espace vert au cœur de Charleroi a très tôt été choisi pour accueillir les bustes ou monuments honorant des personnalités de la métropole wallonne.

L’un des tout premiers est celui du peintre François-Joseph Navez (Charleroi 1787-Bruxelles 1869), réalisé par le sculpteur Jean Hérain. L’histoire de ce buste est cependant fort tourmentée.

L'histoire du buste

En mars 1883, soit 14 ans après sa mort, un Comité Navez se constitue pour élever un monument digne de la notoriété de l’enfant du pays. Le bourgmestre Audent préside ce comité, aidé par Clément Lyon qui, en tant que secrétaire, accomplit l’essentiel des démarches nécessaires. Afin de ne pas limiter l’événement à la seule ville de Charleroi, un comité bruxellois est constitué ; des anciens élèves de Navez le composent. Plusieurs manifestations (banquets, fêtes) sont organisées en 1883 pour rassembler les moyens nécessaires, mais leurs coûts mangent les bénéfices, et force est de constater que même une simple plaque commémorative ne pourra pas être apposée rapidement sur la maison natale de l’artiste. Ayant raté l’occasion de présenter le monument lors de l’inauguration du nouveau parc de la ville de Charleroi, éclairé de manière exceptionnelle par un système électrique dû à Julien Dulait (24 juin 1883), le Comité Navez se démobilise. 

La crise économique qui frappe durement la Wallonie n’est guère propice au lancement de souscriptions publiques ou à l’organisation de tombolas. De surcroît, investir les deniers de l’État dans un monument ne serait guère apprécié par la population. Le violent printemps wallon de 1886 témoigne à suffisance des préoccupations du moment, et le projet d’un monument Navez semble tomber à l’eau lorsque Clément Lyon acquiert, au nom du Comité, mais avec ses propres fonds, un buste en bronze réalisé par le sculpteur bruxellois Jean Hérain (Louvain 1853 – Ixelles 1924). Le Comité Navez l’offre solennellement à la ville de Charleroi lors d’une inauguration qui se déroule à l’occasion du 20e anniversaire de la disparition de Navez. 

Buste François-Joseph Navez photo extraite de La Vie wallonne, II, 1955, n°270, p. 105

Après avoir occupé la rotonde de l’ancien hôtel de ville, le buste est finalement installé dans le parc public (la date n’est pas connue) et est posé sur un socle en pierre, de style classique, où apparaît la simple dédicace :

A F J Navez
1787-1869

En 1911, à la suite des Salons artistiques sur l’art wallon, organisés par Jules Destrée dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi, une plaque commémorative est apposée sur la maison natale de F.-J. Navez. Elle a cependant disparu, semble-t-il, au moment de la Seconde Guerre mondiale. Dans la foulée de l’Exposition internationale, les Amis de l’Art wallon, du moins la section de Charleroi, met en projet l’idée d’un « vrai » monument Navez. Cette fois, c’est la Grande Guerre qui a raison des intentions des Buisset, Dupierreux et autre Destrée.

Néanmoins, la volonté d’honorer Navez à Charleroi reste grande. À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du peintre, une rétrospective rassemblant une quarantaine de toiles se tient à Charleroi, dans la salle de la Bourse, de fin janvier jusqu’à début février 1938. 

Après la Seconde Guerre mondiale, le souvenir de Navez se maintient à Charleroi principalement grâce au buste du parc Astrid. Mais le vol du buste de Pierre Paulus, durant l’hiver 2007-2008, conduit les autorités locales à une mesure de précaution. Pour prévenir tout acte similaire, les autres bustes du parc sont mis à l’abri (2008). Seul le socle évoque encore la présence passée du buste de celui qui est considéré à la fois « comme le chef de file de l’École classique belge moderne » et comme un authentique artiste wallon contraint de faire carrière à Bruxelles.

François-Joseph Navez

Ayant grandi durant une période politiquement agitée, le jeune Navez (1787-1869) a fréquenté l’Académie de Bruxelles de 1803 à 1808, puis a reçu ses premiers conseils artistiques dans l’atelier du Namurois Joseph François (1808-1811), avant de se perfectionner à Paris dans l’atelier du célèbre Louis David. Quand il quitte Paris pour s’établir à Bruxelles (1816), il y retrouve David condamné à l’exil en raison de son vote, en 1793, condamnant Louis XVI. 

À ce moment (1816), Navez réalise son tableau le plus fameux, La famille de Hemptinne, qui demeurera son chef d’œuvre absolu. Après un long séjour en Italie (1817-1822), où il fait notamment la rencontre d’Ingres, Navez devient le peintre de l’opulente société bruxelloise. Il dirige son propre atelier qui accueille de nombreux disciples (1830-1859). Pour vivre, il signe des compositions religieuses et s’essaye à traiter des sujets historiques ; ces toiles-là ne résisteront pas au temps. Par contre, les portraits, genre à propos duquel il affirmait lui-même qu’il s’agissait de sa spécialité, restent les meilleurs témoins du talent de Navez, dont un Autoportrait (1826). C’est là que l’artiste concilie le mieux son néo-classicisme avec le vérisme que le genre exige. 

Nommé inspecteur des académies de province, F.-J. se préoccupe de voir respecté le néoclassicisme. Professeur, puis directeur pendant plus de 27 ans de l’Académie de Bruxelles, il y forme de nombreux jeunes promis à un bel avenir : par exemple, Charles De Groux, Constantin Meunier, Théodore Baron, Alfred Stevens ou Eugène Smits, ainsi que son gendre Jean-François Portaels).

Jean Hérain

Quant à Jean Hérain, qui signe le buste du peintre en 1889, il a été formé, lui aussi, à bonne école : notamment auprès de Louis de Taeye à l’Académie de Louvain, sa ville natale ; d’Eugène Simonis à l’Académie de Bruxelles dans les années 1870 ; ainsi qu’à l’École des Beaux-Arts de Paris. 

S’orientant très tôt dans la réalisation de portraits en buste et en médaillon, il fréquente principalement les Salons en Flandre, où il est fort apprécié mais peu acheté. C’est cependant en Wallonie qu’il inaugure son premier buste dans l’espace public avec F.-J. Navez. Après avoir brièvement tenté sa chance en Amérique, il obtient plusieurs commandes officielles d’autorités publiques à Bruxelles et pour les chemins de fer. S’il n’est pas retenu pour le Vieuxtemps de Verviers, il décroche plusieurs contrats au début du XXe siècle, comme le Monument Seutin à Nivelles, les Combattants de 1830 à Grez-Doiceau, et le Sigebert de Gembloux.

 

La Vie wallonne, février 1938, CCX, p. 182-187.
La Vie wallonne, II, 1955, n°270, p. 103-107.
Joseph HARDY, Chroniques carolorégiennes inspirées des écrits de Clément Lyon, Charleroi, éditions Collins, (circa 1944), p. 81-88.
Léo VAN PUYVELDE, François-Joseph Navez, Bruxelles, 1931, coll. Peintres et sculpteurs belges.
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 699 et t. II, p. 218.
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Oeuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 448-449.

parc de la ville de Charleroi (reine Astrid) – 6000 Charleroi

carte

Paul Delforge