Théâtre des premiers combats de l’agression allemande, la Wallonie de 1914 va se distinguer par l’héroïque résistance de Liège et connaître l’extrême violence des troupes ennemies qui se traduira par le martyre de plusieurs de ses villes. Découvrez comment, pillé et muselé, le pays wallon a vécu et résisté pendant ces quatre années d’occupation.

Iserentant Théophile

Politique

Herve 1860, Herve 04/01/1921


Lors de l’attaque allemande du 4 août 1914, le pays de Herve est l’un des tout premiers théâtres des opérations militaires. En quelques heures, les villes de Visé, de Battice et de Herve notamment sont envahies. Des soldats belges résistent du côté de Visé et la nervosité des soldats allemands ne va cesser de s’accroître. Alors qu’ils s’entretuent maladroitement, les Allemands accusent les populations civiles et s’en prennent à elles. Ainsi en est-il à Herve où un colonel allemand accuse le bourgmestre d’organiser une résistance civile et menace la cité de représailles. Réfutant des accusations imprécises et infondées, Théophile Iserentant négocie et obtient de pouvoir avertir la population, en circulant nuitamment dans le village accompagné de soldats, d’un porte-clairon et d’un porte-lanterne. Le bourgmestre Iserentant n’en a pas fini avec l’occupant.

Entre les 5 et 8 août, les troupes allemandes bloquées par la résistance inattendue du fort de Fléron se défoulent sur les populations : 850 civils sont tués, près de 1.500 habitations sont incendiées ou détruites. À Herve, en particulier, la journée du 8 août voit plus de 300 maisons partir en fumée et 38 civils être abattus. Regroupés dans un champ, 72 civils de plusieurs villages proches de Mélen y sont abattus. À de nombreuses reprises, témoins et historiens (ainsi par exemple Horne et Kramer, p. 36) ont prétendu que le bourgmestre de Herve, venu reconnaître les corps de ses concitoyens tués à Mélen, est alors appréhendé et abattu. Heureusement pour Théophile Iserentant, il n’en est rien. Le maire de Herve a été confondu avec d’autres Iserentant, effectivement victimes des atrocités allemandes (dont l’échevin de Battice, Raphaël, exécuté avec ses proches).

Comme d’autres bourgmestres de Wallonie, Théophile Iserentant continue d’exercer ses fonctions maïorales pendant toute l’occupation allemande, entourant les familles éplorées, veillant au ravitaillement et à la sécurité de ses administrés, mais sans pouvoir siéger dans « son » hôtel de ville qui a été détruit par les flammes durant la sinistre journée du 8 août.

Ancien étudiant du Collège de Herve, notaire, Théophile Iserentant jouit depuis longtemps d’une grande popularité dans sa région. Fondateur de l’association des anciens du collège royal Marie-Thérèse (1910), il est encore le trésorier-fondateur du comité Herve-Attractions. Élu conseiller provincial de Liège en 1894, il ne siège que jusqu’en 1898 ; président de l’association catholique du canton de Herve, il accepte d’être nommé bourgmestre de la localité en 1903 : il succède alors à Jean Dewandre, décédé, qui fut le maïeur de Herve pendant trente ans. Régulièrement reconduit dans ses fonctions, Théophile Iserentant est aussi candidat aux élections législatives dans l’arrondissement de Verviers. Ainsi, en est-il en 1914, moment où il est le seul candidat catholique à répondre au formulaire préparé par l’Assemblée wallonne et envoyé par la Ligue wallonne de Verviers : il a pris l’engagement de défendre le programme wallon, mais il n’est pas élu à la Chambre. Après les éprouvantes années de guerre, il n’a pas l’occasion de se représenter au suffrage désormais de ses citoyens, s’éteignant en janvier 1921.

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (dont L’Avenir, août 2014)
John HORNE, Alan KRAMER, 1914, les atrocités allemandes, traduit de l’anglais par Hervé-Marie Benoît, Paris, Tallandier, 2005, p. 33 et 36
Gustave SOMVILLE, Vers Liège, le chemin du crime, août 1914, Paris, 1915, p. 67 (http://dgtl.kbr.be:8881//exlibris/dtl/d3_1/apache_media/L2V4bGlicmlzL2R0bC9kM18xL2FwYWNoZV9tZWRpYS8xMDk2NzM=.pdf )
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 200

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Gravis Alphonse

Politique

Péronnes-lez-Binche 10/12/1859, Péronnes-lez-Binche 22/08/1914


Durant la Grande Guerre, plusieurs bourgmestres de localités wallonnes ont été passés par les armes allemandes au cours des journées d’août 1914. Bourgmestre de Péronnes-lez-Binche et ancien parlementaire catholique, Alphonse Gravis est l’un de ceux-là.

Fils d’agriculteur et agriculteur lui-même, Alphonse Gravis avait manifesté très jeune un goût pour la politique. En 1887, il était élu conseiller communal et l’année suivante, alors qu’il n’avait pas encore trente ans, c’est lui que le roi désignait pour assumer les fonctions de bourgmestre de Péronnes-lez-Binche. Il conservera et sa majorité et sa fonction à la tête de l’hôtel de ville de Péronnes jusqu’à son décès tragique, en 1914 : le 22 août, il est fusillé par les soldats allemands.

Lors de l’importante « Bataille des Frontières », la Sambre est un objectif majeur pour les troupes françaises comme pour les troupes allemandes. Les 20 et 21 août, la Ve armée française tente d’installer un long rideau entre Namur et Charleroi, mais l’offensive allemande est telle qu’après des combats violents faisant des centaines de morts dans les deux camps, l’ordre de repli est donné dans les rangs français. Sur l’aile ouest des forces alliées, dans la bataille de Mons, une avant-garde anglaise parvient à stopper l’invasion allemande à hauteur de Péronnes ; du moins pendant quelques heures. Entre les deux armées, les populations civiles sont malmenées. Péronnes-lez-Binche n’y échappe pas.

Les Allemands accusent beaucoup de pertes dans leurs rangs quand ils s’emparent de Péronnes.  De surcroît, ils découvrent le corps allongé d’un officier tué juste devant la maison du bourgmestre. Les représailles sont immédiates. Des passants sont abattus sur le champ. Des maisons sont incendiées. Accusés d’avoir tué l’officier allemand, Alphonse Gravis et un de ses domestiques sont froidement exécutés sur la place du Marché, devant le perron de la maison communale, sans aucun jugement ni procédure judiciaire. De surcroît, sa ferme sera incendiée. L’annonce de cette exécution – qui n’est pas la seule en pays wallon – choque profondément l’opinion, car au-delà de la disparition d’un homme, c’est non seulement à un bourgmestre en fonction que s’en sont pris les envahisseurs, mais aussi à un ancien parlementaire.

En mai 1904, Alphonse Gravis avait été élu député dans l’arrondissement de Soignies. Traditionnellement tourné vers le parti libéral, cet arrondissement avait envoyé des candidats du POB lors du scrutin de 1894. En 1900, le Parti catholique y obtenait son premier élu depuis 1886 et, en 1904, Gravis contribuait au retour du parti catholique, en décrochant un deuxième siège dans l’arrondissement de Soignies. Particulièrement actif dans les dossiers relatifs à l’agriculture, Gravis représente le parti catholique sur les bancs de la Chambre des représentants jusqu’au scrutin du 2 juin 1912 ; à ce moment, le cartel des gauches reprend un siège aux catholiques et c’est Gravis qui en avait fait les frais.

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul VAN MOLLE, Le Parlement belge, 1894-1972, Anvers, 1972.
Paul-Clovis MEURISSE, Alphonse Gravis, Notre Pays, revue panoramique belge, n°5, 14 septembre 1919, p. 92
Paul VAN HOUTTE, Le crime de Guillaume II et la Belgique. Récits d'un témoin oculaire, Paris, 1915, p. 127

Gillet Louis

Politique

Anloy 28/09/1865, Anloy 22/08/1914


Au moment de l’invasion allemande d’août 1914, au cours de la bataille des frontières, plusieurs dizaines de civils sont fusillés dans de nombreux villages de la province de Luxembourg : Virton, Rossignol, Neufchâteau, Porcheresse, Tintigny… Les massacres et atrocités commises par les soldats allemands en campagne sont légion. Le village d’Anloy n’échappe pas à la règle. On dénombrera un total de 26 victimes, dont le bourgmestre Louis Gillet fusillé devant l’église, parce qu’il était soupçonné d’avoir caché des soldats français. Sans aucune forme de procès, dans un processus délibéré destiné à semer la terreur, l’envahisseur élimine ainsi froidement un représentant de l’autorité qui s’est opposée au libre passage des troupes impériales vers la France.

Prévoyant le pire au su des événements, Louis Gillet avait fait en sorte que les habitants déposent leurs armes à l’hôtel de ville et avait maintenu l’ordre et le calme parmi ses concitoyens. Ce n’était pas suffisant. Comme plusieurs autres « maïeurs » de Wallonie, ainsi que des notables, il figure parmi les innombrables victimes des atrocités allemandes commises durant les trois premières semaines d’août 1914.
 

 
Sources

Daniel CONRAADS et Dominique NAHOE, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 141
Chanoine Jean SCHMITZ et Dom Norbert NIEUWLAND, Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, Bruxelles, Paris, Librairie nationale d’art et d’histoire, G. Van Oest & Cie, 1923, t. IV, cinquième partie, L’Entre Sambre et Meuse, p. 22-23
http://www.ftlb.be/pdf/FTLB%20hiver%202012.pdf (s.v. octobre 2014)
Léonie Gillet, Mon journal de guerre 1914-1918, dans http://horizon14-18.eu/wa_files/l_C3_A9onie_20final.pdf (s.v. octobre 1914)
Informations communiquées par Jean-Claude Lebrun (octobre-novembre 2014)

Fiévez Amé (ou Aimé-Joseph)

Militaires

Calonne 7/03/1891, tué sur le front à Steenstrate, près de la ville d’Ypres, 26/03/1917


Le bilan humain de la Première Guerre mondiale est particulièrement saisissant : quel que soit le camp des belligérants, on dénombre 18,5 millions de morts, civils et militaires confondus et plus de 21 millions de soldats blessés. Près de 2% de la population de tous les États en guerre ont disparu entre 1914 et 1918. En Belgique, c’est près de 1,5% de la population de 1914 qui a disparu quand est annoncé l’Armistice. Aux 62.000 victimes civiles s’ajoutent près de 43.000 soldats tués et des milliers de blessés. Partout dans les villages, des centaines de monuments rendent hommage aux disparus, de façon discrète ou de manière plus ostensible.

Inaugurée le 11 novembre 1922, la tombe du soldat inconnu – qui se trouve au pied de la colonne du Congrès, à Bruxelles – symbolise l’hommage de toute la Belgique aux soldats tués. En Wallonie, il n’existe pas de « monument concurrentiel », tandis qu’à Dixmude a été élevée la Tour de l’Yser, inaugurée en août 1930, pour commémorer la paix en Europe, tout en rendant hommage aux victimes flamandes de la Grande Guerre.

Dès l’entame de sa construction en 1928, la Tour de l’Yser est devenue le lieu de pèlerinage du Mouvement flamand. À partir de 1932, la crypte de la Tour accueille, à côté de six cercueils individuels de soldats flamands, celui contenant les corps de trois soldats retrouvés sur le champ de bataille de Steenstrate ; les corps du caporal Fiévez et des frères Frans et Edward van Raemdonck sont à ce point imbriqués, affirme-t-on alors, qu’ils sont placés ensemble dans le même cercueil. Au fil du temps et d’hommages politiquement distincts, les frères van Raemdonck – proches du mouvement frontiste – deviennent le symbole des soldats flamands méprisés par les officiers francophones et sacrifiés en raison de leur incompréhension du sens des ordres qui leur étaient donnés en français.

Dès l’été 1917, nul n’ignore la présence du caporal wallon Amé Fiévez aux côtés des frères van Raemdonck. Originaire de la région d’Antoing, Fiévez avait 23 ans quand l’armée impériale viola les frontières des pays voisins. Derrière l’Yser, il a subi pendant des mois toutes les misères d’une guerre de tranchées qui n’en finit pas. Lors d’un assaut nocturne sur le Stampkot, dans la nuit du 25 au 26 mars 1917, Amé Fiévez est surpris dans son élan par une riposte allemande, en même temps que les frères van Raemdonck. Récupérées dans le no man’s land de la plaine de l’Yser, leurs dépouilles seront déplacées à plusieurs reprises : en 1924, ils sont enterrés ensemble dans le cimetière militaire de Westvleteren ; leurs trois noms figurent sur le monument de Steenstrate (1933) ; mais si officiellement le corps de Fiévez est resté au cimetière de Westvleteren, dans les faits, il a bien été transféré dans la crypte de l’Yzer en 1932.

En 1955, plusieurs articles de la presse francophone révèlent la situation, tandis que des descendants de la famille protestent contre le caractère illégal de la situation. Il faudra attendre les préparatifs des commémorations du centième anniversaire de la Grande Guerre pour que le caporal wallon Amé Fiévez bénéficie d’hommages personnalisés, tant à Dixmude qu’à Antoing. Il était l’un des 9.750.000 soldats tués durant la Première Guerre mondiale.

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, en particulier Le Soir, L’Avenir 24/03/2014
Maarten VAN GINDERACHTER, Raemdonck, dans Nieuwe Encyclopedie van de Vlaamse Beweging, Tielt, Lannoo, 1998, t. III, p. 2528-2529

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Defoin Arthur

Politique

Anseremme 7/10/1865, Dinant 17/02/1928


Lors de l’invasion allemande d’août 1914, l’envahisseur commet de nombreuses exactions à l’encontre des civils dans les villes et communes de l’est du pays wallon : incendies, pillages, exécutions sommaires, etc. marquent la bataille dite des frontières. Avec 674 civils exécutés et plus d’un millier de maisons détruites au soir du 23 août, Dinant est la cité la plus meurtrie de Wallonie. Comme d’autres maires du pays wallon, Arthur Defoin est resté à son poste au lendemain de l’ultimatum allemand et a tout fait pour maintenir l’ordre en signant une ordonnance de police dès le 4 août. Incitant la population locale à garder son calme, à ne pas se rassembler et à déposer armes et moyens de diffusion au bureau de police le plus proche, il a obéi aux injonctions venant de Bruxelles. Le 6 août, il rappelle aux civils qu’ils ne peuvent en aucun cas s’attaquer aux soldats ennemis. Malgré ses efforts, il ne peut éviter la mise à sac de sa ville par les Allemands. Lui-même est d’ailleurs victime des exactions de l’envahisseur.

La position stratégique de Dinant en fait un objectif névralgique tant pour les Français qui ne veulent pas perdre cet ancrage sur la Meuse, que pour les Allemands qui entendent contrôler tous les ponts sur le fleuve. Au lendemain d’une confrontation violente entre les deux armées, les troupes saxonnes s’en prennent aux civils dinantais et, mutatis mutandis, font revivre à la cité un drame aussi atroce qu’en 1466, lorsque les Bourguignons incendièrent la cité mosane. Impuissant face à la fureur allemande alimentée par une peur panique de pseudo francs-tireurs (23 août), Arthur Defoin est retenu comme otage dès le soir du 23 août, « par mesure de sécurité », avec d’autres notables. Ensuite, les Allemands vont retenir 33 ecclésiastiques prisonniers à Marche, tandis que sont envoyés en Allemagne, à Cassel précisément, 416 civils dont Arthur Defoin, l’échevin Léon Sasserath, une dizaine de magistrats, les employés de la prison, des professeurs du collège communal, et bien d’autres, jeunes et vieux. Sans enquête, interrogatoire ni jugement, ils sont maintenus en détention à Cassel pendant trois mois.

Finalement, aucune charge n’étant retenue contre lui (ni d’ailleurs contre ses 400 compagnons d’infortune), Arthur Defoin est autorisé à quitter Cassel et à rentrer à Dinant. Il y revient fin novembre et retrouve ses fonctions exercées. En son absence, le premier échevin catholique, François Bribosia, avait assuré l’intérim. Comme de nombreux autres « maïeurs » de Wallonie sous l’occupation, Defoin va veiller au ravitaillement et à la « tranquillité » de ses administrés traumatisés par les événements, assurer une sépulture pour les nombreux défunts, et commencer à reconstruire un tissu social. Mais en 1915, il entre en conflit avec le Comité provincial d’Alimentation et préfère démissionner et se retire de la vie politique. À nouveau, le catholique Bribosia assure l’intérim. En janvier 1919, Defoin remet officiellement sa démission au roi. Il n’a pas changé d’avis.

Membre du parti libéral, élu conseiller communal de Dinant lors des élections d’octobre 1911 qui avaient vu le succès des socialistes et des libéraux partout en Wallonie, Arthur Defoin était jusque-là un commerçant spécialisé dans le secteur du bois. Depuis les années 1890, il possédait une scierie dans le quartier sud de la ville, société qu’il avait constituée après avoir exercé le métier de batelier, qui était aussi celui de son père. Son expérience politique fut de courte durée mais mouvementée. Depuis la démission du bourgmestre Ernest Le Boulengé (1910), Dinant se cherchait un successeur. Victorien Barré fut poussé par le choix des électeurs en octobre 1911 ; en même temps que ce dernier devenait bourgmestre, Defoin devenait échevin. Mais en février 1914, pour convenance personnelle, le libéral Victorien Barré démissionne. En avril 1914, Arthur Defoin héritait alors de l’écharpe maïorale, en ignorant tout de ce qui l’attendait...

 

Sources

Informations communiquées par M. Coleau, archiviste à Dinant
M. TSCHOFFEN, Le sac de Dinant et les légendes du livre blanc allemand du 10 mai 1915, Leyde, 1917
http://www.dinant.be/patrimoine/histoire-dinantaise/sac-du-23-aout-1914
http://www.matele.be/le-carnet-bribosia-un-document-historique-majeur (s.v. septembre 2014)
Chanoine Jean SCHMITZ et Dom Norbert NIEUWLAND, Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, Bruxelles, Paris, Librairie nationale d’art et d’histoire, G. Van Oest & Cie, 1922, t. IV, quatrième partie, Le combat de Dinant, II. Le sac de la ville, p. 29, 269-274

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De Raedt Constant

Politique

Wavre 05/05/1853, Wavre 31/01/1934


Depuis 1831, les électeurs de la ville de Wavre font confiance au parti libéral ; le passage du suffrage censitaire au suffrage universel tempéré par le vote plural ne modifie en rien le paysage politique local. Paradoxalement, alors que libéraux et socialistes réalisent partout ailleurs en Wallonie leurs meilleurs résultats lors du scrutin d’octobre 1911, Wavre fait par contre davantage confiance aux catholiques et Constant-Louis De Raedt ceint l’écharpe maïorale en janvier 1912, en disposant de la majorité absolue.

Industriel, De Raedt tient un commerce de fer à hauteur de la rue de Bruxelles. Il étend d’ailleurs ses activités en acquérant une partie de l’ancienne propriété de la famille Haynin (1912). Après la Grande Guerre, il installera à Bierges, en bordure de la rue provinciale, un atelier de construction de pompes et de ventilateurs, activité qui traversera le XXe siècle, puisqu’en 1995 l’atelier est transféré à Nivelles. Dirigés par son fils, Constant De Raedt (1923-2005), ingénieur civil, les Ateliers De Raedt fourniront des ventilateurs pour les tunnels routiers, les mines, mais surtout les fours de sidérurgie, de cimenterie et de verrerie.

C’est par conséquent un notable bien établi à Wavre qui entame son maïorat en 1912 et se trouve rapidement confronté aux événements internationaux de 1914. Le 6 mois d’août, il accueille le roi Albert, venu inspecter les troupes. Depuis deux jours, les Allemands ont violé la neutralité belge et, dans le Brabant wallon, on ne semble pas encore trop conscient du danger que représente l’entrée en guerre. Néanmoins, faisant taire les oppositions traditionnelles, Constant De Raedt promulgue, comme partout ailleurs, une série d’avis enjoignant à la population déposer les armes et de ne pas s’en prendre aux soldats ennemis. Ceux-ci arrivent à Wavre le 20 août. En direction de Waterloo, un charroi considérable de plusieurs milliers d’hommes traverse la cité jusqu’au 21 août. Le calme règne jusqu’au moment où des coups de feu éclatent dans la soirée. 

Comme souvent, ce sont des soldats allemands qui s’entretuent en raison de leur nervosité, de leur fatigue ou de leur ébriété ; mais ce sont les civils qui paient. En l’occurrence, le bourgmestre De Raedt est pris en otage, avec un échevin et d’autres notables (du 22 au 24 août). Ils sont promenés dans la ville sous bonne garde et contraints de demander le calme ; une amende-contribution de guerre de 100.000 francs est exigée de la ville, tandis que les pillages et incendies perpétrés par les soldats allemands se multiplient. Au total, Wavre perd 54 maisons. Commandant de la 2e armée, von Bülow réclame trois millions de francs à Wavre en raison de la fusillade du 21 ; il menace d’incendier toute la ville et une vingtaine de civils seront gardés en otage pendant 2 mois. Finalement, en s’acquittant des 100.000 francs, Wavre évite de connaître les mêmes atrocités que d’autres cités wallonnes, voire les voisins de  Louvain et d’Aerschot. Le 27 août, de nouvelles unités allemandes arrivent et commence le régime d’occupation.

Comme de nombreux bourgmestres du pays, De Raedt restera dans ses fonctions pendant toute la guerre, veillant au ravitaillement et à la sécurité des habitants de sa ville. À la différence de beaucoup d’autres, cependant, il est mis devant le fait accompli de la séparation administrative imposée par les autorités allemandes de Bruxelles, et de ses conséquences pour la province de Brabant. En avril 1917, en effet, l’ensemble de l’arrondissement de Nivelles est détaché du Brabant et rattaché à la province du Hainaut. Jusqu’à l’Armistice, Constant De Raedt devra répondre d’un pouvoir de tutelle situé à Mons, puisque, incorporée à la région administrative wallonne, Wavre restera « en Hainaut » jusqu’en novembre 1918. Libérée à ce moment, Wavre accueille quelque temps l’armée canadienne et les autorités locales contribuent au rétablissement de l’ordre ancien.

Lors du scrutin de l’après-guerre, Constant De Raedt perd son maïorat, socialistes et libéraux s’alliant pour placer le parti catholique dans l’opposition ; lui succède Jean-Charles Piat qui retrouve ainsi le mandat perdu en 1911 et qu’il exerçait depuis 1900. De Raedt n’exercera plus de fonctions maïorales, se consacrant essentiellement au développement de son industrie, ainsi qu’à la présidence de la Socité de Saint-Vincent de Paul. En septembre 1921, il concrétise un projet qu’il partage avec l’industriel Auguste Lannoye (des papeteries de Genval) et le doyen de Wavre, Eugène Mottard. Sous le patronage du cardinal Mercier, voit en effet le jour une École professionnelle destinée, à l’origine, à former de jeunes mécaniciens.

 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (Le Soir, 8 décembre 1995 et 22 mai 1997, L’Avenir Brabant wallon, 31 juillet 2014, 5 août 2014 ; La Grande Guerre à hauteur d’homme, dans La Libre, août 2014, 3e partie, Bruxelles et Brabant wallon, p. 14)
Roland BAUMANN, Wavre, Août 1914, dans Wavriensia, 1999, t. XLVIII, n°1 et 2, p. 31-44
Informations communiquées par le Cercle historique et archéologique de Wavre
Jean MARTIN, La ville de Wavre et sa région pendant la guerre 1914-1918, dans Wavriensia, 2003, t. LII, n°6, p. 260
http://fr.geneawiki.com/index.php/Belgique_-_Wavre_%28Waver%29 (s.v. décembre 2014)

Première Guerre mondiale : les combats d’août à décembre 1914

Le 4 août, les troupes du Reich violent la frontière belge. Le 7 août, la brigade du général Erich Ludendorff parvient à entrer dans Liège et s’en empare, malgré la résistance pugnace des forts de la Meuse. Pendant une semaine encore, douze forts liégeois parviennent à retenir les autres divisions allemandes à l’entrée de la vallée qui donne accès à la France ; le 14 août, sept d’entre eux doivent pourtant se résoudre à capituler ; le 15, Boncelles et Lantin tombent de concert. Sous les coups des troupes allemandes désormais rassemblées, Loncin se rend à son tour. Dans le même temps, comme l’avaient prévu certains militants wallons, les Prussiens ont usé des voies ferroviaires récemment construites (notamment le tronçon Francorchamps-Malmedy-Stavelot) pour envoyer rapidement des troupes vers Verdun. Les 22 et 23 août, Neufchâteau, Virton, Namur, Charleroi, Mons, doivent admettre la supériorité de l’envahisseur. Le 26 août, l’ensemble de la Wallonie est sous domination allemande. Entre le 5 et le 26 août, plus de 5.000 civils sont exécutés par l’envahisseur, et plus de 15.000 maisons sont détruites. Plusieurs dizaines de communes wallonnes sont en droit de se considérer comme villes martyrs ; la mémoire collective wallonne retient surtout les noms de Visé, Soumagne, Andenne, Tintigny, Tamines, Ethe et Dinant.
Le 20 août, les troupes allemandes sont entrées dans Bruxelles. La stratégie militaire belge d’avant-guerre tente de faire ses preuves par la politique du réduit autour d’Anvers. Les bombardements allemands sur la métropole portuaire sont de plus en plus violents (octobre) et, rapidement, les troupes repliées doivent évacuer. Les 6 et 7 octobre, elles prennent la direction de l’Yser où commence une longue et pénible guerre de tranchées. Le 10 octobre, Anvers tombe. Le gouvernement trouve refuge à Ostende d’abord (6 au 13 octobre), à Sainte-Adresse, près du Havre ensuite, alors que le roi Albert qui ne veut pas quitter le « sol national » s’installe à La Panne.
La contre-offensive Joffre sur la Marne reporte sine die l’entrée des Allemands dans Paris, et les défaites essuyées à Ypres et à Arras les empêchent d’atteindre jamais la côte de la Manche. La résistance militaire qui se concentre dans les plaines de l’Yser annihile les espoirs allemands d’une victoire rapide.

Références
Duby94 ; FH05-270 ; G14AAB02 ; G14AAB05  ; G14AAB06 ; GeGB52a ; H113 ; M262 ;Win73

 


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)