Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Buste MONTEFIORE-LEVI Georges

À l’entrée de l’Institut électrotechnique de l’Université de Liège, au Sart Tilman, le buste de Georges Montefiore-Levi (Streatham 1832 – Bruxelles 1906) évoque cette personnalité qui mena ses études supérieures à Liège, à l’École des Arts et Manufactures et qui, fortune faite, soutint fortement la création d’un Institut électrotechnique unique au monde, auquel sera donné son nom. 

C’est en 1904 que le buste Montefiore-Levi a été réalisé par le sculpteur Thomas Vinçotte et inauguré devant les locaux que l’Institut occupe à l’époque au 33 de la rue Saint-Gilles. Il sera transféré au Sart Tilman lors de l’installation des nouveaux bâtiments de l’Institut Montefiore (pose de la première pierre le 6 octobre 1975 et installation complète et définitive le 15 mai 1987).

Après ses humanités à l’Athénée de Bruxelles, le jeune Montefiore-Levi est venu habiter à Liège pour mener des études supérieures d’ingénieur civil. Recruté par la Société Bischoffsheim, Goldschmidt et Cie comme directeur d’une mine de nickel dans le Piémont, le jeune diplômé fonde ensuite, en bord de Meuse, sa propre usine, sous le nom « Mines et Fabriques de Nickel du Val Sesia et de Liège ». Directeur-gérant de la « Société G. Montefiore et Cie, fabrique de nickel » (1858), l’entrepreneur s’intéresse également au chemin de fer et à ses perspectives de développement, mais son expérience n’y sera pas heureuse (1856-1866).

Associé à la gestion et à l’administration de charbonnages et hauts-fourneaux appartenant à son beau-père (le riche banquier Jonathan Bischoffsheim), Georges Montefiore-Levi allie ses connaissances en chimie à des expériences en atelier et il parvient à mettre au point, en 1869, un alliage particulier de bronze phosphoreux qui va faire sa fortune. Avec le développement du réseau téléphonique, les fils en bronze phosphoreux Montefiore vont faire la fortune de son inventeur. Naturalisé (1882), Georges Montefiore-Levi qui a repris des activités fructueuses cette fois dans le domaine ferroviaire, est élu sénateur direct de Liège (1882) et siègera à la Haute Assemblée jusqu’en 1901. 

Mécène, attentif avec son épouse aux enfants pauvres et malades, l’industriel et chercheur contribue généreusement à la création de l’Institut électrotechnique dont les premiers cours sont dispensés à partir de 1883, avant d’accueillir des laboratoires, des ateliers en plus des salles de cours. 

Le succès de l’exposition universelle qui se déroule à Liège en 1905 était l’une des dernières préoccupations de George Montefiore-Levi qui siégea aussi au sein du « Comité du Monument Gramme » érigé en 1905 pour honorer l’inventeur de la dynamo. C’est vraisemblablement à ce moment que l’industriel liégeois fait la rencontre de Thomas Vinçotte, sculpteur choisi finalement pour réaliser l’impressionnant groupe Zénobe Gramme. En 1904, le statuaire réalise en effet le buste de Montefiore, celui que l’on peut voir aujourd’hui au Sart Tilman et qui, à l’origine, avait été installé dans la cour de l’ancienne École normale des humanités de Liège devenue Institut Montefiore. 

Très tôt intéressé par la sculpture, le jeune Vinçotte (1850-1925) avait déjà eu la chance de fréquenter l’atelier d’Alexandre et Guillaume Geefs quand il est admis à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Élève brillant auprès de Joseph Jaquet et d’Eugène Simonis, second au Prix de Rome 1872, il part se perfectionner dans plusieurs ateliers parisiens et les bustes (l’un de P. Orts, l’autre de Giotto) qu’il présente au Salon de Bruxelles en 1875 lui assurent une notoriété définitive. Après deux années en Italie (1877-1879), il répond à de multiples commandes publiques et du Palais royal, tout en poursuivant une œuvre personnelle. En marbre ou en bronze, avec des bustes, des statues, des monuments ou des bas-reliefs, réaliste ou introduisant de la fantaisie, Vinçotte s’impose comme une valeur sûre de son temps, se spécialisant, à partir des années 1880 dans la représentation des chevaux. Originaire de Borgerhout et décédé à Schaerbeek, il a été professeur de sculpture à l’Institut supérieur national des Beaux-Arts d’Anvers de 1886 à 1921. 

Initiative conjointe des pouvoirs publics (l’État, la province et la ville de Liège), le monument Montefiore-Levi se présentait sous la forme d’un banc semi-circulaire qui supportait le buste en marbre blanc. George Montefiore-Levi assista à l’inauguration, le 4 juin 1904. 
Le banc disparaît au moment du transfert dans les années 1980 et, sur le socle qui supporte le buste, un long texte gravé explicite en détail les circonstances du transfert et de l’installation du nouvel Institut :

LE 8 OCTOBRE 1975,   M. WELSH RECTEUR,  H. SCHLITZ 
ADMINISTRATEUR, J. FRENKIEL PROFESSEUR ORDINAIRE 
ONT POSÉ LA PREMIÈRE PIERRE DE L’INSTITUT 
D’ÉLECTRICITÉ MONTEFIORE. 
SON INAUGURATION A EU LIEU LE 3 MAI 1978 
EN PRÉSENCE DE J. MICHEL MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, 
E.H. BETZ RECTEUR, H. SCHLITZ ADMINISTRATEUR  
ET   J. FRENKIEL,   PROFESSEUR COORDINATEUR. 
LE TRANSFERT  COMPLET  DE L’INSTITUT AU SART- 
TILMAN A ÉTÉ CELEBRÉ LE 15 MAI 1987 EN PRÉSENCE  
DE A. DUQUESNE MINISTRE DE L’ÉDUCATION 
NATIONALE, M. WATHELET MINISTRE-PRÉSIDENT DE 
L’EXECUTIF  RÉGIONAL  WALLON,   A. BODSON   REC- 
TEUR,   H.  SCHLITZ  ADMINISTRATEUR,   J. FRENKIEL 
PROFESSEUR COORDINATEUR.
ARCHITECTE :    J. - D.     MAQUET 
BUREAUX    D’ETUDES : 
GENIE CIVIL : DELTA 
EQUIPEMENTS : COPPEE-RUST

 

- François STOCKMANS, dans Biographie nationale, t. 38, col. 596-618 
- Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 472-473 
- http://www.museepla.ulg.ac.be/opera/vincotte/montefiore.html 
- Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres - 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 11 
- Philippe TOMSIN, dans Vers la modernité. Le XIXe siècle au Pays de Liège, catalogue d'exposition, Liège, 2001, p. 470 
- Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 125-128 
- Charles BURY, Les Statues liégeoises, dans Si Liège m’était conté, n°37, hiver 1970, p. 27 
- Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 434 
- Éric MEUWISSEN, Richesse oblige, Bruxelles, Racine, 1999 
- Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 605-609 
- Anne VAN LOO (dir.), Dictionnaire de l’architecture en Belgique de 1830 à nos jours, Anvers, Fonds Mercator, 2003, p. 515-516 
- Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 757

Sart Tilman
4000 Liège 

carte

Paul Delforge

Montefiore-Levi Georges

Socio-économique, Entreprise

Streatham (Grande-Bretagne) 18/02/1832, Bruxelles 24/04/1906


De la trajectoire de Georges Montefiore-Levi, on ne sait s’il faut retenir son esprit d’entreprise, sa créativité ou sa générosité. À la tête de nombreuses entreprises qu’il cherchait à orienter dans le secteur des chemins de fer, il avait inventé un alliage – les fils en bronze phosphoreux Montefiore – qui assura sa fortune en raison du développement du téléphone. Se souvenant avoir accompli ses études à l’Université de Liège et commencé sa carrière en bord de Meuse, il donne naissance à un Institut électrotechnique unique au monde, qui porte toujours son nom.

Dans la famille Montefiore-Levi, on voyage volontiers : marchand, le père épouse à La Barbade la fille d’un autre commerçant juif. Deux enfants sont déjà nés de ce mariage quand le couple s’installe près de Londres. Avant-dernier d’une famille de neuf, Georges est installé à Bruxelles quand son père meurt en 1839. Après l’Athénée de Bruxelles, il vient habiter à Liège pour mener ses études supérieures à l’École des Arts et Manufactures de l’Université. Ingénieur civil, il s’intéresse particulièrement à la métallurgie, plus précisément aux métaux non ferreux.

Recruté par la Société Bischoffsheim, Goldschmidt et Cie comme directeur d’une mine de nickel dans le Piémont, il perçoit la valorisation qu’il peut en retirer. Dans les années 1850, établissant ses quartiers à Turin et à Liège, il fonde, en bord de Meuse, sa propre usine, sous le nom « Mines et Fabriques de Nickel du Val Sesia et de Liège », avec le soutien de ses « employeurs » et de trois familles liégeoises fortunées. Installée au Val Benoît, l’entreprise a comme objectif le traitement des minerais et autres matières contenant du nickel et du cobalt : la matière première provient d’Italie et l’énergie provient des charbonnages du pays de Liège. Directeur-gérant de la « Société G. Montefiore et Cie, fabrique de nickel » (1858), Montefiore-Levi fournit le métal destiné aux premières pièces de monnaie de nickel.

Dans le même temps, le jeune entrepreneur s’intéresse de près au chemin de fer et à ses perspectives de développement. En 1856, il constitue une société anonyme, « La Compagnie générale du Matériel des Chemins de fer », dont il est le gérant. Son champ d’activités est particulièrement large, mais la faillite l’attend en 1866. La même année, il épouse Hortense, la fille de son banquier, le riche Jonathan Bischoffsheim, qui va associer son beau-fils à la gestion et à l’administration de charbonnages et hauts-fourneaux. Cette aisance financière permet à Georges Montefiore-Levi de poursuivre ses recherches : alliant ses connaissances en chimie à des expériences en atelier, il tente d’améliorer la résistance des matériaux, notamment dans le secteur militaire, mais aussi des fils électriques. En 1869, il met au point un alliage particulier de bronze phosphoreux qui va faire sa fortune : après avoir étiré des fils, il apparaît que le matériau est particulièrement efficace pour la transmission des communications télégraphiques. Avec le développement du réseau téléphonique, les fils en bronze phosphoreux Montefiore vont faire la fortune de son inventeur.

Expert pour l’armée russe, patron de la « Compagnie française des Bronzes Montefiore à Saint-Denis (Seine) et surtout de la Société anonyme des Fonderies et Tréfileries de bronze phosphoreux d’Anderlecht (toutes deux produisant le fameux fils), l’industriel n’a pas abandonné le secteur ferroviaire, étant notamment actionnaire de la Société anonyme mutuelle de Chemin de fer (1878), avant d’en être l’administrateur (1888-1896). Particulièrement actif dans le dernier quart du XIXe siècle, tant en Belgique, qu’en Italie, aux Pays-Bas et en France, il cherche à réunir sous sa direction des lignes et des sociétés d’exploitation existantes, et à favoriser la continuité des lignes entre bassins industriels. Il deviendra le président du Conseil d'administration de la Compagnie des Chemins de Fer Grand Central Belge.

Ayant obtenu la grande naturalisation pour services – économiques – rendus au pays (janvier 1882), Georges Montefiore-Levi est d’emblée candidat au Sénat sur une liste libérale. Établi à Esneux (1882), dans le domaine du Rond-Chêne auquel il donne un caractère plus prestigieux encore par la plantation de « beaux arbres » et la création d’un « Jardin des Roches », c’est comme sénateur direct de Liège qu’il fait son entrée à la Haute Assemblée (juin 1882). Son attention s’y concentrera sur les dossiers du rail, et y défendra le projet d’une Société nationale des chemins de fer vicinaux. S’il est attentif à l’établissement de caisses d’assistance (accidents, secours, etc.), il reste persuadé que l’État ne doit pas intervenir dans les relations entre patrons et ouvriers. Précurseur de la Loi Lejeune, il tenait particulièrement à voir supprimer toutes formes de jeux dans les établissements publics. Rapporteur sur les questions relatives aux sociétés mutualistes et aux unions professionnelles, celui qui avait pris l’initiative de fonder la « Société liégeoise pour la Garantie des Constructions des Maisons ouvrières » prône la construction de telles maisons dans la périphérie des villes, à la fois pour le bien-être des ouvriers et pour ne pas les mélanger avec les riches (sic). Membre de nombreuses Commissions,  censeur de la Banque Nationale (1893-1906), il s’était aussi spécialisé dans les questions monétaires (il était aussi actif dans les milieux bancaires). En 1892, il préside la Conférence monétaire internationale qui se réunit à Bruxelles. Au tournant des XIXe et XXe siècle, Georges Montefiore-Levi était une des vingt plus grosses fortunes du pays.

Distribuant volontiers ses deniers aux œuvres – juives ou non juives –, le couple Montefiore-Levi avait créé à Esneux un centre d’accueil pour enfants convalescents (1886), un sanatorium à Borgoumont (1888), etc. Par ailleurs, l’industriel et chercheur contribue généreusement à la création de l’Institut électrotechnique de Liège – généralement appelé Institut Montefiore : les premiers cours y sont dispensés dès octobre 1883 et rapidement s’y développent des laboratoires, des ateliers en plus des salles de cours. « Les premiers professeurs, Eric Gérard (1856-1916) et Omer de Bast (1865-1937) y développèrent les applications industrielles de l’électricité : instruments de mesure, téléphonie, télégraphie, moteurs, particulièrement les tramways électriques qui seront une spécialité de l’industrie wallonne » (Halleux).

Au décès de son épouse (1900), la presse mène une vive campagne au sujet du couple, prétendant qu’il a abandonné ses premières convictions religieuses pour se convertir au catholicisme. Ce qui est vrai par mesures testamentaires pour son épouse ne l’est pas pour lui. Afin de mieux se défendre contre une campagne qui dépasse largement les frontières du pays de Liège, Georges Montefiore-Levi démissionne du Sénat (12 novembre 1901), non sans clamer : « Je suis Israélite et je mourrai Israélite ; je suis libéral et mourrai libéral ».


 

Sources

François STOCKMANS, dans Biographie nationale, t. 38, col. 596-618
Robert HALLEUX, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Philippe TOMSIN, dans Vers la modernité. Le XIXe siècle au Pays de Liège, catalogue d’exposition, Liège, 2001, p. 470
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 472-473
http://www.museepla.ulg.ac.be/opera/vincotte/montefiore.html
Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres - 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 11


Sénateur (1882-1901)