Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Ernest PSICHARI

Durant les combats particulièrement meurtriers qui se déroulent au mois d’août 1914 dans toute la province de Luxembourg (bataille des frontières), un jeune lieutenant français, du 2e régiment d’artillerie coloniale, perd la vie à l’entrée du village de Rossignol. S’il est enterré au cimetière militaire français de l’orée de la forêt (Rossignol) dès 1919, avec des dizaines d’autres de ses compagnons d’infortune, un premier monument est érigé en son honneur, dans l’espace public, quelques mois après l’Armistice (1920). 

Ce combattant n’est pas ordinaire : petit-fils de Renan, il est aussi l’un des tout premiers écrivains français tombés au champ d’honneur ; de surcroît, ses ouvrages les plus récents et son engagement dans la foi catholique donnent matière à transformer la mort d’Ernest Psichari en un martyr chrétien ou en un héros militaire.

Ernest Psichari

Né à Paris un 27 septembre 1883, Ernest Psichari est le fils du philologue Jean Psichari co-fondateur de la Ligue des Droits de l’homme, et, par sa mère, le petit-fils d’Ernest Renan et l’arrière-petit-neveu du peintre Ary Scheffer. Alors qu’il étudie la philosophie à Paris, au tournant des XIXe et XXe siècles, Psichari publie ses premiers poèmes qui s’inscrivent dans le courant symboliste. 

Désireux de servir la France, il délaisse une thèse de doctorat entamée sur le thème de « la faillite de l’idéalisme » pour le métier des armes (1904). Jeune brigadier, membre d’une expédition géographique, il tire de ses premiers services dans l’Oubangui-Chari-Tchad français (1906-1907) une nouvelle inspiration pour un récit de voyage qu’il rédige à son retour (Terres de soleil et de sommeil, 1908, couronné par l’Académie française). Essentiellement descriptif, Terres contient un étonnant dernier chapitre où on lit à la fois une justification de la colonisation, une apologie de la guerre, et une affirmation de la supériorité des blancs sur les noirs. Quand le sous-lieutenant de l’École d’artillerie de Versailles parvient à reprendre du service en Mauritanie (1909-1912), il se révèle un militaire aguerri, particulièrement attentif à affirmer la présence française. 

C’est en Afrique qu’il écrit L’Appel des armes, un roman à thèse qui, publié en 1913, tourne le dos au symbolisme et amplifie les idées en germe dans le dernier chapitre de Terres. Il s’agit d’un tournant dans sa pensée. Cet ami de Péguy y exprime un nationalisme hargneux et une pensée réactionnaire. « Le petit-fils de Renan, jusqu’alors connu pour son activité dreyfusarde et socialiste » (NÉAU-DUFOUR) change de camp, choisit celui de l’ordre, au point que certains historiens verront dans L’Appel des armes l’un des premiers témoignages d’une sensibilité préfasciste (GIRARDET).

Cependant, contrairement à ses contemporains – Péguy, Barrès ou Maurras –, Psichari ne cherche pas à élaborer une vision politique ; il n’aboutit à une forme de nationalisme intégral qu’en raison de sa propre crise intérieure qui n’est pas encore terminée. En effet, tandis que sa vie affective continue de connaître d’importants déchirements, éloignée cependant des périlleux chemins de traverse qu’il avait empruntés jadis, il abjure sa foi orthodoxe pour être baptisé selon le rite catholique. La quête sous-jacente d’une mystique le conduit sur le chemin du catholicisme intégral (vers 1912) et il réécrit par deux fois son dernier opus, en donnant une large place à « la recherche de la foi », tout en y manifestant un esprit de tolérance – notamment à l’égard de l’Afrique – et en se référant aux idéaux de 1789. Accoler une étiquette définitive à la pensée de Psichari apparaît par conséquent bien difficile. C’est à titre posthume que paraîtront en 1916 Le voyage du centurion, où il raconte les étapes de sa conversion, puis, en 1920, Les voix qui crient dans le désert.

Psichari achève l’écriture de ses deux romans autobiographiques, relevant de la « littérature catholique », quand éclate la Grande Guerre. Celle-ci l’empêche de prononcer ses vœux et d’entrer définitivement dans l’ordre des Dominicains. Envoyé sur le front belge, il se réjouit de prendre les armes pour ramener l’Alsace et la Lorraine dans le giron de la nation française. Mortellement touché au combat, le 22 août, à Rossignol, il est l’un des tout premiers écrivains, lieutenant appartenant au milieu intellectuel de son temps, à laisser la vie sur le champ de bataille. Celui qui était l’ami de Charles Péguy (tué lui aussi au combat quinze jours plus tard) et de Jacques Maritain devient très rapidement, dans la presse, la figure du héros militaire et celle du martyr chrétien. Après l’Armistice, sous la plume d’auteurs aussi divers que Henri Massis, Charles Maurras, Maurice Barrès, Jacques Maritain, Robert Garric, Charles de Gaulle, François Mauriac, Edmond Rostand et bien d’autres, on se dispute la mémoire de cette sorte de héros national de la France, défenseur de la patrie, de la nation et de l’Église.
 

Monument Ernest Psichari (Rossignol)

Le monument inauguré à Rossignol le 23 août 1920 n’échappe pas à cette compétition mémorielle. L’initiative est revient à Henri Massis, critique littéraire parisien déjà proche de Maurras et de l’Action française, ainsi qu’au poète et juriste bruxellois Thomas Braun, grand admirateur de l’Ardenne, et à Jean Psichari, le père d’Ernest. 

L’inauguration se déroule après une cérémonie religieuse célébrée par un père dominicain du prieuré Saulchoir, celui-là même où Psichari devait faire son noviciat. En présence du colonel français Cayrade, elle se déroule à l’endroit (ou près de l’endroit) où le soldat tomba à la tête de sa batterie. La presse s’en fait particulièrement l’écho, Le XXe siècle consacrant plus d’une page à honorer Ernest Psichari. D’autres initiatives seront prises par la suite dans le village de Rossignol qui devient, dans l’Entre-deux-Guerres, un lieu de pèlerinage particulièrement fréquenté par les milieux catholiques belges et français, qu’il s’agisse des scouts, des jécistes, des acéjibistes ou de la Ligue des familles nombreuses.

En bord de route, à quelques dizaines de mètres du cimetière civil, le monument Psichari s’élève en trois niveaux ; un large socle en pierres du pays accueille le monument proprement dit, composé d’une base en pierres légèrement arrondies qui supportent un obélisque d’environ 2 mètres de haut. 

Sur la face avant de l’obélisque, un glaive dressé verticalement est surmonté de l’inscription :


ERNEST
PSICHARI


Du côté droit, au sommet de l’obélisque a été gravée la date du 22 août 1914, tandis qu’à gauche apparaît la mention « ici tomba ». Sur le socle, on peut voir deux flambeaux avec les inscriptions :


LES TROUPES DE LA MARINE (à droite)
LE SOUVENIR FRANÇAIS (à gauche)


Aucune indication ne permet de connaître le nom du sculpteur ou de l’architecte ayant conçu ce monument.



Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (en particulier la période d’août 1920 et Le XXe siècle)
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 137.
Frédérique NÉAU-DUFOUR, Ernest Psichari : l’ordre et l’errance, Paris, éd. du Cerf, 2001
Raoul GIRARDET, La société militaire dans la France contemporaine 1815-1939, Paris, Plon, 1953, p. 307.
http://www.ftlb.be/pdf/WAR14-18.pdf 
http://ftlb.be/fr/attractions/fiche.php?avi_id=2852 
www.STADTAUS.com_rossignol_ernest_psichari.pdf (s.v. juillet 2015)

Rue Camille Joset
6730 Rossignol (Tintigny)

carte

Paul Delforge