Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Ernest et Alfred SOLVAY

Monument à la mémoire d’Ernest et Alfred Solvay, réalisé par Victor Rousseau, 15 septembre 1938.

Rebecq est le berceau de la famille Solvay. Au début du XIXe siècle, Alexandre y est maître de carrières avant de se lancer comme raffineur de sel. C’est là que naissent et grandissent ses deux fils, Ernest (1838-1922) et Alfred (1840-1894) avant de se lancer ensemble dans une aventure industrielle exceptionnelle. Par conséquent, alors que Couillet (1895), La Hulpe (1924) et Bruxelles (1932) avaient déjà rendu hommage par l’érection d’un monument dans l’espace public, il est apparu évident aux autorités locales de Rebecq qu’il en soit de même au cœur de leur entité. Le monument dédié aux deux frères est confié au célèbre sculpteur Victor Rousseau (1865-1954) dont ce n’est évidemment pas la première réalisation.

L’artiste est alors au sommet de son art. Prix Godecharle 1890, Grand Prix de Rome 1911, Grand Prix des arts plastiques 1931, Prix des amis du Hainaut 1935, il ne donne plus le cours de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1901-1919) qu’il a dirigée deux fois, entre 1919 et 1922, puis entre 1931 et 1935, et il ne cesse de répondre à des commandes, comme celles de bustes d’industriels, les Solvay en 1938, Auguste Lannoye en 1939. Représentant actif de l’art wallon dont on cherche à cerner la définition tout au long des premières années du XXe siècle, le « Grand » Victor Rousseau a derrière lui une œuvre considérable, « sculptée » sur de nombreux chantiers et par de multiples commandes officielles ou œuvres personnelles : chantier pharaonique du Palais de Justice de Bruxelles dans les années 1880, décoration du Pont de Fragnée à Liège, cour d’honneur de l’ancien château de Mariemont (Vers la Vie), Memorial in Gratitude à Londres. C’est ce « sculpteur d’âmes », originaire de Feluy, qui fige Ernest et Alfred Solvay dans le marbre pour l’éternité, dans un monument installé au cœur de Rebecq-Rognon, localité dont un des neveux du père Alexandre Solvay fut bourgmestre de 1867 à 1876 et que dirigeait Eugène Solvay, un cousin des deux industriels, au moment de l’inauguration en septembre 1938, quelques semaines avant une échéance électorale.

Esprit curieux, « apprenti-directeur » dans l’usine à gaz de son oncle, Ernest Solvay a dû multiplier les expériences, dans sa jeunesse, avant de parvenir à obtenir du carbonate de soude. Conscient de l’importance de sa découverte, il a déposé un premier brevet (1861), avant de se lancer dans la mise en route du processus de la fabrication industrielle du carbonate sodique à l’ammoniaque, dans sa première usine à Couillet (1863). En 1888, le groupe Solvay atteint une production annuelle de 350.000 tonnes et en 1900, ce géant de l’industrie chimique fournit 95% de la production mondiale... Inventeur, chercheur, patron d’industrie, Solvay est aussi préoccupé par les conditions de travail de ses ouvriers et introduit très tôt des mesures sociales hardies (caisse de retraite, limitation du temps de travail,  congés payés, etc.). On connaît aussi son rôle durant la Grande Guerre, en tant que fondateur du Comité national de secours et d’alimentation. Sénateur libéral à deux reprises (1893-1894, 1897-1900), Ernest Solvay est nommé Ministre d’État au lendemain de l’Armistice. Dans l’ombre de son frère, Alfred avait contribué au démarrage de l’activité industrielle, dans les années 1860, notamment à la construction de l’usine de Couillet dont il était devenu le directeur-gérant ; par la suite, il participe aussi à l’extension des activités de la société Solvay et Cie qui compte déjà une vingtaine d’usines au milieu des années 1880, en Europe et aux États-Unis. Conseiller communal libéral de Couillet et conseiller provincial du Hainaut, il devait décéder à Nice d’une congestion pulmonaire.

Les deux frères sont subtilement associés par Victor Rousseau dans le bronze qui occupe la position centrale d’un imposant portique-fontaine construit en blocs de pierre. Les deux industriels sont représentés de profil, l’un dans le prolongement de l’autre. Au-dessus du médaillon, la mention suivante est gravée dans la pierre :


AUX FONDATEURS DE L’INDUSTRIE
DE LA SOUDE À L’AMMONIAQUE


Sous le bas-relief, les autorités communales s’identifient en association le personnel de l’usine Solvay :


TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
DES COMMANDITAIRES ET DU PERSONNEL
DE LA SOCIÉTÉ SOLVAY & CIE


À gauche et à droite du portique, de part et d’autre du bronze, des plaques gravées précisent l’identité des deux industriels :


ALFRED SOLVAY                                    ERNEST SOLVAY
NE A REBECQ                                        NE A REBECQ
LE 1-7-1840                                             LE 16-4-1838
DECEDE A NICE                                     DECEDE A IXELLES
LE 23-1-1894                                           LE 26-5-1922

                                                              
SEPTEMBRE 1938  

 

Sources

Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 165-179
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435
Richard DUPIERREUX, Victor Rousseau, Anvers, 1944, coll. Monographie de l’art belge
Marcel BOUGARD, Victor Rousseau. Sculpteur wallon, Charleroi, Institut Destrée, 1968, coll. Figures de Wallonie
Denise VANDEN EECKHOUDT, Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 539
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 382

Place communale 
1430 Rebecq

carte

Paul Delforge

Carrefour de l'Europe ouvert à ses influences, la Wallonie a, de tout temps, été traversée par les grands courants scientifiques et technologiques. Les Wallons en ont assimilé les multiples apports et ont développé leurs propres techniques, participant ainsi, parfois de façon décisive, à l’évolution de la connaissance. Des parcours édifiants que vous pourrez retrouver dans cette leçon, au travers d’une synthèse et de documents éclairants.