L’ancienne abbaye de la Paix-Dieu, située au creux d’un vallon, présente encore aujourd’hui un ensemble architectural harmonieux et de grande qualité. La fondation de cette abbaye cistercienne remonte au milieu du XIIIe siècle, lorsqu’une communauté de moniales s’établit sur le site en 1244. Les bâtiments aujourd’hui conservés, de style Renaissance mosane, ont été édifiés aux XVIIe et XVIIIe siècles mais ont subi de lourds dégâts après la vente de l’abbaye comme bien national en 1797 et suite à la dispersion des religieuses. Seule la ferme fut alors épargnée. Le renouveau de la Paix-Dieu s’organise dans le milieu des années 1990 alors que les autorités wallonnes souhaitent y créer un « Centre de perfectionnement aux métiers du patrimoine ». La Région wallonne acquiert les anciens bâtiments conventuels, à l’exception de la ferme et de l’infirmerie, en 1997. Une vaste campagne de restauration est depuis lors entreprise et a vu, depuis près de vingt ans, la restauration de l’aile de l’abbesse, du quartier des hôtes, du moulin, des jardins en terrasse et du colombier et la construction de bâtiments contemporains utiles aux missions de la Paix-Dieu, à savoir un atelier et une conciergerie. Depuis 1999, le centre des métiers du patrimoine est géré par l’Institut du Patrimoine wallon. Il poursuit ses missions de préservation et de transmission des savoirs et savoir-faire dans le domaine du patrimoine architectural.
Comme bien d’autres complexes ecclésiastiques, l’abbaye de la Paix-Dieu vit des heures douloureuses à la fin de l’Ancien Régime. À Jehay souffle aussi le vent de la révolution, menée par Augustin Behogne et une bande de patriotes. Originaire de Hannut et membre du club des patriotes d’Amay, il s’était installé à Jehay après son mariage avec une fermière de la région. Les sources permettant de retracer son action font toutefois défaut, seul le témoignage du jardinier du château de Jehay nous donne des indications sur les actions menées par Behogne : pillage du moulin de la Paix-Dieu, violences et injures envers l’abbesse et les sœurs, appropriation de terres et proclamations du rattachement à la France. La seconde restauration du prince-évêque le 21 avril 1793 signe la fin des actions du révolutionnaire : Behogne est arrêté, jugé et condamné à mort. Il est décapité à la hache le 26 mars 1794 à Jehay. En attendant qu’une salle du centre de la Paix-Dieu commémore son nom, Behogne s’est effacé des mémoires, au contraire de Chapuis et Bouquette.
La fête civique dans l’ancien cloître de la Paix-Dieu © Collection particulière
Après l’annexion de la principauté à la République française, le régime municipal français est progressivement établi dans nos régions entre 1795 et 1797 ; les ordres sont supprimés et les biens des monastères, abbayes et prieurés sont mis en vente. Le 7 août 1796, une fête civique est célébrée au sein de l’abbaye ; il s’agit d’une fête au cérémonial grandiose et à la décoration exubérante. Un autel dédié à la Patrie est érigé dans la cour et un bûcher dressé dans le but d’y brûler les symboles de l’Ancien Régime. Disparaissent ainsi les blasons des familles aristocratiques, mitres et crosses… Tout au long de la fête sont présents les symboles républicains : bonnet phrygien, statues de la Liberté et de la Loi et discours anti-royalistes. Au cours de cette même journée, le peintre Léonard Defrance organise une cérémonie en hommage à Augustin Behogne.
Le 29 août 1797, en vertu de la loi autorisant la vente des biens nationaux, l’abbaye de la Paix-Dieu est acquise par la citoyenne Mottard suite à une vente publique. Le site abritait toutefois depuis janvier 1796 les services de l’administration municipale de Bodegnée (Bodegnée constitue une commune à part entière jusqu’en 1822 lorsqu’elle est fusionnée avec Jehay pour former la commune de Jehay-Bodegnée. Celle-ci intègre la commune d’Amay après la fusion des communes en 1977). Entre le 29 août 1797 et le 21 mars 1799, la municipalité verse un loyer à la propriétaire de l’abbaye pour y occuper les locaux de l’ancienne infirmerie abbatiale dans laquelle fonctionnent les services administratifs. Ces derniers ont toutefois, de manière éphémère, occupé une partie du château de Jehay par la suite comme le précise une lettre de l’administration municipale datée du 15 mai 1798. Les édiles se seraient finalement installés chez un particulier au début du XIXe siècle. Après 1800 et le départ des fonctionnaires municipaux, madame Mottard procède au démontage du cloître et de la cour d’honneur afin d’en vendre les matériaux. L’aile de l’abbesse est vendue en 1857 et transformée en distillerie ; l’abbatiale sert de grange et l’aile de l’abbesse en étable jusqu’en 1954. Le quartier des hôtes est laissé à l’abandon alors que la brasserie et le moulin continuent de fonctionner respectivement jusqu’en 1878 et 1970.