L'ancien palais des princes-évêques de Liège

Liège
Place Saint-Lambert et Place Notger, 4000 Liège

Avec les multiples richesses patrimoniales que recèlent ses façades, ses deux cours et ses nombreuses pièces d’apparat, le palais de Liège est incontestablement à placer au rang des plus beaux palais européens et il bénéficie d’ailleurs du label « Patrimoine européen ». Sa fonction politique donna au bâtiment ses plus beaux salons d’Ancien Régime et ses très belles réalisations du xixe siècle dans la partie provinciale. Architecturalement, celles-ci furent une des premières manifestations du style historiciste (néogothique en l’occurrence) et, à cet égard, en avance sur leur temps comme l’avait été, des siècles auparavant, l’adoption précoce et très éclectique dans le palais des princes-évêques des premiers canons de la Renaissance italienne dont témoignent le plan de l’édifice et les colonnes de l’imposante première cour.

 

XIe-XVIIIe siècles : le siège d’un pouvoir souverain

Étymologiquement, la notion de « palais » implique l’idée d’un pouvoir souverain et ce fut le cas en l’occurrence avec la naissance à la fin du xe siècle de ce qui devint la principauté épiscopale de Liège, qui fut le seul pouvoir souverain sur le territoire de l’actuelle Wallonie! Plus de deux siècles après sa disparition en 1795 au terme d’un millénaire d’existence, les Liégeois restent encore viscéralement attachés au souvenir de leur ancienne principauté, de son autonomie, du rôle de capitale de Liège. Ce sentiment d’appartenance distinctive de l’ancienne « Nation liégeoise » a contribué, sinon à nourrir un sentiment wallon, en tous cas à affaiblir un sentiment national belge que d’autres options politiques, bien plus tard, ne renforceront pas davantage.

 

La pierre d'affichage des "Loix publiées dans le département de l'Ourte" - Guy Focant © SPW-Patrimoine

 

 

 

Ainsi, ce n’est pas un hasard si le 14 juillet est fêté à Liège autant qu’en France, et bien plus que le 21 juillet : c’est en 1937 que la Ville (qui avait déjà été la première ville étrangère à recevoir la Légion d’Honneur en 1919 – des mains du Président de la République française Raymond Poincaré en personne – pour sa résistance face à l’armée allemande en août 1914) décida de s’associer officiellement à la fête nationale française, en signe de protestation contre la rupture de l’alliance militaire franco-belge et la politique de neutralité vis-à-vis du IIIe Reich, l’une et l’autre voulues par les milieux flamands radicaux et par le roi Léopold III, et qui portaient déjà en elles les signes avant-coureurs des errements de ces derniers durant l’occupation allemande. Mais l’ancien palais princier a également été le cadre de manifestations plus tangibles du Mouvement wallon et un détail de sa façade principale rappelle un élément fondateur de celui-ci, à savoir la « pierre noire ». 

 

 

La « pierre noire »
Sur la façade principale du palais, à gauche de l’entrée principale, se trouve encore, épargnée par les changements de régimes et les restaurations successives depuis deux siècles, une pierre prévue pour l’affichage et dont le dessus porte la mention gravée : Loix publiées dans le département de l’Ourte. Elle fut utilisée à partir du 12 mars 1796, alors que le palais n’avait plus, provisoirement, qu’une fonction judiciaire depuis le rattachement de l’ancienne principauté à la France et son démantèlement dans le cadre de la création de départements préfigurant nos actuelles provinces.

Le palais provincial

Partie intégrante du palais, le nouveau palais provincial est érigé à l’emplacement des anciennes écuries épiscopales sur les plans de Jean-Charles Delsaux, lauréat d’un concours organisé en 1848. De style néogothique, le bâtiment de trois niveaux se développe sur un corps central flanqué de deux marteaux en saillie. La façade, imposante, s’élève sur vingt-cinq travées, au centre desquelles un péristyle soutenu par cinq colonnes trouve sa place au rez-de-chaussée. La décoration de cette façade est exceptionnelle : quarante-deux statues, soixante blasons et dix-neuf bas-reliefs évoquent l’histoire de la ville et de la principauté de Liège.

La décoration intérieure est elle aussi remarquable : le hall d’entrée est orné d’un harmonieux plafond à caissons et de peintures murales décoratives. Les salles des pas perdus et du Conseil provincial sont également très intéressantes. Richement décorée, cette dernière salle comporte un plafond à caissons orné de peintures d’Édouard van Marcke, mais également une imposante double tribune baroque en chêne sculpté polychrome. Une frise et des colonnes polychromes courent tout le long de la pièce et s’harmonisent avec les pupitres couverts de velours pourpre.

 

1907 : la réunion des ligues wallonnes

À l’occasion du dixième anniversaire de la Ligue wallonne de Liège, toutes les ligues wallonnes se réunissent à Liège, au palais provincial, le 9 mai 1907, date du dixième anniversaire de la Ligue de Liège. Celle-ci, comme les autres ligues, a pour but de défendre les droits des Wallons sans porter de couleur politique. La Ligue liégeoise a pour président Julien Delaite, déjà secrétaire de la Société liégeoise de Littérature wallonne. Promotrice du chant des Wallons, la Ligue wallonne de Liège sera également l’organisatrice des Congrès wallons de 1912 et 1913, tenus à Liège. Cette Ligue aura toutefois une existence éphémère : sans aucune
action durant la Première Guerre mondiale, elle tient quelques réunions après l’Armistice, mais le comité directeur décide de la fin des activités le 28 novembre 1919. La Ligue wallonne de Liège fut cependant une des associations les plus militantes et les plus dynamiques du Mouvement wallon à la prétendue belle époque.

 

1930 : le premier Congrès de la Concentration wallonne

Au début de l’année 1930, la Ligue d’Action wallonne décide d’organiser les 27 et 28 septembre un premier Congrès de la Concentration wallonne, au moment où la ville de Liège organise une exposition internationale s’inscrivant dans le cadre du centenaire de l’indépendance de la Belgique. Désireux d’affirmer franchement une identité wallonne, ce Congrès est présidé par Charles Defrêcheux et Marcel Franckson, et tient ses séances dans la salle du Conseil provincial. À nouveau, les discussions portent sur la coexistence des Wallons et des Flamands au sein de l’État belge, et sur l’identité française du sud du pays. Une commission est chargée d’étudier la forme institutionnelle que pourrait prendre la Wallonie.

 

1947 : l’action du groupe « Jeune France »

Fin 1945, Liège avait accueilli en novembre, au palais provincial notamment, le général français de Lattre de Tassigny, qui avait accepté alors de porter l’insigne de « Wallonie libre ». Un an et demi plus tard, à l’été 1947, alors que la mise au placard des revendications wallonnes de 1945 commence à se dessiner, André Schreurs (le fils du secrétaire du Congrès national) et Fernand Massart (futur parlementaire Rassemblement wallon), animant le groupe « Jeune France », font nettoyer et redorer « la pierre noire » en tant que témoin des vingt années de période française.

 

La « pierre noire »

Sur la façade principale du palais, à gauche de l’entrée principale, se trouve encore, épargnée par les changements de régimes et les restaurations successives depuis deux siècles, une pierre prévue pour l’affichage et dont le dessus porte la mention gravée : Loix publiées dans le département de l’Ourte. Elle fut utilisée à partir du 12 mars 1796, alors que le palais n’avait plus, provisoirement, qu’une fonction judiciaire depuis le rattachement de l’ancienne principauté à la France et son démantèlement dans le cadre de la création de départements préfigurant nos actuelles provinces.

Freddy Joris & Frédéric Marchesani, avril 2009