Le palais des princes-évêques de Liège

Liège

Bâtiment emblématique du pouvoir et du centre de Liège, le palais des princes-évêques est certainement la trace la plus évidente et la plus imposante de l’ancienne principauté épiscopale. Siège du pouvoir dès avant Notger, il est construit à côté de la cathédrale Saint-Lambert, le siège du pouvoir temporel étant ainsi joint à celui du pouvoir spirituel. Tout comme les palais abritent encore de nos jours des rois, princes et présidents, le palais de Liège est la résidence du chef de l’État. Il est pourtant bien plus que cela : il sert de lieu de réunion pour les États jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et abrite les organes principaux du gouvernement de la principauté, à savoir le Conseil privé et la Chambre des comptes, il abrite les tribunaux, le Conseil ordinaire du prince, la Cour féodale, la Cour allodiale, la Cour des échevins, le tribunal ecclésiastique, le Synode.

Le bâtiment que nous connaissons actuellement garde les traces des interventions de nombreux prélats liégeois et est l’héritier de plusieurs autres bâtiments défunts. Les premières mentions d’un « palais épiscopal » remontent au IXe siècle, lorsque son occupant n’était encore qu’évêque de Liège. C’est toutefois sous l’épiscopat de Notger (972-1008), considéré comme le premier prince-évêque suite à la donation du comté de Huy en 985, que l’on trouve la trace d’un nouveau palais, que nous considérons aujourd’hui comme le « premier palais des princes-évêques ». L’incendie qui en 1185 ravage la cathédrale notgérienne, détruit également le palais. Le siège du pouvoir est immédiatement reconstruit par Raoul de Zähringen (1167-1191) et connaît par la suite de nombreux aménagements. Les conflits entre Liège et Bourgogne et les guerres qui ravagent nos contrées dans la seconde moitié du XVe siècle ont raison de l’édifice. C’est sous le règne du richissime bâtisseur Érard de la Marck (1505-1538) que la renaissance du palais a lieu. L’édifice actuel en est encore en grande partie l’héritier : articulation autour de deux cours en enfilade dont la première est caractérisée par une série de colonnes aux motifs Renaissance. Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, les princes-évêques n’auront de cesse d’imprimer leur marque dans l’intérieur de leur résidence dont ils modernisent les locaux. L’extérieur connaît de lourdes modifications sous le règne de Georges-Louis de Berghes (1724-1743) lorsqu’un grave incendie ravage le palais dans la nuit du 23 mars 1734 et détruit intégralement la façade Renaissance construite sous Érard de la Marck. S’il perd ses fonctions de résidence princière et épiscopale après l’annexion de la principauté de Liège à la France en 1795, le palais ne connaît pas de modifications d’envergure depuis. La construction d’une aile néogothique du côté de la place du Marché et du palais provincial à partir de 1849 à l’emplacement des anciennes écuries constituent des ajouts au bâtiment d’origine. Siège du palais de justice et du palais provincial depuis lors, il est aujourd’hui le témoin le plus marquant du riche passé liégeois, en plus d’être le plus grand édifice civil public de Wallonie.

Il ne revient pas ici de faire une étude architecturale détaillée du bâtiment, qui a déjà fait l’objet de nombreuses autres interventions. Comme cela est le cas pour les autres notices de cet ouvrage, il convient de dresser un aperçu le plus exhaustif possible de toutes les traces matérielles d’époque présentes dans l’édifice et rappelant le souvenir des princes-évêques. Outre de nombreux portraits, plusieurs traces nous sont parvenues, la plupart témoignant des interventions ayant suivi l’incendie de 1734 :

Les monumentales armoiries de Georges-Louis de Berghes sur le fronton du palais des princes-évêques © IPW

Les monumentales armoiries de Georges-Louis de Berghes sur le fronton du palais des princes-évêques

- le fronton courbe de la façade principale porte les armoiries de Georges-Louis de Berghes (1724-1743). Il est le témoin principal de la reconstruction par l’architecte bruxellois Jean Anneessens suite à l’incendie de 1734. Les armoiries datent de 1737 et présentent le blason du prince, entouré de deux lions et portant la couronne, la crosse et l’épée. Une inscription en-dessous de la composition rappelle l’incendie et la reconstruction suite à l’intervention des États : « Georges-Louis, évêque et prince de Liège, a restauré le palais, détruit partiellement par un incendie, grâce à la générosité des États, du Clergé et de la Cité – 1738 ». Disparues à la Révolution, ces armoiries furent rétablies vers 1905 ;

Le blason et l’inscription dédicatoire d’Ernest de Bavière sur les voûtes de la galerie nord de la première cour du palais des princes-évêques © IPW

Le blason et l’inscription dédicatoire d’Ernest de Bavière sur les voûtes de la galerie nord de la première cour du palais des princes-évêques

- les voûtes des galeries de la première cour sont ornées des armoiries de plusieurs princes-évêques au niveau des clés de voûte. Seul témoin de la première campagne d’édification, les armes d’Érard de la Marck (1505-1538) se trouvent à l’angle nord-ouest. La fragilité de la construction obligea ses successeurs à ordonner des travaux de reconstruction et de consolidation tout au long du XVIe siècle. Les armoiries de Gérard de Groesbeeck (1564-1580), présentes dans la galerie est, commémorent la réfection des voûtes en 1568 ; la première arcade au nord-est porte quant à elle un chronogramme daté de la même année témoignant également de cette reconstruction et portant une inscription latine signifiant « À l’exemple de ton prédécesseur, Gérard de Groesbeeck ». Les armes d’Ernest de Bavière (1581-1612) figurent quant à elles dans la galerie nord et commémorent la restauration des voûtes en 1587. Un autre chronogramme, tracé non loin du premier témoigne lui aussi de cette campagne de restauration : « Ô chef et roi Ernest de Bavière, tu consolides les choses branlantes » ;

Les armoiries du cardinal Érard de la Marck dans la première cour du palais des princes-évêques © IPW

Les armoiries du cardinal Érard de la Marck dans la première cour du palais des princes-évêques

- toutes les façades de la première cour sont ornées de nombreuses armoiries d’Érard de la Marck (1505-1538). Placées sous chaque baie, elles indiquent l’identité du commanditaire. Martelées à la Révolution, elles furent rétablies au XIXe siècle lors de la restauration des façades de la cour par
l’architecte Lambert Noppius ;

- le cabinet du Procureur général est notamment décoré d’une cheminée datée de 1742 dont le contre-cœur est orné des armoiries de Jean-Théodore de Bavière ;

- le cabinet du Premier Substitut du Procureur du roi abrite une brique de cheminée aux armes de Jean-Théodore de Bavière ;

- la salle du conseil de la 4e chambre de la Cour d’appel conserve une taque de foyer datée de 1744 aux armes de Jean-Théodore de Bavière. Celles-ci se présentent sous leur forme habituelle : le blason de Bavière est entouré de la couronne, de la crosse, de l’épée et de deux lions. Sous l’ensemble, un bandeau portant la mention « I.T.H.B. 1744 » ;

- la salle du Conseil de l’ordre des avocats abrite une taque de foyer aux armes et initiales de Jean-Théodore de Bavière. Datée de la même année que la précédente, elle est son exacte réplique et est elle aussi placée dans une cheminée en marbre de Saint-Rémy datée de 1750 ;

- le cabinet du secrétaire du Procureur du roi conserve une taque de foyer aux armes et initiales de Charles-Nicolas d’Oultremont (1763-1771). Située sur la paroi est et datée de 1767, elle représente les armes traditionnelles du prince, telles que l’on peut les voir sur le fronton de l’église du Saint-Sacrement. L’inscription « C.N.A.O.E.P.L. » (Charles-Nicolas-Alexandre d’Oultremont, Évêque et Prince de Liège) est gravée dans le bas de la composition. La même cheminée comporte aussi une brique de foyer de 1764 aux armes de Jean-Théodore de Bavière (1744-1763) ;

Détail de la rampe de l’escalier royal du palais des princes-évêques avec le monogramme de Georges-Louis de Berghes © KIK-IRPA, Bruxelles

Détail de la rampe de l’escalier royal du palais des princes-évêques avec le monogramme de Georges-Louis de Berghes

- l’escalier royal figure le monogramme de Georges-Louis de Berghes (1724-1743). Réalisé vers 1740, ce très bel ensemble en fer forgé présente les initiales G et L entrelacées, dans un médaillon surmonté du bonnet de prince du Saint-Empire romain germanique. Au sommet de cet escalier, une large baie est surmontée par le monogramme du même prince et ouvre sur la grande galerie ;

Détail de la rampe de l’escalier du Synode avec le monogramme stylisé de Jean-Théodore de Bavière © KIK-IRPA, Bruxelles

Détail de la rampe de l’escalier du Synode avec le monogramme stylisé de Jean-Théodore de Bavière

- l’escalier du synode figure le monogramme de Jean-Théodore de Bavière. Installé entre 1762 et 1764, l’ensemble réalisé en fer forgé présente, en médaillon, les initiales J et T entrelacées, surmontées du bonnet de prince du Saint-Empire ;

- l’escalier des États conserve des motifs au monogramme de Jean-Théodore de Bavière (1744-1763) ;

- les galeries de la seconde cour sont aujourd’hui transformées en « galerie lapidaire » et conservent des pierres aux armes d’Érard de la Marck (1505-1538) et de Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688) ;

- la salle de l’ancienne chancellerie du Conseil privé, dite aussi « salle bleue » est entièrement lambrissée d’armoires aux initiales de Maximilien-Henri de Bavière, entrelacées et placées sous le bonnet de prince du Saint-Empire, rappelant que le prince était également Électeur de Cologne. Ces monogrammes constituent un témoin rare et privilégié de la décoration intérieure liégeoise de l’époque ;

Le monogramme de Maximilien-Henri de Bavière dans la salle de l’ancienne chancellerie du Conseil privé © KIK-IRPA, Bruxelles

Le monogramme de Maximilien-Henri de Bavière dans la salle de l’ancienne chancellerie du Conseil privé

- la salle du Conseil provincial, bien que datée du XIXe siècle, conserve la tribune de l’ancienne salle des échevins. La haute tribune en chêne sculpté et polychrome, portée par des atlantes et des putti date en effet du siècle précédent. Elle présente en son centre le blason des princes de Bavière : crosse, épée et couronne sur un grand manteau de prince du Saint-Empire, doublé d’hermine. Le tout est l’œuvre du sculpteur Jean Del Cour, sculpteur officiel de Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688) mais ornait vraisemblablement le trône édifié pour Joseph-Clément de Bavière (1694-1723) ou Jean-Théodore de Bavière (1744-1763) ;

- le palais provincial abrite également l’escalier de la maison des États, dans les appartements du gouverneur de la province. Dessiné en 1749 par l’architecte Charles-Antoine Galhausen et réalisé par Jean-François Ermel en 1752, il comporte des motifs évoquant le monogramme de Jean-Théodore de Bavière.

Frédéric MARCHESANI, 2013