Bastin Joseph

Eglises, Militantisme wallon

Faymonville 08/12/1870, Malmedy 05/08/1939

« Il aimait avec fougue sa petite patrie. Il en étudiait passionnément la langue, l’histoire et les traditions, le sol, la flore et la faune, en un mot toutes les faces de la vie. Je ne puis énumérer ici ses nombreuses et très diverses publications. J’en rappellerai seulement deux. L’une a marqué son début magistral dans les études de dialectologie : le vocabulaire et la morphologie du parler de Faymonville ont illustré le nom de sa commune natale, que l’on trouve aujourd’hui maintes fois cité dans les revues savantes de France, d’Allemagne et de Suisse. L’autre marque le terme d’une carrière, hélas !, trop courte ; c’est un beau volume, paru (en 1939), sur les Plantes dans le parler, l’histoire et les usages de la Wallonie malmédienne ». Ainsi commence l’hommage prononcé par Jean Haust, lors des funérailles de l’abbé Joseph Bastin. Ce n’est là qu’un aspect de la vie mouvementée de celui qui fut prêtre, historien, dialectologue, archéologue, folkloriste, botaniste et un défenseur acharné de l’identité wallonne du pays de Malmedy.

Toujours le pays de Malmedy est au cœur de ses activités. Né à Faymonville, alors village prussien, il grandit dans un climat marqué par le Kulturkampf et la politique de germanisation du chancelier Bismarck. C’est dans le petit village de Rodt (près de Saint-Vith) que Bastin apprend le français, à l’abri des regards, auprès de l’instituteur Jules Koch. À partir de 1884, il franchit la frontière pour effectuer ses études secondaires à Stavelot, à l’Institut Saint-Remacle, avant d’achever ses humanités à Saint-Trond (1889), où il suit ensuite les cours du petit séminaire (1889-1891). De 1891 à 1894, il termine sa formation au Grand Séminaire de Liège et, le 15 avril 1895, il est ordonné prêtre. Professeur à l’Institut Saint-Remacle de Stavelot (1894-1907), il y dispense les cours de latin et de grec, d’histoire, de français, d’allemand et de botanique ; en 1906, il devient le préfet de l’externat.

Parallèlement, Joseph Bastin se passionne pour la nature – il constituera toute sa vie des herbiers de qualité –, ainsi que pour la littérature française et les parlers de l’est-wallon. La politique de germanisation du pouvoir prussien renforce ses centres d’intérêt. Dans la maison familiale, à Faymonville, il constitue une bibliothèque de livres en français ; d’autre part, il offre ses services à Jean Haust, lorsque la Société liégeoise de Littérature wallonne entreprend son projet de Dictionnaire général de la Langue wallonne (1904). Correspondant pour la Société liégeoise dans la région de Stavelot, l’abbé Bastin est récompensé pour son premier Glossaire de Faymonville-Weismes (Médaille d’or, 1907), publié par la suite dans le Dictionnaire, ce qui l’encourage dans ses recherches.
Mais l’abbé de Faymonville puis de Burnenville (1897-1907) connaît des problèmes avec l’évêché de Liège : en raison de son refus d’appliquer une nouvelle grammaire française, il est destitué de ses fonctions d’enseignant (1907). Franchissant à nouveau la frontière, il obtient, de l’évêché de Cologne, d’être désigné dans une cure à Thirimont (Ondenval). Ses nouvelles fonctions lui donnent davantage de temps pour ses recherches, ainsi que pour mener une action en justice, côté belge, contre sa destitution : au tribunal, il obtient gain de cause. La décision est heureuse car, cette fois, c’est en Wallonie prussienne qu’il connaît des problèmes en raison de son catéchisme en langue française ; contesté par quelques paroissiens, il est contraint de quitter la cure d’Ondenval ; il apporte son aide au curé de Waimes (1909), tout en poursuivant ses enquêtes dialectologiques, mais surtout, il est désigné comme professeur au Collège Saint-Joseph à Dolhain-Limbourg (1909). Il est vrai que les difficultés rencontrées par l’abbé trouvent aussi leur origine dans son engagement en faveur de l’identité wallonne du pays de Malmedy.
Chroniqueur pour l’hebdomadaire malmédien La Semaine (1904-1914), il signe volontiers d’un pseudonyme provocateur, Pol Wallon (trad. : pour le wallon). À partir de 1908 et jusqu’en 1914, il contribue aussi à l’Armonac wallon do l’Samène. Ce sont là des occasions de publier des articles sur le dialecte ou l’histoire locale, notamment sur les paroisses de la Wallonie prussienne. À travers eux, l’abbé développe un discours et adopte des attitudes qui sont autant de protestation à l’égard du régime impérial. Le fait de hisser le tout nouveau coq wallon, rouge sur fond jaune, lors de la consécration de la nouvelle église de Faymonville par l’évêque auxiliaire de Cologne (août 1913), n’a rien d’anodin.

Son influence dans la région de à Malmedy n’a pas échappé aux autorités prussiennes ; dès les premiers jours de la Grande Guerre, le 26 août 1914, il est arrêté à Stavelot, emmené à Malmedy, avant d’être envoyé en résidence surveillée à Düsseldorf, avec le statut de personne politiquement dangereuse. Dans la ville rhénane, il profite de ses « loisirs » forcés pour compulser les archives relatives à la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy. Libéré au printemps 1915, il retourne dans la région de Waimes. Ses recherches, des promenades, les messes et des rencontres avec l’abbé Pietkin constituent « ses journées d’occupation ». Dès la proclamation de l’Armistice, il retrouve Henri Bragard à Malmedy et, ensemble, ils militent pour la réintégration de la Wallonie malmédienne dans le pays roman : Adresse au roi Albert, articles de presse, conférences, interventions multiples. Les Wallons de Malmedy sont soutenus tant par les partisans d’une « Grande Belgique » que par l’Assemblée wallonne, mais aussi par le « Comité des Malmédiens et Liégeois réunis », voire par les voisins de Stavelot, les membres des cercles culturels, comme la Société liégeoise de Littérature wallonne.

Dès le 1er mars 1919 paraît, en français, La Warchenne, hebdomadaire portant en sous-titre « La Wallonie aux Wallons ». Membre suppléant (de Henri Bragard) à l’Assemblée wallonne, en tant que représentant de Malmedy (1919), l’abbé Bastin – auquel on a interdit de célébrer la messe dans le diocèse de Cologne – repasse du côté belge de la frontière : à Stavelot, il prend la direction de la rédaction du journal La Warchenne, tout en retrouvant une place de professeur à l’Institut Saint-Remacle. Sa contribution au mouvement « irrédentiste » est déterminante. Le traité signé à Versailles le 28 juin attribue à la Belgique les cercles d’Eupen et de Malmedy, sous réserve du résultat d’un référendum à organiser dans les six mois. Sous le Haut-Commissariat du général Baltia, le « référendum négatif » entérine l’article 34 de Versailles. Avec Henri Bragard et l’abbé Pietkin, l’abbé Joseph Bastin apparaît alors comme l’un des principaux protagonistes de l’annexion du canton roman de Malmedy à la Wallonie.
Sollicité de toutes parts, il donne des conférences et publie maints articles dans les revues amies. Éphémère éditeur de La Warche (mai à octobre 1920), il continuera d’écrire dans Warche et Amblève, qui paraît jusqu’à la fin du gouvernement Baltia (1923-1925), défendant notamment le nouveau statut face aux critiques de la presse germanophile. Entre-temps, l’abbé Bastin a reçu de nouvelles responsabilités : l’ancien progymnase allemand est devenu l’Athénée de Malmedy. Chargé de la direction de l’internat (1920-1933), l’abbé Bastin est ensuite nommé, par le ministre Jules Destrée, professeur de religion catholique, fonction qu’il exerce jusqu’à son décès (1920-1939).
Membre du Club wallon de Malmedy (1901), membre de l’Assemblée wallonne (1919-1939), délégué de Malmedy au Comité de la Ligue wallonne de Verviers (1919), membre du comité d’honneur du premier Congrès culturel wallon (Charleroi 1938), membre de la Société de Littérature wallonne depuis 1911, membre correspondant de la Commission des Monuments et des Sites (1921), vice-président de la Commission du Folklore (1921) qui publie dès 1922 Folklore Eupen–Malmedy–Saint-Vith, membre de la Société de Botanique de Belgique (1925), membre de la Commission de Toponymie et Dialectologie (dès la fondation en 1926), l’abbé Bastin publie régulièrement et un peu partout le résultat de ses enquêtes : « son œuvre est abondante et dispersée au point de défier les bibliographes les plus intrépides », souligne Maurice Piron. Élu membre de l’Académie de Langue et de Littérature françaises, le 9 avril 1938, sur la proposition de Jean Haust, il y avait été reçu solennellement le 10 juin 1939. Deux mois plus tard, cependant, la mort l’emportait, sans qu’il ait le moindre apaisement face à la montée de l’hitlérisme.

Sources

Guy LEJOLY, L’abbé Bastin. 1870-1939. Chantre de la Wallonie malmédienne. Sa vie. Son œuvre, Malmedy, éd. Malmedy-Folklore, 2014
Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 122-123
La Vie wallonne, mai  1931, CXXIX, p. 381-399 ; 15 septembre 1939, CCXXIX, p. 5-15 ; 1947, n°238, p. 188-190 ; IV, 1959, n°288, p. 265-272 ; I, 1969, n°325, p. 38-53 ; III-IV, 1970, n°331-332, p. 550
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. III, p. 28-30 ; t. IV, p. 238