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Behr Frédéric-Louis

Socio-économique, Entreprise

Maastricht 1805, Liège 09/02/1863

L’existence d’une extraction de charbon à hauteur de Seraing est attestée depuis le XVIe siècle ; son propriétaire abandonne cependant le site à la suite des événements de 1789 et on enregistre une reprise sous le régime français vers 1795. Le 25 juillet 1811, est créée la Société charbonnière de la Nouvelle Espérance, détentrice de la concession de Hinchamps. 

En 1825, un important investissement est consenti avec l’installation d’une pompe à vapeur afin de favoriser l’exhaure des eaux, tandis qu’une autre machine sert à l’extraction : dès 1829, la cote de -400 mètres est dépassée. C’est à cette époque, en 1828 précisément, que Frédéric-Louis Behr – couramment appelé Fritz Behr par ses contemporains – entre dans la société, avec son frère Charles (1799-1853), en apportant un important capital ; rapidement, il va en prendre le contrôle. Ainsi commence une ère de prospérité exceptionnelle pour une des plus importantes sociétés métallurgiques wallonnes, l’Espérance-Longdoz.

Présenté comme un « (…) descendant de la ligne directe du baron Adam Behr (1629), chambellan de Gustave-Adolphe, roi de Suède », fils du général Frédéric-Louis Behr, de religion protestante, ce natif de Maastricht, alors chef-lieu du département français de la Meuse inférieure, accomplit de brillantes études à l’Université de Liège. Bien qu’il se voit offrir une chaire de professeur au terme de son doctorat en Droit, Fr-L. Behr est davantage attiré par l’industrie et la politique, décline l’offre du gouvernement et se lance dans les affaires.

Co-fondateur de la Société du Charbonnage d’Ougrée avec ses deux frères, Jacques-Louis et Charles-Frédéric (1829), Frédéric-Louis Behr acquiert, toujours en 1829 et avec son frère Jacques et les frères Michiels, la moitié des parts d’un des concessionnaires de l’Espérance (soit près de 15%), tandis que la société ouvre un nouveau siège, celui de Morchamps ; il sera bientôt relié par une voie ferrée au site d’Hinchamps. Les circonstances sont cependant défavorables : la Révolution de 1830 a comme conséquence la fermeture du marché « hollandais », tandis que la concurrence des charbons anglais et prussiens s’accentue. Prenant exemple sur leurs voisins, les Cockerill, les dirigeants de l’Espérance décident de valoriser leur charbon en faisant construire un four à coke (1834). Avec John Cockerill d’ailleurs, les frères Behr fondent la SA des Charbonnages et Hauts Fourneaux d’Ougrée (1835), mais surtout, le 27 juillet 1836, avec le concours de la Banque de Belgique, Fritz Behr franchit une nouvelle étape dans le développement de ses activités : en transformant le charbonnage liégeois en Société anonyme des Charbonnages et Hauts-fourneaux de l’Espérance, il se place sur les marchés de l’exploitation charbonnière, de la production de coke et de fonte, et de la fabrication métallique.

Sous la direction de Frédéric-Louis Behr, la nouvelle société ouvre deux hauts fourneaux en 1838 et 1839 et introduit d’importantes innovations. Les besoins en charbon nécessitent une extension de la concession que refusent les concurrents de Marihaye et des Six-Bonniers ; en 1840, une importante concession est accordée sous les communes d’Alleur, Rocourt et Voroux-les-Liers ; en 1853, un troisième site d’extraction est ouvert, baptisé « Fanny », le prénom de l’épouse de Fr-L. Behr. Au milieu du XIXe siècle, la société de l’Espérance s’est imposée comme l’un des principaux fournisseurs de coke. En rachetant la fabrique de fer blanc Dothée et Cie, elle développe le secteur de l’affinage de fonte produite en masse. Effectué quelque mois avant la disparition de Fr-L. Behr, cet investissement permettra à la Société de pallier l’épuisement des veines carbonifères et de se positionner, par la suite, dans la fabrication exclusive de produits laminés. Au moment de sa disparition, Behr laisse à ses successeurs une unité de production totalement intégrée et un véritable complexe sidérurgique en devenir : en 1877, la Société anonyme métallurgique d’Espérance-Longdoz voit le jour, après avoir vendu tous ses charbonnages à la Société anonyme des Charbonnages de Marihaye. 

À côté des importantes activités industrielles qui l’ont vraisemblablement épuisé, Fritz Behr s’est investi en politique, tout en siégeant activement à la Chambre de commerce de Liège (1848-1859). Installé à Seraing en 1837, il entre au conseil communal deux ans plus tard et y siège jusqu’en 1848, contribuant – notamment de ses deniers personnels – à l’amélioration de la voirie et à la création de l’école industrielle, bien qu’il ne partageât pas les idées de la majorité en place. Pendant une douzaine d’années, il préside aussi le Comité d’inspection des enfants trouvés et abandonnés du canton de Seraing. Co-fondateur et président de l’Association libérale de Seraing (1838-1863), il est aussi élu au Conseil provincial de Liège dès 1842 et reste en charge jusqu’à son décès, tout en étant membre de la Députation permanente depuis 1860. Apprécié pour ses connaissances, son esprit d’entreprise et commercial, pour son aisance oratoire et ses qualités d’écriture, Fr-L. Behr est désigné par le gouvernement belge lorsque les négociations du traité de commerce avec le Zollverein entrent dans une phase décisive. La contribution du « chargé d’affaires » est appréciée par les deux parties, car Behr est nommé Chevalier de l’ordre par Léopold, tandis que le roi de Prusse lui confère l’Aigle rouge.

Co-fondateur et premier président du « Comité de l’Association des Charbonnages  de la province de Liège », aussi appelée « Union des Charbonnages liégeois » (1847-1860), vice-président de l’Association des maîtres de forges (1850-1863), vice-président de l’Association pour la défense du travail national (1856-1863), il prend également une part prépondérante dans la création du canal Liège-Bois-le-Duc via Maastricht sa ville natale ; au-delà du rapport qu’il rédige en 1845, il participe personnellement à toutes les réunions nécessaires pour promouvoir un projet qui lui tient autant à cœur que le développement des voies ferroviaires.

Ses funérailles, organisées conjointement par les autorités communales de Liège et de Seraing, furent suivies par une foule particulièrement nombreuse, composée des ouvriers de ses usines et de badauds, en présence de la plupart des financiers et industriels, des principales personnalités politiques de la province et de la ville, ainsi que par le gouverneur de la Banque nationale. Le cortège a conduit le défunt du quartier de Longdoz jusqu’au cimetière communal de Seraing.

Sources

La Meuse, 12 février 1863
Suzy PASLEAU, Industries et populations : l’enchaînement des deux croissances à Seraing au XIXe siècle, Genève, Droz, 1998, coll. Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fasc. CCLXXV, p. 72
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 173
Arrêté royal du 13 janvier 1840, dans Pasinomie, Bruxelles, 1840, p. 105-106.
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 218
Claude GAIER, Huit siècles de houillerie liégeoise, p. 205
Léon WILLEM, 450 ans d’Espérance. La S.A. métallurgique d’Espérance-Longdoz de 1519 à 1969, Liège, éd. du Perron, 1990, Technologie et tradition industrielle, p. 26-46
Hervé DOUXCHAMPS, La famille Lamarche. Des Xhendremael-Coninxheim à l’industrie liégeoise, Bruxelles, Office généalogique et héraldique de Belgique, 1974, p. 148
Annuaire statistique et historique belge, Bruxelles-Leipzig-Gand, 1864, p. 317
https://www.industrie.lu/SocieteMetallurgiqueEsperanceLongdoz.html (s.v. décembre 2023)