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Chavée Honoré

Académique, Philologie

Namur 03/06/1815, Paris 16/07/1877

Namurois fixé à Paris, Honoré Chavée était, au milieu du XIXe siècle, un spécialiste renommé dans la linguistique comparée, maniant avec aisance le latin, le grec, le sanskrit, l’hébreu et l’arabe. Curé ayant abandonné la foi, il avait conservé pour la langue wallonne un intérêt et un respect particulier qui se manifestent en 1857, lorsqu’il publie, à Paris, un volumineux ouvrage intitulé Français et Wallon. Parallèle linguistique. Son ambition est grande puisqu’il propose de créer un véritable système d’orthographe wallonne. Son entreprise sera regardée avec intérêt, mais ne sera pas suivie.

Après le collège municipal de Namur (1827-1833) et les séminaires de Floreffe (1833-1834) et de Namur (1834-1838), où ses condisciples luxembourgeois l’initient à la langue allemande, le jeune Chavée s’est passionné pour la botanique et l’anatomie, mais ses prédispositions pour les langues sont telles qu’il acquiert la maîtrise du latin et du grec durant ses études de théologie à l’Université de Louvain, avant de se mettre au sanscrit, à l’hébreu, au syriaque et à l’arabe. Curé désigné à Floriffoux, en 1840, Chavée est impressionné par la lecture d’un ouvrage de Frédéric Eichhoff, précurseur en France de la grammaire comparée indo-européenne. Quelques années après le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion et alors que des savants se lancent à la recherche de l’origine de l’espèce humaine, notamment au travers de la structure des langues, Chavée se consacre, en autodidacte, à l’étude comparative des langues indo-européennes et publie, en 1843, un Essai d’étymologie philosophique, où, comme l’indique le sous-titre, il donne le résultat de ses Recherches sur l’origine et les variations des mots qui expriment les actes intellectuels et moraux. Son ouvrage est fortement apprécié par la critique, dont une présente un intérêt singulier dans la mesure où elle emploie le mot « Wallonie » pour situer le pays d’origine de l’abbé Chavée. Assurément, dans cette critique publiée en 1843 dans le Trésor national, on rencontre l’une des toutes premières occurrences du mot.

Invité à donner des leçons à Bruxelles (1844-1845), Chavée suscite l’enthousiasme et va s’installer à Paris (1845). Après des cours au Collège Stanislas, il rejoint un groupe de comparatistes français éminents. Délaissant la carrière ecclésiastique pour se rallier à l’idéal rationaliste, la « religion » d’Auguste Comte, initié à la loge la Clémente Amitié (1848), Chavée publie en 1849 une Lexiologie indo-européenne qui fera date, même si, aujourd’hui, cet Essai sur la science des mots sanskrits, grecs, latins, français, lithuaniens, russes, allemands, anglais, etc., de même que les autres ouvrages de Chavée ne présentent plus guère d’intérêt que pour les linguistes curieux de l’histoire de leur discipline. Si Chavée est un pionnier dans le domaine de la grammaire comparée à laquelle il apporte notamment une méthode, ainsi qu’une attention accrue au rôle de la phonétique, le Mémoire publié, en 1878, par Ferdinand de Saussure inaugure une ère nouvelle, véritablement scientifique de la grammaire comparée. En dépit d’apports et d’innovations importants, les propos de Chavée contiennent en effet trop de considérations d’un autre âge. Son nom reste cependant associé à un prix biennal, créé par sa veuve (il s’était marié à une Américaine en 1871) et remis par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour des recherches intéressant l’étude scientifique des langues. Ce prix rappelle aussi que, pendant vingt ans, Honoré Chavée fut entouré de nombreux disciples et qu’invité à l’étranger, il y donna des conférences fort courues. Cofondateur, en 1867, avec Abel Hovelacque, de la Revue de linguistique et de philologie comparée, Chavée fut aussi membre de la Société d’Anthropologie de Paris (1862-1876).

Atteindre l’exhaustivité des activités menées par Chavée est un objectif hasardeux ; il faut néanmoins mentionner ses initiatives de vulgarisation, son intérêt pour la langue allemande, la poésie védique ou la science des religions, ainsi que pour la langue wallonne. Publié en 1857, son Français et Wallon. Parallèle linguistique étonne les milieux parisiens, tout autant que sa Grammaire élémentaire liégeoise (1863). Son Français et Wallon porte, comme épigraphe, un vers de Victor Hugo qui, pour Chavée, s’apparente à un axiome : « car le mot, qu’on le sache, est un être vivant ». Cet ouvrage reçut, selon Maurice Leroy, « un accueil très favorable, notamment de la part de Lorenz Diefenbach, alors un des grands maîtres de la philologie romane (…) [Il] est sans doute la seule de ses œuvres qui puisse encore être consultée aujourd’hui avec profit en tant que document donnant aux dialectologues des indications sur l’état du wallon central au milieu du XIXe siècle » (LEROY).

Quant à son système d’orthographe du wallon, s’appuyant principalement sur le wallon de Namur, des textes de Wérotte et de Lagrange, il est fondé sur la rigueur et l’étymologie, mais il se révéla trop compliqué à l’usage et fut critiqué notamment par Jules Feller. Par ailleurs, Chavée qui vit à Paris porte un regard particulier sur son pays natal qu’il nomme la Wallonnie (sic) dans sa correspondance à Wérotte (lettre de mai 1858, citée par ROUSSEAU, p. 103). Enfin, ayant pris l’habitude d’envoyer un exemplaire de chacun de ses ouvrages à la bibliothèque communale de Namur, Chavée provoquera une vocation professionnelle chez un jeune élève de l’Athénée, Émile Boisacq, à la lecture de son Français et Wallon et de sa Lexiologie.

Sources

Félix ROUSSEAU (dir.), Molons èt rèlîs namurwès. La littérature dialectale à Namur de Charles Wérotte à Joseph Calozet [Exposition dialectale organisée à Namur, au siège du Crédit communal de Belgique pour la province de Namur, du 29 novembre au 21 décembre 1968], Namur, Crédit communal, 1969, p. 11-12
Jean-Pol HIERNAUX, Wallonie, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. III, p. 1628-1631
Maurice LEROY, dans Biographie nationale, t. 44, col. 197-206
Piet DESMET, La linguistique naturaliste en France (1867-1922). Nature, origine et évolution du langage, Leuven-Paris, Peeters, 1996, Orbis/Supplementa, t. 6, p. 81-83
Jules FELLER, Essai d’orthographe wallonne, dans Bulletin de la Société liégeoise de littérature wallonne, 1901, t. XLI, p. 26-34
Félix ROUSSEAU, Propos d’un archiviste sur l’histoire de la littérature dialectale à Namur, 1ère partie, « Des origines à 1880 », dans Les Cahiers wallons (Namur), 1964, p. 103, 107-110
Anonyme, Essai d’étymologie philosophique par l’abbé Chavée, dans Trésor national : recueil historique, littéraire, scientifique, artistique, commercial et industriel, Bruxelles, 1843, t. 2, 2, p. 274

Bibliographie essentielle d’Honoré Chavée

Essai d’étymologie philosophique, 1843
Lexiologie indo-européenne ou Essai sur la science des mots sanskrits, grecs, latins, français, lithuaniens, russes, allemands, anglais, etc. (1849)
Moïse et les langues, 1855
Français et Wallon. Parallèle linguistique, 1857
La Part des femmes dans l’enseignement de la langue maternelle, 1859
Les langues et les races, 1862
Grammaire élémentaire liégeoise, 1863
Enseignement scientifique de la langue allemande, 1871
Du souffle à la parole par la flamme et la lumière, 1872
Idéologie lexiologique des langues indo-européennes, 1879 (posthume)
La science des religions, 1879