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D'Andrimont (dit aussi Jules et orthographié Dandrimont) [Henri] Julien

Politique, Socio-économique, Entreprise

Liège 27/10/1834, Liège 21/07/1891

De Julien d’Andrimont, la mémoire collective retient généralement qu’il fut le premier parlementaire à parler en wallon au Sénat, voire qu’il fut le plus jeune bourgmestre du pays depuis l’indépendance, quand il accéda à la tête de la ville de Liège, le 20 août 1867.

Issu d’une ancienne famille d’industriels du pays de Liège, Julien d’Andrimont est de la génération des patrons des années 1860-1880 qui cherchent à élargir leur réseau en s’engageant en politique, sur le plan local comme sur le plan national. En l’occurrence, jeune ingénieur civil diplômé de l’École des mines de l’Université de Liège, il devient le directeur-gérant du Charbonnage du Hasard, à Micheroux, en 1858, et fait ses débuts en politique dès 1860. Il suit ainsi les traces de son père, Joseph Julien (1814-1886). On a souvent écrit que pour éviter la confusion entre le père et le fils, Julien se faisait appeler Jules. Dans la presse de l’époque, c’est cependant le prénom de Julien qui est le plus couramment utilisé et celui que nous utiliserons.

« Exemple de réussite technique » (CAULIER-MATHY), dirigé aussi par son frère Léon (1836-1905), le Charbonnage du Hasard devient Société anonyme en 1882. À partir de 1873, Julien d’Andrimont devient aussi l’administrateur délégué de la SA des chemins de fer de Hesbaye-Condroz, tout en ayant des parts dans une série de sociétés actives dans le domaine ferroviaire, dans l’énergie, le secteur bancaire ou de l’industrie lourde, en pays wallon, comme dans le bassin de la Ruhr. En 1883, s’inspirant du modèle allemand, Julien d’Andrimont invite les patrons liégeois à se réunir au sein de l’Association charbonnière du pays de Liège, dont il est le premier président. Représentant typique des chefs d’entreprise wallons convaincus d’une expansion industrielle permanente en raison de leurs investissements, d’Andrimont a accordé une attention proactive et constante à tous les procédés neufs susceptibles d’améliorer ses outils de production.

Conseiller communal de Liège (1860-1891), conseiller provincial élu dans le canton de Fléron (1864-1870), il devient, à 33 ans, le bourgmestre de Liège, au moment de la retraite de Ferdinand Piercot. Il est ainsi le plus jeune à accéder à cette fonction depuis 1830. En fait, sa jeunesse doit aider à réconcilier les antagonismes qui divisent la famille libérale, largement majoritaire au conseil communal de Liège. Membre de l’Association libérale de Liège (qu’il présidera en 1885 et 1886), d’Andrimont reste bourgmestre jusqu’en mai 1870 : malgré un bilan apprécié, il décide de démissionner en raison des litiges importants qui continuent de diviser sa famille politique, malgré ses efforts. Candidat à la Chambre des Représentants, il est élu député de Liège – il remplace Charles Lesoinne –, selon le système censitaire jusqu’en février 1878 ; à ce moment, il fait son entrée au Sénat (1878-1891), en remplacement de Charles Grandgagnage récemment décédé. Au Parlement, il se fait le porte-parole de sa ville de Liège, de son université et des intérêts du monde industriel.

Ses multiples activités procurent à Julien d’Andrimont une autorité telle qu’il est choisi pour faire fonction de bourgmestre au cours de l’année 1885, avant d’être finalement désigné par le roi et de reprendre la fonction le 22 février 1886. En juin 1885, de nouvelles bisbrouilles entre libéraux ont eu raison du collège présidé par Julien Warnant ; la dissension a porté sur la question de l’enseignement religieux dans les écoles. En tant que doyen du conseil communal cette fois, d’Andrimont fait fonction de bourgmestre, avant d’obtenir le soutien de tous les libéraux (2 mars). Les événements vont lui apporter un soutien définitif inattendu.

En effet, quelques jours plus tard, Liège est le théâtre d’une  manifestation qui va dégénérer et provoquer une terrible déflagration sociale à travers la Wallonie. Destiné à commémorer le quinzième anniversaire de la Commune de Paris, le rassemblement prévu au cœur de Liège se transforme en insurrection (18 mars). Face à une foule incontrôlée de plusieurs milliers de personnes, le bourgmestre use de toute son autorité pour rétablir l’ordre (19-20 mars) ; il n’a pas besoin d’aide extérieure, mais le débrayage va toucher d’autres endroits : Seraing, le bassin de Charleroi, le Borinage, le Namurois, Dinant, le Tournaisis, Sprimont… Tandis que le tribunal correctionnel de Liège inflige de lourdes peines qui doivent être exemplaires, l’armée et des pelotons de gendarmerie seront envoyés dans ces autres villes. Au cours de ce terrible « printemps wallon de 1886 », on dénombre des morts, des blessés, des arrestations. Pour Julien d’Andrimont, le bilan se solde par un renforcement de son autorité et une popularité accrue auprès de la bourgeoisie. Par son action au sein de comités ou d’associations de bienfaisance, d’Andrimont jouissait d’une réelle sympathie auprès des populations ouvrières ou nécessiteuses.

Président de la Société La Légia (1866-1891), d’Andrimont s’est fait aussi une réputation d’organisateur de grands concours de chant et de manifestations festives de prestige. Membre actif de la Société liégeoise de Littérature wallonne, Julien d’Andrimont pratique régulièrement la langue wallonne à laquelle il accorde une attention toute particulière, sans toutefois souhaiter qu’elle supplante la langue française. Comme nombre de ses contemporains en pays wallon, il considère que le wallon possède depuis longtemps une littérature propre et il place les parlers wallons au même rang que ceux de Flandre, soit juste en dessous de la langue française, qu’il estime la langue commune à tous les Belges. C’est ainsi qu’il faut comprendre son intervention, en wallon, le 19 mai 1886, en pleine séance du Sénat ; répliquant à deux élus qui se sont exprimés en flamand, il rejette le projet d’une Académie de Littérature flamande à établir à Gand. Relevant la qualité et l’humour de l’intervenant, ainsi que ses deux longues citations, l’une de Li côparèye de Simonon et l’autre du Leyîz-m’plorer de Defrecheux, la presse libérale salue l’interpellation du « bourgmestre de la ville de Liège, capitale de la Wallonnie (sic) ».

Mais l’humour cède vite la place à l’exaspération à l’égard des revendications flamandes de l’époque ; elle prend une forme organisée puisqu’en novembre 1888, Julien d’Andrimont crée une « Fédération wallonne », qui s’apparente à l’une des toutes premières associations du Mouvement wallon. Farouchement opposé à l’imposition de la langue flamande comme seule langue judiciaire dans les provinces flamandes (1888), le bourgmestre-sénateur et industriel de Liège figure parmi les tout premiers adhérents du congrès wallon de 1890, première manifestation d’importance d’un Mouvement wallon encore balbutiant.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
La Meuse, 30 avril 1870 ; 20 mai 1886 ; 23 novembre 1889 ; 24 juillet 1891, et supplément des 25 et 26 juillet 1891
Sophie JAMINON, dans Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 393
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 138-139
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 86-87
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 179
Jean BROSE, Dictionnaire des rues de Liège, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977, p. 105
Maurice YANS, dans Biographie nationale, t. 29, col. 83-84