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Delneufcour Pierre (François Joseph)

Révolutions

Mons 04/01/1756, Mons 08/04/1827

Personnalité controversée au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Pierre Delneufcour n’a pas manqué d’initiatives : considéré comme le fondateur du premier journal montois (1786), il a été le porteur de la demande du Hainaut/département de Jemappes d’un rattachement à la France en 1793. Chargé de multiples fonctions politiques aux temps troubles des changements de régime, il s’est constitué une fortune substantielle, avant de poursuivre des activités dans le secteur industriel. Son anticléricalisme affirmé lui vaudra une inimitié tenace, qui ne se limite pas à ses contemporains, et qui est alimentée par une série d’autres circonstances.

D’origine modeste, Pierre Delneufcour ne manque pas d’ambition et son activité de clerc auprès d’un avocat montois lui permet de s’initier au droit public et administratif, avant de s’inscrire à la Faculté de Droit de Louvain (1782). Vers 1785-1786, il exerce comme avocat au Conseil souverain du Hainaut, sous le régime autrichien ; dans le même temps, il lance un journal hebdomadaire, Annonces et avis pour le Hainaut, qui est le premier imprimé à Mons (1786). Il en est le principal rédacteur durant les six mois de son existence.

En 1789, la révolte des provinces contre les réformes de Joseph II est l’occasion pour Delneufcour d’afficher ses sympathies pour les vonckistes. Attaqué par les milieux conservateurs, voire réactionnaires du Hainaut, l’avocat trouve des alliés lors de l’arrivée des troupes françaises conduites par Dumouriez. Nommé par acclamation administrateur provisoire de Mons (8 novembre 1792), membre de la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité, il contribue à l’abolition des anciens États et au recrutement de soldats pour la République. En opposition avec les membres de l’« Assemblée générale des représentants du Peuple souverain du Hainaut Belgique » qui prônent la reconnaissance d’une république indépendante (pro-Dumouriez et de tendance catholique romaine), Delneufcour se montre un partisan de l’annexion à la France (pro-Convention) : au nom de la Société des Amis, il est délégué à Paris pour demander à la Convention d’accepter le Hainaut comme 85e département, sous le nom de Jemappes (janvier 1793), mission qu’il accomplit quelques semaines plus tard et qui reçoit le soutien de la Convention (mars) ; par ailleurs, président de l’Assemblée générale de l’Administration provisoire montoise, il est parmi les plus ardents Montois qui contribuent à l’adoption du vœu d’annexion à la France formulé le 11 février 1793. Sans conteste, il apporte tout son énergie à la cause républicaine. 

Au moment de la seconde restauration autrichienne, les « révolutionnaires » hennuyers fuient à Paris et emmènent avec eux leurs différends qui s’ajoutent à l’atmosphère de la Terreur, où intrigues et dénonciations se multiplient. Entre les Montois réfugiés, l’heure est aux règlements de compte et il est bien malaisé de discerner le vrai du faux.

Membre actif de la Société des Jacobins (montagnards) de Jemappes et de celle des réfugiés belges où il plaide l’annexion de la Belgique à la France, Delneufcour échappe in extremis à une condamnation pour trafic de faux assignats ; fort de ses soutiens parisiens, il n’hésite pas à se venger de ses adversaires. Cette escalade entre Hennuyers coûtera la vie au frère de Delneufcour, Alexandre, fusillé, à Mons, après un jugement sommaire, sur base d’une dénonciation pour fabrication de faux assignats (29 juillet 1794). Président des Réfugiés de Jemappes à Paris, Pierre Delneufcour rentre à Mons sur les pas des vainqueurs de Fleurus, quelques jours après l’exécution de Robespierre et de celle de son frère. À nouveau, il échappe in extremis à un sort similaire, tandis que ses adversaires sont écartés de toutes les nouvelles fonctions publiques. À l’inverse, nanti d’un certificat de civisme, Pierre Delneufcour devient l’un des représentants officiels des Français républicains sur la place de Mons, et un des éléments chargés d’organiser la nouvelle administration de la Province Belgique (1794). 

Membre de l’Administration centrale et supérieure de la Belgique, membre du Conseil du Gouvernement, il est en charge des finances et de la police. Sous le Directoire, il devient commissaire du Directoire Exécutif près le tribunal civil de Mons (décembre 1795), puis administrateur du département de Jemappes (novembre 1796). Commissaire près le tribunal correctionnel et près l’administration centrale du département, Delneufcour ne jouit guère du soutien et de l’estime de la bourgeoisie montoise et ce n’est qu’à la faveur du coup d’État du 19 fructidor qu’il parvient à se faire désigner au Conseil des Anciens, puis, en 1799, au Corps Législatif comme député du département de Jemappes. Entre 1797 et 1804, son activité y est très discrète. Retiré de la politique, il devient juge de paix du canton de Mons-nord et juge au tribunal de première instance (1806), mais, désormais, c’est l’industrie qui retient son attention.

Sa position privilégiée au sommet de l’administration départementale semble lui avoir permis de tirer des profits personnels lors de la vente des biens nationaux (à partir de 1797). Devenu en quelques années un important propriétaire foncier, il a aussi acquis des participations dans des charbonnages (comme l’Agrappe, à Frameries) et sa fortune s’est assurément faite en reniant les idées que le « révolutionnaire » professait jadis. Avec son fils, jeune ingénieur, il mettra à profit d’autres circonstances – le blocus continental imposé contre le Royaume-Uni – pour installer, dans le département de Jemappes, l’une de ses premières « usines » destinées à raffiner le sucre des betteraves (1812-1813). Toujours avec l’aide de son fils ingénieur, il installera aussi une fabrique d’huile et de savon, à Mons, en introduisant une innovation : pour la première fois, une machine à vapeur est en effet utilisée dans ce type de fabrication. À la fin du régime français et au début du régime « hollandais », les réflexions qu’il publie sur différentes questions d’intérêt public souffrent assurément de crédibilité en raison du comportement antérieur de leur auteur (certaines brochures qui lui sont attribuées semblent d’ailleurs plutôt l’œuvre de son fils). Nouveau riche et « parvenu » grâce à ses fonctions politiques, Pierre Delneufcour Sr n’a pas fini de susciter les passions autour de son nom, de ses idées et de ses actes.

Sources

Roger DARQUENNE, dans Biographie nationale, t. 38, col. 158-165
Albert MILET, Un jacobin montois, P.-F.-J. Delneufcour (1756-1827), dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Mons, 1999, t. 78, p. 159-221
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut: la Faculté Polytechnique de Mons, 1990, p. 10-11
Mémoires et publications de la société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, Année 1844-1845, Mons, Hoyois, 1844, p. 185-186
Albert MILET, La journée montoise du 11 février 1793, dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Mons, 1999, t. 78, p. 223-255