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Dewerpe Orsini

Culture, Chanson

Jumet 20/01/1887, Jumet 19/08/1943

Les Dewerpe sont connus depuis plusieurs générations à Jumet pour leurs activités de souffleurs de verre. Pourtant, c’est la musique qui aujourd’hui fait la notoriété de leur patronyme. Le père d’Orsini Dewerpe, Pierre-Joseph, a été le premier à rompre avec la tradition familiale en vivant de la musique, comme violoniste et professeur de musique à l’École moyenne de Jumet. La mère est aussi chanteuse et pianiste. Trempé dans la musique dès son plus jeune âge, le jeune Orsini Dewerpe se révèlera un excellent pianiste, mais c’est une chanson composée en l’honneur de Paul Pastur qui lui survivra : En Wallonie ! reste en effet, dans le pays de Charleroi, un air connu, du moins déjà entendu. Avec la chanson Amis Chantons la Wallonie, voire avec Femmes wallonnes, la chanson En Wallonie ! est l’œuvre la plus remarquable de celui qui a été le directeur de l’École moyenne de Jumet (aujourd’hui Athénée qui porte le nom de Dewerpe depuis 2002).

Né au lendemain des grèves qui mobilisent violemment le bassin industriel wallon, le jeune Dewerpe reçoit le prénom peu usité d’Orsini, en référence explicite au révolutionnaire et patriote italien Felice Orsini (1819-1858) : membre de Jeune Italie, adepte de Mazzini, ce républicain italien contribue à l’éphémère expérience de la « république romaine » de 1848-1849 et est l’un des auteurs de l’attentat perpétré en janvier 1858 contre l’empereur Napoléon III ; condamné à mort, Orsini est guillotiné en mars 1858. Dewerpe, pour sa part, connaît une vie beaucoup moins agitée.

En plus des conseils familiaux en matière musicale, le jeune Dewerpe suit les cours d’harmonie de Paulin Marchand à l’Académie de Charleroi. Pianiste virtuose sur des airs de Liszt et de Chopin, il ne fait cependant pas de la musique sa carrière. Diplômé de l’École normale de Nivelles (1906), où il a marqué une prédilection pour la littérature, il entame une carrière d’instituteur à Ransart, avant d’enseigner le français à Jumet, sa commune natale, et l’hygiène à l’École moyenne. Avant la Grande Guerre, il donne volontiers des conférences sur les grands auteurs français, lors de séances organisées par les Universités populaires. Engagé à temps partiel à l’Université du Travail, il est nommé en 1925 à la direction de l’École industrielle de Jumet, puis de l’École moyenne (1933). Quant à la musique, elle n’est pour lui qu’un hobby.

Mariant écriture et interprétation, Orsini Dewerpe va former un duo apprécié avec Jules Cognioul : pendant près de trente ans, ce dernier va chanter les textes écrits par Dewerpe qui l’accompagne aussi au piano. Leur association commence en 1916. Compositeur de chansons, sous le pseudonyme de Schaunard, Dewerpe signe une petite dizaine de textes à la fibre patriotique dans les derniers mois d’occupation et au sortir de la Grande Guerre ; il n’hésite pas à dénoncer les atrocités de la guerre, les profiteurs et les occupants. Ses chansons connaissent un franc succès. Dès lors, il quitte son pseudonyme quand il écrit En Wallonie, Le Vin de France, La Wallonne, Pour quelques cheveux blancs, Wallons chantons, À la Française, Joli château du temps jadis, etc., autant de succès interprétés par Jules Cognioul, son complice auquel il dédicace On n’est jamais vieux quand on chante. Dédiée à Paul Pastur, sa chanson En Wallonie est restée dans la mémoire collective. À cette marche, Jules Cognioul apportera toute sa sincérité et tout son talent, l’interprétant avec une chaleur communicative. Quant aux sociétés musicales, elles ont apporté une orchestration à cette « Marseille du pays de Charleroi » pour la jouer dans les cortèges ou les concerts, tandis que les chorales l’ont inscrite à leur répertoire.

Jusqu’en 1943, année de la disparition de Dewerpe, le duo reste solidement uni et cette complicité liée à leur talent explique le succès d’un spectacle solidement rodé. Entre les deux guerres, l’associatif sollicite en permanence le duo Cognioul-Dewerpe. Les trésoriers des associations wallonnes, cercles d’officiers, harmonies, Fédération des Anciens Combattants, ou des Invalides, œuvres en faveur des enfants, des pauvres, des vieillards, etc. doivent beaucoup aux spectacles organisés grâce aux deux artistes bénévoles. Avec Cognioul, Dewerpe participe quasiment à toutes les manifestations organisées dans le pays de Charleroi à la demande et en faveur des œuvres françaises.

Son amour pour la Wallonie et pour la France occupe une place importante dans son répertoire d’Entre-deux-Guerres, ce qui incitera Dewerpe à ne pas s’attarder au pays de Charleroi en mai 1940. De retour au pays, il est en contact étroit avec le docteur Marcel Thiry (de Charleroi) et s’informe régulièrement des activités de la Wallonie libre clandestine, sans pouvoir s’y impliquer personnellement. Son exil a affecté sa santé et il décède en août 1943.

Sources

René DEMEURE, Une vie en chansons. Jules Cognioul. Chantre de Wallonie. 1872-1954, Charleroi, [1963]
Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 500
Cédric ISTASSE, Version namuroise de la chanson « En Wallonie ! » d’Orsini Dewerpe, dans Cahiers de Sambre et Meuse. Le Guetteur wallon, 2010, n°3, p. 133-136