Servais (magistrat) Jean

Académique, Droit

Huy 25/09/1856, Finnevaux 30/11/1946

Après des humanités classiques à l’Athénée de Bruxelles, un doctorat en Philosophie et Lettres (1874) et un second en Droit (1877) à l’Université libre de Bruxelles, Jean Servais, jeune et brillant avocat auprès de la Cour d’appel de Bruxelles, va mener une double carrière, l’une dans la magistrature, l’autre dans l’enseignement, en marquant durablement l’organisation judiciaire du pays. Conseiller à la Cour de Cassation, procureur général à la Cour d’appel de Bruxelles, il avait été nommé Ministre d’État pour son rôle durant la Première Guerre mondiale et au lendemain de l’Armistice.

Fondateur et directeur, de 1886 à 1890, de la Revue de Droit belge, nommé substitut du procureur général en 1894, ensuite conseiller à la Cour de Cassation, ce jurisconsulte d’origine liégeoise est choisi en 1906, par l’Université libre de Bruxelles, comme professeur extraordinaire. Éminent pénaliste, il est cependant chargé d’enseigner les lois organiques du notariat, avant de se voir confier les « Éléments de l’organisation judiciaire, de la compétence et de la procédure civile » (1907) et d’être nommé professeur ordinaire à l’été 1908. La Grande Guerre le surprend dans une série de travaux scientifiques en matière de droit qu’il interrompt pour se consacrer aux activités du Comité national de Secours et d’Alimentation. Il est un membre actif du Comité provincial de Namur, province dans laquelle il dispose, depuis quelques années, d’une vaste propriété située à Finnevaux.

Contrairement aux structures politiques de la Belgique, l’occupant allemand n’a pas modifié l’organisation judiciaire et les tribunaux poursuivent leurs activités. Partisan d’une ferme résistance aux mesures imposées, Jean Servais n’ignore pas la politique de séparation administrative mise en place par les Allemands, et qui s’accélère durant l’été 1917. À l’instar de parlementaires restés au pays, les magistrats sont alors près de 500 à signer une pétition contre la transformation des institutions belges. Par la Flamenpolitik, l’occupant a suscité la constitution du Raad van Vlaanderen. Sorte de parlement informel de la Flandre, le Raad prend de plus en plus d’autonomie, même par rapport à l’occupant, et proclame l’indépendance de la Flandre (fin 1917). Le 1er février 1918, des affiches collées sur les murs de Bruxelles rendent publique cette proclamation d’indépendance. Parmi les vives réactions que cet événement suscite, on note une démarche de parlementaires restés au pays auprès du procureur général près de la Cour d’Appel de Bruxelles : ils demandent que les chefs activistes soient arrêtés. Éconduits une première fois, ils insistent et suggèrent à la Cour d’Appel de lancer une procédure exceptionnelle, fondée sur un décret impérial du 20 avril 1810. Finalement, le 7 février, à l’unanimité, les membres de la Cour d’Appel de Bruxelles forcent le procureur du roi à se saisir d’une requête engageant des poursuites contre les membres du Raad pour haute trahison. Le lendemain, August Borms et Pieter Tack sont arrêtés, mais leur appel à l’aide de l’occupant les rend à la liberté (9 février). Quatre magistrats bruxellois sont par contre arrêtés, comme le réclame le Raad, dont trois sont déportés en Allemagne. Leurs collègues de la Cour de Cassation, dont Jean Servais qui était parmi les plus déterminés, démissionnent par solidarité, avec le soutien du gouvernement du Havre (15 février). Ensuite, c’est toute la magistrature qui se solidarise et décide de se mettre en chômage, embarrassant sérieusement les services du gouvernorat général, obligé de mettre en place de nouvelles juridictions civiles et pénales, à un moment important du conflit militaire. À von Falkenhausen qui contestait aux tribunaux belges le droit de défendre le pouvoir dépossédé, la Cour de Cassation oppose la thèse de la séparation des pou¬voirs et donc l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique (25 février). Un journal suisse parle alors du « coup d’État de la magistrature belge ».

Un mois à peine après l’Armistice, témoignage de son rôle discret mais décisif dans la résistance à l’occupant, Jean Servais est désigné aux fonctions de procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles avec comme mission de « reconstituer la vie judiciaire sous toutes ses formes, liquider l’arriéré de guerre, faire renaître la discipline dans l’action répressive, châtier les collaborateurs de l’ennemi, promouvoir les réformes de structure indispensables » (BEKAERT). Il est choisi par le ministre Émile Vandervelde, jadis un redoutable adversaire à la Cour d’assises du Brabant. À la manœuvre pendant dix ans, en charge de gros procès pour faits de collaboration, Jean Servais va aussi « instruire » vers le parlement des projets et des réformes qui modèleront l’organisation judiciaire pendant plusieurs générations : outre son influence sur la loi relative à la police judiciaire des parquets (1919) et à la défense sociale des délinquants et des « handicapés » (1930), il inspire notamment l’abrogation de l’article 310 du Code pénal sur le délit de grève. Parallèlement, il succède à Adolphe Prins comme professeur du Droit pénal et de la Procédure pénale à l’Université libre de Bruxelles (1919-1926). Administrateur de l’Université (1925), il la préside en 1928, quand il accède à la retraite dans la magistrature.

Nommé ministre d’État en 1926, président de l’Union belge de Droit pénal (1928-1933), docteur honoris causa de l’Université de Paris (1939), il ajoute un commentaire au Code pénal de Nypels et contribue à l’édition des Codes et lois spéciales les plus usuelles en vigueur en Belgique, dits « Codes Servais-Mechelynck », dont les rééditions actualisées se poursuivent ; sans être exhaustif, il dirige aussi la Revue de droit pénal et de criminologie, et réorganise la Pasicrisie. « L’ensemble de l’œuvre de Jean Servais trahit un sens avisé des réalités, qui préfigure ce que devrait être aujourd’hui la position du ministère public dans la société » (BEKAERT).
Bien que retraité de ses principales fonctions depuis 1933, ce libéral ouvert à toutes les opinions demeure une personnalité écoutée et respectée. Dans les années 1930, fort de son expérience de 14-18, il contribue à définir, au sein de la « Commission permanente de la mobilisation de la nation », l’attitude de toutes les administrations en cas de nouvelle occupation étrangère. Durant la seconde occupation allemande, le Ministre d’État reste fidèle à Léopold III et, au sortir de la guerre, dans la délicate Question royale, le roi empêché de reprendre ses fonctions demande que soit confiée à Jean Servais la présidence de la Commission chargée d’enquêter sur la conduite royale depuis 1936. Rendant notamment publique la note Pierlot sur la période 40-45, le Commission n’apportera pas d’apaisement dans la crise royale. Ce sera cependant la dernière mission de Jean Servais.

Sources

Léon CORNIL, « Éloge de Jean Servais », dans Journal des Tribunaux, 1946, p. 621-622
Hermann BEKAERT, dans Biographie nationale, t. 33, col. 646-650
Finnvaux, le milieu villageois, dans http://www.finnevaux.be/histoire_01.php (s.v. mai 2016)
Mélanie BOST, Un exercice discret de purification. L’autoépuration de la magistrature belge après la Première Guerre mondiale, dans BEG-CHTP, n°24, 2011, p. 65-96
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. III, p. 167 ; t. IV, p. 337
André DE STAERCKE, Mémoires sur la Régence et la Question royale, Bruxelles, Racine, 2003, p. 167
Jan VELAERS, Herman VAN GOETHEM, Leopold III, de Koning, het Land, de Oorlog, Tielt, Lannoo, 1994
Jules GERARD-LIBOIS et José GOTOVICH, L’an 40 La Belgique occupée, Bruxelles, CRISP, 1971, p. 78, 79, 191
Christine MATRAY, Février 1918. Quand la magistrature résistait par la grève, dans Juger. Justice et Barbarie 1940-1944, n° 6-7, 1994
Adolphe RUTTEN, Les grands orateurs belges depuis 1830. Recueil de discours avec notices biographiques, Bruxelles, de Boeck, 1954, p. 267-270
Paul DELFORGE, La Wallonie et la première guerre mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008