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Steinbach Jules

Socio-économique, Entreprise

Malmedy 20/09/1841, Ingenbohl-Brunnen (Suisse) 18/08/1904

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, au cœur de la Wallonie prussienne, une papeterie assure la prospérité de Malmedy et de ses alentours. Plus de 500 personnes y travaillent sous la direction de Jules Steinbach, fils cadet de Henri (1796-1869) et petit-fils de Henri-Joseph (1758-1829), fondateur de la dynastie.

Après avoir bénéficié d’une solide formation chez les Jésuites, Jules Steinbach est associé à la gestion de l’entreprise paternelle, mais ce n’est qu’au décès du patriarche que les trois frères prennent véritablement la mesure de l’importance des activités développées sur les bords de la Warche : ayant acquis en Angleterre une des machines les plus performantes de l’époque, la papeterie Steinbach rivalise en qualité avec les meilleurs sur tous les marchés d’Europe. Avec ses deux frères – Victor (1836-1905), ingénieur des Arts et Manufactures que ses activités conduisent en Lorraine pour s’occuper de l’exploitation des Hauts-fourneaux de Jarville, et Alphonse (1830-1913) rappelé de Liège où il vivait jusqu’alors –, Jules Steinbach prend la direction des affaires familiales et, dès 1873, une société de droit allemand, Steinbach et Cie, est fondée pour consolider les acquis et surtout affronter de nouveaux défis.

Parcourant les routes d’Europe, à l’affut de toutes les innovations introduites dans son secteur d’activité, Jules Steinbach entretient un vaste réseau de contacts avec des techniciens et amplifie la dynamique de modernisation qu’avait lancée son père. Il n’hésite pas à installer de nouvelles machines à Malmedy ; les activités prennent une dimension internationale plus grande encore. Déjà réputée pour la qualité de son papier dessin, la gamme des produits Steinbach s’élargit, dès 1870, à la fabrication de papiers photographiques. Depuis 1844, grâce à la calotypie, il est désormais possible de produire des images sur papier et Henri Steinbach propose déjà des supports papiers adaptés dans les années 1850.

Depuis Berlin, où il est installé en tant que représentant officiel pour la vente des appareils Kodak, Raymond Talbot, originaire de Malmedy, attire l’attention de Jules Steinbach sur la qualité supérieure pour la photographie que présente le papier réalisé à base de chiffons sur les bords de la Warche. Grâce aux conseils de Talbot, Jules Steinbach va tirer profit de cet avantage technique et, avec les progrès de la photographie, la production lancée en 1876 à Malmedy connaît un succès considérable. En 1878, la spécificité technique du papier mis au point par Steinbach est récompensée d’une médaille d’or et d’un diplôme d’honneur à l’Exposition internationale du Papier de Berlin. La success-story de Jules Steinbach ne fait que commencer ; à la fin du siècle, il a adapté ses variétés de papier aux différents procédés utilisés par les émulsionneurs.  Par ailleurs, pour asseoir son monopole sur le marché des produits photographiques et contrer une concurrence américaine, la société malmédienne n’hésite pas à s’associer à la société française « Blanchet frères et Kléber » (installée à Rives, dans l’Ysère) : ensemble, elles constituent la GEPACO (pour The General Paper Corporation), dont le siège est fixé à Bruxelles (1898, dissoute en 1934).

Même si l’installation d’une fabrique de cellulose (1882-1897) se solde par un échec, Steinbach ne recule pas devant les risques de l’innovation et des investissements ; en 1889, il rachète les bâtiments d’un concurrent malheureux et, pendant dix ans, y produit du papier albuminé « Enamel », toujours destiné aux reproductions photographiques. Les activités de Steinbach et Cie profitent pleinement tant de la recherche de qualité et d’innovation de son patron que de la position géographique particulière de l’entreprise malmédienne, installée aux frontières de la Prusse et de la Belgique, et surtout au voisinage de régions en pleine expansion. Les Steinbach sont présents aussi bien à Berlin, qu’à Liège ou en Lorraine. Ainsi, Jules Steinbach détient des participations financières diversifiées, étant administrateur dans des sociétés wallonnes et allemandes dans les secteurs du charbonnage et de la métallurgie.

Dans la cité de Malmedy, il occupe aussi de multiples responsabilités ; il succède notamment à son père dans les fonctions de membre du Conseil de la Ville, de conseiller à la Chambre consultative du Commerce, et comme premier député du Cercle, puis comme membre des États du Cercle pour les industriels, puis de la première Diète du Cercle (1888-1904). À ce titre, il se préoccupe de défendre l’usage du français ; il fait notamment partie d’une délégation qui dépose une requête en ce sens, à Berlin, en 1899. Par ailleurs, Jules Steinbach est aussi administrateur de l’orphelinat (1874), avant d’en devenir le directeur gérant (1882-1904), et le vice-président de la Caisse de Secours des ouvriers des Fabriques. On lui attribue d’avoir fait preuve de grandes largesses à l’égard des nombreuses œuvres qui le sollicitent (notamment pour la construction de l’hôpital Saint-Joseph) et, malgré le caractère déjà fort avancé de la législation sociale prussienne, d’avoir instauré un système particulièrement favorable à ses ouvriers (caisse de maladie, pension, etc.).

Témoignages de sa grande fortune, les nombreuses villas qu’il fait construire pour ses filles, l’aménagement du Châtelet, voire la nouvelle rue qu’il fait tracer en 1898 et qui modifie quelque peu la vie du centre-ville de Malmedy au début du XXe siècle. Quant à l’hôtel de maître qu’il y fait construire, il en confie la réalisation au jeune architecte Fritz Maiter en 1899 ; édifice au hall de marbre blanc et à la façade qui oppose briques rouges et pierre blanche, le tout couronné d’un campanile bulbeux, cet ensemble est achevé en septembre 1901. L’industriel Steinbach en fera don à la ville, qui l’utilisera comme hôtel de ville, en imposant sur la façade une inscription latine au fronton (civibus), contrairement à la volonté du Landrat. C’est en villégiature, au bord du lac des Quatre-Cantons, que Jules Steinbach décède en 1904.

Sans doute attirés par les activités de Steinbach, deux industriels verviétois installeront une nouvelle papeterie à l’ouest de Malmedy en 1909. Les deux activités, celle de Steinbach et celle du Pont-de-Warche seront réunies au sein du groupe Intermills.

Sources

Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, Histoire du papier. Sa fabrication. Les papeteries de Malmedy, Malmedy, Association des Historiens belges du Papier, 1988
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-1996, t. 56, p. 33-37