© Autoportrait réalisé en 1970

Lizène Jacques

Culture

Ougrée 05/11/1946, Liège 30/09/2021

Représentant de l’art nul et artiste de la médiocrité, chantre de l’autodérision, auto-proclamé « Petit maître Liégeois du XXe siècle », représentant d’une avant-garde radicale et persiffleuse, Jacques Lizène ne cache pas vouloir faire de l’art pour agacer, par subversion, par dérision, par plaisir. 

Aux antipodes de la mode, de la norme, des canons esthétiques et de ce qui doit plaire, il use de tous les objets, de toutes les matières, de tous les supports et de toutes les techniques pour provoquer un art alternatif et antisystème. Derrière le sourire apparent, le questionnement permanent porte sur la société, le sens de l’existence, le vrai le faux, le laid le beau. Déjà, en 1969, le titre de l’une de ses premières expositions, inaugurant la galerie Yellow Now, s’intitulait : « Il faut abolir l’idée du jugement ».

Amateur d’art ayant décidé d’être collectionneur au début des années 1960, Jacques Lizène veut devenir artiste, mais constate avec effroi qu’il est arrivé fort tardivement sur un marché où la concurrence est rude : Léonard de Vinci, Picasso, Magritte et bien d’autres l’ont précédé. Néanmoins, celui qui a quand même suivi des cours à l’Académie de Liège (diplômé en 1967 et premier prix de peinture murale) décide de se lancer et de créer tour à tour l’Art d’attitude, puis l’Art Stupide. Au début des années 1970, il est d’ailleurs le seul fondateur de l’Institut de l’Art Stupide, dont il est resté le membre unique, malgré le nombre considérable de projets que se propose de mener l’artiste en 1971, ainsi qu’en témoigne son autobiographie (Lizène, p. 20-28). 

Artiste de la médiocrité autoproclamée et auto-recherchée, il est aussi son propre historien de l’art ; c’est d’ailleurs ce dernier qui lui décerne le titre de « Petit maître Liégeois du XXe siècle, artiste de la médiocrité et de la sans importance » (1971). Malgré un plaidoyer totalement désintéressé de l’impétrant, les éditions Larousse resteront sourdes à l’introduction de cette « célébrité » dans leur dictionnaire (1994).

Peu soucieux – officiellement – d’une reconnaissance qui ne l’intéresse que mollement, Jacques Lizène revendique sa médiocrité depuis 1964 (L’Art syncrétique et les Petits dessins médiocres). Exposé à plusieurs reprises par l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie dans les années 1960 parmi les jeunes artistes de Wallonie, il poursuit sa quête personnelle dans trois projets des années 1970 ; ainsi, Morcellements de cimaises et objets tombants et donnant l’impression d’entrer dans le sol (1970), organisé dans les salles de l’APIAW, fait l’effet d’une bombe, dont les secousses se ressentent encore dans Sculptures génétiques (1971) et Lotissement de cimaise (1975).

Animateur du Cirque Divers, il y ajoute une certaine gaieté dès ses débuts, vers 1977, et contribue à faire du Cirque « le grand jardinier du paradoxe et du mensonge universel ». S’il s’éloigne très vite de la petite équipe des fondateurs, il revient souvent sur scène, car il est aussi « chanteur médiocre » et ce, malheureusement, depuis plusieurs années. Il en a pris conscience au début des années 1970 et il cultive cette facette de sa personnalité, elle aussi dépourvue de talent ; en témoignent plusieurs dizaines de compositions, qu’il interprète volontiers dans son Minable Music-Hall, sur les routes de Wallonie et de France, avant de passer sur les ondes de la RTBf dans la célèbre émission Radio Titanic de Jacques Delcuvelerie.

« Auteur » de Rupture (1970) – une vasectomie volontaire conçue comme une création artistique interne, qui transforme son corps en œuvre d’art –, il atteint le sommet de son art, avec l’aide de comparses, lors de sa dernière grande installation au milieu des années 1970, malgré une année 1976 difficile (Lizène, p. 36). Ce pataphysicien, disciple de Jarry, produit ensuite une succession de re-remakes d’un niveau jamais égalé, car jamais revendiqué, revisitant sans cesse ses peintures à la matière fécale, ses sculptures génétiques, ou ses tribulations photographiques ou vidéo. En 2003, invité à apporter sa contribution à l’année Simenon, il crée une pipe géante, pleine d’originalité, mais qui est censurée.
Plus d’une quarantaine d’expositions sont aussi montées, en Wallonie comme à l’étranger, Lizène étant accueilli aussi bien au Centre Pompidou qu’au Musée national de Szczecin (Pologne), au Muhka d’Anvers ou à Venise. En mai 2016, lors de l’ouverture du Musée de la Boverie rénové et désormais consacré aux Beaux-Arts de Liège, une œuvre de Lizène trouvera paradoxalement place dans la Rotonde. Mais s’agit-il d’un paradoxe ?

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Jacques Lizène. Petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle, artiste de la médiocrité, Atelier 540, 1991, t. II
Nancy DELHALLE, Jacques DUBOIS (dir.), Jean-Marie KLINKENBERG (coll.), Le tournant des années 1970. Liège en effervescence, Liège, Impressions nouvelles, 2010
Marta LISOK, Jean-Michel BOTQUIN, Guy SCARPETTA, Jacques Lizène. Remakes, Galeria Sztuki Katowicach, Atelier 340 et L’Usine à Stars, Galerie Nadja Vilenne, 2011
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 225-226
Jacques PARISSE, Situation critique. Mémoires d'un critique d'art de province, Liège, Adamm éd., 2000, p. 202-205
http://www.rfi.fr/europe/20111206-jacques-lizene-art-nul-mediocre-attitude-belgique-humour-inventeur-centre-pompidou-metz-passage-retz-desastre (s.v. mai 2016)