no picture

Mallieux Fernand

Militantisme wallon

Liège 12/02/1872, Dinard (France) 14/08/1934

Docteur en Philosophie et Lettres de l’Université libre de Bruxelles – sa thèse est une traduction française des Nouveaux principes de géométrie de Nicolas Lobatchevski –, avocat, juriste, spécialiste du droit russe, professeur de langues, Fernand Mallieux est aussi philosophe, écrivain et particulièrement attentif à tout ce qui a trait à la Wallonie.

Inscrit à Liège comme avocat-stagiaire dès octobre 1893, le jeune Mallieux voyage en Russie à plusieurs reprises dans les années 1890, et s’intéresse à son système juridique, dont il deviendra un expert apprécié. Professeur de russe à l’École des Hautes études commerciales et consulaires de Liège, titulaire de la même fonction au Cercle Polyglotte, traducteur-juré pour les langues russe et polonaise, auteur de plusieurs articles scientifiques, professeur à l’Université libre de Bruxelles (1902/1903), cet avocat à la cour d’appel de Liège fréquente les milieux à la fois industriels, politiques et culturels du pays de Liège. Au moment où les investissements wallons se font nombreux en Russie, l’expertise de Mallieux est recherchée. Plusieurs articles parus dans des journaux spécialisés témoignent aussi de son intérêt pour les marchés et les débouchés potentiels du côté de la Chine, de l’Australie et de l’Afrique. 

Auteur d’articles et d’ouvrages qui font référence dans le domaine du droit russe, Mallieux cherche, à travers le droit, à identifier la psychologie des collectivités « nationales » et apparaît aussi comme une sorte de médiateur culturel entre la Russie et la Belgique de langue française, où il fait notamment connaître le travail de traductrice de Maria Veselovskaïa.

Conférencier, proche des libéraux Émile Dupont et Charles Magnette, Fernand Mallieux s’affiche progressiste et franc-maçon, défenseur du programme de l’aile gauche du parti libéral. Défenseur de la démocratisation des sciences et des arts, dénonciateur des exactions et des crimes commis en Russie comme au Congo, convaincu que « tous les progrès du droit seront et devront être démocratiques » (1909), proche des libéraux Émile Dupont et Charles Magnette, Fernand Mallieux s’affiche progressiste et franc-maçon, défenseur du programme de l’aile gauche du parti libéral. Cofondateur de « L’Université populaire de l’Amicale » de l’École moyenne de Liège, il côtoie régulièrement Oscar Colson et Jules Destrée.

Polyglotte auquel la mémoire collective accorde la connaissance d’une quinzaine de langues, dont le chinois, le grec et le persan, Fernand Mallieux s’intéresse aussi à la langue et à la culture wallonnes. Collaborateur majeur et régulier de l’importante revue régionaliste Wallonia, il contribue à lui apporter une dimension plus politique au lendemain du Congrès wallon de 1905 : sa chronique intitulée Défense wallonne deviendra le titre de l’organe de l’Assemblée wallonne à partir de 1913. Membre de la Ligue wallonne de Liège, présidée par Julien Delaite (1907),  Fernand Mallieux est le responsable de l’importante enquête lancée auprès d’hommes politiques, d’écrivains, d’artistes et de militants wallons, sur la question : « Faut-il flamandiser l’Université de Gand ? Comment se défendre contre l’assaut du flamingantisme ? » (1911-1912). Dans la foulée, il rédige un rapport sur la germanisation de l’Université de Gand, qui doit servir de base aux discussions de l’Assemblée wallonne (1913), dont il est l’un des représentants de l’arrondissement de Liège. En 1913, il est encore rapporteur sur la question du choix du drapeau wallon. Membre du comité exécutif de la Ligue wallonne de Liège, membre et vice-président de la section liégeoise de la Société des Amis de l’Art wallon, dès sa création en octobre 1912, il restera toujours fidèle à l’Assemblée wallonne, regardant – après la Grande Guerre – la formule de la séparation administrative avec scepticisme (1912-1914, 1919-1934).

Dans les premières semaines de la Grande Guerre, avec Charles Magnette, il lance deux appels aux frères maçons allemands, afin qu’ils viennent constater par eux-mêmes les atrocités commises en Belgique par l’armée allemande. Tout au long de l’occupation allemande (1914-1918), Mallieux reste à Liège et il est l’un des trois avocats liégeois auxquels les Allemands donnent l’autorisation de plaider devant les tribunaux. Plus de 1.500 dossiers en témoignent. Cependant, son aide clandestine à la résistance et son statut de membre de l’Assemblée wallonne entraînent son arrestation. Sur base d’une dénonciation, les Allemands le soupçonnent d’avoir hébergé un prisonnier de guerre russe, transféré en Belgique puis évadé, de lui avoir procuré de faux papiers et de l’avoir mis en rapport avec un passeur. Il reste emprisonné pendant plus de deux mois et demi. La promesse de sa libération est agitée comme argument par les services allemands qui tentent d’appliquer la Wallonenpolitik. En vain. Ce chantage ne fait pas siller Charles Magnette. Alors qu’une déportation en Allemagne est brandie sous les yeux de Mallieux, il est finalement libéré contre le versement d’une amende de 3 000 marks.

Membre actif du groupe liégeois de l’Assemblée wallonne dès les premiers jours de l’Armistice, il tente vainement de trouver une formule de conciliation entre les partisans de la séparation administrative et les unionistes. L’éclatement de l’Assemblée wallonne en juillet 1923 sera un déchirement pour celui qui reste persuadé que la Wallonie est unilingue française et que la Flandre est bilingue (1930), comme en témoigne son engagement contre la flamandisation de l’Université de Gand. Pour lui, la consécration de l’unilinguisme en Flandre sonne la fin de la Belgique.

Secrétaire de la Ligue pour la Défense des intérêts belges (1919), président-fondateur de l’Association des condamnés/prisonniers politiques (1921), vice-président de la Cour des Dommages de Guerre, maître la loge « Parfaite intelligence », Mallieux continue d’apporter son aide active aux réfugiés russes, polonais et juifs qui arrivent à Liège dans l’Entre-deux-Guerres. Par ailleurs, il continue d’écrire des articles dans divers journaux et revues : La Meuse, La Vie wallonne et L’Action wallonne par exemple, ainsi que des contes, souvent inédits, genre littéraire dans lequel il s’était lancé durant la Grande Guerre. S’il se consacre ainsi à la poésie dans l’intimité de sa maison, c’est peut-être parce que, désormais, les chiffres occupent l’essentiel de son temps. Élu conseiller communal, il est en effet choisi comme échevin de la ville de Liège, en janvier 1923, et il va s’occuper des finances de la ville jusqu’à son décès, en août 1934.

Selon son souhait, Mallieux a été incinéré avant d’être enterré dans l’intimité. Depuis plusieurs années, il menait campagne en faveur de ce « mode de destruction des cadavres » et il était considéré, à Liège, comme le chef de file des partisans de l’incinération.

Sources

Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 1066
Paul DELFORGE, L’Assemblée wallonne (1912-1923). Premier Parlement de la Wallonie ?, Namur, Institut Destrée, décembre 2012, coll. Notre Histoire n°10
Roger TAVERNIER, L’avocat liégeois Fernand Mallieux (1872-1934) : un homme à la vocation universelle tombé dans l’oubli, dans Eddy STOLS, Emmanuel WAEGEMANS (dir.), Montagnes russes. « La Russie vécue par des Belges, Bruxelles, Anvers, EPO, 1989
Roger TAVERNIER, Maria Veselovskaïa (1877-1937) en haar Russiche Belgicana. Naar aanleiding van enkele weinig belkende teksten van 1917, dans Ex officina. Bulletin van vrienden van de Leuvenses universiteitsbibliotheek, IV, n°1-3, 1987, p. 75-128
Marie-Cécile ADAM, Mockel, Magnette et la franc-maçonnerie, dans La Vie wallonne, 1987, p. 73-80, note 21
L’Action wallonne, septembre 1934, p. 3 ; La Meuse, 11 novembre 1899 ; La Gazette de Liège, L’Express, 16 août et 8 octobre 1934
Fernand MALLIEUX, Souvenirs de prison 1917-1918
Francine MEURICE, Présentations et extraits des documents du fonds APA-AML (Belgique), dans Cahier de l’Actualité du Patrimoine autobiographique 2014 (relecture des textes de 1914-1918)
Les accidents intimes causés par les guerres mondiales. La guerre 1914-1918 en Belgique. Les lettres de prison Mallieux, Fernand, Souvenirs de prison 1917-1918, 1919-1921, dans Actualités du Patrimoine autobiographique aux AMAL, n°3, 2013, p. 22-24