
Plateau Joseph
Culture, Cinéma
Bruxelles 14/10/1801, Gand 15/09/1883
« Trois personnalités, nées ou ayant travaillé en Wallonie, ont contribué à l’invention du cinéma : Robertson, Plateau et Dumont » (Mélon, p. 315). On est là dans l’archéologie du 7e art, au moment où, après des siècles à vouloir donner un mouvement aux images, de réelles expérimentations conduisent enfin les hommes à réaliser ce rêve. Parmi les pionniers, Joseph Plateau occupe une place majeure pour avoir inventé le stroboscope.
Fils de l’artiste-peintre Antoine Plateau, le jeune Joseph Plateau est destiné à suivre l’exemple paternel quand il est inscrit dans une académie de dessin. Orphelin en 1815, il retrouve un enseignement classique quand il est accueilli par un oncle. À l’Athénée de Bruxelles, puis à la toute récente Université de Liège (1822), le jeune Plateau se révèle si doué qu’il attire sur lui l’attention d’Adolphe Quetelet. Après une année en philosophie et lettres, il s’inscrit en droit et se passionne pour les sciences ; en parallèle, elle mène alors ses études en droit et en sciences physiques et mathématiques (1824), tout en prodiguant des cours de mathématiques à l’Athénée de Liège pour pourvoir à ses moyens. Le 3 juin 1829, la dissertation qui lui procure son titre de docteur en sciences à l’Université de Liège est consacrée à Quelques propriétés des impressions produites par la lumière sur l’organe de la vue.
Ce parcours brillant est cependant assombri par un accident de santé survenu lors d’une expérimentation faite au cours de ses études : il abîme irrémédiablement sa vue après avoir observé trop longtemps le soleil à l’œil nu. Après une période de repos à Bruxelles (1830), il reprend ses activités. Professeur à l’Institut Gaggia, un des plus importants établissements d’instruction de la nouvelle Belgique, il est incité par Quetelet à postuler pour la chaire de physique expérimentale de l’Université de Gand. Chargé de l’enseignement de la physique dès 1835, il est nommé professeur ordinaire dans cette université d’état en 1843, au moment où il devient totalement aveugle. Grâce à des collaborateurs dévoués et éclairés (Lamarle, Duprez, Delbœuf, Van den Mensbrugghe et de son collègue mathématicien, P. Mansion), celui qui est l’initiateur d’une branche nouvelle de la physiologie optique continue à développer un domaine important de la physique expérimentale, tout en poursuivant ses recherches et en réalisant de nouvelles découvertes.
Suite à ses travaux liégeois sur la persistance rétinienne, Joseph Plateau met au point, en 1832, le phénakisticope, cet instrument optique qui donne l’illusion de mouvement grâce à un jeu optique, et qui est l’une des toutes premières avancées conduisant, plus tard, à l’invention du cinéma. Le phénakisticope est le tout premier appareil qui réalise la synthèse d’un mouvement à partir de plusieurs images élémentaires. En 1833, Plateau publie un article qui fait avancer la science. Quand Plateau s’applique à perfectionner son phénakistiscope (ou Fantascope), le mathématicien viennois Simon Ritter Von Stampfer invente un stroboscope, disques ajourés à regarder dans un miroir, inspirés de la « roue de Faraday » (1833). En 1834, en Angleterre, William Horner met au point un zootrope. Tous, ils utilisent le principe de la persistance de la vision avec une série de fentes pratiquées sur les côtés d’un cylindre en rotation à travers lesquelles le spectateur perçoit des images séquentielles dessinées sur des bandes de papier. Ils donnent l’illusion de mouvement d’un personnage dessiné.
Mettant encore au point son anorthoscope qu’il décrit comme une espèce d’anamorphose (1836), Joseph Plateau est aussi reconnu dans l’histoire comme l’inventeur, au même titre que Von Stampfer, de cet instrument désormais appelé stroboscope, toujours utilisé aujourd’hui dans le domaine de la physique, notamment afin de mesurer la fréquence des phénomènes. Il est également employé dans les crashs tests et, dans un domaine plus léger, celui des boîtes de nuit.
En 1849, Joseph Plateau et son équipe décrivent la stéréoscopie appliquée aux images animées et proposent l’utilisation de photographies pour la reconstitution du mouvement. Il s’agit d’une nouvelle étape importante dans l’histoire de l’invention du cinéma. Il est alors contacté par le physicien et inventeur anglais Charles Wheatstone, inventeur du premier télégraphe électrique en 1838. Il s’agirait de « combiner le principe du stéréoscope avec celui du phénakistiscope ». Les formes « peintes sur le papier seraient inéluctablement vues en trois dimensions et en mouvement [et] présenteraient ainsi entièrement toutes les apparences de la vie. Ce serait l’illusion de l’art poussée à son paroxysme ». Wheatstone propose en outre à Plateau d’utiliser pour l’appareil seize daguerréotypes stéréoscopiques d’une figure en plâtre déplacée progressivement. « Cela demanderait sans doute un long effort, écrit Plateau, mais il serait récompensé par la nature merveilleuse des résultats ». Il n’existe cependant aucune preuve que Plateau ait poursuivi le développement d’un phénakistiscope stéréo. Mais sa contribution majeure à l’invention du cinéma ne fait aucun doute.
Sources
Marc-Emmanuel Mélon, Le cinéma et les arts audiovisuels, dans Bruno Demoulin (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 315-317
Ray Zone, Stereoscopic cinema and the origins of 3-D Film 1838-1952, Presses universitaires du Kentucky, 2007, p. 28-30
Maurice Dorikens, En exergue de la physique : Joseph Plateau, dans Robert Halleux (dir.), Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000, Bruxelles, Dexia/La Renaissance du Livre, 2001, t. 1, p. 117-124
Paul Brien, Joseph Plateau 1801-1884, dans Florilège des sciences en Belgique pendant le XIXe et le début du XXe siècle, Bruxelles, Académie de Belgique, Classe des sciences, 1968, p. 185-204
Charles Bergmans, Plateau (Joseph-Antoine-Ferdinand), dans Biographie nationale, Bruxelles, 1903, t. XVII, col. 768-788
Gustave Van der Mensbrugghe, Joseph-Antoine-Ferdinand Plateau, dans Annuaire de l’Académie de Belgique, Bruxelles, t. 24, 1885, p. 389

Masset Depasse Olivier
Culture, Cinéma
Charleroi 27/12/1971
Lors de la 10e cérémonie des Magritte du cinéma (2020), un film vole la vedette à toutes les autres productions. « Fascinant thriller psychique hitchcockien », Duelles enlève neuf Magritte sur dix nominations : meilleur montage, meilleure musique originale, meilleur son, meilleure image, meilleur second rôle masculin, meilleure actrice, meilleur scénario/adaptation, meilleur réalisateur et meilleur film. Le succès est total pour Olivier Masset-Depasse qui adaptait là le roman Derrière la haine (2012) de Barbara Abel, en cherchant à développer le côté sombre de l’instinct maternel.
Il ne s’agit pas là du premier long métrage du réalisateur de Charleroi qui, depuis, s’est vu confier la responsabilité du troisième chapitre de la franchise Largo Winch, Le Prix de l’argent, sorti dans les salles durant l’été 2024, sur un scénario auquel a évidemment participé Jean Van Hamme, avec toujours Tomer Sisley dans le rôle principal, et l’acteur américain James Franco dans le rôle du méchant. Avec ses scènes d’action spectaculaires, dont quelques minutes filmées à Charleroi, cette grosse production très attendue (notamment en raison des retards engendrés par la pandémie de la Covid-19) s’éloigne toutefois du film d’auteur à forte dimension sociale auquel le réalisateur carolorégien avait habitué.
Dans sa ville natale, le jeune garçon a tôt fait de découvrir la bande dessinée de l’École de Marcinelle : son père travaille aux éditions Dupuis… Fan de Franquin, il dessine d’abord sans relâche, avant de passer à l’écriture et au récit, de jouer de la musique, puis de faire de toutes ses activités une synthèse sous la forme du cinéma. Il est à peine âgé de dix-sept ans, quand une de ses vidéos est remarquée et reçoit de nombreux prix (1988), sans suite immédiate ; il accomplit en effet son service militaire – encore obligatoire à l’époque – chez les Chasseurs ardennais. Cette période le transforme en un antimilitariste convaincu quand il est rendu à la vie civile. Les cours de l’Université Européenne d’écriture lui ouvrent alors d’autres perspectives, avant de s’inscrire à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD, Louvain-la-Neuve, 1995-1997). Cultivant davantage encore ses nombreuses références cinématographiques, il y apprend à travailler la fiction en réalisant quelques courts métrages de jeunesse ; en 2000, après un long et méticuleux travail préparatoire, Chambre froide s’avère un premier court métrage particulièrement abouti, comme en témoignent les nombreux prix remportés alors dans divers festivals, dont le FIFF de Namur et ses Bayard d’or ; ce sera aussi le cas de Dans l’ombre, sorti en 2004. Déjà, le scénariste et réalisateur se situe dans un cinéma d’auteur, attentif à l’aspect social, choisissant de placer délibérément un personnage féminin au cœur du propos. Déjà présente dès le court-métrage Chambre froide, l’actrice Anne Coesens – l’épouse de Masset-Depasse – participera à tous ses projets, jusqu’à Duelles, en 2018.
En 2006-2007, Cages est le premier long métrage d’Olivier Masset-Depasse. Dans cette romance au ressort dramatique très fort, il relate une passion amoureuse destructrice, suite à un grave accident de la route qui distant un couple. Remarqué par la critique et par les jurys de plusieurs festivals, Cages reçoit notamment le prix du public et le prix du jury Junior au FIFF de Namur 2006, et le prix spécial du jury du meilleur film au festival de Rome. En imposant un style nerveux et dynamique, le réalisateur cherche à créer, selon son expression, un véritable film d’actions psychologiques. Il y parvient totalement avec Illégal (2010), thriller psychologique sur fond de critique sociale. Dans ce film d’auteur, Anne Coesens incarne une mère russe exilée en Belgique, subitement séparée de son fils, suite à son placement en détention dans un centre fermé. Brinqueballée entre Bruxelles et la Pologne, où elle avait initialement demandé l’asile politique, elle retrouve la Belgique et son fils, au terme d’un parcours douloureux. Tourné notamment au parc économique de Hermalle-sous-Huy, le film est sélectionné pour représenter la Belgique aux Oscar 2011 dans la catégorie meilleur film en langue étrangère et nommé aux César 2011 dans la catégorie meilleur film étranger ; il reçoit le Bayard d’Or 2010 de la meilleure comédienne pour Anne Coesens au FIFF de Namur, le Valois 2010 du meilleur film au festival du film francophone d’Angoulême, le Prix Humanum 2010 de l’Union de la presse cinématographique belge, le prix du public mondial lors de la cérémonie de remise des prix Lumières à Paris, en 2011, tandis que le Magritte 2011 de la meilleure actrice revient à Anne Coesens, et celui de la meilleure actrice dans un second rôle à Christelle Cornil.
En 2015, celui qui travaille avec Versus production, la même maison liégeoise que celle qui produit Bouli Lanners, répond à une demande précise de Canal + qui lui confie la réalisation de Sanctuaire, un thriller qui se déroule dans les années 1983-1986, à une époque où les responsables et sympathisants des indépendantistes basques de l’ETA, particulièrement actifs dans le sud de la France et le nord de l’Espagne, sont pris pour cibles par le « Groupe Antiterroriste de Libération » (GAL). On soupçonne la présence de policiers espagnols et la complicité des autorités françaises derrière des règlements de compte meurtriers. Porté par Jérémie Renier, cette fiction politique d’un réalisme quasi documentaire a représenté au préalable pour Masset-Depasse un important travail de préparation et d’investigation ; comme avant Illégal, il se rend sur le terrain, interroge, prend la température et s’imprègne d’une atmosphère, pour offrir aux spectateurs une tranche d’histoire rarement abordée dans un téléfilm de ce genre. Sanctuaire reçoit le FIPA d’or du meilleur scénario 2015 au festival international des programmes audiovisuels de Biarritz…, l’élégante ville balnéaire de la côte basque.
Avant la pandémie de la Covid-19, le succès européen de Duelles fait surgir un projet de remake américain auquel Olivier Masset-Depasse est théoriquement associé. Ce sera Mother’s Instinct (2024), finalement réalisé par Benoît Delhomme, avec Jessica Chastain et Anne Hathaway dans les rôles principaux qu’interprétaient Veerle Baetens et Anne Coesens. Connaissant une expérience américaine cauchemardesque et ne se disant pas attiré par le monde du cinéma français, le réalisateur considère le genre du thriller comme une façon de continuer le film d’auteur en perte d’audience dans un marché du cinéma en pleine mutation.
Courts métrages
Chambre froide (2000)
Dans l’ombre (2004)
Longs métrages
Cages (2007)
Illégal (2010)
Sanctuaire (téléfilm pour Canal+, 2015)
Duelles (2018)
Largo Winch 3 : Le Prix de l’argent (2024)
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 7 octobre 2006, 7 août 2024
Richard Olivier, Big Memory. Cinéastes de Belgique, s.l., Les Impressions nouvelles, 2011, p. 226-227
https://www.cinergie.be/personne/masset-depasse-olivier
https://www.cinergie.be/actualites/chambre-froide-d-olivier-masset-depasse (s.v. janvier 2025)

Mariage Benoit
Culture, Cinéma
Virton 19/07/1961
En mai 1997, sur la croisette à Cannes, un jeune réalisateur wallon est particulièrement remarqué pour un court métrage, entièrement tourné en noir et blanc, dans le Namurois, et où apparaissent Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet, Bouli Lanners et Louis Koscielniak. Sélectionné dans la compétition de la Semaine de la Critique, ce court métrage qui raconte la recherche impérative d’un signaleur pour une course cycliste remporte le Grand prix de la critique et, plus tard, en 1998, le Prix du Jury du festival de Clermont-Ferrand. Son réalisateur s’appelle Benoît Mariage. Outre quelques épisodes pour le magazine Strip Tease, il n’avait jusqu’alors à son actif qu’un court métrage réalisé sur une musique de Julos Beaucarne et intitulé La Terre n’est pas une poubelle (1996).
Dès son adolescence, Benoît Mariage a été captivé par la photographie et s’il poursuit des études de droit à l’Université catholique de Louvain, c’est pour ne pas déplaire à son père, titulaire d’une charge notariale. Une fois sa licence en poche (1983), c’est directement à l’Institut supérieur des arts du spectacle qu’il s’inscrit pour y mener des études d’art de l’image, sa réelle passion. Pigiste au journal Vers l’Avenir depuis ses 16 ans, moment où il réalise des comptes rendus sportifs, Benoît Mariage alimente aussi de ses photos la rédaction du journal régional, avant d’être engagé comme photographe de presse à mi-temps (1987).
Après sa formation préférée à l’INSAS (1987), il entre à la RTBf et propose un projet original au duo Libon-Lamensch, les producteurs de Strip-Tease. Après des heures passées dans un couvent à filmer avec son cameraman Roger Beeckmans, il présente un mémorable Dieu seul suffit qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit Strip-Tease où, dira-t-il plus tard, il a appris son métier ; pour ce documentaire, il reçoit un prix au festival namurois Media 10/10. Ses années de journalisme aiguisent son sens de l’observation et sa confrontation avec des situations incongrues consolide son savoir-faire. Au total, il réalise six épisodes dans des univers fort différents (dont Elvis, Le Proviseur, Radio Chevauchoir, René l’Africain) pour le célèbre magazine Strip-Tease qui déshabille la société du dernier quart du XXe siècle, et tous sont remarquables et remarqués. Le dernier, A fond la caisse !, a surtout frappé les esprits, quand il suit des parents qui rêvent d’un avenir de champion de motocross pour leur gamin de 4 ans.
Les diverses réactions que suscitent ce mini-film poussent Benoît Mariage à s’interroger sur le contrat de confiance entre le sujet d’un documentaire et son réalisateur, et finalement il décide de se consacrer à la fiction, parce que le genre permet une recherche plus approfondie de la vérité. À partir de 1990, dans le cadre de sa propre maison de production TRAM 33, il produit, cadre et réalise Un Tour en Afrique 1990 (Burkina Faso) Elif ou le choix de Chantal (Turquie, 1992), Chasseurs de papillons (Kenya, 1993) Trois p’tits rounds et puis s’en vont (France, Hongrie, Russie), Nemadis (Mauritanie, 1994) Hindou, une parole libre (Mauritanie, 1994), Nemadis, des années sans nouvelles (Mauritanie, 2001), ainsi qu’On the road again. Le cinéma de Bouli Lanners (2011).
Parallèlement, il se lance dans un premier long métrage. Dans Les Convoyeurs attendent (1999), on retrouve l’idée du transfert des espoirs du père vers le fils quand Benoît Poelvoorde entraîne son gamin à ouvrir et fermer une porte des milliers de fois par jour, afin d’inscrire le record et son nom dans le Guinness Book. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes 1999, ce premier film de Benoît Mariage reçoit le Cheval de Bronze 1999, prix décerné par le festival international du film de Stockholm. Il tourne ensuite un documentaire en Mauritanie (Némadis, 2000), avant de porter un deuxième long métrage où il raconte l’histoire vraie d’un couple dont la femme enceinte de jumeaux refuse la perspective d’élever deux enfants, le réalisateur observant la culpabilité du couple (L’Autre, 2003).
Depuis le court métrage Le Signaleur (1997), où le Namurois donnait la réplique à Olivier Gourmet, Benoît Poelvoorde sait gré à Mariage de lui avoir offert son premier rôle dramatique. Fort de leur complicité, Poelvoorde accepte volontiers de jouer à nouveau un journaliste, en quête de scoop, mais d’une manière différente de celle de C’est arrivé près de chez vous. Avec Cowboy (2007), Benoît Mariage s’inspire très librement d’un fait-divers marquant, en Wallonie, du début des années 1980 : un jeune homme détourne un autobus scolaire à Vielsalm, l’emmène vers Bruxelles où il espère exprimer sur les ondes de la RTBf sa colère contre l’injustice économique et le sort réservé aux personnes exclues de la société. L’affiche de ce film réunit notamment Olivier Gourmet, François Damiens, Bouli Lanners, Christelle Cornil, Julie Depardieu et Gilbert Melki. Une fois encore, Benoît Mariage se félicite de sa collaboration avec le monteur tournaisien Philippe Bourgueil. Dans Les rayures du zèbre (2014), Poelvoorde est cette fois recruteur de jeunes footballeurs en Afrique, cherchant à s’enrichir sur des transferts douteux en Belgique. S’inspirant une fois encore de faits divers réels, le film obtient quatre nominations aux Magritte 2015 et décroche la statuette du meilleur espoir masculin (pour Marc Zinga).
Professeur à l’IAD (Louvain-la-Neuve) depuis 2006 où il dirige l’atelier d’écriture et de réalisation en master 1, Benoît Mariage travaille avec François Damiens sur le premier film de ce dernier, Mon Ket (2018), qu’il co-écrit à partir des caméras cachées dont Damiens est devenu le spécialiste, et il parvient à sortir en 2022, après la pandémie de la Covid-19, son cinquième long métrage, Habid, la grande aventure, qu’il a réalisé et dont il est le scénariste. Avec à l’affiche Catherine Deneuve, ce conte burlesque, tourné principalement à Molenbeek, met en scène un jeune belgo-marocain désireux de devenir acteur, auquel on propose de jouer au théâtre le rôle de saint François d’Assise.
Ses principaux films
Le Proviseur (Strip Tease, 1985)
Dieu seul suffit (Strip Tease, 1987)
A fond la caisse ! (Strip Tease, 1988)
Radio Chevauchoir (Strip Tease, 1989)
Elvis (Strip Tease, 1990)
La Terre n’est pas une poubelle (court métrage, 1996)
René l’Africain (Strip Tease, 1997)
Le Signaleur (court métrage, 1997)
Les convoyeurs attendent (1999)
Némadis, des années sans nouvelles (documentaire, 2001)
L’Autre (2003)
Cowboy (2007)
On the road again. Le cinéma de Bouli Lanners (documentaire, 2011)
Les Rayures du zèbre (2014)
Habib, la grande aventure (2022)
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 6 octobre 2007, 18 avril 2018, 25 août 2023
Marco LAMENSCH, Strip-Tease se déshabille, éditions Chronique, 2018, dont p. 50-51, 93-96
Richard OLIVIER, Big Memory. Cinéastes de Belgique, s.l., Les Impressions nouvelles, 2011, p. 224-225
https://www.cinergie.be/actualites/les-convoyeurs-attendent-de-benoit-mariage
L’Envers de l’Écran, https://auvio.rtbf.be/media/l-envers-de-l-ecran-l-envers-de-l-ecran-2855417, RTBf, 2004
https://audiovisuel.cfwb.be/fileadmin/sites/sgam/uploads/Activites/Cineastes_en_classe/Realisateurs/Benoit-Mariage-CV.pdf (s.v. 01/2025)

Godin Noël
Culture, Cinéma, Littérature
Liège 13/09/1945
Dans sa ville de Liège natale, le jeune Noël Godin grandit sous la protection d’une mère pieuse et d’un père avocat. Dame patronnesse, sa mère l’inscrit à l’école primaire catholique Saint-Maur à Cointe ; ce sera ensuite l’établissement secondaire des pères salésiens de Don Bosco où, raconte-t-il, cet étudiant à l’humour déjà subversif réussit sa rhéto gréco-latines grâce à sa participation au nom du Collège au concours national des jeunesses cinématographiques (où il remporte une essoreuse…). Rêvant avant tout de faire de sa vie un roman d’aventures, cet assoiffé de lectures se passionne pour le cinéma, fréquentant très régulièrement les salles obscures depuis son plus jeune âge. Alliant les deux, lecture et cinéma, il trouve nombre d’exemples d’aventures dans les numéros de Positif, revue de cinéma à laquelle il est abonné : créée à Lyon en 1952, elle s’inscrit, à ses débuts, systématiquement en opposition avec les Cahiers du cinéma, en contestant la bien-pensance et en se révoltant à la fois contre le gaullisme et le stalinisme. Ce « dernier bastion du surréalisme français » plaît au jeune Godin qui y trouve ses repères politiques, principalement la condamnation de tout ce qui représente l’autorité, publique comme religieuse.
« La revue Positif donnait l’envie de passer à l’attaque. Et de vivre sa vie comme un film éperonnant », commente Godin dans une interview au Soir (2021). L’occasion lui est donnée quand la censure s’exprime contre la sortie du film de Jacques Rivette, Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (1967). Avec des camarades liégeois, Godin organise alors des actions contre des religieuses marchant dans la rue, cherchant à toucher leur postérieur, en criant « Vive Diderot ! ». Les événements parisiens de mai ‘68 attisent un engagement politique plus marqué ; en stop, il se rend à Paris et est conforté dans l’idée que la révolution doit être joyeuse.
Sa défiance envers l’autorité, quelle qu’elle soit, s’exerce aussi à l’égard de son père. Du moins, jusqu’au jour où l’avocat/curateur connaît des démêlés judiciaires et choisit de fuir en Guinée, avant d’être contraint de rentrer en Europe, étant arrêté à Paris par Interpol (1969-1970) ; emprisonné à Fresnes, il est ensuite transféré à la prison de Nivelles. Cette situation change le regard du fils sur son père, ainsi que sa vie : tous les biens paternels sont saisis et la maman, qui demande le divorce, se retrouve avec une villa, à Spa, achetée à son nom, qu’elle transforme en maison de retraite et dont elle devient la directrice. La désobéissance du père apparaît comme un encouragement à l’anarchisme. Prêt à faire la révolution joyeuse avec le mouvement de l’Internationale situationniste de Guy Debord, Noël Godin revendique alors et surtout l’amour libre et la gaudriole, ainsi qu’un engagement féministe.
Se lançant comme chroniqueur de cinéma, Noël Godin parvient à travailler pendant quinze ans, sans être démasqué, pour la revue catholique Amis du film et de la télévision, cultivant déjà la subversion en rédigeant de fausses interviews, en inventant de faux réalisateurs et en créant de longues critiques sur des films imaginaires. Il poursuit ses facéties dans les colonnes de Ciné Revue, d'Actuel, de la Revue belge du cinéma, de Grand Angle et surtout, de 1982 à 1985, dans Visions où il rédige « ses éloges du comique navrant, ses plaidoiries pour les cinéastes flibustiers et ses points de vue sur les films d’horreur, drôlissimes et érudits, enflammés et vitriolesques ». Dans les années 2000, nonobstant sa réputation, il est chroniqueur littéraire dans Le Journal du Mardi.
Sa rencontre, au début des années 1970, avec Jean-Pierre Bouyxou est un moment fondateur. L’entente entre les deux hommes est totale et immédiate. Leur complicité est à l’origine des attentats pâtissiers. Lors de leur première rencontre, Godin apprend que Bouyxou a inventé le personnage de Georges Le Gloupier et le chroniqueur des Amis du film et de la télévision s’en inspire quand il signe un article dans lequel il invente l’entartage de Robert Bresson par Le Gloupier, ajoutant que Marguerite Duras, pour venger son ami Bresson, a entarté Le Gloupier sur la terrasse du café Flore, à Paris, faisant dire au Gloupier : « Madame, je préfère votre pâtisserie à votre littérature ».
Ayant déjà déversé un pot de colle (novembre 1968) sur Marcel De Corte, professeur à l’Université de Liège, philosophe catholique maurrassien, grand admirateur du dictateur portugais Salazar, Noël Godin, accompagné de Bouyxou, profite de la présence à Leuven de Marguerite Duras, venue présenter son récent film Détruire, dit-elle (1969) au Challenge des cinémas d’art et d’essai, pour commettre son premier attentat pâtissier. Ce 11 décembre 1969, un nouveau genre de contestation/provocation est né, le lancer de tarte à la crème Chantilly, accompagné d’un petit mot expliquant le sens du geste politique, sur fond de « gloup, gloup » crié par les entarteurs, le tout filmé par des complices. Du moins, quand l’opération fonctionne comme le souhaitent Godin et ses comparses.
Marguerite Duras est la première victime d’une longue série de personnalités entartées par la « brigade pâtissière » de Noël Godin, voire des brigades complices, de 1969 à 2015 : Maurice Béjart (1969), Henri Guillemin (1970), Marco Ferreri (1976), Jean-Luc Godard (1985), édouard Poullet (1987), Jean Delannoy (1988), Vladimir Volkoff puis Alain Bévérini et aussi Patrick Bruel (1993), Jean-Pierre Elkabbach (1994), Hélène Rollès, Philippe Douste-Blazy, Pascal Sevran (1995), Patrick Poivre d’Arvor, Daniel Toscan du Plantier, les prêtres de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes (1996), Nicolas Sarkozy (1997), Bill Gates (1998), le public du concours musical Reine Élisabeth (1999), Bernard Landry (2000), Benjamin Castaldi (2001), Jean-Pierre Chevènement, Karel Dillen et Jean-Claude Martinez, porte-parole de J-M. Le Pen (2002), Jean Charest (2003), Doc Gynéco (2007), sans oublier Bernard-Henri Lévy, 8 fois entarté, depuis le 11 novembre 1985, au studio de la production de Liège de la RTB (où s’enregistre l’écran témoin) et la dernière en date, à Namur, le 30 mai 2015, lors d’un débat sur Baudelaire, avec Jan Fabre, en l’église Saint-Loup, organisé à l’initiative du musée Rops.
Leur point commun, selon Godin, d’être des personnalités qui se prennent particulièrement « très très très au sérieux », d’être particulièrement détestables et infatuées. En 2023, un inconnu relance la dynamique des attentats pâtissiers en s’en prenant à Georges-Louis Bouchez ; les complices du Gloupier reprennent alors du service et s’offrent Michael O’Leary, le PDG de Ryanair (Bruxelles, 7 septembre 2023). Plaintes et procès vaudront au Gloupier quelques ennuis judiciaires (n’échappant pas à la plainte de J-P. Chevènement devant les tribunaux français), tandis que certains services privés de sécurité ne manqueront pas de se défouler sur les complices entarteurs trop lents à s’éclipser… Le chanteur Renaud fait référence aux multiples entartages de Bernard-Henri Lévy, « Jean-Paul Sartre dévalué », dans sa chanson L’Entarté sur l’album Boucan d’enfer (2002). Pour sa défense, Noël Godin prétend s’inscrire dans la tradition des terroristes hurluberlus, tels que Tijl Uylenspiegel, Robin des Bois, ainsi que les surréalistes français de combat, les Yippies américains, voire les Yes men et puiser ses sources dans les slapsticks, les Bugs Bunny et autres Woody Woodpecker.
Disciple de l’humoriste Alphonse Allais et de l’utopiste Charles Fourier qui fut l’auteur en 1806 du livre Le Nouveau monde amoureux, Noël Godin mène d’autres projets, essentiellement dans le domaine du cinéma, mais aussi comme écrivain et collaborateur de la presse satirique. On le lit dans le mensuel satirique Psikopat, fondé en 1982 par Paul Carali. On le rencontre dans CQFD, mensuel alternatif sans publicité qui parodie l’abréviation en lui donnant le sens de Ce qu’il faut dire, détruire, développer (2003-). On le retrouve dans El batia moûrt sôu (1995-), « journal jovial, crédule, saugrenu, mais outrecuidant, qui paraît 4 fois par an dans le Hainaut, à Ville-sur-Haine […] Journal d’entre Haine et Trouille au pays du dépeceur et des caves aménagées… », écrit dans l’esprit de la pensée Bul qui s’est épanouie avec le Daily Bul d’André Balthazar, Pol Bury et Achille Chavée, ainsi que dans celui de la pensée de Raoul Vaneigem. Dirigé par le montois Serge Poliart, son rédacteur en chef, ce périodique a été encarté dans Charlie Hebdo jusqu’à la crise de 2008 et le départ de Siné. Dans l’hebdomadaire pamphlétaire Siné Hebdo (2008-2010) justement, créé par le dessinateur Serge Siné, Godin tient la rubrique « L’Entarteur littéraire » et est aussi de l’éphémère expérience du journal satirique français La Mèche (2010). Il est de l’épopée Siné Mensuel (2011-2025), tout en participant au projet éditorial de Zélium, le journal qui n’est ni de droite (février 2011-), et qui sortait un 13e numéro en septembre 2024, après des temps difficiles. Il a aussi collaboré à la revue en ligne ventscontraires.net (2012-2015), la revue du Théâtre du Rond-Point.
En 1995, chez Albin Michel, Noël Godin publie Crème et châtiment : Mémoires d’un entarteur, entretiens avec Marc Cohen et, en 2005, il sort chez Flammarion Entartons, entartons les pompeux cornichons ! Avec son complice Jean-Pierre Bouyxou, il a aussi commis Godin par Godin, un livre qui réunit une sélection de ses articles les plus farceurs et de ses textes les plus sagaces de critique impertinent. En 1990, il a publié chez Balland De l’horrible danger de la lecture et récidivé en 1994 avec Zig zig boum boum publié à Toulouse (Le Veilleur). En 2003, chez Flammarion, il signe encore le roman Armons nous les uns les autres, après avoir apporté sa collaboration Benoît Delépine, Matthias Sanderson et Aimable Jr, pour Grabuge ! 10 réjouissantes façons de planter le système (2002). Quant à son Anthologie de la subversion carabinée qui avait été publiée à L’Âge d’Homme en 1989, elle est revue et complétée à deux reprises, en 2008 et 2012. L’écrivain Noël Godin a reçu le Grand prix de l’humour noir (1995), le Prix de la Dent dure (1996) et le prix Humour et Résistance (2013).
Celui qui est le compagnon de Sylvie, la fille de Marcel Broodthaers depuis les années 1970, s’est lancé très tôt dans le court-métrage, en-dehors des scènes d’entartage, sans en faire sa carrière. Noël Godin a signé cinq réalisations aux titres évocateurs et sans doute prometteurs... Se disant lui-même piètre acteur, il s’est prêté à diverses reprises à jouer des rôles pour des amis réalisateurs, dans des courts comme des longs métrages ; il joue le plus souvent son propre personnage d’entarteur, mais endosse aussi celui d’un clochard, celui d’un terroriste et se présente à deux reprises comme l’écrivain Pierre Mertens, dans La Jouissance des hystériques (2000) et, déjà, en 1995, quand il est à l’affiche de Camping Cosmos, réalisé par Jan Bucquoy. Alors que ce dernier disait vouloir donner une consistance à « ce pays qui n’existe pas », en parlant de la Belgique, cette parodie des mœurs belges réunit autour des clichés habituels (baraque à frites, foot, concours eurovision et concours de miss, etc.) une brochette de personnalités atypiques : Claude Semal (revisitant Tintin), Arno (en maître-nageur), Jacques Calonne (en représentant du ministère de la Culture), Jean-Henri Compère (Jan Bucquoy), Lolo Ferrari et enfin un Noël Godin imitant l’écrivain belge entarté lors d’une intervention radio sur la littérature, créant ainsi la situation de l’entarteur entarté… En 2004, il se prête au long métrage Wallonie 2084, de Jean-Jacques Rousseau, au scénario disparate, allégorie exacerbée d’une Wallonie en guerre avec la Flandre. En 2015, face à Jean-Marc Rouillan, ancien d’Action directe, il tient l’un des deux rôles principaux de Faut savoir se contenter de beaucoup de Jean-Henri Meunier.
Membre à vie du jury du festival international du Film Grolandais de Toulouse depuis 2013, Noël Godin est atteint depuis les années 2020 par une maladie qui abîme sa mémoire, sans lui enlever sa fantaisie ni sa gaîté.
Cinéma (principales participations)
One night of hypocrisy Court métrage (1994)
Camping Cosmos (1996)
Quand on est amoureux, c’est merveilleux Court métrage (1999)
Le journal de Joseph Morder Court métrage (1999)
La Jouissance des hystériques (2000)
Bon appétit ! Court métrage (2001)
La Vie politique des Belges (2002)
Aaltra (2003)
La Vie sexuelle des belges, 6e partie (2003)
Cinéastes à tout prix (2004)
Les Vacances de Noël (2005)
Palais Royal ! (2005)
Le Prince de ce monde (2007)
Arrabal et les garçons Court métrage (2011)
Faut savoir se contenter de beaucoup (2015)
Uchronia (2016)
En Marche vers l’Effondrement ! (2022)
Réalisateur de courts métrages
Les Cahiers du cinéma (1972)
Prout prout tralala (1974)
Grève et pets (1976)
Si j’avais dix trous du cul (1999)
Prenons nos cliques prenons nos claques, boutons le feu à la baraque ! (2008)
Ses principaux livres
Anthologie de la subversion carabinée, L'Âge d'Homme, 1989, 2008 et 2012
De l'horrible danger de la lecture, Balland, 1990
Zig zig boum boum, Le Veilleur, Toulouse, 1994
Crème et châtiment : mémoire d'un entarteur, Albin Michel, 1995
Godin par Godin, éditions Yellow Now, 2001
Grabuge ! Dix réjouissantes façons de planter le système, Paris, Flammarion, 2002
Armons-nous les uns les autres, Paris, Flammarion, 2003
Entartons, entartons les pompeux cornichons !, Paris, Flammarion, 2005
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 10 novembre 1995, 2 juin 2015 et la série « Racines élémentaires » dans Le Soir, 20 novembre 2021
https://www.yellownow.be/post/____i-5
http://leparatonnerre.fr/2022/08/01/noel-godin-la-creme-de-la-creme/ (s.v. janvier 2025)
Noël Godin, Godin par Godin, Crisnée, Yellow now, 2001
Crème et châtiment : Mémoires d’un entarteur, entretiens avec Marc Cohen, Paris, 2005

Dumont Henri-Désiré
Culture, Cinéma
Mons 26 ou 27/02/1821, Paris 22/12/1897
À la suite de Laurent Mannoni, spécialiste des premiers pas du cinéma dans le monde, on s’accorde à reconnaître en l’ingénieur montois Henri-Désiré Du Mont l’un des précurseurs illustres de la cinématographie grâce à l’invention de l’omniscope, dont il dépose le brevet en 1860. Il fait partie de cette vague d’audacieux physiciens, lanternistes ou mécaniciens qui se lancent dans la quête du « mouvement continué » (Mannoni, p. 193-195). Il rejoint ainsi deux autres personnalités importantes, nées ou ayant travaillé en Wallonie, qui, comme lui, ont contribué à l’invention du cinéma : Robertson et Plateau (Mélon, p. 315).
Depuis des siècles, les hommes ont cherché le moyen de donner un mouvement aux images, et la lanterne magique est restée pendant longtemps l’avancée la plus significative. Les expérimentations de Plateau, dans les années 1830, introduisent le principe de l’animation stroboscopique avec un appareil appelé phénakistiscope. Il utilise des fentes découpées sur un disque rotatif regardé devant un miroir. En 1833, Plateau publie un article qui fait avancer la science. À peu près à la même époque, un mathématicien viennois, Simon von Stampfer, crée un dispositif similaire pour un instrument optique qu’il appelle « stroboscope » et qui ressemble au « zootrope » que va mettre au point William Horner en Angleterre, en 1834 ; ils utilisent le principe de la persistance de la vision avec une série de fentes pratiquées sur les côtés d’un cylindre en rotation à travers lesquelles le spectateur perçoit des images séquentielles dessinées sur des bandes de papier. Ils donnent l’illusion de mouvement d’un personnage dessiné.
Des tambours et des disques cylindriques rotatifs sont ensuite utilisés par différents inventeurs exploitant la persistance de la vision dans des dispositifs conçus pour afficher des images animées stéréoscopiques. Inventé par Plateau, le phénakistiscope est un prédécesseur du zootrope et annonce le praxinoscope d’Émile Reynaud (1876), avec son système de miroirs tournants à l’intérieur du tambour qui assure l’obturation par compensation optique, sans déperdition de luminosité. On est là aux origines de l’invention du cinéma.
Avec l’introduction de la photographie en 1839, l’idée se développe d’associer cette nouvelle technique au phénakistiscope (1849). La photographie stéréoscopique, très populaire au début des années 1850, donne l’impression que la mise en mouvement devient possible, dès lors que l’on photographie plusieurs poses ou positions consécutives séparément. Quelques appareils sont alors inventés, aux résultats encourageants, mais non convaincants. À l’inverse, l’ingénieur Henry Du Mont « compte parmi les inventeurs utopistes les plus ambitieux » (Ray Zone, p. 28).
En 1859 et 1860, le Montois dépose des brevets en France et en Belgique pour neuf modèles différents d’appareils de cinéma stéréoscopique. Les formes de base sont des disques et des cylindres, bien qu’il utilise la surface extérieure de ses cylindres plutôt que la paroi intérieure du zootrope habituel. Dans la plupart des cas, un disque obturateur rotatif à fentes est utilisé pour révéler les images (dans certains cas des images transparentes) et les figer pendant la fraction de seconde où l’image se forme sur la rétine. Ingénieur optique particulièrement compétent, Du Mont donne le nom d’omniscope à ses appareils qui différent l’un de l’autre selon neuf variantes. Ainsi, l’un de ses modèles utilise des zootropes jumeaux, synchronisés, combinés au stéréoscope réfléchissant de Charles Wheatstone, placé au milieu, à un angle de 45 degrés. Un autre recourt à des zootropes jumeaux et à un système de projection interne avec un miroir pour la visualisation avec des lunettes anaglyphes rouge-vert.
En 1861, Du Mont déposent trois brevets supplémentaires qui décrivent un système avec une bande de photographies stéréoscopiques qui se déplacent par intermittence. Profitant des progrès de la photographie instantanée, grâce à l’avènement du procédé relativement rapide au collodion, Du Mont qui s’est installé près de Paris pour progresser dans ses travaux dépose un nouveau brevet, pour « un dispositif photographique permettant de reproduire les phases successives du mouvement ». Lors de l’Assemblée générale la Société française de photographie (17 janvier 1862), il présente et fait manœuvrer devant le public un appareil cylindrique pour obtenir successivement douze clichés successifs. Il entend développer son appareil breveté de visualisation stéréoscopique et stroboscopique, ainsi qu’une caméra capable de capturer les phases successives des mouvements à des intervalles de quelques fractions de seconde seulement. Il fixe les images obtenues sur la circonférence d’un tambour cylindrique ou prismatique, éventuellement lié sur une bande de tissu. Dans un article paru en 1862, il insiste sur la nécessité d’enregistrer les photographies stéréoscopiques à un rythme plus rapide et évoque ce « nouvel appareil photographique qui permet de reproduire les phases successives d’un mouvement à quelques fractions de seconde d’intervalle seulement ». Son invention transporte 10 ou 12 plaques photographiques, une par une, d’un cadre à fentes, devant l’objectif de l’appareil photo, dans une zone de réception inférieure. Un obturateur mobile est synchronisé pour garantir que les plaques ne sont exposées que lorsqu’elles sont au bon endroit.
En avance sur son temps, Henri-Désiré Dumont a ainsi inventé une série d’appareils qui ont aujourd’hui disparu. On perd d’ailleurs la trace de l’ingénieur et inventeur, alors que d’autres innovations sont tentées en Europe comme aux états-Unis, s’inspirant de ses travaux. C’est là, de l’autre côté de l’Atlantique, qu’en juin 1878, est créée la plus ancienne séquence de mouvement connue, photographiée en temps réel, par le photographe britannique Eadweard Muybridge. The Horse in Motion montre une course de chevaux à pleine vitesse. La qualité des images reste limitée et les personnages sont principalement vus comme des silhouettes, le tout étant souvent retouché pour éliminer les irrégularités photographiques. Par ses travaux, Du Mont a préfiguré la chronophotographie que mettent au point vingt ans plus tard Eadweard Muybridge, ainsi qu’étienne-Jules Marey.
Sources
Marc-Emmanuel Mélon, Le cinéma et les arts audiovisuels, dans Bruno Demoulin (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 315-317
Ray Zone, Stereoscopic cinema and the origins of 3-D Film 1838-1952, Presses universitaires du Kentucky, 2007, p. 28-29
Laurent Mannoni, Le Grand Art de l’Ombre et de la Lumière : archéologie du cinéma, Paris, Nathan, 1994
C. Rousselle, Biographie montoise, cité par Ernest Mathieu, Biographie du Hainaut, Enghien, 1902-1905, t. I, p. 237
Bulletin de la Société française de photographie, t. VIII, février 1862, p. 34-36

Diskeuve Xavier
Culture, Cinéma, Littérature
Namur 30/07/1962
Homme d’écritures, Xavier Diskeuve manie la langue française de manière brève et précise, tantôt pour informer, tantôt pour distraire, multipliant depuis plus de quarante ans les articles, les nouvelles, les sketches et les scénarios, qu’ils soient sérieux, humoristiques ou caustiques, pour la presse écrite, la radio, la télévision, les scènes de spectacle ou le cinéma, en court et même long métrage. Auteur éclectique, il est rarement à l’avant-scène, car quand il s’oriente vers le cinéma, c’est en tant que producteur-réalisateur qu’il se positionne derrière la caméra, laissant à ses amis comédiens les lumières et les applaudissements du public, sauf à collectionner de nombreux prix décernés par la critique et des jurys de festival.
Après des candidatures en Philosophie aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur (1982), il opte pour les Arts et Sciences de la Communication à l’Université de Liège, où il consacre son mémoire au magazine Visions, mensuel belge d’actualité cinématographique internationale (1984). Le journaliste fait d’ailleurs son premier stage auprès de Philippe Reynaert, au sein dudit magazine Visions, avant d’être engagé par l’édition namuroise du journal Vers l’Avenir (1985). Sa passion pour le cinéma en fait le critique idéal du journal lorsqu’est organisé le premier Festival International du Film Francophone de Namur (1986) et lorsqu’il s’agit de suivre les aventures d’une bande de copains namurois qui présentent un film déjanté – C’est arrivé près de chez vous – à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, avec le succès que l’on sait. Passant du cinéma aux sports puis aux informations générales et culturelles, président de la Société des rédacteurs des éditions de L’Avenir (2004-2008), le journaliste intègre la rédaction web du journal en 2014 et signe un billet d’humeur hebdomadaire, « Le Presse-Citron ».
Parallèlement, Xavier Diskeuve développe d’autres activités littéraires, dans des genres variés ; ainsi, collabore-t-il à MoFo, un mensuel rock gratuit (1992-2001), signant Benjamin Lu des interviews et des critiques d’albums sur la pop française et sur la bande dessinée, ainsi que des petits dialogues satiriques (Croyez-le si vous voulez). Il est aussi l’auteur de nouvelles, toutes fort appréciées : dès sa première écriture, Les 4 murs, il reçoit le Prix Simenon (1993) ; cinq autres nouvelles seront lauréates du Prix Polar RTBf/Polar La Première : Je hais les corps de métier et Huit Picon Vin Blanc (1994), Tout le monde peut le faire (1996), Pascal Sevran (1997), Le Con (2008). En 2003, il tire de plusieurs de ses nouvelles un spectacle créé par le Théâtre royal universitaire de Liège : Personnages en quête de tueur. C’est alors qu’une nouvelle opportunité d’écriture se présente : remplacer au pied levé l’humoriste duBus à l’écriture de l’émission satirique Votez pour moi qui fait les beaux jours de la matinale de Bel RTL : de 2010 à 2012, en congé de ses activités de journaliste, Diskeuve nourrit de ses textes l’imitateur André Lamy et le comédien Olivier Leborgne. En 2011, il prend le temps d’une autre création, The Beach Buysse, un seul en scène coécrit avec Nicolas Buysse. Puis, de septembre 2012 à juin 2023, il est désormais entouré d’une équipe pour tenir le rythme de l’inspiration et de l’écriture des quotidiennes en radio et en télévision. De sa collaboration avec André Lamy, naissent durant ces mêmes années plusieurs spectacles qu’il co-écrit : Politiquement correct (2010), Retour au Music-Hall (2012), Lamy qui vous veut du bien (2014), Lamy ne fait pas le moine (2016), Lamy râle (2019), Lamytateur (2022).
Une autre collaboration va se développer à partir de 2015-2016, avec Vincent Pagé cette fois. Cet autre Namurois – acteur, auteur, producteur – a rencontré un énorme succès avec C’est ma tournée, où il raconte avec humour sa (vraie) vie de facteur. De l’écriture commune Diskeuve/Pagé surgit un nouveau seul en scène de Vincent Pagé, Tronches de vie, délirant et cocasse, joué plus de 150 fois, en Wallonie, à Bruxelles et dans le Nord de la France, ainsi qu’au festival off d’Avignon 2018. « Comment fabrique-t-on une carte d’identité en extrême, extrême urgence ? Et si les cosmonautes du premier voyage sur la Lune avaient été Wallons ? Connaissez-vous la Mystérieuse République Indépendante du Parc à conteneurs ? » sont quelques-uns des questionnements d’un spectacle dont le succès « oblige » le duo Diskeuve/Pagé à de nouvelles collaborations : Un Pagé dans la mare (2019) parviendra à survivre à l’épidémie de la Covid-19, tandis que Fidèle au poste (2023) se présente comme une suite de C’est ma tournée. À chaque fois, le public assure le succès de ces spectacles.
À partir de l’an 2000, Xavier Diskeuve prend l’initiative de créer et de diriger la société Benzine prod, pour produire ou coproduire des courts métrages, ainsi que des albums ou des spectacles. C’est ainsi que le réalisateur namurois François Paquay adapte deux nouvelles de Diskeuve en courts-métrages, Le Con (2008) et Le Scénariste (2017). En 2002, s’inspirant aussi de l’une de ses nouvelles, Pascal Sevran, Xavier Diskeuve se lance lui-même dans un autre type d’écriture, en réalisant son premier court-métrage, Chanson-chanson (2002), où un employé de supermarché, Walter Molitor (joué par Nicolas Buysse), assure la promotion des produits au micro d’un supermarché ; il est aussi chanteur et, quand il est sélectionné dans une émission de télé-crochet sur France-Télévision, il demande à son cousin, Jacques (François Maniquet), un fermier taciturne, de le conduire à Paris. De recevoir le prix UIP du festival international du film de Flandre, à Gand, incite Xavier Diskeuve à reprendre le personnage de Jacques dans un nouveau court-métrage. Plébiscité par le Prix du public aux festivals de Villeurbanne, Grenoble, Alès, Bruxelles et Namur, Mon Cousin Jacques (2004) présente le garçon de ferme, célibataire, vivant chez ses parents, désireux de sortir de sa routine et demandeur de conseils pour se marier ; il trouvera l’âme sœur (Christelle Cornil). Le couple d’acteurs qui s’est formé à la fin de cette histoire se retrouve, avec Nicolas Buysse, à l’affiche de Révolution (2006), court-métrage un peu licencieux, sans aucun dialogue, qui explore la vie intime d’un fonctionnaire réservé, perturbé dans ses habitudes (1er prix au Festival des films du Monde de Montréal 2006). En 2008, I Cannes get no est un road-movie décalé qui propulse les deux « héros » de Chanson-Chanson dans les coulisses du festival de Cannes où « Walter Molitor », loser champion des punchlines, présente partout son CV et vante son savoir-faire, en vain, alors que Jacques décroche un rôle. Durant l’été 2013, Xavier Diskeuve s’essaye au long-métrage en concrétisant un projet de longue date : Jacques a vu est tourné en région namuroise et présenté pour la première fois au Festival international du Film francophone de Namur (octobre 2014), avant de vivre sa vie en salle, comme dans d’autres festivals où il récolte un prix d’interprétation féminine pour Christelle Cornil à Barcelone (2016), le Best Foreign Film Award aux états-Unis (2016), et le Best Comedy à Copenhague (2017).
Ayant éprouvé les difficultés que représente la réalisation d’un long métrage en Belgique, Xavier Diskeuve revient au genre du court-métrage. Dans Tonton Maurice (2020), il raconte l’aventure d’un centenaire désireux de battre un record du monde ; dans Le Petit prodige (2021), l’histoire d’un jeune pianiste doué, impliqué dans une magouille par des cousins, agents de joueurs de foot ; dans Domicile fixe (2023), tourné à Salzinnes, le spectateur assiste à une cohabitation pleine de non-dits entre un bourgeois, ses enfants et un SDF qui s’incruste. Tous les courts-métrages de Xavier Diskeuve sont multi-récompensés dans divers festivals à travers le monde.
Cinéma
Le Chanson-chanson (2002), https://www.youtube.com/watch?v=IDnolKMRMCU
Mon Cousin Jacques (2004), https://www.youtube.com/watch?v=8b9vQxT01HY
Révolution (2006), https://www.youtube.com/watch?v=UFAfA-Egids
I Cannes get no (2009), https://www.youtube.com/watch?v=RY_a6PGq4BA
Jacques a vu (2013), long métrage (making off : https://www.youtube.com/watch?v=4SYE5vwpnmU)
Tonton Maurice (2020), https://www.youtube.com/watch?v=1_R-NYUMOYo
Le Petit Prodige (2021), https://www.youtube.com/watch?v=VFMbczPgJ9o
Domicile fixe (2023), bande annonce, https://www.youtube.com/watch?v=2uSGSxQWVlU
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 7 février 2015
Arte présente… (2009), https://www.youtube.com/watch?v=JMvJuc7FOGE
https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_Diskeuve (s.v. janvier 2025)
Colpé Lou
Culture, Cinéma
Namur 16/05/1991
Originaire de Hamois, Lou Colpé commence à filmer quand elle a 13 ou 14 ans, tous les mercredis après-midi en captant la vie quotidienne de ses grands-parents. Après ses humanités, elle s’inscrit à Institut des arts de diffusion (IAD, Ottignies – Louvain-la-Neuve), mais sans y trouver sa voie ; à l’inverse, l’année suivante, à l’École de recherche graphique (ERG, Ixelles), elle apprend à maîtriser l’installation, la performance, la sérigraphie et, plus particulièrement, la vidéo. Pour son mémoire de fin d’études, un sujet s’impose à elle. Le temps long retrace les huit dernières années de la vie de ses grands-parents ; elle les filme depuis longtemps, pour son plaisir, mais, progressivement, la maladie d’Alzheimer s’invite dans l’histoire du couple, provoquant chez la grand-mère des signes déconcertants. Le passage en maison de repos précipite la fin de vie du grand-père et suscite des questions. Filmer prend alors un autre sens : lutter contre l’oubli et faire acte ultime de résistance. C’est la maladie d’Alzheimer de sa grand-mère qui devient l’objet de son projet de fin d’études.
En 2014, elle mène pendant plusieurs mois un autre projet au sein de l’atelier artistique du Centre Sésame, centre de jour pour adultes handicapés mentaux et elle réalise Jackson, Je sautér pala fenètre (2015). Dans ce film, elle suit un jeune homme qui passe des heures à peindre, colorier, dessiner, tracer et remplir des feuilles de papier ; si elle s’immisce dans son univers protéiforme, c’est pour tenter de comprendre les liens, les objets, les lieux évoqués par Jackson, pour écouter ses craintes et ses envies.
Le 7 décembre 2014, elle apprend la disparition soudaine d’un ami très proche en Bolivie. Dès ce moment, elle se met à capter des images, tous les jours, à tous les instants, pendant 365 jours, à partir de son téléphone portable, le temps d’accepter le départ définitif, le temps d’observer la vie après la mort, le temps de prendre conscience de la signification de toutes ces images et de réaliser un montage, sur le thème du deuil, avec cette impression entêtante que synthétise parfaitement le titre, Si tu étais dans mes images (2016). Ni une question ni vraiment une affirmation. Jeune diplômée d’un master en arts plastiques, visuels et de l’espace en option vidéo – récits et expérimentations, elle est invitée à diffuser ce film intimiste, après l’avoir retravaillé, après avoir réalisé un nouveau montage dans l’atelier de production de Dérives, la société des frères Dardenne. En 2017, elle sort ainsi son premier court métrage de fiction (17 min.).
En 2019, sort son second film, Le temps long (41 min.), lui aussi retravaillé auprès des Ateliers de Dérives, société qui le produit. Au-delà du témoignage et de la création artistique, la réalisatrice interroge sur la vie des personnes âgées en maisons de repos, sur le mode de fonctionnement de ces établissements, sur le quotidien du personnel soignant et infirmier. Et elle plaide en faveur de l’introduction en Wallonie d’autres modèles de gestion que celui de « la cotation en bourse de multinationales du placement des vieux ». Deux modèles retiennent son attention : le modèle Tubbe qui s’inspire de ce qui se déroule dans un petit village de Suède (Tubbe) et dont trois expériences pilotes sont alors menées en Wallonie depuis 2017, en collaboration avec la Fondation roi Baudouin et l’AVIQ. Le second modèle, la méthode Montessori, « propose un accompagnement des personnes âgées présentant des troubles cognitifs en se fondant sur des idées humanistes fortes et en particulier sur trois valeurs indéfectibles : le respect de la personne, de sa dignité et un principe fondamental d’égalité. Cette méthode se fonde également sur l’application de quelques principes concrets, simples à appliquer à tous types d’activités pour permettre à la personne de retrouver progressivement une dynamique active et positive ». Elle aborde ces sujets dans son second documentaire, Le temps long, celui qui lui a valu le Prix du public du Documentaire belge 2019 au Festival International du Film francophone de Namur, et a contribué à l’attribution du Prix de la Wallonne de l’année 2019, décerné par l’Institut Destrée. Elle est au programme de l’Intime-festival en août 2021.
Spécialisée en art-thérapie, artiste intervenante dans des milieux d’aides et de soins, notamment dans des maisons de repos spécialisées dans la démence et dans les écoles, Lou Colpé est l’une des cosignataires d’une carte blanche qui réclame davantage d’attention à l’accueil de la folie et de la souffrance psychique au sein de la société (février 2023). Professeur à l’École de recherche graphique, elle y enseigne la narration en master.
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024)
Marion Le Taillandier, Filmer la mise à l’épreuve d’un lien intime, ENS Louis-Lumière, Noisy-le-Grand, 2024 - https://www.ens-louis-lumiere.fr/wp-content/uploads/2024/07/ENSLL_CINEMA_LE-TAILLANDIER_2024_LD-1.pdf
https://www.cinergie.be/actualites/deux-portraits-d-artistes-en-atelier
https://www.rtbf.be/info/societe/detail_lou-colpe-realisatrice-pourquoi-est-ce-que-la-vie-s-arrete-completement-en-maison-de-repos?id=10538341
https://www.cinergie.be/actualites/le-temps-long-de-lou-colpe
https://www.cinergie.be/film/temps-long-le
https://en.calameo.com/read/001774295d0b28607f0f7?authid=CMxqlUlQQqyx
https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2018/20180626avc
https://www.rtbf.be/info/regions/namur/detail_le-modele-tubbe-arrive-dans-les-maisons-de-repos?id=10413899
https://www.ehpadia.fr/Troubles-cognitifs-des-personnes-agees-la-methode-Montessori-a-la-recherche-des-capacites-preservees_a133.html#:~:text=La%20m%C3%A9thode%20Montessori%20propose%20un,un%20principe%20fondamental%20d’%C3%A9galit%C3%A9%2C
https://www.dailymotion.com/video/x7wqt5u (s.v. janvier 2025)

Belvaux Rémy
Culture, Cinéma
Namur 10/11/1966, Orry-la-Ville 05/09/2006
Frère de Bruno et de Lucas, Rémy Belvaux, le cadet de la fratrie, a grandi comme eux dans la région namuroise. La scolarité est ardue sauf quand il arrive en section Art appliqué à l’Institut Félicien Rops de Namur, partageant la classe de Benoît Poelvoorde ; il fréquente en parallèle l’atelier de bande dessinée de l’Académie des Beaux-Arts de Châtelet (l’atelier Léonardo, 1982-1984). Rêvant de devenir dessinateur et scénariste de BD, Rémy Belvaux est aussi attiré par le cinéma : son frère Lucas connaît déjà un certain succès à Paris. Néanmoins, c’est avec l’objectif de faire du dessin animé qu’il s’inscrit à l’École supérieure des Arts visuels de la Cambre (1986), où il rencontre Stéphane Aubier et Vincent Patar. Il signe un premier court métrage d’animation fort prometteur, Le Rouge et le Noir, qui raconte l’histoire de deux boxeurs sur une scène, dont les corps se transforment sous les coups de poings qu’ils s’échangent. Mais, après un an, il choisit le cinéma et s’inscrit à l’Insas, où il croise la route du Français André Bonzel et retrouve Benoît Poelvoorde, alors à l’École de recherche graphique. Ce dernier, qui se passionne pour le théâtre, apparaît dans le rôle principal de ses premiers films d’étudiant (dont 475°Fahrenheit, en 1986, et L’Amant de maman, en 1987). Rémy Belvaux s’associe aussi à André Bonzel pour réaliser un court métrage parodique, Pas de C4 pour Daniel Daniel, dans lequel on retrouve une fois encore Poelvoorde ; ce dernier dira plus tard avoir toujours apprécié la direction d’acteur et la complicité de son ami Rémy.
Dans le même esprit à la fois potache et sérieux, le trio se lance dans un projet débridé d’envergure : un long métrage en noir et blanc. Au départ, Rémy Belvaux avait proposé à l’Insas un scénario de science-fiction, refusé par ses professeurs parce qu’il nécessitait 10 jours de tournage, alors que la règle en imposait cinq ! Par ailleurs, le duo Libon-Lamensch qui venait de lancer Strip-Tease a proposé au jeune diplômé de tourner l’histoire d’une jeune fille rêvant de l’Olympia, chanteuse dans des homes pour personnes âgées. Gêné par la tournure de ce projet, il refuse de monter des images conduisant à moquer celle qu’il a filmée. C’est alors que naît l’idée de suivre un tueur, à la manière d’un courant d’humour noir que l’on rencontre dans la BD, et de traiter le sujet en s’inspirant du cinéma-réalité. Reprenant le travail de fin d’études simplifié qu’il avait déposé et défendu à l’Insas, Rémy Belvaux s’associe à André Bonzel, Vincent Tavier et Benoît Poelvoorde, pour soigner un scénario au cordeau, écrivant les dialogues au mot près et tournant les scènes, avec peu de moyens et sans subsides, sans s’imposer de délai ; le tournage prend du temps, mais se déroule dans les conditions optimales souhaitées par la petite équipe qui, en autoproduction, constitue la société Artistes associés. Interprétant le caméraman qui suit au jour le jour un tueur en série, Rémy Belvaux forme un duo de choc avec Benoît Poelvoorde, le tueur narcissique et volubile avide de célébrité télévisuelle. Comédie noire qui parodie la ligne éditoriale de Strip-Tease, inspirée de la télé-réalité et du cinéma-réalité, ce faux documentaire qui mêle humour et cynisme sans aucune retenue devient un véritable OVNI médiatique sur la Croisette, lorsqu’il est présenté au festival de Cannes, en mai 1992, lors de la Semaine de la critique.
Co-écrit, coproduit et réalisé par Rémy Belvaux, C’est arrivé près de chez vous remporte le Prix du Jury-jeunes, le Prix de la Semaine de la critique et le Prix de la Critique internationale 1992. Ce qui n’était qu’une blague d’étudiants se transforme en un succès planétaire et devient un véritable film culte, interpellant les médias sur leurs responsabilités, voire leur complicité, quand ils s’échinent à rechercher le buzz à tout prix. Un de ses ressorts consistait à placer le spectateur à la place de la caméra sans qu’il puisse s’identifier au tueur ni aux victimes.
Le film est un succès ; sa promotion dure 18 mois à travers le monde ; mais les jeunes gens ont très mal négocié leurs droits d’exploitation ; surtout, il ne permet pas à Rémy Belvaux de percer dans le milieu du cinéma ; il en gardera une amertume fatale. Avec ses comparses, à la tête de sa propre maison de production (Les Artistes associés), il envisage plusieurs nouveaux projets et peaufine surtout le scénario et le montage financier d’un film où auraient joué Lucas Belvaux, Benoît Poelvoorde et Noël Godin dans le rôle de Pieds Nickelés déchaînés. Malgré ses efforts, ce film ne se fait pas et il ne parvient pas à rééditer le coup de C’est arrivé près de chez vous.
Comme acteur, Rémy Belvaux tourne peu (Demain on déménage, Comme une vache sans clarine, Les carnets de Monsieur Manatane), malgré le soutien de son ami Poelvoorde. C’est dans le monde de la publicité qu’il se fait un nom, en France. Réalisateur de films publicitaires pour la société Quad Productions, il décroche six années consécutives le titre de meilleur réalisateur. Lauréat du Cristal, au festival du film publicitaire de Méribel, il signe des spots pour Total et Ikea, ainsi que pour Loto, la Maf et Coca-Cola ; il est aussi récompensé pour l’ensemble de la campagne SFR. Il reçoit encore un Lion d’argent au festival international de la Publicité de Cannes pour le spot Charal (2005). Offrant de lui une image de frondeur et de provocateur (il participe avec Noël Godin à l’entartage de Bill Gates à Bruxelles, le 4 février 1998), Rémy Belvaux cachait une méticulosité exacerbée et une profonde angoisse, le tout avec le ressentiment de n’avoir pas réussi à s’imposer dans le monde du cinéma. S’étant fort éloigné de ses comparses namurois depuis la fin des années 1990, il choisit d’en finir définitivement avec la vie, un soir de septembre 2006.
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 12 août 1992, 25 janvier 1994, 7 septembre 2006, 21 février 2020 ; La DH, 7 septembre 2006 ; Vers l’Avenir, 17 mai 2017
Richard Olivier, Big Memory. Cinéastes de Belgique, s.l., Les Impressions nouvelles, 2011, p. 154-155

Belvaux Lucas
Culture, Cinéma
Namur 14/11/1961
Frère de Rémy l’aîné et de Bruno le benjamin, Lucas Belvaux a grandi comme eux dans la région namuroise, à Philippeville. Avec des parents enseignants, il poursuit ses humanités à l’Athénée de Philippeville. Comme ses frères, il fait du théâtre, mais il est surtout attiré par le cinéma. Ce rêve – devenir comédien – pousse Lucas Belvaux à tenter sa chance à Paris. La légende veut qu’il débarque seul, dans la capitale française, en 1979, après avoir abandonné ses études. S’il n’achève pas ses humanités, il a cependant suivi quelques cours à l’Académie d’Ottignies, avant de préparer le concours d’entrée au Conservatoire national d’art dramatique et à l’École de la rue Blanche. Il est vrai qu’il rate les deux, mais que la chance lui sourit à l’atelier Sarah Sanders, où il rencontre un agent qui s’occupe de placer de jeunes acteurs. Pour la télévision, il joue dans des téléfilms, avant d’être repéré par Yves Boisset qui lui donne le premier rôle, à côté de Jean Carmet, dans le très remarqué Allons z’enfants, plaidoyer antimilitariste, où il apparaît comme un jeune insoumis obligé de devenir enfant de troupe (1981).
Utilisé par Joseph Losey, Jean-Claude Missiaen et Andrzej Zulawski (dans La femme publique en 1984), il devient le facteur trop bavard dans Poulet au vinaigre, de Claude Chabrol, face à Pauline Lafont et Jean Poiret. Ce rôle lui vaut d’être nommé au César de meilleur espoir masculin en 1986. Les réalisateurs Jacques Rivette, Fabrice Cazeneuve, Mary Jimenez, Olivier Assayas, Hervé le Roux font ensuite confiance au Namurois dans les longs métrages qu’ils tournent à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Attiré par la mise en scène après avoir côtoyé tant de réalisateurs renommés, Lucas Belvaux met sa carrière de comédien entre parenthèses sauf à de rares exceptions, comme tourner dans ses propres films, ou dans des courts métrages, comme il l’avait fait en 1987 dans Pas de C4 pour Daniel Daniel, réalisé par son frère Rémy, ainsi que Benoit Poelvoorde et André Bonzel. Le comédien fera ainsi quelques rares apparitions en répondant favorablement à Chantal Akerman (Demain on déménage, 2004), à Régis Wargnier (Pars vite et reviens tard, 2007), ou à Robert Guédiguian (L’Arme du crime, 2009).
Mais c’est en tant que réalisateur que Lucas Delvaux se lance en 1993, en signant son premier long métrage pour le cinéma avec Parfois trop d’amour, une œuvre intimiste, sombre road-movie, passée inaperçue, coproduite par les Films de la Drève, la société de Jean-Jacques Andrien. En 1996, par contre, le film Pour en rire, un vaudeville décalé, décroche le prix du meilleur scénario au festival de Thessalonique (1996) ; avec à l’affiche Jean-Pierre Léaud et Ornella Muti, il s’agit certes d’une œuvre de commande, mais elle est très instructive pour le jeune réalisateur. Après avoir tourné pour la télévision un film sur la dépendance à l’héroïne, avec Valérie Mairesse et Jérémie Renier (Mère de toxico, 2000), c’est en 2003 qu’il impose son nom en tant que réalisateur en présentant une trilogie ambitieuse et remarquée : Un couple épatant, Cavale et Après la vie sont tour à tour une comédie, un thriller et un mélodrame, dont les acteurs principaux dans l’un sont secondaires dans l’autre. Nommé aux César du meilleur réalisateur et du meilleur scénario, il décroche tour à tour, pour cette trilogie, le Prix André-Cavens 2003 de l’Union de la critique de cinéma (UCC) du meilleur film belge, le Grand Prix 2003 de l’Union de la presse cinématographique belge et le Prix Louis-Delluc 2003. Il reçoit aussi le grand prix 2003 du festival « France Cinéma » de Florence.
Se disant profondément inspiré par Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer, viendront ensuite au cinéma La Raison du plus faible (2006), Rapt (2009), 38 témoins (2012), Pas son genre (2014), Chez nous (2017), Des hommes (2020), et pour la télévision Nature contre nature (2004), Les Prédateurs (2007) et La fin de la nuit (2017). Imposant un style, mais surtout des réflexions profondes sur des sujets de société, Lucas Belvaux embarque aussi bien Claude Semal, Yvan Attal, Gérard Depardieu et Jean-Pierre Darroussin qu’Anne Consigny, Nicole Garcia, émilie Dequenne ou Catherine Frot dans des drames abordant des faits divers retentissants (la prise d’otage à Tilff par le gangster français Philippe Delaire, l’enlèvement du baron Empain) ou malheureusement plus ordinaires comme le féminicide, la solitude, le pouvoir de séduction de l’extrême droite, les séquelles de la guerre d’Algérie, sujets qui lui permettent d’aborder en profondeur les thèmes de la lâcheté et de l’indifférence dans le quotidien, de la difficulté des rapports sociaux, de l’envie et de la vengeance, de la violence en général, de celle faite aux femmes en particulier. Qu’il travaille sur un scénario original ou en adaptant un roman, le réalisateur wallon est attentif à situer ses films dans un territoire précis (le plus souvent une région de France) et à forcer la réflexion de ses spectateurs. En télévision, Nature contre nature suit un psychanalyste parisien venu s’installer dans un milieu agricole touché par la précarité et aborde la question des économies alternatives, alors que Les prédateurs (deux longs épisodes) aborde sans complaisance l’affaire Elf, et La fin de la nuit la question des préjugés.
Sélectionné deux fois au Festival de Cannes (La Raison du plus faible, Des hommes) et nommé à diverses reprises aux César (Rapt, 38 témoins, Pas son genre), Lucas Belvaux a reçu le Prix Claude Chabrol 2013 et le Magritte 2014 du meilleur scénario original pour le drame 38 témoins, et le Magritte 2015 du meilleur scénario original à nouveau pour sa comédie romantique et sociale Pas son genre.
En 2022, il publie un premier roman, Les Tourmentés, qui reçoit le Prix Régine-Deforges 2023.
Ses films en tant que réalisateur
Parfois trop d’amour (1993)
Pour rire (1996)
Un couple épatant, Cavale et Après la vie (trilogie, 2003)
La Raison du plus faible (2006)
Rapt (2009)
38 Témoins (2012)
Pas son genre (2014)
Chez nous (2017)
Des hommes (2020)
Ses films comme acteur
Allons z’enfants d’Yves Boisset (1981)
La Truite de Joseph Losey (1982)
Tir groupé de Jean-Claude Missiaen (1982)
La Mort de Mario Ricci de Claude Goretta (1983)
La Femme ivoire de Dominique Cheminal (1984)
Ronde de nuit de Jean-Claude Missiaen (1984)
La Femme publique d’Andrzej Żuławski (1984)
American Dreamer de Rick Rosenthal (1984)
Poulet au vinaigre de Claude Chabrol (1985)
Hurlevent de Jacques Rivette (1985)
La Baston de Jean-Claude Missiaen (1985)
Désordre d’Olivier Assayas (1986)
La Loi sauvage de Francis Reusser (1988)
L’Air de rien de Mary Jimenez (1989)
Trois Années de Fabrice Cazeneuve (1989)
Madame Bovary de Claude Chabrol (1991)
Grand Bonheur d’Hervé Le Roux (1993)
Sorrisi asmatici - Fiori del destino de Tonino de Bernardi (1997)
On appelle ça... le printemps d’Hervé Le Roux (2001)
Cavale de Lucas Belvaux (2003)
Après la vie de Lucas Belvaux 2003)
Un couple épatant de Lucas Belvaux (2003)
Demain on déménage de Chantal Akerman (2004)
Joyeux Noël de Christian Carion (2005)
La Raison du plus faible de Lucas Belvaux (2006)
Pars vite et reviens tard de Régis Wargnier (2007)
L’Armée du crime de Robert Guédiguian (2009)
Rapt de Lucas Belvaux (2009)
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024)
L’Envers du décor, https://auvio.rtbf.be/emission/l-envers-de-l-ecran-20623, RTBf, 2014
https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-979/biographie/
https://www.cinergie.be/personne/belvaux-lucas
https://www.cinergie.be/actualites/la-raison-du-plus-faible-de-lucas-belvaux (s.v. janvier 2025)

Dardenne Jean-Pierre
Culture, Cinéma
Engis 21/04/1951
Depuis la Palme d’or du Festival de Cannes 1999 pour leur film Rosetta, Luc et Jean-Pierre Dardenne ont acquis une aura internationale que sont venues confirmer bien d’autres récompenses, dont le Prix spécial 75e anniversaire du Festival de Cannes n’est pas la moindre (2022). Ils se retrouvent ainsi dans le cercle très fermé (moins de dix) de personnalités honorées d’un Prix spécial lié aux anniversaires du Festival, dont notamment Orson Welles, Visconti, Antonioni, Fellini, Michael Moore, Gus Van Sand ou Nicole Kidman.
Aucun film de Luc et Jean-Pierre Dardenne ne laisse la critique et le public indifférents, tant par les thématiques abordées que par le style qu’ils sont parvenus à créer. À côté de leur activité de réalisateur, ils sont aussi les responsables d’une importante maison de production implantée en région liégeoise et au rayonnement international, ainsi que d’un atelier de production réputé.
Ayant grandi entre Huy et Liège, dans un bassin industriel chargé d’histoire, Jean-Pierre Dardenne fait ses études secondaires dans une institution catholique de Seraing, le Collège Saint-Martin. Venu d’une famille catholique pratiquante, le jeune garçon est inscrit par son père dans cette école située au milieu des usines, parce qu’elle est l’une des premières ouvertes à la mixité. C’est là aussi que, grâce à deux professeurs de français qui organisent un ciné-club, l’adolescent découvre de nombreux films, notamment de Bresson, Truffaut, Godard ou Bertolucci. Le Centre culturel de Seraing, dirigé par Roger Dehaybe, est un autre lieu de culture qui lui ouvre de nombreux horizons, notamment vers le théâtre et le théâtre-action.
À la fin de ses humanités, amateur de Ionesco et de Beckett, Jean-Pierre Dardenne entame des études en art dramatique à l’Institut des arts de diffusion (IAD) de Bruxelles (1969). Il y fait surtout la rencontre du dramaturge, cinéaste et metteur en scène français Armand Gatti (1924-2017). En 1969, Gatti dirige un atelier de théâtre expérimental à IAD et Jean-Pierre Dardenne y participe comme d’autres étudiants, jouant dans La Colonne Durruti, pièce montée dans une usine désaffectée à Schaerbeek. Une fois son diplôme en poche, il obtient de Gatti d’être son assistant dans la mise en scène de La Cigogne et surtout de L’Arche d’Adelin, œuvre qui parle de la disparition des paysans : cette fable politique est jouée dans les villages du Brabant wallon par une troupe itinérante (1973). Sur ce projet, Jean-Pierre est rejoint par son frère Luc qui partage ainsi la vie de cette petite communauté avide de partager les expériences de Gatti. Ce dernier est aussi vidéographe et, sous sa conduite, Jean-Pierre se met à réaliser des vidéos sur le modèle du Lion, sa cage et ses ailes (1975). Après la vidéo dans le cadre du théâtre, Gatti l’encourage à se lancer dans la réalisation au cinéma.
Pour disposer de sa propre caméra, le jeune réalisateur liégeois a dû travailler quelque temps à la toute nouvelle centrale nucléaire de Tihange. Et au milieu des années 1970, il filme de nombreux portraits d’hommes et de femmes ; il capte ainsi le témoignage d’anciens de la guerre d’Espagne, d’anciens résistants, de militants ouvriers ou politiques engagés par exemple dans la Question royale, projetant ensuite le montage le week-end dans des salles paroissiales, des bistrots, ou des maisons de jeunes, donnant lieu à des débats. Certains des documentaires réalisés avec son frère sont notamment diffusés dans le cadre de l’émission Vidéographies (RTBf). La création vidéo participe à l’époque d’un mouvement plus large et expérimental, animé par un désir de transformation de la société par la télévision.
En 1975, avec son frère Luc, Jean-Pierre Dardenne crée l’asbl « Collectif Dérives », structure qui doit leur permettre de produire et réaliser des vidéos et des documentaires de fiction, dans un premier temps ; entre 1978 et 1983, dans le cadre d’un programme de la Communauté française, ils entament une vaste enquête sur le thème Au commencement était la Résistance et créent des documentaires destinés à pérenniser l’histoire du mouvement ouvrier dans la région de Liège depuis 1936. Désireux de rendre vivante la mémoire d’événements que le temps relègue progressivement dans l’oubli, ils interrogent des survivants en les plaçant dans des situations et des espaces précis, tout en ayant recours à des images d’archives. Ils abordent ainsi les brigades internationales engagées dans la guerre civile en Espagne et la résistance antinazie (Le Chant des Rossignol, 1977). Viennent ensuite Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois qui met en évidence un acteur de la Grande Grève wallonne de l’hiver ’60-’61, puis Pour que la guerre s’achève, les murs devaient s’écrouler (1980) sur le thème de la mobilisation sociale. Par la suite, les jeunes réalisateurs se penchent sur le phénomène de sept radios-libres (R… ne répond plus, 1981), avant de s’intéresser à la Pologne et au syndicat Solidarnosc à travers le témoignage de cinq migrants polonais de générations différentes (Leçons d’une université volante, 1982). Reconnu comme atelier de production par la Communauté française de Belgique, l’asbl Dérives permettra, dans un second temps, d’accompagner et de produire le travail d’autres cinéastes, dans des horizons et des pratiques documentaires très larges. Progressivement, cet atelier devient l’un des lieux les plus exigeants et créatifs de la production documentaire en Wallonie et à Bruxelles francophone, s’inscrivant dans une tradition, tout en la vivifiant, et contribue ainsi à l’émergence de nombreuses pépites cinématographiques.
En 1981, voit le jour la société Films Dérives Productions qui inscrit six longs métrages à son actif. Les frères ont ainsi l’occasion d’intervenir sur le film de Gatti, Nous étions tous des noms d’arbres (1982), dont la société liégeoise est coproductrice. En 1983, avec Regarde Jonathan/Jean Louvet, son œuvre, un documentaire suit l’auteur du Train du Bon Dieu à Conversation en Wallonie en passant par L’Homme qui avait le soleil dans sa poche. En 1987, les frères Dardenne réalisent leur premier long métrage de fiction, avec le film Falsch, adaptation d’une pièce de théâtre écrite par René Kalisky, où Bruno Cremer tient le rôle principal. Dans un style oscillant entre théâtre (pour le texte) et cinéma (pour la mise en scène réaliste), le film s’attache au dernier survivant d’une famille juive exterminée par les nazis, abordant le thème de la culpabilité et de la place des survivants dans l’Histoire. Après ce premier passage à la fiction, les frères Dardenne signent Je pense à vous (1992), avec Robin Renucci et Fabienne Babe, dans les rôles principaux. Racontant l’errance d’une femme à la recherche de son mari, ouvrier-sidérurgiste, disparu après avoir perdu son emploi en pleine crise sidérurgique, le film inspiré par Henri Storck et réalisé en collaboration avec le scénariste réputé Jean Gruault, ne convainc pas, ni le public, ni la critique, ni d’ailleurs les deux frères qui sont meurtris par « cette aventure malheureuse ». Solitaires, ils se remettent profondément en question, comme producteurs autant que comme auteurs-réalisateurs.
À partir de 1994, la société « Les Films du Fleuve » est créée pour financer l’ensemble de la production des frères Dardenne qui préparent La Promesse (1996) ; cette maison de production ancrée à Liège a aussi l’ambition de monter des collaborations solides avec des producteurs et des auteurs-réalisateurs étrangers. Il en sera ainsi, par exemple, de Costa-Gavras (Le Couperet), de Ken Loach (La Part des Anges), de Michel Hazanavicius (La plus précieuse des marchandises) ou de Jacques Audiard (avec son Emilia Perez multi-récompensé en 2024 et 2025), pour n’en citer que quelques-uns parmi beaucoup d’autres. Depuis 2001, Les Films du Fleuve ont comme partenaire la maison française de production Archipel35 dirigée par Denis Freyd.
En 1996, Jean-Pierre et Luc Dardenne reviennent avec un 3e long métrage de fiction qu’ils présentent à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes. Tout en révélant Jérémie Renier et Olivier Gourmet, La Promesse contient ce qui sera la signature de l’œuvre des frères Dardenne. Ainsi, leurs principales thématiques touchent au conflit entre enfants et parents, abordent le rapport au travail – plus exactement à l’absence de travail – et présentent une société en perdition, une jeunesse égarée, un monde libéral et exploiteur, ainsi que ses victimes. Le regard du spectateur sur le personnage principal, le plus souvent solitaire et marginal, homme ou femme, évolue à travers les problèmes concrets qu’il rencontre au quotidien, quand il se débat dans sa vie ; c’est cela qui suscite une empathie, puis une réflexion plus globale sur la société. Filmées à l’épaule, les réalisations des Dardenne portent la marque d’un style naturaliste combinant une forme visuelle nerveuse à une histoire qui ne laisse pas indifférent. Quant aux décors, ils ont ce caractère post-industriel que les réalisateurs retrouvent aisément dans le bassin liégeois, en particulier autour de Seraing, leur terrain de jeu de prédilection.
Avec ces ingrédients et une jeune actrice montoise néophyte comme héroïne principale, Jean-Pierre et Luc Dardenne remportent une première Palme d’or au Festival de Cannes, en 1999, avec Rosetta. Jusque-là inconnue, émilie Dequenne reçoit le Prix d’Interprétation féminine. Trois ans plus tard, c’est Olivier Gourmet qui est primé, recevant le Prix d’Interprétation masculine du Festival de Cannes pour son rôle dans Le Fils. En 2005, une nouvelle Palme d’or attend L’Enfant des frères Dardenne, un film qui traite de la précarité et de la rédemption, interprété par Jérémie Renier et Déborah François. En 2008, Le Silence de Lorna, drame sur l’immigration clandestine et les mariages blancs, repart de Cannes avec le Prix du scénario. En 2011, Le Gamin au Vélo remporte le Grand Prix du même Festival cannois : le film aborde le thème de l’adoption sous l’angle d’un jeune garçon, le rôle de la mère d’adoption potentielle étant interprété par Cécile de France.
Cité par la presse et par les critiques comme un des grands favoris à la récompense suprême de la 67e édition du Festival de Cannes (2014), le film des frères Dardenne Deux jours, une nuit n’apparaît pas du tout au palmarès français. Il est toutefois considéré comme le meilleur film belge de 2014 par l’Union de la critique de cinéma qui remet le Prix André-Cavens aux frères Dardenne, leur cinquième après les Prix Cavens 1996, 1999, 2002 et 2005. Mais Deux jours, une nuit brille aussi aux quatre coins du monde, étant multi-récompensé de Sidney jusqu’à New York, en passant par l’Inde ou San Diego : les prix sont aussi bien attribués à Marion Cotillard (nommée aux Oscar pour son rôle d’ouvrière revenue de dépression, obligée de convaincre ses collègues de renoncer à leurs primes pour conserver son emploi), qu’à Fabrizio Rongione (Magritte 2015 du meilleur acteur) ; Prix Lumières du meilleur film francophone 2015 décerné par la presse internationale, Deux jours, une nuit reçoit aussi le Magritte 2015 du meilleur film, tandis que les frères Dardenne obtiennent le Magritte 2015 de la meilleure réalisation. En octobre 2020, en pleine pandémie de Covid-19, ils reçoivent le prestigieux Prix Lumière, attribué par l’Institut Lumière et la métropole de Lyon, pour l’ensemble de leur carrière, prix qui leur est remis par émilie Dequenne.
Les deux réalisateurs ne font cependant pas du cinéma pour les Prix et ils n’ont pas encore fini de filmer, malgré ce qui pourrait apparaître quand le prix Robert-Bresson leur est remis à la Mostra de Venise 2011 pour l’ensemble de leur œuvre. En 2016, entre genre policier et film social, La Fille inconnue offre à Adèle Haenel de camper le rôle principal, dans ce portrait d’une médecin généraliste qui tente de savoir ce qui est arrivé à une patiente disparue le soir où elle lui a fermé sa porte.
En 2019, la 72e édition du Festival de Cannes retient pour la huitième fois un film des frères Dardenne dans sa sélection officielle d’une vingtaine de productions venant du monde entier, toutes en compétition pour la Palme d’or. Avec Le Jeune Ahmed, Luc et Jean-Pierre Dardenne proposent cette fois une réflexion sur la radicalisation islamique en suivant, au plus près, un jeune homme dans sa vie quotidienne. Présentée comme « une ode à la vie » et « un film d’espoir », cette production qui rappelle le style de Rosetta reçoit du jury cannois le Prix de la mise en scène, alors que la Palme d’or est décernée à Parasites du sud-coréen Bong Joon-ho.
En mai 2022, le Festival de Cannes fête sa 75e édition et présente en compétition un riche plateau de 20 films, signés notamment par David Cronenberg, James Gray, Ruben Östlund, Felix van Groeningen, les frères Dardenne ou Lukas Dhont. Les ex aequo du palmarès 2022 témoignent sans doute de l’embarras des jurés à se départager. Mais c’est à Luc et Jean-Pierre Dardenne, et à eux seuls, qu’est attribué le Prix spécial 75e anniversaire, pour Tori et Lokita, histoire de deux jeunes exilés, aux liens indéfectibles, venus du Bénin s’établir dans l’attente de papiers en région liégeoise. Avec ce récit poignant sur la clandestinité, plaidoyer social sur les enfants exilés, les frères Dardenne, fidèles à eux-mêmes, entendent poser « un acte de résistance contre la haine qui se répand de plus en plus ».
Remarqués dans leur pays avant leur consécration internationale, les frères Dardenne ont reçu le Prix Bologne-Lemaire du Wallon de l’Année 1997 pour leur œuvre cinématographique et documentaire en général et pour leur long métrage La Promesse, en particulier. En 2011, Jean-Pierre Dardenne figure parmi les premiers Commandeurs du Mérite wallon, ordre décerné par les autorités wallonnes.
Documentaires et courts métrages
Le Chant du rossignol (1977)
Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois (1979)
Pour que la guerre s’achève, les murs devaient s’écrouler (1980)
R… ne répond plus (1981)
Leçons d’une université volante (1982)
Regarde Jonathan/Jean Louvet, son œuvre (1983)
Il court… il court le monde (1987), court métrage
Dans l’Obscurité (2007), court métrage pour les soixante ans du festival de Cannes
Longs métrages
Falsch (1987)
Je pense à vous (1992)
La Promesse (1996)
Rosetta (1999)
Le Fils (2002)
L'Enfant (2005)
Le Silence de Lorna (2008)
Le Gamin au vélo (2011)
Deux jours, une nuit (2014)
La Fille inconnue (2016)
Le Jeune Ahmed (2019)
Tori et Lokita (2022)
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 16 octobre 2020
Luc Dardenne, Au dos de nos images 1991-2005, Paris, Seuil, La Libraire du XXIe siècle, 2005
Luc Dardenne, Au dos de nos images 2005-2014. II, Paris, Seuil, La Libraire du XXIe siècle, 2015
Luc Dardenne, Au dos de nos images 2014-2022. III, Paris, Seuil, La Libraire du XXIe siècle, 2023
Thierry Roche et Guy Jungblut, Jean-Pierre & Luc Dardenne, Seraing, Crisnée, Yellow Now, 2021
Christine Plenus, Louis Skorecki et Louis Heliot, Sur les plateaux des Dardenne, Actes Sud éditions, 2014
Jean-Pierre, Luc Dardenne, Bruxelles, Luc Pire, 2008
L’envers du décor, https://auvio.rtbf.be/emission/l-envers-de-l-ecran-20623, RTBf, 2004
https://www.cinergie.be/actualites/l-heritage-d-armand-gatti
Louis Héliot, Luc et Jean-Pierre Dardenne. [bio-filmo], Paris, Scope, 1999
https://lesfilmsdufleuve.be/les-freres-dardenne/
https://lesfilmsdufleuve.be/les-films-du-fleuve/
https://lesfilmsdufleuve.be/movies/?s=
https://www.derives.be/presentation
Javier Packer Comyn, « Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois - Tënk [archive] », sur www.tenk.fr, 2019 (s.v. janvier 2025)