Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Statue John COCKERILL

Décédé en 1840 lors d’une mission à Varsovie, John Cockerill laisse une société au bord de la banqueroute tant la diversification des activités est grande et peu maîtrisée. Une importante restructuration soutenue par le gouvernement conduit à la création, en 1842, de la Société Anonyme pour l’Exploitation des Etablissements de John Cockerill, placée sous la direction d’un cousin et neveu par alliance, Gustave Pastor. Les affaires reprennent fortement et la dette s’éteint progressivement. Placée sous la direction d’Eugène Sadoine à partir de 1865, la société connaît une année record en 1872-1873. 

Dans le même temps, le corps de John Cockerill a été embaumé par un médecin polonais et il faut attendre juin 1867 pour qu’il soit rapatrié au cimetière de Seraing. Tandis que la ville de Liège choisit de donner le nom de Cockerill à l’une de ses places, Seraing lance une souscription publique pour élever une statue de fer en l’honneur de son exceptionnel capitaine d’industrie. La conjoncture est plus favorable qu’en 1840. Plus de 50.000 francs sont réunis en subsides communaux et gouvernementaux. Un concours est lancé ; deux sculpteurs sont invités à présenter une maquette et celle d’Armand Cattier (1830-1892) est retenue.

Français né à Charleville et installé à Bruxelles où il a fait ses études à l’Académie, il a eu Louis Jéhotte comme professeur et a fréquenté l’atelier d’Eugène Simonis. Répondant à de nombreuses commandes publiques (hôtel de ville de Bruxelles, les Boduognat, Ambiorix et Vercingétorix pour les portes des fortifications d’Anvers, et bien d’autres allégories souvent du travail voire du progrès) ou privées (bustes), Cattier réalise par ailleurs d’initiative des œuvres inspirées par l’antiquité ou la vie populaire. Parmi les références qu’il peut présenter avant de réaliser la statue de John Cockerill figure une petite statuette en bronze, intitulée Mémorial de l’épidémie de choléra de 1866 (Bruxelles, 1867).

Désigné par les autorités sérésiennes, Armand Cattier livre « une statue de bronze de John Cockerill, la jambe gauche en avant, la main gauche soutenant le coude droit, la main droite soutenant le menton. Derrière lui, un billot contre lequel est appuyée une roue dentée, supporte une enclume enveloppée d’une large feuille (probablement un plan) ». Le bronze est signé sur une partie plate de l’enclume (Armand Cattier / 1870) et « la marque de fonderie (des Bronzes à Bruxelles / Directeur Alph. Verhaeren) se trouve sur un pan de la terrasse, du côté de la roue dentée » (Heirwegh). Le tout prend place sur un socle de petit granit dont la face avant porte le blason de Cockerill, avec ses cinq coqs et sa devise « Courage to the last ». Sous le blason, apparaît sobrement l’inscription gravée dans la pierre :« John Cockerill 1790 – 1840 ».

Par rapport aux statues réalisées précédemment, celle de Cockerill innove totalement par la présence d’une nouvelle iconographie. Sur le côté droit du socle, l’inscription Intelligence est en effet encadrée des figures en pied, réalisée en fonte, d’un Puddleur et d’un Ajusteur, et sur le côté gauche, l’inscription Travail est complétée par les figures d’un Houilleur et d’un Forgeron. D’une hauteur de 2 mètres environ, ces quatre ouvriers identifiables par leurs vêtements et leurs outils constituent une réelle nouveauté dans l’art monumental public de la région. On observera encore qu’à l’avant du monument, au sol, se trouve une grande pierre rectangulaire où apparaît en lettres de bronze le nom de John Cockerill. À l’arrière, un médaillon de bronze a été ajouté en 1885 en hommage à Hubert Brialmont, ingénieur de la société. Un petit parc fleuri, avec des grilles basses, entoure le monument devant lequel on inhuma en 1947 les restes de John Cockerill. 

On observera que si ce dernier a droit à une statue à Seraing et une autre à Ixelles, ainsi que son nom attribué à une rue ou à une place dans trois villes wallonnes, on ne trouve aucune trace à Verviers où William Cockerill était arrivé à la fin du XVIIIe siècle.

 

 

Monument John Cockerill

Hugo LETTENS, La sculpture de 1865 à 1895, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, Bruxelles, CGER, 1990, t. 1, p. 87
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 198
Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 317-318
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 434 et 441-452
Suzy PASLEAU, dans Mémoires de Wallonie, Les rues de Louvain-la-Neuve racontent…, Luc COURTOIS (dir.), Louvain-la-Neuve, Fondation Humblet, 2011, p. 123
Robert HALLEUX, Cockerill. Deux siècles de technologie, Liège, éd. du Perron, 2002
Suzy PASLEAU, John Cockerill, Itinéraire d’un géant industriel, Liège, éd. du Perron, 1992, p. 73
Ed. MORREN dans Biographie nationale, t. 4, col. 230-239
 

 

 

Place de l’Hôtel de ville

4100 Seraing

carte

Paul Delforge

Cockerill William

Conception-Invention, Socio-économique, Entreprise

Lancashire /1759, Behrensberg (Aix-la-Chapelle) 23/01/1832

Père de John et Charles-James Cockerill, William est un artisan qui cherche à faire fortune et n’hésite pas à quitter son Angleterre natale pour réussir. D’origine irlandaise, « jennymaker » de profession, William Cockerill est un mécanicien qui déborde d’inventivité. Il connaît les mécanismes de la machine à filer la laine qui procure aux Anglais un avantage sur tous leurs rivaux. Résolu à développer sur le continent les procédés mécaniques nouvellement découverts sur son île, il brave les interdits que son pays impose pour empêcher la concurrence, se rend en Russie en 1794, puis en Suède et en Allemagne. Personne n’est cependant disposé à entendre les moyens qu’il préconise pour améliorer les outils en filature lorsqu’il croise la route d’un agent commercial d’une firme verviétoise. À Hambourg, en 1798, William Cockerill s’entretient en effet avec Henri Mali : celui-ci finit par le convaincre de rejoindre les bords de la Vesdre où son patron, Ywan Simonis, est disposé à l’héberger après avoir payé ses frais de transports depuis Hambourg.

Saisissant ce qui paraît être sa dernière chance, William Cockerill vient s’établir à Verviers (en 1799 semble-t-il) ; il est installé dans une dépendance de l’usine « au Chat » et, en secret, met au point ses idées au profit exclusif du patron lainier verviétois. Dès le 29 décembre 1800, la filature Simonis dispose d’un moulin activé par trois personnes qui produisent 400 écheveaux  par jour, ce qui remplace le travail de 100 personnes ! Cockerill construit encore d’autres machines à carder et à filer la laine pour les fabriques Biolley et Simonis, en accordant à leur société l’exclusivité de ses inventions. Très vite, le succès est au rendez-vous : les innovations de W. Cockerill vont propulser l’industrie lainière verviétoise au premier rang mondial. « Le temps du rouet avait vécu, c’était le début de la mécanisation de l’industrie lainière ».

Pour se défaire du contrat d’exclusivité qui le lie aux Biolley-Simonis, William Cockerill fait venir d’Angleterre un ouvrier qualifié, James Hodson, qui deviendra son beau-fils. Celui-ci monte son propre atelier de construction de machines, qui trouve très rapidement des commandes auprès des industriels de la laine. Avec les fils Cockerill, Hodson fournit librement des moulins dès 1803 aux filatures J-N. David, Godart, Leloup et Meunier, puis dans une seconde vague aux Dethier, Godin, Duesberg, Peltzer, Hauzeur, Sauvage.

En dépit de l’hostilité qui règne entre Anglais et Français en cette période troublée (Verviers est l’une des villes de la République française puis de l’empire napoléonien depuis 1795), les mécaniciens anglais que sont William et ses enfants – en l’occurrence William (1783-1847), James (1787-1837) et John (1790-1840) – peuvent continuer à œuvrer en terres liégeoises. D’ailleurs, en 1807, ils s’installent dans la cité ardente, au pied du pont des Arches d’abord, au Pont des Jésuites (future place Cockerill), ensuite lorsque l’atelier devint trop petit. Les Cockerill y fabriquent de nombreuses machines et y développent ce qui deviendra la grande sidérurgie du bassin de Liège. S’ils contribuent ainsi au décollage de la révolution industrielle dans l’est wallon, les Cockerill sont considérés comme des traîtres en Angleterre… En 1810, William Cockerill reçoit la grande naturalisation française et, en 1812, se retire des affaires, fortune faite. Décédé près d’Aix-la-Chapelle, William Cockerill est enterré au cimetière de Spa.

 

Sources

Pierre LEBRUN, L’industrie de la laine à Verviers pendant le XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, Liège, 1948, p. 234-241
Michel ORIS, dans POTELLE Jean-François (dir.), Les Wallons à l’étranger, hier et aujourd’hui, Charleroi, Institut Destrée, 2000, p. 127
P.M. GASON, Histoire des sciences et des techniques. John Cockerill et le nouveau monde industriel, Seraing, 1995
Suzy PASLEAU, Itinéraire d’un géant industriel, Liège, 1992
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 328
Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Biographie nationale, t. IV, col. 229-230
Paul LÉON, Ywan Simonis, dans Biographie nationale, t. XLIII, col. 651-660
Anne-Catherine DELVAUX, Inventaire des archives de la Société Cockerill Sambre (Groupe Arcelor) Siège de Seraing (1806-2005), Bruxelles, AGR, 2011, Archives de l’État de Liège, n°113