Paul Delforge

Plaque Richard HEINTZ

Plaque commémorative Richard Heintz, réalisée à l’initiative du Comité des amis de Richard Heintz, 22 septembre 1935

C’est au bord de l’Ourthe, en mai 1929, que la mort vient surprendre Richard Heintz (1871-1929) alors qu’il recherche la meilleure lumière pour son prochain tableau. A-t-il glissé ? A-t-il été victime d’un malaise ou d’une congestion ? Il semble en tout cas que l’artiste est tombé dans la rivière, où il a été retrouvé sans vie. Au lendemain de sa brutale disparition, ses amis décident de former un comité pour mieux faire connaître son œuvre et lui rendre durablement hommage (1930). Une grande rétrospective est organisée à Liège à la fin du printemps 1931, avant que le comité n’inaugure, le 22 septembre 1935, dans le cadre des Fêtes de Wallonie, une série de lieux de mémoire dont un monument dans le village de Sy-sur-l’Ourthe et une plaque commémorative apposée au bord de la rivière où il aimait se rendre et qui l’inspira dans nombre de ses tableaux.

Natif de Herstal, Richard Heintz avait fait ses premiers pas artistiques à l’Académie de Gand (1887), avant de parfaire sa formation à l’Académie de Liège (1888-1892). La Mer du Nord, l’Ardenne et l’Italie (où il séjourne de 1906 à 1912 grâce à une bourse de la Fondation Darchis) sont ses premiers modèles. Ses explorations lui permettent de découvrir les secrets des jeux de la lumière et il commence à créer ses propres couleurs. Considéré comme « impressionniste par sa recherche de la sensation du moment, il se distingue cependant des principaux représentants français par sa technique plus large et sa palette plus grasse et souvent plus sombre, ses bleus profonds notamment » (Parisse). Sa manière de peindre est aussi plus impulsive. S’il ne professe pas à l’Académie de Liège, Heintz est considéré comme un maître à peindre, et ses disciples sont nombreux. De tempérament solitaire, il trouve à Sy son paradis. Il y revient régulièrement et, pour s’en rapprocher encore davantage, décide d’habiter à Nassogne à partir de 1926.

Dans un premier temps, le Comité Richard Heintz (que préside Olympe Gilbart, aidé d’Armand Rassenfosse comme vice-président de Jules Bosmant comme secrétaire) envisage d’ériger un mémorial sur la Roche Noire. Pour des raisons techniques, le Comité décide que le monument sera installé dans le hameau de Sy, à hauteur de la route de Filot. Par contre, le « rocher du Sabot » est retenu pour qu’y soit apposée une plaque commémorative où sont gravés les mots suivants :


AU PIED DE CE ROCHER
RICHARD HEINTZ
LE MAÎTRE DE SY ET LE PEINTRE DE L’ARDENNE
EST MORT SUBITEMENT
– LE 26 MAI 1926 –
DANS SA CINQUANTE HUITIEME ANNÉE

Peut-être est-ce Adelin Salle, déjà sollicité pour réaliser la stèle en pierre bleue et le médaillon de la route Filot, qui a réalisé cette plaque. Les sources sont muettes sur la question.

Pour trouver le « rocher du Sabot », l’endroit où se situe la plaque, il faut emprunter la rive droite de l’Ourthe, en suivant le chemin de Sy. En venant de la gare de Sy, il faut traverser la rivière grâce à la passerelle métallique, passer sous la dite passerelle et marcher quelques dizaines de mètres avant d’apercevoir la plaque commémorative le long du chemin, sur le côté droit. C’est ce chemin qu’empruntèrent notamment en 1954 les nombreux invités au 25e anniversaire de sa disparition : un comité local avait donné rendez-vous pour des discours devant les deux monuments de Sy et organisé une exposition rétrospective dans un des hôtels de Sy.

Plaque Richard Heintz (Sy – au lieu-dit le Rocher du Sabot)


Sources


La Vie wallonne, août 1929, CVII, p. 294-296 ; octobre 1931, CXXXV, p. 62-67 ; octobre 1935, CLXXXII, p. 59-62 ; IV, n°260, 1952, p. 305
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 148
Jacques PARISSE, Richard Heintz 1871-1929. L’Ardenne et l’Italie, Liège, éd. Mardaga, 2005
Liliane SABATINI, Le Musée de l’Art wallon, Bruxelles, 1988, collection Musea Nostra
W. LEMOINE, dans Biographie nationale, t. 35, col. 370-373
Serge ALEXANDRE, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996 
Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe et de ses affluents, avril-juin 1954, n° 159, p. 67-70

Lieu-dit le Rocher du Sabot, 
Au bord de l’Ourthe sur le chemin de Sy
4190 Sy

carte

Paul Delforge

Paul Delforge

Stèle Richard HEINTZ

Stèle Richard Heintz, réalisée par Adelin Salle, 22 septembre 1935. 

Au décès de Richard Heintz, en mai 1929, ses amis forment un comité pour mieux faire connaître son œuvre et lui rendre durablement hommage (1930). Une grande rétrospective est organisée à Liège à la fin du printemps 1931, avant que le comité n’inaugure, le 22 septembre 1935, une série de lieux de mémoire dont un monument dans le village de Sy-sur-l’Ourthe. C’est dans ce hameau, en effet, que le peintre avait découvert les paysages qui l’inspiraient le plus. Ayant pris résidence à Nassogne, il se rendait souvent sur les bords de l’Ourthe, mais aimait aussi s’inspirer des horizons qu’offraient Stoumont, sur les bords de l’Amblève, ainsi que Redu, les sources de la Lesse et les forêts de Nassogne.


Natif de Herstal, en 1871, Heintz avait fait ses premiers pas artistiques à l’Académie de Gand (1887), avant de parfaire sa formation à l’Académie de Liège (1888-1892). La Mer du Nord, l’Ardenne et l’Italie (où il séjourne de 1906 à 1912 grâce à une bourse de la Fondation Darchis) sont ses premiers modèles. Ses explorations lui permettent de découvrir les secrets des jeux de la lumière et il commence à créer ses propres couleurs. Considéré comme « impressionniste par sa recherche de la sensation du moment, il se distingue cependant des principaux représentants français par sa technique plus large et sa palette plus grasse et souvent plus sombre, ses bleus profonds notamment » (Parisse). Sa manière de peindre est aussi plus impulsive. S’il ne professe pas à l’Académie de Liège, Heintz est considéré comme un maître à peindre, et ses disciples sont nombreux. De tempérament solitaire, il trouve à Sy son paradis. Il y revient régulièrement et, pour s’en rapprocher encore davantage, décide d’habiter à Nassogne de 1926 à 1929. C’est au bord de l’Ourthe qu’en mai 1929 la mort viendra le surprendre alors qu’il recherchait la meilleure lumière pour son prochain tableau.
Dans un premier temps, le Comité Richard Heintz (que préside Olympe Gilbart, aidé d’Armand Rassenfosse comme vice-président de Jules Bosmant comme secrétaire) envisage d’ériger un mémorial sur la Roche Noire. Pour des raisons techniques, le Comité opte finalement pour le hameau de Sy, à hauteur de la route de Filot. C’est là qu’une stèle en pierre bleue portant un médaillon est inaugurée le 22 septembre 1935, période des Fêtes de Wallonie, en présence de nombreux amis du peintre, de personnalités des mondes politiques et culturels liégeois et wallons. Dans ses discours, Olympe Gilbart classe Richard Heintz « parmi les peintres qui expriment avec la plus loyale tendresse la terre wallonne » et souligne que « son » comité a voulu « honorer celui qui a traduit avec la plus totale sincérité toutes nos émotions devant les arbres, les eaux et les rochers des Ardennes ».


Sollicité pour figer dans le marbre la personnalité du « peintre de Sy », le statuaire Adelin Salle relève le défi par un monument sobre. La stèle arrondie en pierres bleues supporte un médaillon de grande taille, en bronze, présentant le profil droit de Richard Heintz. Ayant été formé à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, sa ville natale, après avoir travaillé quelques années dans la forge paternelle, Adelin Salle s’avère un portraitiste doué (Zénobe Gramme et César Franck) qui, comme nombre de ses collègues sculpteurs, est fortement sollicité au lendemain de la Grande Guerre pour réaliser des monuments aux victimes du conflit mondial (par ex. le monument aux lignes assyriennes du Sart-Tilman). Dès cette époque, il fait preuve d’un style classique qu’il n’abandonnera jamais. Outre des compositions allégoriques et divers sujets religieux, Adelin Salle n’est pas encore très connu quand il est sollicité pour le mémorial R. Heintz. Mais une certaine notoriété l’attend en 1937 quand il est fait appel à lui sur le chantier du Lycée de Waha et lorsqu’il signe une statue en marbre blanc, représentant en pied la reine Astrid présentant le prince de Liège. Après la Seconde Guerre mondiale, l’architecte Georges Dedoyard lui confie une partie de la décoration du pont des Arches (1947-1948). S’il est aussi nommé professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1944 à 1949, Adelin Salle ne connaît pas l’aisance, lui qui ne vit que pour son art qu’il pratique quotidiennement dans son atelier de Cointe. Il s’éteint à Tilff en juillet 1952, localité où il avait signé un coq très reconnaissable sur le monument aux morts.


 

Stèle Richard Heintz

 

Sources



La Vie wallonne, août 1929, CVII, p. 294-296
La Vie wallonne, octobre 1931, CXXXV, p. 62-67
La Vie wallonne, octobre 1935, CLXXXII, p. 59-62
La Vie wallonne, IV, n°260, 1952, p. 305
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 689-690 et t. II, p. 394
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 148
Jacques PARISSE, Richard Heintz 1871-1929. L’Ardenne et l’Italie, Liège, éd. Mardaga, 2005
Liliane SABATINI, Le Musée de l’Art wallon, Bruxelles, 1988, collection Musea Nostra
W. LEMOINE, dans Biographie nationale, t. 35, col. 370-373
Serge ALEXANDRE, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996

Route de Filot
4190 Sy

carte

Paul Delforge

Ista Georges

Culture, Bande dessinée, Lettres wallonnes

Liège 12/11/1874, Paris 6/01/1939

Artiste touche à tout avec un égal talent, Georges Ista a animé la vie culturelle wallonne sur les scènes liégeoises durant les années précédant la Grande Guerre. Avec Maurice Wilmotte, il contribue à l’organisation du premier Congrès de l’Association internationale pour la Culture et l’Extension de la Langue française (1905). Autre facette de la riche personnalité de Georges Ista, il apparaît comme l’un des pionniers de la bande dessinée qu’il pratique de « façon moderne » dès le début du XXe siècle.

Dessinateur, aquafortiste, peintre, graveur sur armes, Ista a hérité de ses ancêtres tapissiers-garnisseurs d’une grande sensibilité artistique, à laquelle il ajoute un grand souci d’exactitude et un esprit certain de fantaisie, ce qui ravit le public liégeois. Alors qu’Édouard Remouchamps et Henri Simon font le triomphe du théâtre dialectal wallon de la fin du XIXe siècle, le jeune Georges Ista dénonce une certaine facilité et en appelle à davantage de rigueur, voire d’exigence artistique. Il s’en explique dans une série d’articles publiés dans La Revue wallonne avant de se lancer lui-même dans l’écriture dramatique : entre 1905 et 1912, il écrit et fait jouer huit comédies qui sont autant d’études de mœurs, de portraits ciselés de « types locaux », dont la finesse conduit à l’universel. Avec Qui est-ce qu'est l'maîsse ?, Mitchî Pèquèt, Madame Lagasse et Li babô, il fait les beaux jours du Pavillon de Flore et du « nouveau » théâtre communal wallon aidé par la ville de Liège.

Cependant, il aspire à d’autres horizons. Chroniqueur dans la presse liégeoise (Journal de Liège 1906-1912, L’Express 1913-1914), il se fixe à Paris dès 1909, et fait carrière dans la presse française, où il publie d’innombrables articles. Cela ne l’empêche pas de rester en contacts avec les Wallons, de continuer à collaborer à La Lutte wallonne (1911-1914), ou d’envoyer à L’Express sa chronique intitulée Hare èt hote. Défenseur de la langue wallonne autant que de la langue française, il contribue à donner une définition au régionalisme qu’il entend comme un moyen de diminuer les excès de la centralisation et comme un moyen d’atteindre une vraie égalité entre les hommes (Wallonia, 1913).

Rentré de Paris alors que la Première Guerre mondiale n’est pas encore finie, il s’installe à Sy, avec le peintre Richard Heintz (1917). Après l’Armistice, il repart définitivement à Paris où il vit de sa plume. Auteur littéraire (drames, contes, nouvelles, comédies, opérettes, revues locales, romans, chroniques, fantaisies), auteur de romans en français, Ista était l’un des nègres littéraires de Henri Gauthier-Villard, dit Willy, le célèbre critique parisien, écrivain, auteur d’une centaine d’ouvrages dont les premiers romans de Colette. À Paris, Ista a écrit notamment dans Comoedia, La Petite République, Le Rire, Le magasin pittoresque, Le Sourire, L’Œuvre, etc.

En 1975, Daniel Droixhe s’interrogeait sur la contribution de Georges Ista à une authentique tradition wallonne de la caricature ; récemment, on a (re)découvert que Georges Ista fut un excellent raconteur d’histoires qui utilisa la bande dessinée comme moyen d’expression. « Fait très rare pour l’époque dans l’imagerie, il développe ses histoires autour de héros récurrents qu’il suit au fil de leurs aventures. (…) Contrairement à la grande majorité – sinon l’ensemble – des auteurs de l’époque, Ista élève par ailleurs la pratique au rang de métier et fait, pendant une quinzaine d’années, de la bande dessinée de manière soutenue » (Fr. Paques). 

Sources

Paul DELFORGE, Georges Ista, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 854-855
Daniel DROIXHE, La Vie wallonne, IV, 1975, n°352, p. 204-207
Jacques PARISSE, Richard Heintz, 1871-1929 : l’Ardenne et l’Italie, Sprimont, Mardaga, 2005, p. 75
Maurice WILMOTTE, Mes Mémoires, Bruxelles, 19149, p. 120- et ssv

Œuvres principales

Titine est bizêye !, (revue, Pavillon de Flore)
Mon-n-onke Djouprèle, 1905 (théâtre)
Qui est-ce qu'est l'maîsse ?, 1905 (théâtre)
Li rôze d’argint, 1906 (théâtre)
Pire ou pa, 1907 (théâtre)
Mitchî Pèkèt, 1908 (théâtre)
Madame Lagasse, 1909 (théâtre)
Li veûl'ti, 1910 (théâtre)
Noyé Houssârt, (théâtre)
Moncheû Mouton, (théâtre)
Li bâbô, 1912 (théâtre)
La vertu de Zouzoune
Boukète èmacralêye (poème)
Li pètard (poème)
Pièrot vique co, 1922 (revue, Pavillon de Flore)

© Musée ducal Bouillon

Raty Albert

Culture, Peinture

Bouillon 17/08/1889, Vresse 17/05/1970

« Véritable créateur de l’École de la Semois » (Stiennon) sans nul doute avec Marie Howet, cet ami de Richard Heintz avec lequel il partage le goût des paysages ardennais est parvenu à développer une facture particulièrement originale. Ses peintures à l’huile jouent avec la lumière et le relief, les nuages, les rivières et les arbres, et provoquent le regard tant ses éclairages sont contrastés.

Élève du peintre français Ernest Blanc-Garin à Bruxelles et de Lucien Simon à Paris, redevable aussi à l’aquarelliste Jeanne Delville et au sculpteur Louis-Henry Devillez, l’artiste de Bouillon a surtout été fasciné par Vresse et son « petit pont ». Artiste sourd et muet, Raty installe d’ailleurs son atelier dans ce village, le long de la Semois, non sans entreprendre quelques voyages, en Bretagne ou en Provence. Portant un regard attentif sur la vie quotidienne qui l’entoure, Raty se fait aussi le photographe de son temps.

Prix des Amis de l’Art wallon (avril 1930), association fondée par Jules Destrée, le talent d’Albert Raty commence à être reconnu à l’entame des années trente. Cet encouragement renforce l’artiste dans la maîtrise de son art, « résolument moderniste quant à la structuration de la composition et au modelé des formes, artisan de la synthèse et magicien de la suggestion - utilisant la lumière comme l’instrument du mouvement qu’il faire naître ».

 

Sources

Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 158
Jacques STIENNON, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995, p. 325
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p. 269 et 275
France BASTIA, Mon pays Ardenne, dans La Revue générale, juin-juillet 2000
Guy GILQUIN, Peintre de Vresse, Peintre de l’Ardenne, Virton, 1976
Liliane SABATINI (dir.), Un double regard sur 2000 ans d’art wallon, Tournai, La Renaissance du Livre - Crédit communal, 2000, coll. Références, p. 430
Jacques STIENNON (dir.), De Roger de la Pasture à Paul Delvaux, Cinq siècles de peinture en Wallonie, Bruxelles, 1998, p. 215
Philippe DESTATTE, Entre ardennitude et belgitude, Albert Raty : enchanteur de la Wallonie (30 juin 2000)

Gérardy Paul

Culture, Poésie, Militantisme wallon

Maldange 15/02/1870, Bruxelles 01/06/1933

« Ah ! Si vous pouviez me dire de quelle nationalité je suis, si vous pouviez me donner une nationalité ! (…) Je suis de mon village et cela me suffit. Mon village est quelque part en Wallonie et comme il n’y a pas encore de nationalité wallonne, je préfère attendre et rester uniquement de mon village. Mais ce village lui-même, il a si souvent changé de nationalité officielle que finalement ses naïfs habitants eux-mêmes s’y perdent et parfois ils voudraient bien être Belges, s’ils pouvaient concevoir l’existence d’une nationalité belge » ([mai] 1913). Ces paroles sont celles de Paul Gérardy, né en 1870 entre Vielsalm et Saint-Vith, et résolument tourné vers Liège par son éducation en français et ses contacts littéraires, tout en entretenant d’intimes contacts avec la culture allemande. Cette tension se manifeste également dans son œuvre qui voit Gérardy partagé entre son goût de poète symboliste verlainien et un esprit caustique qui se défoule dans des pamphlets mordants.

Orphelin à douze ans, accueilli chez son oncle à Liège, il étudie au collège Saint-Servais, puis au petit séminaire à Saint-Trond avant d’entamer des candidatures en Philosophie et Lettres (1890-1891) à l’Université de Liège, sans avoir le courage de les achever. Là, il croise la route de peintres (Donnay, Heintz…) et d’écrivains wallons (Edmond Rassenfosse, Mockel…) ou étrangers comme l’allemand Stephan George ou le français André Gide. Avec Charles Delchevalerie qui a frayé avec Albert Mockel et a pris part à l’expérience littéraire de la revue symboliste La Wallonie jusqu’à sa fin en 1892, Paul Gérardy crée Floréal avec l’ambition de donner une seconde vie à La Wallonie défunte et de glorifier « l’âme wallonne ». Directeur de l’éphémère revue mensuelle (1892-1893) qui finira par fusionner avec Le Réveil de Gand dont il sera membre du comité de rédaction (janvier 1894-), Gérardy cherche sa voie : écriture, traduction, en français ou en allemand, poésie, pamphlet ou roman. De 1893 à 1894, il fonde encore la revue Les Tablettes wallonnes et tente de faire connaître des artistes wallons en Allemagne.

Poète, il s’inscrit dans « l’internationale symboliste et le cosmopolitisme » de son temps. C’est l’époque de ses Chansons naïves (1892) et de ses Roseaux (1898). Partagé entre ses deux cultures d’origine, il écrit pour une grande partie en français, pour un tiers en allemand, cherchant la meilleure inspiration dans les deux cultures, et apportant sa collaboration à la revue Blätter für die Kunst (1892-1904). Sa recherche artistique en langue allemande s’arrêtera avec la Grande Guerre. Marié en 1894, il séjourne régulièrement en Allemagne, devient journaliste pour La Réforme à Bruxelles et, à la mort de son oncle (1896), quitte Liège pour Bruxelles, puis Paris (1903), en rêvant de Munich, voire de créer un hebdomadaire artistique français à Berlin.

Critique artistique, il découvre et fait aussi découvrir James Ensor dont il devient l’ami (1903). Quand sa plume devient plus acérée, le pamphlétaire attaque de front et de façon virulente le roi Léopold II, en dénonçant l’affairisme belge et l’absence d’intellectualité des habitants du royaume. Publiés à Paris, Les carnets du roi (février 1903) – série de conseils judicieux que délivrait Léopold II à l’adresse du jeune prince héritier – rencontre un tel succès public (10.000 exemplaires) que la justice belge tente d’en arrêter la diffusion. Cela irrite davantage encore la plume de Gérardy qui réplique par Le chinois tel qu’on le parle. Lettre ouverte aux juges de mon pays ([mai] 1913), pamphlet déjà cité où, dénonçant « l’affligeante décrépitude intellectuelle des (…) Pays-Plats », il écrit avoir vu « (…) que tout, tout dans ce pays n’est qu’illusion, hypocrisie et mensonge et que le pays même n’est qu’une fiction, qu’une illusion, qu’un mensonge de la politique.  Deux races qui ne se comprennent pas et qui se haïssent et dont l’une – inférieure – tend à oppresser l’autre ; deux peuples opposés et ennemis par leurs origines, par leur langage, par leurs croyances, par leurs intérêts peuvent-ils former une nation ? (…) Réveillez-vous, Wallons de Wallonie, endormis dans un mauvais bouge ! ». Les écrits anonymes de Gérardy secouent d’autant plus l’opinion publique qu’ils sortent à la même époque que l’interrogation Belges ou français du comte Albert Du Bois. Poursuivant dans le genre politico-pamphlétaire, Gérardy rencontre moins de succès avec Le grand roi Patacake qui prend cette fois l’empereur Guillaume II comme cible : peut-être s’agit-il de se défendre de l’accusation de pangermanisme portée contre l’auteur des Carnets du roi.

Jugeant sans doute la veine épuisée, l’homme de lettres se tourne vers les chiffres. De juin 1899 à avril 1902, il dirige un hebdomadaire financier, la Gazette coloniale, moniteur des intérêts belges à l’étranger. Par ailleurs, il prospecte, tente de faire fortune en investissant dans les colonies et de faire fructifier son patrimoine en spéculant sur les hausses de la bourse. Réfugié à Londres durant la Grande Guerre, il y publie Une cité belge sur la Tamise (1917), sous le pseudonyme de Justin Wallon. Après l’Armistice, le journaliste financier concèdera au poète le temps d’écrire ses Quatorze extraits du Bestiaire d’Hortensius, seule œuvre d’après-guerre.

Sources

Jean-Marie D’HEUR et Armand NIVELLE (dir.), Autour de Paul Gérardy. Médiateurs & Médiations littéraires & artistiques à l’époque du Symbolisme entre l’Allemagne, la Belgique & la France : études présentées au colloque de littérature comparée de Liège (19-21 mars 1980), Liège, 1984
Paul Gérardy et ses amis, catalogue d’exposition, Cabinet des Estampes, Musée du Parc de la Boverie, Liège, 20 mars-20 avril 1980
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 206
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 425
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 402
Ernst LEONARDY, Hubert ROLAND, Deutsch-belgische Beziehungen im kulturellen und literarischen Bereich, 1890-1940, Peter Lang, 1999, p. 62-64
Association des romanistes de l’Université de Liège (éditeur scientifique), Paul Gérardy (1870-1933) : sa correspondance avec Stefan George (1892-1903) ; (suivi de) Le Chinois tel qu’on le parle (1903), dans Marche romane, t. XXX, 1-2, 1980
René FAYT, Paul Gérardy et les carnets du roi, dans Marginales, décembre 1974, n°163
L’influence du symbolisme français dans le renouveau poétique de l’Allemagne, p. 421-473- (s.v. octobre 2013)

Œuvres principales

Recueil de poèmes 

Les chansons naïves, 1892
Pages de joie, 1893
Les Roseaux, (Mercure de France) 1898

Pamphlets 

ULTOR, La Revanche de la crapule, 1895 (dédié à Camille Lemonnier)
Carnets du roi, 1903
Le Chinois tel qu’on le parle, 1903
Le grand roi Patacake

Essais 

Wallonische Künstler, dans Die Allgemeine Kunst-Chronik, Muncih, 1894
Les petits essais d’enthousiasme. À la gloire de Böcklin, Liège, 1895
L’âme allemande, dans Mercure de France, 1896
L’œuvre de Bismarck, dans Mercure de France, 1897
Ultor, préface de Léon TROCLET, Le Catéchisme du conscrit socialiste, 1897
Le Conquérant (roman inachevé) 1906-1907
Justin WALLON, Une cité belge sur la Tamise, Londres, 1917

Heintz Richard

Culture, Peinture

Herstal 25/10/1871, Sy 26/05/1929

« Peintre de l’Italie mais surtout de la Wallonie et en particulier de l’Ardenne, Richard Heintz a annexé l’Ardenne au domaine plastique. Il a découvert ses possibilités picturales, il a créé ses poncifs, son « bleu », lointain, écho de ceux de Patinier, son vrai visage que nul après lui ne pourra ignorer. Il est considéré comme impressionniste par sa recherche de la sensation du moment. Il se distingue cependant des impressionnistes français par sa technique plus large et sa palette plus grasse et souvent plus sombre, ses bleus profonds notamment ». Bien que ne disposant pas de chaire académique, le peintre de Sy est considéré comme un maître à peindre, animateur de la vie artistique et, de son vivant déjà, nombreux sont ses disciples malgré son tempérament de solitaire.
 

Sources

PARISSE Jacques, Richard Heintz 1871-1929. L’Ardenne et l’Italie, Liège, éd. Mardaga, 2005
SABATINI Liliane, Le Musée de l’Art wallon, Bruxelles, 1988, collection Musea Nostra
Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
La Wallonie à l’aube du XXIe siècle, Namur, Institut Destrée, Institut pour un développement durable, 2005
DELFORGE Paul, Cent Wallons du Siècle, Liège, 1995
LEMOINE W., Biographie nationale, 1969-1970, t. 35, col. 370-373
Histoire de la Wallonie, (dir. L. Genicot), Toulouse, Privat, 1973, p. 468
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. III, p. 266-269, 336

Sous l’Ancien Régime - et particulièrement durant les guerres de religion - nombreux sont les Wallons qui émigrent pour des raisons financières, culturelles ou spirituelles. D’Amérique en Chine, en passant par la France, la Suède et l’Égypte, plusieurs d’entre eux ont ainsi marqué de leur empreinte indélébile leur pays d’accueil. Retrouvez ici leurs parcours et leurs réalisations emblématiques qui, aujourd’hui encore, témoignent de leur savoir-faire.