Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam
Mémorial Guillaume LEKEU
Mémorial Guillaume Lekeu, réalisé par Adolphe Wansart, 27 septembre 1936.
À l’initiative d’un comité local, un mémorial Guillaume Lekeu est inauguré à Verviers, le 27 septembre 1936. Aucune date anniversaire liée à Lekeu ne motive cet événement qui s’inscrit résolument dans le cadre des Fêtes de Wallonie.
Depuis la décision prise par l’Assemblée wallonne en 1913, celles-ci s’organisent grâce au dévouement de cercles privés dans les derniers jours de septembre ; la présence à Verviers du ministre François Bovesse – dont chacun sait qu’il a relancé la dynamique des fêtes de Wallonie à Namur, au début des années 1920 – rehausse l’événement. Au nom du comité verviétois, son vice-président, M. Herla, remet le mémorial entre les mains des autorités verviétoises qui s’engagent à en assurer la préservation. Au nom des Artistes wallons de Bruxelles, René Lyr vante les qualités du jubilaire : « Sans Lekeu, il manquerait quelque chose à la musique (…). Il a apporté dans l’art musical une note originale et nouvelle, un sentiment, une couleur d’âme unique, que l’on retrouve à chaque page, à tel point que l’on reconnaît immédiatement sa phrase musicale (…) » qu’il tenait de son sol natal, de son pays wallon.
Intégrant sa culture wallonne à la formation « franckiste » qu’il reçoit à Paris et aux encouragements d’Ysaye qui l’a repéré, Guillaume Lekeu s’est très vite révélé un musicien, mais surtout un compositeur d’exception. Alors qu’il s’apprêtait à inscrire son nom dans l’histoire de la musique en Wallonie au XIXe siècle, son talent a été prématurément écrasé par le typhus. À 24 ans, le Verviétois (1870-1894) mourait en effet à Angers, où les affaires retenaient constamment sa famille, laissant de trop rares compositions. « Le monument s’élève, l’œuvre demeure, l’art est vivant », conclut François Bovesse lors de son discours qui salue également la réalisation d’Adolphe Wansart (1873-1854).
Portraitiste de talent, ce Verviétois est un artiste qui s’est adonné dans sa carrière autant à la sculpture qu’à la peinture. Formé au dessin aux Académies de Verviers et de Liège, avant de prendre des cours de peinture à l’Académie de Bruxelles, marié à la peintre Lucie De Smet, il s’est installé dans la capitale belge (Uccle), où il se signale d’abord par ses tableaux aux lignes simples et aux couleurs vives.
Arrivé à la sculpture vers 1900, celui qui avait été l’un des élèves de Van der Stappen travaille autant le bois que la pierre ou le bronze. On le retrouve aussi médailleur. Laissant volontiers son imagination l’inspirer, l’artiste fréquente les Salons et s’y impose comme un « important représentant de l’école moderniste ».
Sollicité sur des chantiers d’envergure internationale (expositions de Paris en 1925, de Bruxelles en 1935, de Paris en 1937 et de Liège en 1939), il répond aussi à des commandes privées ou officielles, réalisant aussi bien des bustes (Jean Tousseul, Pierre Paulus) que des œuvres plus monumentales, comme l’ensemble dédié à Jean Del Cour à Hamoir. Cet exemple montre que Wansart exécute volontiers des bas-reliefs.
On retrouve sa signature sur l’un d’eux, à savoir sur le Pont des Arches de Liège (où il illustre, en 1948, la période bourguignonne/Moyen Âge) ou sur sa fresque du Grand Palais des Sports de Coronmeuse (lors de l’Exposition de l’Eau de 1939). C’est précédé de sa réputation acquise sur le monument Del Cour que Wansart est appelé à réaliser le mémorial Guillaume Lekeu dans sa ville natale. Ici, il ne représente pas le musicien lui-même, mais sa muse, debout, la tête inclinée sur sa lyre. Il sculpte l’ensemble dans la pierre blanche et la pose sur un premier socle, lui-même accueilli sur un piédestal presque cubique (en ciment ?) où est gravée la dédicace sur la face avant :
A GUILLAUME
LEKEU
1870-1894
La Vie wallonne, novembre 1927, LXXXVII, p. 70-75
La Vie wallonne, octobre 1936, CXCIV, p. 66-68
Le Thyrse, 1er novembre 1936, n°11, p. 348
Luc VERDEBOUT, Correspondance, Guillaume Lekeu, introduction, chronologie et catalogue des œuvres, Liège, Mardaga, 1993
J. ROBIJNS, dans Biographie nationale, t. 37, col. 522-526
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 775
http://balat.kikirpa.be/photo.php?path=M150784&objnr=10105107 (s.v. mai 2014)
Isabelle VERHOEVEN, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996
Square reine Astrid (près du Grand Théâtre)
4800 Verviers
Paul Delforge
Arts populaires par excellence, la musique, le cinéma et la bande-dessinée ont vu plusieurs artistes wallons s’imposer comme des références dans leur domaine. D'Eugène Ysaye aux frères Dardenne en passant par l’école de Marcinelle en bande-dessinée, retrouvez dans cette leçon la diversité et la créativité d’auteurs qui ont donné leurs lettres de noblesse à ces disciplines.
Ysaÿe Eugène
Culture, Musique
Liège 16/07/1858, Bruxelles 12/05/1931
Dans la lignée des virtuoses wallons, le nom d’Eugène Ysaÿe s’inscrit en lettres d’or à la suite des François Prume, Guillaume Lekeu et autre Henri Vieuxtemps. Véritable étoile internationale, Ysaÿe a marqué sa génération. « Maître de Chapelle de la Cour de Belgique », il a créé et donné son nom à un concours de très grande réputation, le Concours Ysaÿe (1937), qui deviendra par la suite le Concours musical international reine Elisabeth (1951).
Entré au Conservatoire de Liège à l’âge de 7 ans, il en est chassé quatre ans plus tard en raison des critiques de son père (musicien lui-même) envers l’enseignement qui y est dispensé. Par hasard, Vieuxtemps croise la route du jeune Eugène Ysaÿe et est impressionné par son talent. Le maître verviétois obtient sa réintégration au Conservatoire, dans la classe de Rodolphe Massart. Premier Prix au Conservatoire de Liège (1873), Ysaÿe est désormais sous l’aile tutélaire de Vieuxtemps qui lui octroie une bourse et lui permet ainsi de suivre les leçons du Polonais Wieniawski, soliste à la cour de St-Pétersbourg et remplaçant de Vieuxtemps à l’Académie de Bruxelles, avant de le faire venir à Paris, sous sa direction (1877).
Accueilli ensuite à Cologne, Ysaÿe devient premier violon à Berlin (1880), où viennent l’écouter Franz Litz et Arthur Rubinstein. Moscou, Oslo accueillent ensuite le prodige pour lequel écrivent spécialement les plus grands (Debussy, Saint-Saëns, Fauré…). Continuateur de Vieuxtemps, Ysaÿe, devenu à son tour célèbre, conservera l’esprit de son maître, défendra et imposera la musique de ses amis et des jeunes qu’il aura, à son tour, reconnus (notamment comme professeur au Conservatoire de Bruxelles de 1886 à 1898). Il exerce ainsi une influence déterminante sur la musique de son temps en Wallonie.
Organisateur du Quatuor à cordes Ysaÿe (1894), créateur des Concerts Ysaÿe (1895-1914), de la Société de Concerts symphoniques, il parcourt l’Europe et l’Amérique à partir de 1883 ; il donne cent concerts par saison, comme chef d’orchestre et violoniste virtuose ; directeur musical de l’Orchestre symphonique de Cincinnati (1918-1921), Ysaÿe reste constamment en contact avec sa ville natale, ainsi qu’avec Bruxelles (où il professe 12 ans au Conservatoire), et passe régulièrement du temps dans sa maison de campagne à Godinne-sur-Meuse (La Chanterelle).
Véritable étoile internationale, ses partenaires s’appellent Rachmaninov, Rubinstein, Clara Haskil, Pablo Casals ; il interprète Bach et Beethoven, mais aussi des compositeurs français de l’école franckiste, ainsi que Grétry, Lekeu, Vieuxtemps, Jongen, Vreuls et Théo Ysaÿe. Les critiques qui saluent le son de son archet sont dithyrambiques. Il crée les œuvres les plus représentatives de son temps ; il écrit de nombreuses pièces pour violon mais ce sont surtout ses Six Sonates pour violon seul qui constituent « le chef-d’œuvre d’un homme à la fin de son automne, qui sait tout sur le violon et qui en renouvelle la technique en même temps que l’expressivité » (J-J. Servais).
Des problèmes de santé mettent un terme à la carrière de concertiste, mais l’enseignant et le compositeur restent actifs. Une jeune élève américaine de 45 ans sa cadette qu’il a épousée en secondes noces le pousse à réaliser un projet qui lui tient particulièrement à cœur : la composition d’un opéra inspiré d’un incident tragique auquel il a assisté dans sa jeunesse lors de violentes grèves à Liège. Une femme avait été tuée en tentant d’éloigner une bombe placée par son mari sous la fenêtre du patron. L’opéra Pier li Houyeu, dont le livret est en wallon, est créé au Théâtre royal de Liège le 4 mars 1931 ; Ysaÿe très diminué entend sa retransmission à la radio ; très peu de temps après, se brise définitivement la corde de son violon.
Sources
José QUITIN, Biographie nationale, t. 33, col. 763-778
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. III
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. IV
Paul DELFORGE, Cent Wallons du Siècle, 1995
Œuvres principales
Six sonates pour violon, op. 27 dédiées à de grands violonistes et composées selon leur style (Joseph Szigeti S1, Jacques Thibaud S2, Georges Enesco S3, Fritz Kreisler S4, Mathieu Crickboom S5, Manuel Quiroga S6)
10 préludes (études) pour violon seul, op. posth.
Sonate à 2 violons (dédiée à la Reine Élisabeth)
Sonate pour violoncelle seul, op. 28
Poème élégiaque, op. 12 (Roméo & Juliette) pour violon et orchestre
Scène au rouet, op. 13 pour violon et orchestre
Chant d'hiver, op. 15 pour violon et orchestre
Poème de l'Extase, op. 21 pour violon et orchestre
Poème de l'amitié, op. 26 pour 2 violons et orchestre
Poème Nocturne, op. 29 pour violon, violoncelle et orchestre
Harmonie du soir, op. 31 pour quatuor solo et orchestre à cordes
Exil !, op. 25 pour orchestre à cordes sans basses
Fantaisie pour violon et orchestre, op. 43,
Divertimento, op. 24
Piére li houyeû, Opéra en wallon, 1931
© Eugène Ysaÿe (s.d.), Paul Delforge
Lekeu Guillaume
Culture, Musique
Heusy 20/01/1870, Angers 21/01/1894
Dans l’histoire de la musique en Wallonie au XIXe siècle, des grands noms émergent, parmi lesquels celui de Guillaume Lekeu dont le talent a été prématurément écrasé par le typhus. Né à Verviers où son père tenait commerce de laines, le jeune homme voit très tôt sa vie partagée entre Poitiers, Paris et Angers où les affaires retiennent constamment la famille, et Verviers d’autre part, où les racines sont entretenues durant les périodes de congé. D’un côté comme de l’autre, entre la ville de Franck et la cité de Vieuxtemps, Guillaume Lekeu s’adonne à la musique. Intégrant sa culture wallonne à la formation « franckiste » qu’il reçoit à Paris et aux encouragements d’Ysaye qui l’a repéré, il se révèle un musicien mais surtout un compositeur d’exception.
Oeuvres principales
Andromède, cantate de concours, (second Prix de Rome)
Fantaisie symphonique sur deux airs populaires angevins, 1892
Trois poèmes avec orchestre, 1892
Sonate pour violon et piano commandée par Ysaye, 1893
Quatuor avec piano inachevé, 1893
Sources
VERDEBOUT Luc, Correspondance, Guillaume Lekeu, introduction, chronologie et catalogue des œuvres, Liège, Mardaga, 1993
Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
La Wallonie à l’aube du XXIe siècle, Namur, Institut Destrée, Institut pour un développement durable, 2005
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), Bruxelles, t. III, p. 403-404
Histoire de la Wallonie, (dir. L. Genicot), Toulouse, Privat, 1973, p. 396-398
ROBIJNS J., Biographie nationale, 1971-1972, t. 37, col. 522-526
Paul Delforge
Franck César
Culture, Musique
Liège 10/12/1822, Paris 8/11/1890
Identifié très jeune comme un virtuose exceptionnel, c’est tardivement que César Franck se révèle finalement comme l’un des plus grands compositeurs wallons du XIXe siècle, jouissant – comme Guillaume Lekeu – d’une réelle réputation internationale.
La transformation institutionnelle de nos régions, aux époques française, hollandaise puis belge, influe fortement sur la formation des jeunes musiciens, à l’heure où résonnent encore le Chant du Départ de Méhul ou les airs d’opéra de Grétry. À Bruxelles et à Liège, les nouvelles écoles de musique qui sont créées vont faire émerger de jeunes talents, dont César Franck, figure emblématique de la musique en Wallonie au XIXe siècle.
Particulièrement doué et surtout très appliqué, Franck maîtrise très vite le piano et devient répétiteur en harmonie alors qu’il n’a pas encore douze ans. Grand prix de solfège et piano (1834), il impressionne son professeur d’harmonie, Daussoigne-Méhul, neveu du grand Méhul, qui guide le jeune homme vers Paris. Encouragé par un père qui veut faire de son fils un virtuose international, le jeune prodige n’échappe pas à la monstration commerciale de son talent. Heureusement, Franck trouve des maîtres, comme Anton Reicha (il a formé Liszt et Berlioz), pour l’obliger à travailler et à améliorer sa technique. Au Conservatoire de Paris, formé parfaitement au piano, à l’orgue, au contrepoint et à la fugue, son talent lui vaut de remporter tous les prix (1838-1841) ; alors que le prestigieux Prix de Rome lui tend les bras, le père Franck le retire du conservatoire. Cette précipitation paternelle à en faire une vedette lui aliène les soutiens indispensables d’un milieu capable de passer rapidement de l’admiration à la jalousie envers ce César Franck de Liège. En 1845, César Franck se résout à rompre avec son impresario de père.
Installé à Paris, il réalise ses premières compositions : Trio op.1 (1843), Ce qu’on entend sur la montagne (poème symphonique, 1845), et Le valet de la ferme (opéra, 1851). Pianiste accompagnateur aux concerts de l’Institut musical d’Orléans (1845-1863), il reste longtemps un simple organiste d’église et un professeur de piano par obligation matérielle. Quelque peu marginalisé au regard de ses débuts tonitruants, César Franck va ravir les oreilles de privilégiés comme Vincent d’Indy, Charles Bordes, Chausson, Duparc, Chabrier, Magnard, Debussy, lorsqu’il joue aux claviers de son Aristide Cavaillé-Coll, dans la nouvelle église Sainte-Clotilde ; il en est l’organiste titulaire de 1859 à 1890.
Nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Paris (1872), César Franck, qui a pris la nationalité française pour accéder à ce poste, fait de sa classe un foyer de création extrêmement actif. Lui-même s’adonne fébrilement à la composition où il introduit un procédé cyclique : un même thème réapparaît dans les différents mouvements qui composent l’œuvre. De 1874 à 1890, sa créativité fait naître une foule d’oratorios, de ballets, de pièces pour orgue et pour piano, des variations symphoniques, une sonate pour violon… Ses Béatitudes et le Quintette sont des œuvres qui l’imposent comme une figure maîtresse de la fin du siècle. « Les trois chorals, écrits en 1890, sont une sorte de testament spirituel dans lequel il opère une synthèse monumentale des possibilités techniques de son époque ».
La Légion d’honneur lui est remise en 1885 ; l’année suivante, il devient président de la Société nationale de musique. Alors qu’une statue est élevée à sa mémoire dans le square de Sainte-Clotilde à Paris (1904), Jules Destrée comme Albert Mockel n’auront de cesse de saluer le talent de Franck et de son école. L’influence franckiste sur la musique ne survivra pas à la Grande Guerre.
« On a pu parler de ‘franckisme’ parce qu’à travers les œuvres de ses disciples, un langage véritablement collectif a été recréé qui a prétendu représenter la ‘modernité’, mais qui, en s’opposant à Debussy, est apparu bientôt comme un bastion des traditions » (Wangermée). Rénovateur de la musique religieuse, Franck a été « le restaurateur d’un art noble et rigoureux qui cherchait ses références auprès des maîtres du passé (Bach, Beethoven) et qui voulait s’inscrire sans rupture dans une évolution continue à travers les siècles du langage de la musique occidentale » (idem).
Sources
FRANCK César D’INDY, César Franck, 1987
DUFOURCQ Norbert, Biographie nationale, Bruxelles, t. 33, col. 322-335
EMMANUEL Maurice, César Franck, Paris, 1930. Coll. Les musiciens célèbres
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 189
Oeuvres principales
Grand concerto pour piano et orchestre n°2, en sol mineur, opus 11, 1835
Le Valet de ferme, opéra, 1851
Six pièces pour grand orgue (1860-1862) Op. 16
Les Béatitudes, oratorio, 1869
Rédemption, 1874
Variations symphoniques pour piano et orchestre, 1885
Quintette pour piano et cordes en fa mineur, 1879
Hulda, opéra, 1882
Quatuor à cordes en ré majeur, 1889
Choral, pour orgue, 1890
Photographe inconnu, Paul Delforge