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Caille Pierre

Culture, Gravure, Sculpture

Tournai 11/01/1912, Bruxelles 24/10/1996


Céramiste, sculpteur, graveur, « Pierre Caille avait (…) commencé une carrière de peintre qu’il n’a d’ailleurs jamais abandonnée. En 1935, il obtient le prix Rubens (qui était à l’époque l’équivalent du prix de la Jeune Peinture), ce qui lui vaut un séjour d’un an à Paris. C’est à ce moment qu’il entend parler du concours lancé par l’État belge en prévision de l’exposition de Paris consacrée aux Arts et Techniques et qui devait s’ouvrir en 1937. Il y participe en exposant des projets de tissus et de papiers peints qui sont retenus. Mais Henry van de Velde l’oriente vers la céramique qu’il n’avait jamais pratiquée. N’empêche qu’il avait déjà exposé chez Giroux des modelages (oiseaux et cavaliers), démontrant ainsi une formation de sculpteur. Il aborde donc la céramique avec l’acquis de la couleur et de la forme, mais sans aucun préjugé technique. C’est la raison pour laquelle il a été accueilli, selon sa propre expression, avec hilarité, par la très sérieuse firme de La Louvière à laquelle Henry van de Velde l’avait adressé pour exécuter la commande destinée à Paris. Pierre Caille voulait créer des pièces d’un bleu profond, ornées d’animaux calligraphiés sur l’émail cru au moyen d’un piquant de porc-épic. Bien qu’on lui eût vite fait comprendre que c’était irréalisable techniquement, les pièces ont été cuites et envoyées à Paris où elles ont recueilli un grand succès grâce à leur fraîcheur et à leur nouveauté. Dans la monographie consacrée à l’artiste, en 1950, Paul Fierens dit : « Ce fut un succès dont la firme industrielle et commerciale tira même quelque vanité, sans imaginer d’ailleurs qu’il pourrait être intéressant et profitable de s’assurer pour l’avenir la collaboration d’un Pierre Caille ou simplement de poursuivre l’expérience ».
« Pierre Caille était désormais ‘mordu’ par la céramique. Comme on lui avait fait comprendre qu’il ne pouvait, même à titre gracieux, continuer sa collaboration avec la firme de La Louvière, il s’inscrit au cours de céramique de l’I.S.A.D. (La Cambre) où il désespère le professeur par sa manie d’émailler les pièces à cru. Jusqu’à ce jour, c’est la technique qu’il a toujours employée avec le succès que l’on connaît, car Pierre Caille savait que les Chinois ont obtenu ainsi leurs plus beaux émaux. Ses nouvelles études terminées, il s’achète un four et continue à travailler seul, avec la même absence de préjugés techniques, ce qui l’amène à créer des œuvres mixtes, mélangeant la céramique, le bois, le métal ou les émaux cuits et la peinture. Cela donne des œuvres monumentales. Peu importe les matières employées, pourvu que le résultat soit atteint et il l’est toujours pour notre plus grande délectation. Car le même non-conformisme qui le caractérise dans la technique se ressent aussi dans l’esprit des œuvres. Avant d’analyser celles-ci, je dois redire et préciser que ce non-conformisme dans le travail n’altère en rien la qualité technique : celle-ci est impeccable et je soupçonne Pierre Caille d’être un grand paresseux, comme d’ailleurs tous les grands inventeurs, car il recherche le maximum de qualité avec un minimum d’efforts. La source d’inspiration principale de Pierre Caille est le folklore. Mais il s’agit de s’entendre sur le mot. Ce n’est pas une recherche d’archéologie populaire tournée pieusement vers le bon vieux temps, mais une recherche vivante qui plonge ses racines dans ce que nos traditions ont conservé de plus poétique et aussi d’irrévérencieux. Son imagination, sans cesse en éveil, saisit au vol l’idée et la traduit en image. Cette image devient volume et couleur, tantôt d’une simplicité rigoureuse, tantôt d’une richesse lyrique pour atteindre au mieux le caractère expressif souhaité. Un autre caractère frappant est la monumentalité des œuvres. Même si elles sont de petites dimensions, l’artiste leur donne une ampleur qui les transfigure. Il atteint à l’universel car, en vérité, il ne cherche pas à faire de la céramique, mais à utiliser des matières premières, terre et émail, comme toute autre matière qui s’offrirait à un peintre-sculpteur pour s’exprimer en toute liberté. C’est là aussi une des faces de son art : la liberté de faire ce dont il a envie. Sans songer aux modes, à l’avis des critiques, il exprime sa pensée, son état d’esprit du moment comme il estime qu’il doit le faire ».
« Depuis quelques années, des « ateliers créatifs » fleurissent partout : sous prétexte de liberté totale, on y crée des quantités de choses molles qui se laissent cuire au four. Il serait malséant de comprendre dans ce sens la liberté de Pierre Caille. Celui-ci a une vision lucide et poétique de son époque et il donne son avis sur celle-ci en utilisant librement, sans dogmatisme, tous les moyens offerts par la technique pour atteindre sans détour l’essentiel de sa pensée. Il passe ses journées à faire ce qu’il a envie de faire, simplement parce qu’il sait ce qu’il veut faire ».
« Il faut également parler de son rôle de professeur. De 1948 à 1976, Pierre Caille a formé des générations de céramistes à l’École nationale supérieure d’Architecture et des Arts visuels (ENSAAV, La Cambre). Sa pédagogie, toute de finesse et d’intuition, consistait à ne rien imposer, mais à faire sentir, à révéler à l’élève où se trouvait l’essentiel de ses qualités, et cela par de petites remarques, des silences parfois ou, au contraire, par des considérations apparemment éloignées de la céramique ».

FRANÇOIS Pierre, dans WPH04, p. 206-208
DE KEYZER Eugénie, Nouvelle Biographie nationale, 2003, t. VII, p. 41-46