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Cognioul Jules

Socio-économique, Entreprise

Marcinelle 1872, Marcinelle 01/10/1952

Si le nom de Jules Cognioul est définitivement associé à sa chanson En Wallonie et, par conséquent, s’il est rangé parmi les chanteurs du pays wallon, la vie du Carolorégien ne doit pas être réduite à ce qui n’était chez lui qu’une passion. Ainsi est-il d’abord, pendant un demi-siècle, l’un des deux responsables de la fonderie familiale, active à Marcinelle. Avec ses trois frères, il fut aussi l’un des pionniers du cyclisme en Wallonie au tournant des XIXe et XXe siècles ; en 1905, il fut membre-fondateur du « Charleroi Cyclist Union ». Amateur de la langue wallonne, il est encore membre fondateur du Cercle wallon de Charleroi.

En l’absence de conservatoire et de cours de chant dans le pays de Charleroi, Cognioul découvre très tôt, par lui-même, qu’il dispose à la fois d’une bonne voix et d’une belle aisance sur scène. Il se produit sur diverses tribunes pour le plaisir, avant de prendre cette activité plus au sérieux, quand, en 1889, l’un de ses concerts connaît un franc succès au sein du groupe les Buttoëres, société à but philanthropique. Il compose ou arrange de nombreuses chansons et les interprète ; il reprend aussi certains succès, mais en s’efforçant toujours de leur apporter un supplément d’âme et d’originalité. Espérant faire carrière dans la chanson à Paris, il s’apprête à partir en tournée à travers la France (1898), lorsque ses frères l’enjoignent de s’intéresser davantage à l’entreprise familiale. La scène sera désormais un hobby pour celui qui prend en charge le volet commercial de la fonderie de cuivre installée à Marcinelle.

Depuis 1805, et l’installation d’un atelier de chaudronnerie en cuivre avec fonderie à Charleroi, les Cognioul sont bien connus dans le val de Sambre ; en 1864, à la deuxième génération, une nouvelle usine voit le jour à Marcinelle-Villette, avec fonderie, atelier de parachèvement et chaudronnerie. C’est cette entreprise que, deux générations plus tard, Jules et son frère Édouard prennent en main, succédant à leur père et à leur oncle. Médaille d’or à l’Exposition universelle de Charleroi en 1911, la société Cognioul et sa vingtaine d’ouvriers prospèrent dans l’entre-deux-guerres, occupant près d’une centaine de personnes avant la Seconde Guerre mondiale. En 1950, recevant l’Ordre de la Couronne, le patron organise un banquet à l’intérieur de l’usine, réunissant des personnalités et tous les membres du personnel. C’est l’occasion pour lui d’évoquer le rôle de son frère Édouard (décédé pendant la guerre), fondeur en quête d’une qualité irréprochable pour les produits Cognioul, que lui, Jules, s’est employé à vendre sur tous les marchés.

C’est par conséquent un patron-chanteur qui va connaître le succès sur les planches pendant de nombreuses années. Cognioul exprime d’abord ses talents musicaux lors de banquets de cercles d’art, de sociétés industrielles et commerciales, auprès de groupements professionnels comme les magistrats, les militaires, etc. Très régulièrement, avant la Grande Guerre, les œuvres caritatives bénéficient des retombées financières des « tournées » de Cognioul (Œuvre du Vestiaire des Écoles de Bois d’Haine, Université populaire de Haine-St-Pierre, Association des Anciens de l’École industrielle supérieure de Charleroi, Œuvre des Nourrissons, etc.). Chanteur comique, il trouve un juste équilibre, évitant de tomber dans le burlesque ou le trivial.

S’il interrompt ses spectacles au début de la Grande Guerre, il reprend progressivement ses activités de divertissement en adaptant son répertoire aux circonstances. Lors de manifestations destinées à venir en aide aux prisonniers, combattants, invalides, veuves ou orphelins, ses chansons glissent un message patriotique et se veulent des soutiens à la résistance au temps de guerre. C’est d’ailleurs sous l’occupation allemande que Cognioul croise la route d’Orsini Dewerpe.

Jusque-là, le chanteur était accompagné au piano par son épouse ; à partir de 1916, il trouve en Orsini Dewerpe un comparse complice qui fera de la paire Cognioul-Dewerpe un duo musical très prisé pendant tout l’Entre-deux-Guerres. Orsini Dewerpe enrichit le répertoire du chanteur de compositions particulièrement adaptées tant à la voix et au style de Cognioul qu’au public et à l’époque. Sous l’occupation allemande, Dewerpe, sous le pseudonyme de Schaunard, signe une petite dizaine de textes à la fibre patriotique ; certaines indisposent la censure ; toutes connaîtront un franc succès au moment de l’Armistice. Dans l’Entre-deux-Guerres, Cognioul est servi par d’autres chansons écrites par son accompagnateur musical : En Wallonie, Le Vin de France, La Wallonne, Pour quelques cheveux blancs, Wallons chantons, À la Française, Joli château du temps jadis, etc., Dewerpe dédie aussi à Jules Cognioul On n’est jamais vieux quand on chante. Quant à la chanson En Wallonie, elle est dédiée à Paul Pastur qui fut un grand ami d’enfance de Jules Cognioul, lorsque, en culottes courtes, ils sillonnaient les prairies du quartier de la Villette. Le père Pastur tenait une tannerie, celui de Cognioul, on l’a vu, une fonderie. Plus tard, un des fils de Paul Pastur épousera une fille de Jules Cognioul.

Jusqu’en 1943, année de la disparition de Dewerpe, le duo reste solidement uni et cette complicité liée à leur talent explique le succès d’un spectacle solidement rôdé. Entre les deux guerres, l’associatif sollicite en permanence le duo Cognioul-Dewerpe. Les trésoriers des associations wallonnes, cercles d’officiers, harmonies, Fédération des Anciens Combattants, ou des Invalides, les œuvres en faveur des enfants, des pauvres, des vieillards, etc. doivent beaucoup aux spectacles organisés grâce aux deux artistes bénévoles. Ami de Maurice Des Ombiaux, Cognioul partage avec l’écrivain tant son intérêt pour la Wallonie que pour le bien manger. L’aide apportée par Cognioul aux œuvres françaises, sans distinction, lui vaudra, en 1925, la Médaille d’argent de la Reconnaissance française. En 1919, Cognioul est nommé membre à vie de la Commission d’Assistance publique de Marcinelle. Bénéficiant des progrès de la technique, la voix de Jules Cognioul passa sur les ondes radiophoniques et fut enregistrée sur quelques disques qui restent rares néanmoins.

Sources

René DEMEURE, Une vie en chansons. Jules Cognioul. Chantre de Wallonie. 1872-1954, Charleroi, [1963]
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 107-108