De Croy Charles III

Militaires, Politique

Beaumont 01/07/1560, Beauffort en Artois 12/01/1612

D’origine picarde, les Croÿ sont des nobles installés en Hainaut à la suite du duc de  Bourgogne Philippe le Hardi (1363-1404). Philippe Ier de Croÿ s’est illustré dans une âpre lutte d'influence qui l’opposait à Charles le Téméraire, le propre fils du duc Philippe Le Bon. Après diverses péripéties, il témoignera d’une fidélité sans faille à la cause bourguignonne, soutenant Charles le Téméraire avant de se mettre au service de Marie de Bourgogne. Son fils, Henri de Croÿ ( ? -1514) recevra le titre de duc d’Aerschot, titre transmis jusqu’à Charles III de Croÿ : celui-ci est donc le petit-fils de Philippe II de Croÿ (1496-1549) et le fils de Philippe III de Croÿ, duc d’Aerschot (1526-1595), et de Jeanne-Henriette de Hallewyn, dame de Comines et d’Halluin. Charles naît quelques années après l’abdication de Charles Quint, que sa famille sert depuis de nombreuses années. Au cœur de provinces gouvernées par des princes espagnols, les idées réformées se sont rapidement propagées et des enjeux politiques ajoutés.

Dès l’âge de 17 ans, le jeune Charles reçoit divers commandements militaires au service du roi d’Espagne. Affecté auprès de son père, il est à Anvers puis à Namur en 1577. Puis il est fait prisonnier avec son père par les Gantois. Seul, il parvient à s’évader.

La formation catholique que le jeune de Croÿ a commencé à recevoir est mise en doute par les idées humanistes et protestantes qui circulent à l’époque. Catholique romain convaincu, il est troublé par la conviction calviniste de sa première épouse, Marie de Brimeu (1550-1605). Après leur mariage imposé par le père de Charles (1580), celui qui a reçu la charge de la principauté de Chimay se convertit aux idées de Calvin et tourne le dos à Philippe II. Devenu seigneur de Comines et Halluin après le décès de sa mère (1581), il rejoint les rangs des États-Généraux réunis à Anvers, soutenus par le prince d’Orange et le duc d’Anjou (1582). Au contact des chefs révolutionnaires protestants, les certitudes du jeune de Croÿ s’étiolent et, début 1583, il abandonne leur camp et s’isole dans son château de Beveren. Sollicité par les notables de Bruges, rejoints par ceux de Gand et d’Ypres, de Croÿ est propulsé à la tête d’une sorte de gouvernement général de Flandre (été 1583) et reçoit le commandement « d’un corps d’infanterie de quatre mille Wallons ». Entre solides passes d’armes et négociations serrées, de Croÿ parvient, en mai 1584, à réconcilier les provinces catholiques flamandes avec le roi d’Espagne. Se séparant de sa première épouse, il abjure ses idées réformées et se reconvertit à la foi catholique. Rentré dans le camp de Philippe II, il accompagne le prince de Parme dans diverses opérations militaires, prenant même le commandement de plusieurs compagnies au nom des Gouverneurs espagnols (1585-1590).

Général des bandes d’ordonnance des Pays-Bas, engagé dans le nord de la France, voire du côté de la Bretagne (1590-1591), il est récompensé pour ses faits d’armes. Nommé successivement Grand d'Espagne de la première classe (1592), lieutenant-gouverneur et capitaine-général, ainsi que grand bailli des pays et comté de Hainaut avec la ville de Valenciennes, il est fait colonel de vingt enseignes formant un régiment de quatre mille Wallons (1593). Comme grand bailli du Hainaut, il succède à Emmanuel de Lalaing et exerce cette fonction jusqu’à sa mort, en 1612. Entre-temps, au décès de son père (1595/6), il hérite de nombreux titres et propriétés, dont pour principal le duché d'Aerschot, la principauté de Château-Porcien, les comtés de Beaumont et de Seninghem, les seigneuries d'Avesnes, Lillers, Quiévrain, Esclaibes, Beveren, les franches-terres de Fumay et Revin. Charles de Croÿ est encore nommé gouverneur et capitaine-général du comté d'Artois (1597), avant d’être l’un des négociateurs du Traité de Vervins (1598). Fait chevalier de la Toison d’Or (1599), il est nommé membre du Conseil d’État (1600). Continuant à manier les armes, il vainc aussi ses adversaires quand il participe aux États-Généraux, dont il est l’un des représentants de la noblesse du Brabant.

Quelques mois après le décès de son épouse dont il était séparé (1605), il se marie avec sa cousine germaine, Dorothée de Croÿ. Retiré des affaires publiques, Charles de Croÿ se consacre alors aux arts et à tous les plaisirs de l’existence, disposant d’un train de vie digne des grandes maisons royales. En fait, c’est une vraie vie de cour qui s’établit à Beaumont, autour de Charles de Croÿ, dans les premières années du XVIIe siècle. Poète rabelaisien à ses heures, il confie à sa seconde épouse le soin d’illustrer ses recueils de sonnets et autres chansonnettes. « Ami des arts », il continue de se constituer plusieurs collections d’œuvres majeures (peintures, médailles, beaux livres, meubles, vaisselles et tapisseries), tout en entretenant et embellissant ses domaines, à Beaumont, comme à Chimay, Héverlée ou Bruxelles. Par son entourage, il fait dresser l’état de ses biens et propriétés, puis étend cette description littéraire, peinte et dessinée à tout le Hainaut, bien au-delà de ses seules propriétés. C’est l’artiste Adrien de Montigny qui exécute ce travail exceptionnel. Entamé vers 1590, le cartulaire administratif des terres de Comines, Halluin et Chimay se présente sous la forme de plans, cadastres et perspectives cavalières des châteaux et villages ; il se complète d’une série de gouaches représentant la vue de localités du comté de Hainaut (1596-1598). À partir de 1607, ses nouvelles propriétés sont cadastrées et illustrées, tandis que les gouaches tentent de cerner toutes les localités du Hainaut, mais aussi du duché de Brabant et des comtés de Namur, Flandre, Artois et Picardie.

Avec le temps, cet ensemble a été dispersé à travers le monde. « Photographie » exceptionnelle du sud des Pays-Bas espagnols au tournant des XVIe et XVIIe siècles, l’œuvre commanditée par Charles de Croÿ a fait l’objet d’une reconstitution patiente au XXe siècle. En 23 volumes imprimés, plus de 2.500 vues apportent désormais le témoignage unique d’une époque révolue.

 

Sources

Marcel TRICOT, Vivre à Beaumont, (s.v. juin 2013)
Général GUILLAUME, dans Biographie nationale, t. IV, col. 544-552