Gérardy Paul

Culture, Poésie, Militantisme wallon

Maldange 15/02/1870, Bruxelles 01/06/1933

« Ah ! Si vous pouviez me dire de quelle nationalité je suis, si vous pouviez me donner une nationalité ! (…) Je suis de mon village et cela me suffit. Mon village est quelque part en Wallonie et comme il n’y a pas encore de nationalité wallonne, je préfère attendre et rester uniquement de mon village. Mais ce village lui-même, il a si souvent changé de nationalité officielle que finalement ses naïfs habitants eux-mêmes s’y perdent et parfois ils voudraient bien être Belges, s’ils pouvaient concevoir l’existence d’une nationalité belge » ([mai] 1913). Ces paroles sont celles de Paul Gérardy, né en 1870 entre Vielsalm et Saint-Vith, et résolument tourné vers Liège par son éducation en français et ses contacts littéraires, tout en entretenant d’intimes contacts avec la culture allemande. Cette tension se manifeste également dans son œuvre qui voit Gérardy partagé entre son goût de poète symboliste verlainien et un esprit caustique qui se défoule dans des pamphlets mordants.

Orphelin à douze ans, accueilli chez son oncle à Liège, il étudie au collège Saint-Servais, puis au petit séminaire à Saint-Trond avant d’entamer des candidatures en Philosophie et Lettres (1890-1891) à l’Université de Liège, sans avoir le courage de les achever. Là, il croise la route de peintres (Donnay, Heintz…) et d’écrivains wallons (Edmond Rassenfosse, Mockel…) ou étrangers comme l’allemand Stephan George ou le français André Gide. Avec Charles Delchevalerie qui a frayé avec Albert Mockel et a pris part à l’expérience littéraire de la revue symboliste La Wallonie jusqu’à sa fin en 1892, Paul Gérardy crée Floréal avec l’ambition de donner une seconde vie à La Wallonie défunte et de glorifier « l’âme wallonne ». Directeur de l’éphémère revue mensuelle (1892-1893) qui finira par fusionner avec Le Réveil de Gand dont il sera membre du comité de rédaction (janvier 1894-), Gérardy cherche sa voie : écriture, traduction, en français ou en allemand, poésie, pamphlet ou roman. De 1893 à 1894, il fonde encore la revue Les Tablettes wallonnes et tente de faire connaître des artistes wallons en Allemagne.

Poète, il s’inscrit dans « l’internationale symboliste et le cosmopolitisme » de son temps. C’est l’époque de ses Chansons naïves (1892) et de ses Roseaux (1898). Partagé entre ses deux cultures d’origine, il écrit pour une grande partie en français, pour un tiers en allemand, cherchant la meilleure inspiration dans les deux cultures, et apportant sa collaboration à la revue Blätter für die Kunst (1892-1904). Sa recherche artistique en langue allemande s’arrêtera avec la Grande Guerre. Marié en 1894, il séjourne régulièrement en Allemagne, devient journaliste pour La Réforme à Bruxelles et, à la mort de son oncle (1896), quitte Liège pour Bruxelles, puis Paris (1903), en rêvant de Munich, voire de créer un hebdomadaire artistique français à Berlin.

Critique artistique, il découvre et fait aussi découvrir James Ensor dont il devient l’ami (1903). Quand sa plume devient plus acérée, le pamphlétaire attaque de front et de façon virulente le roi Léopold II, en dénonçant l’affairisme belge et l’absence d’intellectualité des habitants du royaume. Publiés à Paris, Les carnets du roi (février 1903) – série de conseils judicieux que délivrait Léopold II à l’adresse du jeune prince héritier – rencontre un tel succès public (10.000 exemplaires) que la justice belge tente d’en arrêter la diffusion. Cela irrite davantage encore la plume de Gérardy qui réplique par Le chinois tel qu’on le parle. Lettre ouverte aux juges de mon pays ([mai] 1913), pamphlet déjà cité où, dénonçant « l’affligeante décrépitude intellectuelle des (…) Pays-Plats », il écrit avoir vu « (…) que tout, tout dans ce pays n’est qu’illusion, hypocrisie et mensonge et que le pays même n’est qu’une fiction, qu’une illusion, qu’un mensonge de la politique.  Deux races qui ne se comprennent pas et qui se haïssent et dont l’une – inférieure – tend à oppresser l’autre ; deux peuples opposés et ennemis par leurs origines, par leur langage, par leurs croyances, par leurs intérêts peuvent-ils former une nation ? (…) Réveillez-vous, Wallons de Wallonie, endormis dans un mauvais bouge ! ». Les écrits anonymes de Gérardy secouent d’autant plus l’opinion publique qu’ils sortent à la même époque que l’interrogation Belges ou français du comte Albert Du Bois. Poursuivant dans le genre politico-pamphlétaire, Gérardy rencontre moins de succès avec Le grand roi Patacake qui prend cette fois l’empereur Guillaume II comme cible : peut-être s’agit-il de se défendre de l’accusation de pangermanisme portée contre l’auteur des Carnets du roi.

Jugeant sans doute la veine épuisée, l’homme de lettres se tourne vers les chiffres. De juin 1899 à avril 1902, il dirige un hebdomadaire financier, la Gazette coloniale, moniteur des intérêts belges à l’étranger. Par ailleurs, il prospecte, tente de faire fortune en investissant dans les colonies et de faire fructifier son patrimoine en spéculant sur les hausses de la bourse. Réfugié à Londres durant la Grande Guerre, il y publie Une cité belge sur la Tamise (1917), sous le pseudonyme de Justin Wallon. Après l’Armistice, le journaliste financier concèdera au poète le temps d’écrire ses Quatorze extraits du Bestiaire d’Hortensius, seule œuvre d’après-guerre.

Sources

Jean-Marie D’HEUR et Armand NIVELLE (dir.), Autour de Paul Gérardy. Médiateurs & Médiations littéraires & artistiques à l’époque du Symbolisme entre l’Allemagne, la Belgique & la France : études présentées au colloque de littérature comparée de Liège (19-21 mars 1980), Liège, 1984
Paul Gérardy et ses amis, catalogue d’exposition, Cabinet des Estampes, Musée du Parc de la Boverie, Liège, 20 mars-20 avril 1980
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 206
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 425
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 402
Ernst LEONARDY, Hubert ROLAND, Deutsch-belgische Beziehungen im kulturellen und literarischen Bereich, 1890-1940, Peter Lang, 1999, p. 62-64
Association des romanistes de l’Université de Liège (éditeur scientifique), Paul Gérardy (1870-1933) : sa correspondance avec Stefan George (1892-1903) ; (suivi de) Le Chinois tel qu’on le parle (1903), dans Marche romane, t. XXX, 1-2, 1980
René FAYT, Paul Gérardy et les carnets du roi, dans Marginales, décembre 1974, n°163
L’influence du symbolisme français dans le renouveau poétique de l’Allemagne, p. 421-473- (s.v. octobre 2013)

Œuvres principales

Recueil de poèmes 

Les chansons naïves, 1892
Pages de joie, 1893
Les Roseaux, (Mercure de France) 1898

Pamphlets 

ULTOR, La Revanche de la crapule, 1895 (dédié à Camille Lemonnier)
Carnets du roi, 1903
Le Chinois tel qu’on le parle, 1903
Le grand roi Patacake

Essais 

Wallonische Künstler, dans Die Allgemeine Kunst-Chronik, Muncih, 1894
Les petits essais d’enthousiasme. À la gloire de Böcklin, Liège, 1895
L’âme allemande, dans Mercure de France, 1896
L’œuvre de Bismarck, dans Mercure de France, 1897
Ultor, préface de Léon TROCLET, Le Catéchisme du conscrit socialiste, 1897
Le Conquérant (roman inachevé) 1906-1907
Justin WALLON, Une cité belge sur la Tamise, Londres, 1917