© Affiche publicitaire par Henri Cassiers vers 1905

Germain Auguste

Socio-économique, Entreprise

Deuxième moitié XIXe siècle, première moitié XXe siècle

Lorsque l’on évoque les premiers tours de roue de l’automobile wallonne, la « Germain » est régulièrement citée comme la pionnière. Si elle n’est pas la première voiture commercialisée, elle est par contre la toute première à être construite sur une échelle industrielle et en quantités importantes pour l’époque. Elle doit son nom à Auguste Germain, un industriel du pays de Charleroi, que les biographes semblent avoir totalement négligé pour se consacrer exclusivement à son exceptionnel véhicule automobile.

Les premiers pas d’Auguste Germain sont difficiles à cerner. Il semble qu’il existait, dès le milieu du XIXe siècle, une fonderie de fer équipée d’une machine à vapeur située à Monceau-sur-Sambre, au 50 de la rue de Trazegnies. Elle était dirigée par Florent Dufour, avant de devenir Les Ateliers Brison, en 1857. Ces ateliers vont se spécialiser dans la construction du matériel roulant pour le chemin de fer (montage de wagonnets, fabrication de wagon citerne, etc.). Dès 1873, on sait que du matériel de chemins de fer y est fabriqué. C’est le moment où Auguste Germain acquiert des terrains et du matériel industriel à cet endroit et semble y avoir installé les Forges et ateliers de construction de Monceau-sur-Sambre, A. Germain. L’ensemble industriel s’agrandit en 1892 par l’achat de nouveaux terrains qui semblent nécessaires pour le développement d’une nouvelle activité, la fabrication de tramways. Les Ateliers Brison qui sont actifs jusqu’en 1896 se confondent-ils avec les Forges et ateliers de construction… ? Auguste Germain est-il le directeur voire le propriétaire de l’une ou de l’autre, voire des deux entreprises ? Toujours est-il que Les Ateliers Brison disparaissent en 1897 quand se constitue la Société anonyme des ateliers Germain. Car Germain s’est avancé dans des activités où il n’est pas seul dans le secteur.

Dans les années 1880, à la tête de la SA Électricité et Hydraulique (E&H), Julien Dulait s’intéresse lui aussi aux tramways électriques, aux ascenseurs, aux machines d’extraction... Plusieurs lignes de tramways ont recours à ses services, tant en Belgique qu’en France, tandis que des charbonnages lui commandent des locomotives électriques spéciales, autant pour l’air libre que pour descendre dans les galeries. Peut-être, Dulait et Germain ont-ils noué de premières relations à ce moment. On les retrouve en tout cas associés pour réaliser un projet qui est bien dans l’air du temps : construire une automobile disposant d’un moteur à pétrole. Ils achètent plusieurs modèles pour les étudier. Les deux industriels carolorégiens ne se lancent pas seuls dans l’aventure ; ils parviennent à convaincre de nombreux partenaires liégeois, faisant de l’automobile Germain un vrai projet industriel wallon.

Avec l’aide du banquier liégeois Émile Digneffe, ils rassemblent en effet des investisseurs jusque-là actifs dans la fabrication d’armes, la métallurgie ou le commerce de la laine. Ainsi retrouve-t-on parmi les actionnaires de la Société anonyme constituée en novembre 1897, Paul Berryer (avocat et futur homme politique), Adolphe Greiner (directeur-gérant Cockerill), Ferdinand Hanquet (fabricant d’armes, Liège), Adolphe et Henri Laloux (fabricant d’armes, Liège), Jules Lamarche (industriel, Liège), Pierre Hauzeur de Simony (industriel, Verviers), Albert Simonis (fabricant d’armes, Liège), Eugène-Louis Senéchal de la Grange (industriel, Paris), Édouard Demeure (ingénieur, Bruxelles), Armand Dewandre (propriétaire, Fontaine-l’Évêque), Edmond Dewandre (avocat, Charleroi), Émile Dewandre (ingénieur, Charleroi), Franz Dewandre (avocat, Charleroi), ainsi que des agents de change bruxellois.

Avec le prototype d’une voiture automobile « système Dulait », Julien Dulait apporte des brevets spéciaux relatifs à l’automobile (acquis ou déposés par lui). Les autres apportent des études relatives aux moteurs et véhicules automobiles, des études commerciales, des matières premières, des modèles et objets fabriqués… Quant à Auguste Germain, il semble déposer tous ses avoirs dans la corbeille de la promise ; il cède en effet à l’ambitieux projet la totalité de ses usines de Monceau-sur-Sambre, à savoir des forges et des ateliers de construction raccordé à la gare de Marchienne-au-Pont (ateliers de construction, forges, chantiers, écurie, cours, maison de direction, jardins et trois maisons, le tout au Champ du Calvaire), les machines motrices, les machines-outils, l’outillage, les installations et tous les appareils ; il apporte aussi « la firme Ateliers de Monceau-sur-Sambre A Germain », sa clientèle, ses relations, son savoir-faire et toutes ses commandes en cours. Aussi Auguste Germain détient-il à lui tout seul 60% des parts constituant les 750.000 francs de capital, les 13 autres fondateurs se répartissant les 40% restants. La nouvelle SA va poursuivre des activités dans le domaine du matériel de chemins de fer et des tramways, tout en créant un département spécialement dédié à l’automobile.

Très vite, cependant, la société enregistre une importante augmentation de capital (250.000 frs) : Paul et Franz Dewandre, Arthur Gillieaux, Julien Dulait et Louis Willems apportent à la SA une convention signée entre eux et la Vve Émile Levassor, en l’occurrence Louise Cayrol (Paris). Cette dernière leur a transmis « la propriété exclusive de tous les brevets belges et de perfectionnements que M. Daimler pourrait prendre ou déposer quant aux perfectionnements qu’il pourrait apporter à ses moteurs et à ses voitures automobiles ou à ses tricycles à pétrole ; la propriété exclusive pour la Belgique de toutes ses marques de fabrique mentionnant les noms de Daimler et Levassor ; la délivrance des plans d’exécution des moteurs Daimler et des principaux types de voitures actuellement réalisées ; le prêt à titre de modèles des voitures dont elle pourra disposer ; le droit exclusif de fabriquer et vendre en Belgique les moteurs et voitures dont il est question ». Le Conseil d’administration s’élargit alors à Gottlieb Daimler, président du Conseil d’administration de la Motoren Daimler Gesellschaft, administrateur de la SA des anciens établissements Panhard et Levassor. Le brevet Panhard-Levassor pour la voiture et le brevet Daimler-Phoenix pour le moteur va assurer le succès de la Germain. Très vite, les anciens ateliers d’Auguste Germain sont en mesure de produire une dizaine de véhicules par mois. D’emblée, sous la direction de Guillaume Van de Poel, plusieurs dizaines d’ouvriers s’affairent à la mise au point d’une « deux cylindres – 6 CV », prête à concurrencer ses homologues allemandes et françaises : les nouvelles Germain sont souvent surnommés les « Panhard belges » ou les « Daimler belges ». La première Germain était sortie des ateliers le 25 juin 1898.

Très à la mode à l’époque, la Société Anonyme des Ateliers Germain inscrit ses véhicules dans des compétitions automobiles. Présente au meeting de Spa en 1899, une « Germain » remporte la course Bruxelles-Spa en 1900 et en 1902 ; jusqu’en 1908, les Germain se distingueront sur tous les terrains. Fabriquant sous licence les voiturettes Elan (1898) et des modèles Renault à cardan (1920), Germain lance en 1900 des « quatre cylindres 12 CV », diversifie ses produits dans le secteur de la navigation (1901) et des transports (1903). L’expérience acquise incite le constructeur à se dégager des brevets étrangers pour présenter des modèles qui ne doivent qu’au seul savoir-faire maison. Déjà, plusieurs brevets ont été déposés quand sort, en 1903, la série « Germain Standard » qui rencontre un premier succès, tandis que le millième véhicule est produit dans les ateliers carolorégiens où travaillent plus d’un demi-millier d’ouvriers (1904), dont la moitié rien que pour le secteur automobile. Un bureau d’études est mis en place, plusieurs innovations en ressortent. Fin 1905, Germain présente le Chainless 14/20 HP qui devient la référence de la marque en raison de son faible poids, de son équipement moteur particulièrement évolué (transmission à cardan, cylindres tournés, essieu arrière oscillant, châssis en tôle emboutie, etc.) et de sa ligne caractérisée par un radiateur de forme circulaire, ovale d’abord, ronde ensuite, à partir de 1907.

La SA des Ateliers Germain s’impose alors comme l’un des plus importants constructeurs d’automobiles du pays, reconnu par la fiabilité, l’élégance et la puissance de modèles qui se diversifient. À la veille de la Grande Guerre, Germain propose sept modèles différents et exporte énormément vers l’Angleterre. Comme pour de nombreuses sociétés wallonnes, l’occupation allemande de 14-18 constitue un violent coup d’arrêt. Pillés de leur matériel, les Ateliers Germain ne reprendront jamais la construction automobile, renouant avec la production de matériel ferroviaire, ainsi qu’une gamme importante de moteurs industriels et de moteurs marins. Quant à Auguste Germain, on perd sa trace, sa destinée s’étant entièrement fondue dans celle de sa société.

Dans les années 1930, la construction de camions rappelle les grandes heures automobiles, mais les commandes portent avant tout sur des moteurs destinés aux autorails du réseau français ; la tentation existe de renouer avec le glorieux passé, un essai est tenté en 1937, mais le contexte a considérablement changé. Après la Seconde Guerre mondiale, des bennes de voirie sortiront d’Anglo-Germain, nouveau nom de la société depuis sa fusion avec la Société Anglo-Franco-Belge de la Croyère (1964). À la fin des années 1960, le déclin économique wallon entraînait la société Germain dans sa suite de fermetures de charbonnages et d’outils sidérurgiques qui avaient fait la prospérité d’antan.

 

Sources

Annexes du Moniteur belge, 12 novembre 1897, n°3999, p. 429-436 ; n°4481, p. 991-996
http://www.rvccb.be/PAGES/CONSTRUCTEURS%20LISTE/constructeurs%20GFR.html
http://www.pscm.eu/zouteteam/pdf/voitures_belges.pdf
Reconstruire la ville sur la ville. Recyclage des espaces dégradés. Rapport intermédiaire de la subvention 2004-2005, Namur, MRW, 2005, p. 60
Pierre MASSET, Histoire de Monceau-sur-Sambre, Frameries, Dufrane-Friart, 1901, p. 159