Jongen Yves

Socio-économique, Entreprise

La Louvière 27/10/1947

La rédaction d’une notice relative à Yves Jongen pose d’emblée un problème. Faut-il parler de son passé ou de son futur ? Au milieu des années 1970, ce jeune ingénieur civil met au point, avec André Wambersie, un accélérateur de particules spécialement adapté à des usages cliniques. Jusque-là, ce type d’appareils appelés cyclotrons n’étaient utilisés que dans quelques laboratoires de recherche où il était devenu évident que le traitement du cancer présentait des résultats nettement meilleurs par le recours aux protons qu’aux rayons X. Directeur depuis 1971 du Centre de recherches du Cyclotron, premier bâtiment construit sur le nouveau site wallon de l’Université catholique de Louvain, Yves Jongen (souvent surnommé le premier habitant de Louvain-la-Neuve) a l’idée de réduire la taille et le coût du cyclotron, et relève le pari d’un projet industriel ambitieux.

En 1986, seuls l’Université catholique de Louvain, l’Institut des Radioéléments de Fleurus (IRE) et un important prêt sans intérêt de la Région wallonne témoignent de la confiance dans cette entreprise ; le prototype est construit fin 1986. En engageant un jeune ingénieur commercial, Pierre Mottet à la tête de son « département de vente », la jeune société IBA, initiales d’Ion Beam Applications, se lance à la conquête du monde, plus prosaïquement à la recherche d’interlocuteurs prêts à faire confiance à un produit révolutionnaire issu d’une société sans passé… et qui coûte des dizaines de millions de francs. Pierre Mottet parvient à faire signer quatre contrats, au Japon, en Australie, en Chine et aux États-Unis. Après ce début fulgurant, la suite est plus difficile quand la jeune spin-off ne se consacre qu’à l’imagerie médicale ; mais IBA parvient à se faire un nom à l’échelle mondiale, dès le début des années 1990, en raison de la commercialisation des cyclotrons et de sa diversification dans la thérapie du cancer et l’ionisation industrielle, dans la brachythérapie, ainsi que, loin des applications médicales, dans le secteur des accélérateurs d’électrons (RhodotronR) à l’usage de l’industrie dans le domaine de la stérilisation.

Leader mondial dans le domaine des cyclotrons, IBA vaut à ses deux fondateurs historiques, Yves Jongen (administrateur délégué depuis 1991) et Pierre Mollet, d’être élus Managers de l’Année 1997 par Trends Tendance, encouragements mérités à la veille d’une mise en bourse de la société wallonne en laquelle personne ne croyait une décennie plus tôt. À l’occasion de sa transformation en holding coopérative, Yves Jongen cède les commandes d’IBA à Pierre Mottet qui devient administrateur délégué, pour s’occuper exclusivement de la direction de la recherche et du développement.

Vingt ans après la fondation, une quinzaine de cyclotrons (coût 100 millions/pièce) ont été commandés à travers le monde, les avantages de la protonthérapie par rapport à la radiothérapie traditionnelle étant progressivement reconnus, en dépit du coût du traitement. Les dizaines d’articles et de participations d’Yves Jongen à des colloques et symposiums ne sont pas étrangers à cette évolution, ni d’ailleurs la poursuite de ses mises au point destinées à rendre la protonthérapie plus accessibles. Fruit d'une expertise technologique acquise dans le nucléaire civil, IBA doit également son succès au savoir-faire du tissu industriel wallon : la coulée de l'acier dont sont composés les cyclotrons, la maîtrise de techniques d'usinage très pointues, la disposition d'ingénieurs, entre autres.

Après avoir intégré dans le Groupe IBA une série d’entreprises concurrentes et complémentaires, IBA enregistre, en 2001, le premier traitement d’un patient avec son système installé à l’hôpital de Boston (au Francis H. Burr Proton Therapy Center). Spin-off devenue multinationale, IBA connaît quelques turbulences, mais reste finalement aux mains de ses fondateurs. À partir de 2007, de nouveaux systèmes, plus compacts et moins onéreux (un quart du prix précédent), sont commercialisés en protonthérapie, bénéficiant régulièrement d’une série de perfectionnements brevetés (IBA en a déposé plus de 300) en matière de coût d’énergie, de volumes et d’efficacité. Alors qu’une soixantaine de ces équipements sont mis en place à travers le monde, Yves Jongen reste le principal responsable de la recherche au sein d’IBA : l’évolution de la protonthérapie a atteint un tel rythme que les perspectives dans le traitement des malades du cancer semblent plus prometteuses que les résultats déjà enregistrés. Prix Georges Vanderlinden de l’Académie de Belgique, Yves Jongen a été nominé en 2013 pour le Prix de l’Inventeur Européen pour l’ensemble de sa carrière, même si celle-ci est loin d’être terminée. On en veut pour preuve la présidence du pôle de compétitivité MecaTech qu’il a accepté d’assumer, dès 2006, dans le cadre du Plan Marshall lancé par le gouvernement wallon.

 

Sources

Martine MAESCHALCK, dans Jean-François POTELLE (dir.), Les Wallons à l’étranger, hier et aujourd’hui, Charleroi, Institut Destrée, 2000, p. 279
Dynamisme, octobre 2011, n°233