Lacasse Joseph

Culture, Peinture

Tournai 05/08/1894, Paris 26/10/1975

« C’est au fond des carrières que j’ai appris à écouter et à voir la roche s’ouvrir semblable à une fleur... Je rêvais devant les blocs de pierre ruisselants de pluie aux couleurs scintillantes... c’est cette conscience que j’ai conservée jalousement et qui m’a permis d’évoluer doucement mais sûrement vers la lumière si nécessaire aux formations des taches de couleur ». Le peintre Joseph Lacasse ne pouvait mieux résumer son parcours en évoquant ses origines, Tournai pays des carrières, et son talent confirmé d’artiste abstrait.

Fils de militant socialiste et militant lui-même, Joseph Lacasse ne tire guère profit de ses premières années d’école primaire et comme l’argent fait défaut dans le ménage ouvrier des Lacasse, le père met son fils en apprentissage chez un entrepreneur en peinture. Se révèle alors un don artistique qui incite à inscrire le jeune Joseph à l’Académie des Beaux-Arts (1906-1921). Cherchant sa voie et son destin en étudiant le soir les rudiments des arts plastiques, il signe ses premières œuvres abstraites en 1910 et 1911. En journée, il trouve du travail chez un décorateur tournaisien réputé (Charles Hourdequin) qui le forme aussi aux techniques picturales. 

Subissant l’occupation allemande, il est fait prisonnier de guerre en 1916, parvient à s’évader et à se cacher à l’Hospice civil de Tournai où il continue à peindre. Son service militaire l’attend cependant, et il l’accomplit à Gand (1919-1920). C’est là qu’il fait la rencontre de l’écrivain Georges Delizée qui deviendra son ami et son premier biographe (Un peintre du pays blanc, 1927).

Complétant son éducation artistique après la guerre à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1921-1922), Lacasse effectue plusieurs voyages en Italie, Espagne et Bretagne. Installé définitivement à Paris en 1925, il continue d’explorer le monde pictural, créant des œuvres extrêmement originales, aux reflets de cubisme et d’un expressionnisme proche de Marcel Gromaire. De 1914 date un grand tableau intitulé Le Passage des Allemands à Tournai qui ne manque pas d’impressionner par des signes aux accents tragiques et par une plastique qui nous font penser au Guernica de Picasso dont nul n’ignore que le tableau date de… 1937. Influencé par son environnement, Lacasse représente encore à sa façon le monde ouvrier, celui des carrières et des fours à chaux. Le « pays blanc » du Tournaisis se retrouvera également dans des œuvres au dessin très simplifié.

En contact avec le milieu culturel et artistique parisien, surtout de tendance chrétienne, Lacasse se lie d’amitié avec Robert Garric des Équipes sociales et surtout Henri Poulaille écrivain « prolétarien ». Cela influence ses toiles où vont prédominer les thèmes religieux à caractère social. Le succès est au rendez-vous et il peut offrir une petite maison à ses parents à Tournai : il la restaure et les fresques murales qu’il y a réalisées sont encore visibles. Mais les œuvres mystico-réalistes de Lacasse ne font pas l’unanimité. Les fresques de la chapelle Saint Dominique de Juvisy-sur-Orge que le peintre a exécutées à la demande d’un industriel du Nord (1931) sont recouvertes suite à des plaintes de paroissiens et sur ordre de l’évêque de Versailles. 

Le procès intenté par le peintre et son mécène non seulement n’aboutira pas (1934) mais aura des conséquences négatives : on se détourne du peintre sulfureux qui retrouve la précarité d’existence de sa prime jeunesse. Le peintre développe encore quelque temps un cubisme original, avant de délaisser le figuratif et de se consacrer entièrement à l’abstraction. Mais la Seconde Guerre mondiale éclate et c’est la Résistance qui le monopolise.

Se ralliant dès juin 1940 à l’Appel du Général de Gaulle, Lacasse gagne Londres où, au sein des Forces françaises libres, il se voit confier la direction technique d’un centre de rééducation des militaires par des activités manuelles et artistiques (Finedon Hall, 1941). De 1943 à 1945, il enseigne la sculpture et la céramique à Stoke-on-Trent.

Découragé par les dégâts provoqués par la guerre et par la longue rupture imposée à son imagination créatrice, Lacasse détruit de nombreuses toiles d’avant-guerre et paraît renoncer à la peinture. Sortant de sa déprime, il se remet assidûment à l’ouvrage, en solitaire, et se fait un nom comme peintre abstrait dont l’originalité n’a d’égal que la qualité. Comme l’écrit Léon Koenig, « Il y a plus que du talent chez Lacasse, et lorsqu’il se remet à l’abstraction, (…) éclatent ses dons de coloriste, son amour de la lumière ». On observe aussi une tendance géométrique.

Les expositions se multiplient à partir des années cinquante et la notoriété est au rendez-vous. Le titre de certaines œuvres conserve les traces des lieux et des thèmes de l’entre-deux-guerres : « cailloux », « carrière blanche », « Le Verbe », « Création », « Nativité », « La Foi », etc. Le peintre s’adonne aussi à la sculpture, au collage, à la lithographie, voire à la tapisserie.

En 1970, sa ville natale se souvient du maître et lui consacre une large rétrospective. Décédé à Paris en 1975, il est inhumé à Tournai, cité qui l’a marqué durablement.

Sources

Joseph Lacasse par lui-même, Fonds Mercator, 1974
DELIZEE Georges, Joseph Lacasse, un peintre du Pays Blanc, Bruxelles, 1927
FRESON Florence et RENWART Marc, Les premiers abstraits wallons : M.-L.. Baugniet, H.-J. Closon, E. Engel-Pak, J. Lacasse, M. Lempereur-Haut, catalogue d’exposition, La Châtaigneraie, 1984